Luvre multimédia interactive est une uvre collective
A
propos de la décision du TGI de Nanterre du 26 novembre 1997
(affaire : J.-M. Vincent, Magali
Jallais c/ CUC Software international, M. Tramis, S. Boris Schmid)
Gérard HAAS |
Olivier de TISSOT |
DJCE - Docteur en droit |
HEC - Docteur en droit |
Avocat à la Cour |
Professeur à l' ESSEC |
Le TGI de Nanterre, en date
du 26 novembre 1997, a rendu un très intéressant jugement (Vincent, Jallais / CUC
Software International SA) portant sur un problème d'actualité rarement traité en
jurisprudence, à savoir comment qualifier une uvre multimédia interactive:
uvre collective ou uvre de collaboration ?
L'affaire opposait le réalisateur d'images vidéo, fixes et non
sonorisées, intégrées dans un jeu vidéo édité sous forme de cédérom, au producteur
de ce jeu vidéo.
Bien que le contrat écrit passé entre les parties ait précisé que
l'apport du réalisateur consistait en " une prestation de service contribuant à une
uvre collective ", le réalisateur prétendait que son apport était en
réalité une uvre littéraire et artistique à part entière, dont il était donc
l'auteur au sens du Code de la Propriété Intellectuelle, et que le cédérom devait
être qualifié duvre de collaboration, et non duvre collective.
Développant un raisonnement particulièrement bien structuré, le
tribunal analyse, dans une première étape, quelle est l'activité réelle du
réalisateur, en se demandant s'il est possible d'assimiler son activité à celle d'un
auteur; il recherche donc si sa contribution est originale, c'est-à-dire s'il y a un
véritable apport créatif reflétant sa personnalité. Des circonstances factuelles, et
non contestées, de l'espèce, le tribunal déduit qu'il n'y a pas d'apport personnel du
réalisateur, mais simplement réalisation d'une contribution technique.
On rappellera qu'il existe une présomption légale selon laquelle le
réalisateur d'une uvre audiovisuelle est un auteur, mais cette présomption peut
être renversée.
En effet, les éléments fondamentaux de l'apport créatif d'une
réalisation (ou mise en scène), ce sont les choix des mouvements de la caméra, des
cadrages, des décors, des acteurs, des styles de direction d'acteurs etc, choix qui
varient évidemment en fonction de la personnalité du réalisateur.
En l'espèce, ce n'était pas le cas, puisqu'il s'agissait de plans
fixes réalisés à partir d'indications fournies dans un cahier des charges par le
producteur, le réalisateur n'ayant aucune liberté dans le choix des acteurs, les textes
etc.
En jugeant que la seule captation d'images fixes ne constitue pas en
tant que telle un apport intellectuel, le tribunal réaffirme donc le principe bien connu
selon lequel une prestation technique ne relève pas du droit d'auteur.
A ce stade du raisonnement le jugement aurait pu s'arrêter là, en
déboutant le réalisateur de sa demande à être reconnu comme auteur des images qui lui
avaient été commandées.
Mais, dans une seconde étape de son raisonnement, la plus novatrice,
le tribunal a voulu aller plus loin en considérant que, même si le réalisateur avait pu
bénéficier de la protection du droit d'auteur, de toute façon, compte tenu du fait que
sa contribution s'intégrait dans une uvre qualifiée de collective, il n'avait
aucun droit sur la dite uvre (on sait que les droits portant sur une uvre
collective, sauf preuve contraire, appartiennent au producteur qui en eu l'initiative, a
mis le financement en place, l'a éditée, publiée et divulguée sous sa direction et son
nom)
C'était poser la question de savoir quel est le statut juridique exact
de luvre multimédia.
On se souvient, que la doctrine, ces dernières années, a été
fortement divisée entre une logique économique (luvre multimédia est une
uvre collective) et une logique d'auteur (luvre multimédia est une
uvre de collaboration). A l'évidence, cette distinction est, sur le plan pratique,
fondamentale, non seulement pour les producteurs-investisseurs, mais aussi pour tous ceux
qui, participant à sa réalisation, seront soit des coauteurs, qui cogéreront
luvre définitive, soit des "créateurs" sans aucun droit sur cette
dernière.
Le tribunal s'écarte de la tendance traditionnelle en faveur d'un
rattachement de luvre multimédia au régime de luvre
audiovisuelle et donc de luvre de collaboration (présomption irréfragable,
selon la jurisprudence actuelle), pour considérer qu'au contraire une uvre
multimédia a une nature spécifique qui doit la distinguer de luvre
audiovisuelle telle que cette dernière est définie par le Code de la propriété
intellectuelle.
Le tribunal affirme en effet que le CD-ROM réalisé " ne peut
être qualifié duvre logicielle ou duvre audiovisuelle, ces deux
catégories étant trop réductrices pour rendre compte de la réalité de sa nature
", en précisant que " luvre audiovisuelle ne saisit pas la
caractéristique essentielle de l'interactivité qui oppose au défilé séquentiel et
linéaire d'images qui s'imposent au spectateur passif, le dynamisme propre de
l'utilisateur qui choisit les séquences auxquelles il désire accéder. "
Dans l'espèce jugée, c'est l'analyse d'un faisceau d'indices factuels
qui conduit le tribunal à qualifier de collective le produit multimédia, indices
constitués par le fait que les images tournées par le réalisateur "devaient être
retravaillées (par des procédés informatiques) pour pallier les manques, procéder à
des ajouts et les rendre interactives."
On peut en conclure d'abord que luvre audiovisuelle doit se
limiter strictement aux uvres cinématographiques ou, comme le précise le Code de
propriété intellectuelle, analogues au cinéma, c'est-à-dire des uvres non
interactives telles que les fictions télévisées, les documentaires, les vidéos
notamment; et ensuite que, d'une manière générale, une uvre interactive n'est pas
une uvre audiovisuelle. Et ces conclusions nous paraissent raisonnables.
Par voie de conséquence, dès lors que des images vidéo sont
incorporées dans un produit interactif, elles perdent leur nature audiovisuelle pour
devenir un élément d'une uvre collective, et leurs créateurs, même s'ils peuvent
être qualifiés d'auteur, n'ont aucun droit sur le produit fini.
Conclusion
Le problème de la nature juridique d'une uvre multimédia se
pose aussi parce que les créateurs d'une production multimédia viennent d'horizons
différents.
Il est vrai qu'au regard des différentes professions concernées par
la création multimédia , la tendance est de qualifier cette création conformément aux
habitudes de la profession concernée: les métiers de l'édition et de l'audiovisuel
envisagent habituellement un produit multimédia comme une uvre de collaboration,
alors que les métiers de la presse écrite ou ceux de l'informatique le considèrent
plutôt comme une uvre collective.
La voie montrée implicitement par le tribunal pour éviter les doutes
dans l'esprit des contractants et les conflits dans les productions multimédia futures
est donc de rédiger un contrat loyal mais précis, qui définisse exactement la nature de
la contribution du prestataire de service, et qui explique la nature collective (due
notamment à l'interactivité) de luvre à laquelle la contribution
s'intégrera.
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