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Rubrique : chroniques francophones / volume 1

12 août 1998


 

Pseudonyme et nom de domaines

Gérard HAAS
Docteur en droit
Avocat à la Cour

 

1. PREAMBULE

Un site web est identifié sur le réseau Internet par son nom de domaine et bien entendu, ce nom de domaine ne doit pas porter atteinte à des droits antérieurs tels que : une marque, un nom commercial, une enseigne etc.

Son obtention est soumise à la règle générale du "premier arrivé, premier servi", c'est-à-dire que c'est le premier déclarant qui en devient le premier occupant.

La prudence impose que celui qui entend réserver l'usage d'un nom de domaine vérifie qu'il est disponible juridiquement.

Précisons que la jurisprudence française sanctionne l'existence d'un nom de domaine générique de premier niveau (.com, .net, .org) portant préjudice au titulaire d'une marque.

En effet, à ce jour, le nom de domaine n'est pas reconnu en France comme un signe distinctif.

Enfin, observons que la Charte de nommage de l'AFNIC soumet la procédure d'enregistrement à un certain nombre de contraintes pour la zone locale.fr contrairement à l'INTERNIC, pour les noms génériques de premier niveau tels que : .com, .net, .org.

 

2. PROBLEMATIQUE

Qu'il soit envisagé comme un média global d'entreprise ou comme un outil de développement du commerce électronique, l'Internet a connu un véritable essor.

Cet essor s'est traduit pour les entreprises, en ouverture de multiples sites qui, véritables catalogues de présentation, deviennent, de plus en plus, des outils de commerce électronique.

Cette croissance a induit le développement des noms de domaine.

Et, en même temps, est apparue, d'abord aux Etats-Unis puis aujourd'hui en Europe, une activité de commerce des noms de domaine réalisée le plus souvent par des spéculateurs sans foi ni loi.

Ainsi, souvent, derrière le spéculateur se cache l'usurpateur qui constitue un véritable danger pour les entreprises en attaquant leurs signes distinctifs de manière frauduleuse ou déloyale.

Ces individus ont cru bon de revêtir le masque de la dissimulation pour échapper au droit et à leurs devoirs.

En effet, l'enregistrement d'un nom de domaine sous la bannière du .com est d'une extrême simplicité, il suffit de :

  • communiquer un nom et prénom, parfois une adresse ;
  • contacter un fournisseur d'accès ou un bureau d'enregistrement ;
  • le nommer responsable administratif ;
  • payer le prix de son service et les frais d'enregistrement.

Ces individus utilisent généralement l'usage de pseudonyme pour se faire identifier et attribuer un nom de domaine.

Cet usage n'est pas interdit par la loi.

Par ailleurs, peu de bureaux d'enregistrement ou de fournisseurs d'accès réclament des pièces justificatives aux personnes souhaitant réserver un nom de domaine en .com, .org, .net etc.

Nous nous intéresserons donc aux conséquences de l'utilisation d'un pseudonyme pour la réservation d'un nom de domaine.

 

3. L'UTILISATION D'UN PSEUDONYME

Depuis des temps immémoriaux, le pseudonyme a été employé dans les ordres monastiques et, de nos jours, il est utilisé notamment par de nombreux artistes, journalistes, écrivains ou encore acteurs.

Le pseudonyme n'a pas d'existence légale, mais il est le résultat d'une construction prétorienne tant dans ses limites que dans sa définition.

Traditionnellement, on le distingue du nom, du prénom, du surnom ou encore du sobriquet.

En effet, le nom patronymique a une existence légale et permet l'identification d'une famille et, lorsqu'il est joint au prénom, l'identification d'un individu.

Seuls les noms et prénoms peuvent figurer dans les actes d'état - civil ou les actes officiels (loi du 6 fructuor an II, article 1er).

Le pseudonyme n'est pas non plus un surnom ou encore un sobriquet.

En effet, le surnom est l'œuvre du public, c'est une adjonction accessoire imposée par l'usage des tiers permettant une plus nette identification de la personne physique, déjà titulaire d'un nom patronymique et d'un prénom.

Le surnom, en raison de son origine et du but poursuivi, a fait l'objet d'un texte (loi du 6 fructuor, an II, article 2).

A la différence du nom et du prénom, le pseudonyme ne permet pas une complète identification d'un individu mais est un nom d'emprunt qui masque la personnalité de son auteur.

Ce n'est pas non plus un surnom puisqu'il a été volontairement et librement choisi par celui qui en use.

Du pseudonyme, on peut donner la définition prétorienne suivante : "le pseudonyme est un nom de fantaisie librement choisi par une personne pour masquer au public sa personnalité véritable dans l'exercice d'une activité particulière" .

Bien que l'usage d'un pseudonyme ne soit pas interdit, la dissimulation de la véritable identité sous un nom d'emprunt a justement conduit le législateur à réglementer son usage dans certaines circonstances.

Sont visés notamment les étrangers, lorsque la société n'est pas en mesure de contrôler efficacement leurs antécédents, les membres du corps médical, et l'engagement dans l'armée sauf en ce qui concerne la Légion étrangère.

Dans les autres cas, c'est le droit commun qui s'applique.

Ainsi, l'utilisation d'un pseudonyme dans ses rapports et les actes d'intérêts privés est libre et licite.

En revanche, celle-ci ne doit pas engendrer un comportement frauduleux ou abusif.

 

4. LES RISQUES

Précisons, en effet, qu'en se faisant attribuer, sous un pseudonyme, un nom de domaine portant atteinte à des droits antérieurs, le titulaire de ces droits pourra intenter une action fondée sur :

  • le comportement frauduleux du pseudonyme ;
  • l'utilisation abusive du nom de domaine par le pseudonyme.

 

5. LES FRAUDES

Le risque de l'utilisation d'un pseudonyme c'est qu'il masque un comportement frauduleux et une utilisation abusive, dans la mesure où il prive l'usurpé de la possibilité d'être présent sur le réseau Internet sous sa dénomination.

Effectivement, la limite à l'utilisation d'un pseudonyme est la fraude, c'est-à-dire, l'intention de détourner la loi ou de porter une atteinte illicite aux droits des tiers.

Conformément à l'article 2268 du Code civil, la fraude ne se présume point et c'est celui qui allègue la mauvaise foi qui doit la prouver.

Par ailleurs, la fraude à la loi se caractérise par la volonté d'utiliser un mécanisme légal, licite en soi, mais dans le seul but d'échapper à l'application d'une autre disposition légale impérative.

De plus, selon l'adage "fraus omnia corrumpit", la fraude corrompt tout, une fraude peut toujours être sanctionnée même en l'absence de dispositions légales expresses, par une action en nullité de l'acte qui en est entaché.

Par conséquent, l'usage d'un pseudonyme a pour limite la fraude et des actes incompatibles avec l'honnêteté, la morale et le droit des tiers.

Il ne doit pas non plus procurer à celui qui en use un avantage auquel il ne peut normalement prétendre.

 

6. LE COMPORTEMENT FRAUDULEUX

En application de l'adage "fraus omnia corrumpit", l'usurpé dont le nom a été utilisé par le pseudonyme doit démontrer les circonstances dans lesquelles ce nom a été attribué et obtenu.

La simple évocation des circonstances dans lesquelles le nom a été attribué et obtenu par le pseudonyme peut prouver le comportement frauduleux. C'est une argumentation essentiellement factuelle et doit être argumentée en droit.

Il convient alors de prouver que le pseudonyme a eu un comportement frauduleux, malhonnête, contraire à la morale et aux droits des tiers et que, de surcroît, il a tenté de s'assurer un avantage certain auquel il ne pouvait prétendre puisqu'il n'était pas titulaire des droits antérieurs de l'usurpé.

Comme cela était précisé ci-dessus, la sanction du comportement frauduleux est son inopposabilité, c'est-à-dire, la nullité de l'acte qui en est entaché, à savoir l'attribution du nom de domaine.

C'est pourquoi, en pareille hypothèse, il conviendrait de demander au Tribunal d'ordonner la renonciation par le pseudonyme au nom de domaine litigieux et par voie de conséquence, son retrait.

Par ailleurs, il pourra être également considéré que l'utilisation par le pseudonyme du nom de domaine est abusive dans la mesure où elle prive l'usurpé de la possibilité d'être présent sur Internet sous sa dénomination.

     

7. L'UTILISATION ABUSIVE

C'est la notion d'abus de droit qui s'applique en l'espèce, elle permet d'invoquer l'abus dans l'exercice d'un droit, c'est-à-dire, l'utilisation du nom de domaine usurpé et cet abus peut engager la responsabilité civile du pseudonyme sur les fondements de l'article 1382 et suivants du Code civil.

Il appartiendra alors à l'usurpé de prouver :

  • la faute constituée par l'usage abusif ;
  • le dommage en résultant, notamment par l'impossibilité pour l'usurpé de voir sa dénomination être présente sur Internet ;
  • le lien de causalité entre la faute et le dommage invoqué.

 

8. CASCADE DE RISQUES

Si la fraude corrompt tout, la fraude corrompt le bureau d'enregistrement ou fournisseur d'accès.

Ainsi, le pseudonyme entraîne avec lui le bureau d'enregistrement lorsque ce dernier n'a pas vérifié la disponibilité du nom de domaine usurpé ou n'a pas averti le pseudonyme des risques encourus en dissimulant son identité.

En effet, le bureau d'enregistrement est un spécialiste dans le domaine des services associés au réseau Internet et en tant que tel, peut voir sa responsabilité engagée.

Généralement, il sera difficile pour lui d'invoquer l'ignorance de l'identité exacte du pseudonyme puisqu'il est le responsable administratif du nom de domaine et qu'il doit par conséquent savoir en tant que professionnel où joindre le réservataire du nom, et à défaut, il engage sa responsabilité en tant que tel.

En outre, dans le cas où il aurait reçu des mises en demeure, il doit en informer immédiatement le pseudonyme puisque le pseudonyme, en tant que tel, ne peut pas être joint. En ne le faisant pas, il engage sa responsabilité.

Il doit mettre également en garde le pseudonyme des risques encourus pour atteinte aux droits des tiers, risques qu'il ne peut ignorer puisqu'il est spécialiste dans le domaine des noms de domaines et des services associés au réseau Internet.

Dans tous les cas, le bureau d'enregistrement préalablement à tout enregistrement doit conseiller, voire veiller à ce que ses clients procèdent ou font procéder à des recherches d'antériorité.

Ainsi, les manquements aux obligations précitées sont à l'origine du même dommage résultant de l'usurpation d'un signe distinctif.

Chacun des auteurs de ce dommage - le pseudonyme et le bureau d'enregistrement - pourra alors être condamné par le Tribunal à le réparer en entier.

     

9. CONCLUSION

Un double constat s'impose :

Tout d'abord, l'utilisation d'un pseudonyme pour l'attribution d'un nom de domaine est à utiliser avec beaucoup de précautions.

Ensuite, le bureau d'enregistrement doit vérifier, pièces justificatives à l'appui, l'identité de ses clients.

Par ailleurs, si rien n'interdit l'usage d'un pseudonyme, il ne faut pas que le pseudonyme soit un masque pour charlatan.

Il ne doit pas servir à une fraude et doit rester compatible avec l'honnêteté, la morale et le respect des droits des tiers et ne pas entraîner un avantage pour celui qui en use.

C'est pourquoi, lorsque le nom de domaine est attribué à un pseudonyme, nous conseillons aux usurpés de demander en justice la communication dans les vingt-quatre heures:

  • de l'état - civil véritable et complet du pseudonyme ;
  • d'un document établissant un lien entre cet état - civil et le pseudonyme.

Par ailleurs, l'utilisation d'un pseudonyme peut être qualifiée de comportement déloyal dans la mesure où, dans le cadre d'une procédure, il y aurait une entrave aux mesures d'exécution en cas de succès, et en cas de rejet, on ne pourrait pas régulariser la procédure de déclaration d'appel conformément aux dispositions de l'article 901 du NCPC qui impose à l'appelant d'indiquer les noms, prénoms et domicile de l'intimé.

Il y a également un risque de cascade de responsabilités puisqu'en masquant son identité, le masqué entraîne avec lui le masquant, c'est-à-dire le bureau d'enregistrement qui, s'il ne prouve pas le respect de ses obligations contractuelles, notamment d'information et de mise en garde, sera considéré comme responsable avec le masqué.

En effet, il nous semble inconcevable d'utiliser des artifices pour échapper à la loi et causer des préjudices à des tiers.

Sur ce point, il serait temps que l'INTERNIC refuse systématiquement d'attribuer des noms de domaine à des pseudonymes ou à tout le moins à des personnes qui ne justifient pas de leur identité car il y a une véritable menace et il convient de décourager ces pratiques spéculatives, frauduleuses et déloyales.

 

Cabinet Gérard HAAS, Paris


Notes

 

1. Voir en ce sens :

- TGI Draguignan, 1ère ch. Civ., 21 août 1997, LES ANNONCES DE LA SEINE, 20 juillet 1998, n° 51, G. HAAS et O. DE TISSOT, "Saint - Tropez ou la rançon de la gloire" ;
- TGI Bordeaux, ord. réf. 22 juillet 1987, gaz. pal., 1997, I, .245/n°105 p. 35 ;
- TGI Paris, ord. réf. 25 avril 1997.

2. Pour des commentaires détaillés sur la question, voir : p. nepveu, "du pseudonyme", JCP 61, éd.G/I,1662 ; JM. LELOUP, "le pseudonyme" : Rev. Trim. Dr. Civ. 1963, 449.

3. Cass.civ.1ère, 23 février 1965, JCP 1965, II, 14255.

4. J. PENNEAU, "l'utilisation d'un pseudonyme par les membres des professions médicales. Propos sur une réponse ministérielle", JCP 1985 G I,3185.

 

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