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Rubrique : chroniques francophones / volume 2 / Congo
Mots clés : avocats, publicité, consultations, ligne
Citation : Emery MUKENDI WAFWANA, "Avocats congolais sur Internet : information ou publicité ?", Juriscom.net, 15 juin 2000
Première publication : Juriscongo


Avocats congolais sur Internet : information ou publicité  ?

Par Maître Emery Mukendi Wafwana
Avocat au Barreau de Kinshasa/Gombe
Revue Juricongo

email : cavas@ic.cd


> Introduction

1.  L’Internet rend maintenant possible des situations qui demeuraient inconcevables et parfois qualifiées d’impossibles hier[1]. Facilitant les contacts et des échanges, il a amoindri la planète au point de la réduire à un village. C’est donc non sans raison qu’il est appelé « le village planétaire ». 

2.  Dans ce nouveau village mondial, les avocats des différents systèmes juridiques, anglo-saxon, romano-germanique et autres y développent leurs activités. Ils présentent leurs cabinets, leurs compétences, leurs domaines d’activités et offrent même des consultations en ligne.

3.  Avant de relever le caractère publicitaire ou non de ce nouveau moyen de communication et de contact par rapport à la déontologie régissant la profession d’avocat en République Démocratique du Congo, il nous paraît nécessaire de préciser les enjeux de cette nouvelle technologie sur l’exercice de la profession.

> Les enjeux

4.  L’Internet peut être utilisé par l’avocat comme une banque des données juridiques permettant l’accès aux textes législatifs et réglementaires, à la jurisprudence et la doctrine de plusieurs systèmes juridiques mondiaux. Il permet à l’avocat congolais d’accéder par exemple aux documents, décisions et affaires pendantes à la Cour Internationale de Justice sans  pour autant dépenser des frais énormes de transport des ouvrages d’une telle institution en consultant le site de cette cour à l’adresse ci-après : http://www.icj.org. Il peut également obtenir les études doctrinales et jurisprudentielles en droit de nouvelles technologies dans le site de la revue électronique Juriscom.net : http://www.juriscom.net.

5.  L’Internet permet encore à l’avocat de communiquer avec les tiers. A travers son site web, l’avocat peut offrir au public la possibilité de répondre à toutes les questions sur une matière donnée ou rendre populaire son e-mail dans le but de recevoir les consultations. Il peut arriver aussi que l’avocat soit consulté lors d’un forum de discussion en ligne.

6.  Comme le relevait Me Valérie Sédallian lors de la 2ème conférence franco-américaine sur le Droit et l’intelligence artificielle tenue à Nice du 11 au 12 juin 1999[2], les avocats doivent investir Internet pour utiliser son potentiel de communication, pour faire connaître leurs activités et, d’une manière générale, promouvoir leurs compétences[3].

7.  Avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’importance des bureaux physiques, les petits et moyens cabinets tirent déjà profit de cette nouvelle façon de travailler.

8.  En Amérique, un avocat californien a mis en place « The Virtuel law office », le Cabinet d’avocat Virtuel[4] . Il explique sur son site que son cabinet privilégie les nouvelles technologies pour communiquer avec ses clients, mais aussi au sein de la structure, et que son cabinet offre à la fois les avantages d’un gros cabinet spécialisé et d’un petit : multijuridiction, attention personnelle, efficacité et sans bureaucratie[5].

9.  Si l’on ne tient pas compte de cette réalité technique, les avocats congolais, totalement absent sur le net, céderons la part du marché congolais aux cabinets étrangers dits « spécialisés en droit congolais ». Ils pourront recevoir, moyennant honoraires, des consultations juridiques sur la constitution des sociétés de droit congolais, l’accès à l’exploration et l’exploitation minière et des hydrocarbures, à la vente et la commercialisation des substances minérales précieuses…

10.     Mais, l’utilisation de l’Internet par les avocats, qui font partie d’une profession réglementée au Congo par l’ordonnance-loi n°79-08 du 28 septembre 1979, pose quelques questions en rapport avec la règle déontologique qui prohibent la publicité. L’avocat qui crée un site Internet, se livre-t-il à la publicité ?

> L’information et non la publicité

11.  L’article 74 de l’ordonnance-loi n°79-08 du 28 septembre 1979 portant organisation du Barreau, du Corps des Défenseurs judiciaires et du Corps de Mandataires de l’Etat, interdit aux avocats « d’user de tous moyens publicitaires, sauf ce qui est strictement nécessaire pour l’information du public ». Cette disposition pose clairement, à titre de principe, l’interdiction de la publicité à l’exception de celle strictement nécessaire pour l’information du public. C’est ainsi, écrit le Bâtonnier Mbuy Mbiye, qu’est donc admissible une publicité personnelle de l’avocat, uniquement dans la stricte mesure où elle se borne à procurer au public une information dans la discrétion et la dignité. Tel est le cas de la plaque placée à l’extérieur de l’immeuble ou sur la porte du cabinet[6].

12.  Réservant la publicité fonctionnelle et l’information au public relatives à la profession d’avocat aux seuls organes compétents du Barreau, l’article 63-VI du règlement intérieur cadre des Barreaux congolais interdit «toute recherche d’une publicité personnelle de l’avocat. Il lui est aussi défendu de « donner son assentiment exprès ou tacite à toute forme de publicité professionnelle qui lui serait offerte ou d’alimenter celle-ci par quelque moyen que ce soit ».

13.  Aux regards des dispositions ci-dessus, la création et l’ouverture d’un site Internet d’un avocat ou d’un cabinet d’avocats n’est pas permise au Congo. Mais qu’en est-il ailleurs ? Aux Etats-Unis, depuis la décision de la Cour Suprême de 1977 dans une l’affaire Bales v. Sate Bar of Arizona[7], la publicité est permise aux avocats américains, mais elle reste soumise à des règles éthiques qui varient toutefois d’un Etat à l’autre.

14.  Au Québec, la publicité d’avocat est permise. Elle est cependant soumise à plusieurs restrictions et obligations. Il est par exemple interdit aux avocats québécois de faire ou de permettre que soit faite, par quelque moyen que ce soit, de la publicité fausse, trompeuse, incomplète ou susceptible d’induire en erreur. L’avocat ne peut, dans sa publicité, utiliser ou permettre que soit utilisé un témoignage d’appui ou de reconnaissance qui le concerne[8] .

15.  En France, la publicité est permise à l’avocat dans la mesure où elle procure au public une nécessaire information. Les moyens auxquels il est recouru à cet effet doivent être mis en œuvre avec discrétion de façon à ne pas porter atteinte à la profession et doivent être communiqués au Conseil de l’ordre[9] . Le règlement de chaque Barreau précise des dispositions réglementaires sur l’exercice de la publicité par les avocats français. Le règlement du Barreau de Paris indique que la publicité doit être mise en œuvre avec dignité, délicatesse, probité et discrétion. Elle doit être véridique, respectueuse du secret professionnel. Sont prohibées, quelle que soit la forme de la publicité autorisée, toutes mentions qualitatives ou comparatives et toutes indications relatives à l’identité des clients[10] .

16.  Aux barreaux français, le site web est particulièrement adapté à la diffusion d’informations destinées à procurer au public une nécessaire information sur l’avocat ou le cabinet d’avocat. Il ne constitue pas en lui-même une publicité d’autant qu’il permet de présenter le cabinet ou l’avocat et d’informer le public sur les domaines d’interventions de l’avocat ou du cabinet d’avocats mis en ligne. C’est ainsi que le Conseil National des Barreaux français considère que l’Internet ne déroge pas aux règles régissant la publicité personnelle de l’avocat. Pour ce conseil, « le contenu du site doit répondre aux exigences des discrétions de façon à ne pas porter atteinte à la dignité de la profession et ne pas constituer de sollicitation » ou de démarchage[11]. La sollicitation et le démarchage de la clientèle sont également interdites au Congo par l’article 63 du Règlement Intérieur du Cadre des Barreaux de la République Démocratique du Congo.

17.  Par démarchage, on entend le fait d’offrir des services en vue de donner des consultations, de rédiger des actes en matière juridique, d’entreprendre une action judiciaire ou de provoquer à la souscription d’un contrat aux même fins, notamment en se rendant personnellement ou en envoyant un mandataire soit au domicile ou à la résidence d’une personne, soit sur les lieux de travail, de repos, de traitement ou dans un lieu public. Et par sollicitation, on entend une proposition personnalisée de prestation de services effectuée par un avocat sans qu’il y ait été préalablement invité[12].

18.  En Belgique, le règlement de l’Ordre National des avocats du 19 décembre 1996 a modifié l’article 3 du règlement relatif à la publicité. Par cette modification, les avocats belges sont autorisés à ouvrir leur site web. Ce règlement prévoit aussi que l’avocat est autorisé à porter à la connaissance de ses clients, ou à des tiers qui en font la demande, des renseignements écrits. Ces renseignements, quel qu’en soit le support (Internet, CD-Rom, CD-I, etc…), ne peuvent être imprimés ni diffusés sans que le projet ou le bon à tirer n’ait été préalablement approuvé par le Conseil de l’Ordre des avocats dont il relève[13]. C’est dire qu’en Belgique, la création et la diffusion des sites web permet à l’avocat de porter à la connaissance des ses clients et du public les renseignements utiles sur son ministère.

19.  Lorsqu’on « surfe » sur le Net, force est de constater l’existence des sites d’avocats et des certaines professions qui se livrent aux consultations en lignes,  offrent explicitement la possibilité d’être interrogés par e-mail. D’autres qui proposent des consultations bénévoles en précisant qu’ils ne répondent seulement qu’aux questions brèves et que la réponse se veut seulement une indication très courte et non une consultation[14]. D’autres encore proposent des consultations gratuites par e-mail sans en préciser les conditions ou proposent aux internautes d’envoyer une question sur les domaines d’interventions mentionnés sur le site, sur base de laquelle un devis est établi. En cas d’accord, la consultation est effectuée par e-mail et la prestation acquittée en donnant le numéro de la carte bleue[15].

20.  L’avocat offrant des consultations bénévoles en ligne ne se livre pas, selon nous, au démarchage ou à la sollicitation dans la mesure où il n’effectue pas de « proposition personnalisée ». C’est l’internaute qui prend l’initiative de poser sa question à l’avocat. Dans tous les cas, dans le système où la publicité est permise, même sur Internet, elle doit être mise en œuvre avec dignité, délicatesse et discrétion.

> L’adaptabilité du droit au progrès technologique

21.  L’avancé rapide de l’Internet, nouvelle technologie de l’information et de communication, nous contraint de mener des réflexions minutieuses sur l’avenir et les principes régissant notre profession.

22.  Qu’on en doute ou pas, à court terme l’Internet deviendra incontournable au Congo, un outil de consultation puissant, rapide et convivial des professions juridiques. A long terme, il pourrait devenir un outil au caractère interactif, susceptible de permettre l’échange de pièces et conclusions à distance entre avocats eux-mêmes d’une part, voire entre eux et leurs clients d’autre part. Cette utilité nouvelle aurait pour avantage de mettre à la disposition de tous, avocats et justiciables, de façon permanente, les meilleures compétences disponibles, améliorant ainsi sensiblement l’exercice de la profession[16].

23.  Au fur et à mesure qu’il gagne le terrain, l’Internet impose sa logique qui conduit les internautes à développer des habitudes de nature virtuelle. Peu nombreux seront encore les internautes enclins à se déplacer jusque dans un cabinet d’avocat aux fins de requérir une consultation juridique. Il en sera de même et de surcroît moins réaliste qu’une firme étrangère déplace un agent vers la République Démocratique du Congo pour une consultation juridique auprès d’un avocat.

24.  Une question se pose : où les internautes, rendus quelque peu paresseux par l'Internet, trouvent-ils des renseignements utiles sur le droit congolais ? Qu’on se le dise, les internautes commenceront tout naturellement à rechercher les informations juridiques sur le Net. Or, il demeure indiscutable que les juristes occidentaux ne renonceront et ne cesseront jamais de créer de sites destinés à donner des consultations sur les droits des pays africains. Il n’en demeure pas moins que, sans assouplissement des règles sur l’interdiction de la publicité, particulièrement sur le web, l’avocat congolais ne saura donner une nécessaire information aux personnes désirant obtenir des opinions légales sur une question intéressant notre droit. Dans ce sens, il serait souhaitable que, comme en droit belge et français, l'avocat qui désire créer un site Internet tant pour lui-même que pour le cabinet dans lequel il exerce, informe préalablement le Conseil de l'Ordre du contenu de son site afin que celui-ci apprécie sa conformité à la dignité de l'avocat et de la profession.

25.  Avocats et autres professions juridiques sont invités à réfléchir dès à présent sur cette nouvelle technologie de l’information et de la communication. Serait-ce faire preuve de prévoyance que d’attendre qu’il soit trop tard ? Attention à l’arriéré professionnel[17]!

E. MW.


Notes

[1] Emery Mukendi Wafwana et Emile-Lambert Owenga Odinga, « Commerce électronique », Juricongo, n°2, juillet-août 1999, p. 20.

[2] Valérie Sédallian, « Internet et l’évolution de la pratique professionnelle des avocats », L’Internet Juridique, <http://www.internet-juridique.net/chroniques/avocateinternet.html>.

[3] Valérie Sédallian, op. cit.

[5] Valérie Sédallian, op. cit..

[6]  Mbuy Mbiye, La profession d’avocat au Zaïre, Ntobo, Kinshasa, 1990, p. 126.

[7] 433 US 350 (1977), affaire citée par Valérie Sédallian, op. cit.

[8] Articles 5.01 et 5.06 du Code de déontologie des avocats, section III, <http://www.barreau.qc.ca/docprof/réglemnts/B-l/rl/S4_S7.html>.

[9] Article 161 du décret du 27 novembre 1991.

[10] Valérie Sédallian, op. cit.

[11] Résolution de l’Assemblée plénière du Conseil National des Barreaux Français du 10 décembre 1998 présentée par Valérie Sédallian, op. cit.

[12] Article 5-4 du Règlement intérieur de Barreau de Paris, cf. Valérie Sédallian, op. cit.

[13] Info dans la lettre du Barreau, février-mars 1997, p. 209 cité sur le site du cabinet Demine : <http://www.demine.com>.

[16] Bernard Gisserot, les avocats et l’Internet, <http://www.gisserot.paris.barreau.fr/avocats/index.html>.

[17] Lire Philippe Vanlangendonck, « Nouvelles technologies : un cheval de Troie contre l'arriéré judiciaire », D&NT, <http://www.droit-technologie.org/2_1.asp?actu_id=-1038301045&month=7&year=1999&query_string=Troie>.

 

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