| Photographies coquines et propos licencieux sur Internet
    Photographies coquines et propos licencieux sur Internet
 Tribunal de grande instance de Privas 3
    septembre 1997   
      
        | Gérard HAAS | Olivier de TISSOT |  
        | DJCE - Docteur en droit | HEC - Docteur en droit |  
        | Avocat à la Cour | Professeur à l' ESSEC | Ce jugement du tribunal de grande instance de Privas a
    attiré notre attention car c'est, à notre connaissance, une des premières mises en
    application de l'article 226-19 du Nouveau Code Pénal (1) supposant pour
    que linfraction soit constituée, que les informations litigieuses aient été mises
    ou conservées en mémoire informatisée.
 Les faits incriminés étaient
    assez simples, et non contestés. Un jeune homme féru d'informatique et possédant son
    propre site Web sur "la toile" avait photographié son amie nue, et dans des
    poses invitant à l'amour, du temps de leur félicité commune, ayant ensuite été
    abandonné par la belle, il s'en était vengé en exhibant les photos de la cruelle,
    accompagnées de commentaires désobligeants sur ses murs, sur son site Web, site
    ouvert à tout internaute de passage. La belle l'apprit, intervint
    auprès du serveur, qui ferma le site 3 jours plus tard, et saisit la justice. Il
    s'ensuivit le jugement du tribunal correctionnel de Privas qui, visant l'article 226-19 du
    Code Pénal, condamna l'amant indélicat à 8 mois d'emprisonnement avec sursis, 5.000
    francs d'amende, et 20.000 francs de dommages intérêts pour préjudice moral (2). Le plus intéressant dans cette affaire, c'est sans
    doute l'incrimination retenue par le tribunal. On aurait pu penser que ce qui
    était avant tout reproché au prévenu dans cette affaire, c'était d'avoir permis la
    transmission, par ordinateurs interposés, des photographies de sa belle, sans son
    consentement, et avec la volonté évidente de lui nuire, ce qui correspond exactement à
    l'incrimination retenue par l'article 226-1du Code Pénal (3), visant le
    fait de porter volontairement atteinte à lintimité de la vie dautrui. Le fait que la jeune femme ait
    très certainement consenti à être photographiée par son amant ne pouvait évidemment
    pas être interprété comme un consentement, même tacite, à ce que les photographies
    soient ensuite diffusées sur Internet (4). Or des photographies d'une personne
    permettant son identification sont considérées par la Commission Informatique et
    Libertés comme des données nominatives (5). Toutefois, l'article 226-1 du Code
    Pénal est beaucoup moins sévère que l'article 226-19 du Code Pénal : il ne prévoit
    que des peines maximales de 1 an d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende, alors que
    l'article 226-19 prévoit des peines maximales de 5 ans d'emprisonnement et 2 millions
    francs d'amende. On observera également que les
    peines effectivement prononcées par le tribunal sont restées en deçà de celles
    prévues par l'article 226-1 du Code Pénal, mais on peut supposer que le tribunal a tout
    de même voulu stigmatiser la gravité des faits incriminés en retenant le visa de
    l'article 226-19 du Code Pénal. L'infraction prévue par l'article
    226-19 du Code Pénal tient toute entière dans le seul fait de numériser des données
    nominatives sans le consentement de l'intéressé. Elle ne s'intéresse nullement à la
    transmission, à la diffusion, de ces données. C'était bien ce qu'avait fait le
    prévenu : pour pouvoir afficher les photographies sur son site, il avait du
    préalablement les "scanneriser", ce que retient le tribunal sans évoquer
    l'affichage des photographies sur le site, et donc leur transmission aux internautes
    accédant au site ; or le préjudice subi par la victime a pour cause non la numérisation
    mais la transmission des photos. On peut penser que le tribunal a
    adopté le point de vue du législateur en sanctionnant si lourdement la seule
    numérisation de données nominatives sans le consentement de la personne intéressée. Ainsi, il prend en considération
    les conséquences éventuelles de cette numérisation, même faite sans intention maligne,
    c'est à dire la diffusion à l'échelle des réseaux informatiques, dont on sait qu'ils
    peuvent aussi bien relier quelques personnes (une petite entreprise) que des centaines de
    milliers, voire des millions de gens (Internet). L'article 226-19 crée donc une
    nouvelle "infraction obstacle", comme le dit la criminologie classique ; il
    réprime en fait des agissements seulement préparatoires à une infraction ultérieure,
    de même que l'infraction de création de fausses clés réprime de futurs cambriolages,
    agressions (6). En choisissant de sanctionner
    l'infraction source (la numérisation) et non l'infraction réellement dommageable pour la
    victime (la diffusion), le tribunal de Privas rappelle donc que la numérisation d'une
    donnée nominative n'est pas une opération à prendre à la légère. On ne peut y
    procéder qu'avec l'accord express de la personne concernée.   Conclusion: Ce jugement nous semble marquer
    heureusement l'adaptation du droit pénal français à l'extraordinaire puissance de nuire
    d'Internet dans le domaine de droits fondamentaux des personnes physiques. En effet, la
    diffusion sans contrôle de données nominatives dans le monde entier peut détruire un
    individu.  Le tribunal de Privas a donc
    assumé parfaitement son rôle de gardien des libertés individuelles, et on ne peut
    qu'approuver sa sévérité. Enfin, il est à remarquer que les
    juges de Privas ne sont pas les seuls à se soucier des menaces qu'Internet fait peser sur
    les droits fondamentaux des individus. LIRA MAGAZINER, chargé par le gouvernement
    fédéral des U.S.A des questions concernant Internet, vient de se déclarer déçu des
    initiatives privées mises en uvre sur les réseaux numériques pour protéger la
    vie privée, et ceci à deux mois à peine de la présentation officielle d'un rapport sur
    l'avancement des politiques et des objectifs du commerce électronique (7). Contact : ghaas@club-internet.fr Notes
  1. Art 226-19 :
    Le fait, hors les cas prévus par la loi, de mettre ou de conserver en mémoire
    informatisée, sans laccord exprès de lintéressé, des données nominatives
    qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou les opinions
    politiques, philosophiques ou religieuses ou les appartenances syndicales ou les
    murs des personnes est puni de cinq ans demprisonnement et de 2 000000
    francs damende. Est puni des mêmes peines le fait, hors les cas prévus par la loi,
    de mettre ou de conserver en mémoire informatisée des informations nominatives
    concernant des infractions, des condamnations ou des mesures de sûreté. 2. Le jugement a fait lobjet dun
    appel.3. Article 226-1 : Est puni dun an
    demprisonnement et de 300 000 francs damende le fait au moyen dun
    procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à lintimité de la vie
    privée dautrui : 1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans consentement de leur auteur,
    des paroles proncées à titres privé ou confidentiel; 2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci,
    limage dune personne se trouvant dans lieu privé. Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et
    au su des intéressés sans quils sy soient opposées, alors quils
    étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé.4. Cest d'ailleurs la même
    logique que l'on retrouve dans le Code de la Propriété Intellectuelle: l'auteur d'une
    uvre de l'esprit, ou son artiste-interprète, doit explicitement donner son
    consentement à la diffusion ou reproduction de la dite uvre.
    5. Voir en ce sens le Rapport de la
    CNIL "Voix, images et protection des données personnelles"
    6. En effet, larticle 121-5 qui
    considère que la tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement
    dexécution, elle na pas été suspendue ou na manqué son effet
    quen raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. Ainsi, il
    a été jugé que constitue le commencement dexécution le fait dintroduire
    une fausse clé dans la serrure dune chambre dhôtel dont le prévenu
    nétait pas le locataire, alors même quil serait établi quil ny
    aurait rien eu à voler dans ladite chambre (Crim.14 juin 1961 : Bull. crim. n°299).
    7. Voir le flash infos d'avril 1998 sur http://www.legalis.net et pour une information sur
    lactualité du net, http://www.juriscom.net/droit/actualites.htm
    ou http://www.grolier.fr/cyberlex 
 JUGEMENTTribunal de grande instance de Privas 3 septembre
    1997   -  Sur l'action publique Attendu que Ferdinand G.
    prévenu à Talencieux et sur l'ensemble du territoire national, de septembre 1996
    à janvier 1997, mis ou conservé en mémoire informatique des données nominatives
    sans l'accord exprès de l'intéressée qui directement ou indirectement font apparaître
    ses murs ; Infraction prévue et réprimée
    par les articles 226-19 et 226-31 du code pénal ; Attendu que pour sa défense
    Ferdinand G. fait valoir que : - l'infraction de mise en mémoire
    informatique des données sensibles a pour but de prévenir les discriminations fondées
    sur la race, les opinions politiques, philosophiques et de ne pas apporter d'entrave à la
    liberté de penser et à la liberté syndicale et que la loi doit s'entendre dans le cadre
    de constitution de fichiers, -qu'avant d'être codifiée sous
    l'article 226-19 du code pénal, I'incrimination était visée par l'article 31 de la loi
    du 6 janvier 1978 qui doit s'interpréter en référence a l'article 42, que l'article 45
    de la loi dispose que les dispositions des articles 25, 27, 29, 30, 31, 32 et 33 relatifs
    à la collecte, l'enregistrement et la conservation des informations nominatives sont
    applicables aux fichiers non automatisés ou mécanographiques autres que ceux dont
    l'usage relève du strict exercice du droit à la vie privée ; qu'ainsi l'élément
    matériel de l'infraction doit être notamment l'existence d'un fichier au sein duquel
    figurerait la photographie ? Qu'il ressort des procès-verbaux qu'il n'a constitué aucun
    fichier ? -que l'infraction de conservation
    d'une donnée sensible n'est pas constituée si les données collectées ne figurent pas
    dans un fichier mais dans un dossier individuel isolé, non conservé dans un quelconque
    fichier, qui peut être une collection structurée de dossiers personnels ; Attendu qu'il convient en
    préliminaire de noter que l'article 226-19 du code pénal est inclus dans une section 5
    qui traite des atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des
    traitements informatiques, qui a été créée aux fins de prendre en considération les
    incidences des nouvelles technologies de l'information ; que l'article 226-19 du code
    pénal vise le fait de mettre ou de conserver en mémoire informatisée et ne réduit pas
    l'infraction à la constitution de simples fichiers, que cette infraction était prévue
    antérieurement par l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978 ; Qu'une première lecture de
    l'article 226 -19 montre qu'il s'applique aux traitements automatises des données
    nominatives normalement entendues au sens des articles 4 et 5 de la loi de 1978 ; Qu'est dénommé traitement
    automatisé d'informations nominatives tout ensemble d'opérations réalisées par des
    moyens automatiques relatifs à la collecte, a l'enregistrement, l'élaboration, la
    modification, la conservation et la destruction d'informations nominatives, la notion de
    traitement automatisé devant être entendue extensivement et ne peut en aucun cas être
    confondue avec la notion de fichier ; que par traitement automatisé il convient
    d'entendre également l'extraction, la consultation, I'utilisation, la communication par
    transmission, la diffusion et tout autre forme de mise à disposition de données a
    caractère personnel ; Qu'en l'espèce l'article 45 de la
    loi du 6 janvier 1978 devenu l'article 226-23 du code pénal ne peut recevoir application
    car il vise les fichiers non automatisés ou mécanographiques ; Attendu qu'il convient de rappeler
    qu'interner est un service de communication audiovisuelle ; Qu'il faut entendre par
    communication audiovisuelle toute mise à disposition du public ou de catégories du
    public par un procédé de communication, de signes, d'écrits, d'images, de sons ou de
    messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée ; - que le réseau Internet permet la
    consultation et l'exploitation de services à travers des configurations
    informatiques ; Attendu qu'il ressort des
    déclarations de Ferdinand G. : que vers le mois de septembre 1996
    il a pris un abonnement Internet"; qu'a partir de cet abonnement il a obtenu un modem
    qu'il a installe chez lui, qu'il a pris des photos à caractère pornographiques de Sophie
    B.; qu'il a fait passer ces photos à plat afin de faire ressortir l'image sur
    l'ordinateur et qu'il a mis ces photos sur son compte personnel sur Internet; que ces
    pages ont été bloquées 2 ou 3 jours après; que le prévenu a remis une
    disquette représentant des photos prises avec Sophie B., qu'au vu des pièces annexées a
    la procédure les photos sont "complétées" par un texte en relation avec
    celles-ci quant aux murs de la personne représentée; qu'il ressort de l'ensemble des
    Cléments qui viennent d'être développes que l'infraction reprochée à Ferdinand
    G. est constituée: - Sur l'action civile Attendu que Sophie B. s'est
    constituée partie civile; Attendu que sa demande est
    recevable et régulière en la forme; Que sa demande tend à la
    condamnation de Ferdinand G. au paiement de la somme de 80 000 F pour le préjudice moral
    et 5 223,93 F pour le préjudice matériel; Attendu qu'une somme de 3 000 F est
    demandée au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale: Attendu qu'il convient de déclarer
    Ferdinand G. responsable du préjudice subi par Sophie B.: Attendu qu'en l'état des
    justifications produites aux débats, le tribunal dispose d'éléments d'appréciation
    suffisants pour fixer à 20 000 F pour le préjudice moral et de rejeter la demande
    concernant le préjudice matériel: Attendu qu'il serait inéquitable
    de laisser à la charge de la partie civile les sommes exposées par elle pour sa
    représentation en justice; qu'il convient donc de lui allouer à ce titre, sur le
    fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 3 000 F;   LA DECISION Le tribunal: Statuant publiquement et en premier
    ressort, Contradictoirement a l'égard de
    Ferdinand G. -  Sur l'action publique
      
     
      Déclare Monsieur Ferdinand G. coupable des faits
        qui lui sont reprochés;Condamne Ferdinand G. à la peine de huit mois
        d'emprisonnement:Dit qu'il sera sursis à l'exécution de la peine
        d'emprisonnement qui vient d'être prononcée contre lui;Le condamne en outre à 5 000 F d'amendeLe président, en application de l'article 132-29 du
        code pénal, ayant averti le condamne, que s'il commet une nouvelle infraction, il pourra
        faire l'objet d'une nouvelle condamnation qui sera susceptible d'entraîner l'exécution
        de la première condamnation sans confusion avec la seconde et qu'il encourra les peines
        de la récidive dans les termes des articles 132-8 à 132-16 du code pénal; - Sur l'action civile Par jugement contradictoire a
    l'égard de Sophie B. 
      Reçoit Sophie B. en sa constitution de partie
        civile;Déclare Ferdinand G. responsable du préjudice subi
        par Sophie B.;Condamne Ferdinand G. à payer à Sophie B. la somme
        de 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral;Rejette la demande concernant le préjudice
        matériel;Condamne Ferdinand G. à verser à Sophie B., au
        titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 3 000 F; Le tribunal:  M. Bouvier
    (président), M. Soulard et Panouillères Juges), M. Nicolet (substitut du procureur de la
    République). Avocats:  Mes Buffard et Maillau. |