Cyber-Universités et formation virtuelle
Bertrand Salvas
Imaginez un peu ce
scénario : il y a quelques temps, vous vous êtes inscrits à plein temps comme étudiant
d'une institution universitaire reconnue. Vous avez complété avec succès tous les cours
que vous avez suivis, avez assisté à toutes les séances, avez remis tous les travaux.
Bref, vous avez rempli toutes les conditions, si bien que le recteur vient de vous
décerner votre diplôme.
Il est là, devant vous, tout frais sorti de
l'enveloppe et prêt à être encadré. Il y a pourtant quelque chose qui cloche : vous
n'avez jamais mis les pieds à l'Université ni rencontré un professeur. Pis encore, vous
ne connaissez aucun de vos confrères de promotion. De toutes façons, comment auriez-vous
pu faire autrement ? Cette Université n'a pas de locaux, pas de facultés, aucun
professeur régulier, et ne génère aucune promotion d'étudiants. Science-fiction ?
Épisode des "X-Files" ? Non, pas vraiment. La chose est possible,
elle existe même déjà. Le futur de l'éducation est ici mes amis. Faites place à ...
l'Université virtuelle.
Citons l'exemple de la Western Governors University,
institution sans but lucratif fondée récemment par les gouverneurs de 15 états
américains. Elle dispense tous ses services à distance par le biais d'Internet,
qu'il s'agisse des cours, de la remise et correction des travaux, des inscriptions et
abandons, même des consultations à la bibliothèque... virtuelle bien sûr ! Aussi
l'Université de Phoenix, dont 15% des étudiants n'étudient qu'en ligne, ne dispose
d'aucune école ou faculté au sens traditionnel du terme. Deux exemples parmi tant
d'autres.
N'est-ce pas là le progrès, l'évolution logique de
l'éducation supérieure ? Alors qu'est-ce qui m'agace autant dans ce tableau idyllique ?
À l'origine de ma crise d'urticaire : mon aversion naturelle pour la
généralisation systématique. Pour vous aider à partager mon angoisse, je vous réfère
immédiatement à un texte tiré de la revue First Monday, intitulé "Brave new
Universities".
En substance, l'auteur nous expose la vogue que connaissent
actuellement les technologies d'enseignement virtuel. Il insiste sur le fait que leur
adoption systématique par les institutions universitaires constitue pour elles une
condition de survie. Cette conclusion découle pour lui d'une analyse économique, et non
pas seulement d'impératifs dictés par la révolution technologique. En effet, les
Universités ne pourraient survivre dans leur univers de plus en plus compétitif qu'en
réduisant leurs coûts. Cela passerait par l'élimination de leurs locaux, facultés,
bibliothèques et professeurs. Résultat : nos belles Facultés deviendraient des
machines distributrices de cours et de diplômes, vendus au moins offrant, à des
étudiants rivés à leurs PC. En toute objectivité (!), l'auteur constate que ces
économies d'échelle permettront aux institutions d'investir dans leurs équipes
sportives... Rassurant, n'est-ce pas ? Donc, selon son analyse, l'implantation des
nouvelles technologies n'aurait pas pour but de fournir les moyens dun meilleur
enseignement. Oh que non ! Il sagit surtout de réduire les coûts et
daugmenter consécutivement les profits. Logique dentreprise.
Permettez-moi de minsurger. En voulant généraliser ce
que l'on pourrait appeler "l'éducation virtuelle", le secteur universitaire
risque de voir diminuer la qualité de son enseignement. La formation qu'acquiert un
étudiant à l'Université ne se limite pas aux notions théoriques reçues en classe.
Quiconque est passé par là doit l'admettre. Le contact et la confrontation avec les
professeurs, ses confrères et ses consurs, ainsi que son immersion globale dans le
milieu universitaire, contribueront à lui faire suivre une évolution personnelle
essentielle à sa vie post-estudiantine. C'est ce qui donnera toute sa valeur à sa
formation et au diplôme qui l'attestera. Si la transmission des connaissances
académiques peut, parfois avantageusement, être réalisée à distance, je ne peux pas
croire que ces contacts formateurs puissent se transmettre dans un monde virtuel.
Cest indéniable, il y un risque à utiliser les nouvelles
technologies de manière aussi radicale. Sil vous plaît, évitons de jeter le
bébé avec l'eau du bain, déliminer en bloc l'important et le superflu, en
remplaçant des méthodes éprouvées par des solutions techniquement plus avancées mais
moins efficaces.
Où faut-il donc tracer la limite ? Il est certain qu'utiliser
les nouvelles technologies à des fins éducatives peut améliorer plusieurs aspects de
l'enseignement universitaire. Je pense notamment à certains programmes de formation
continue. Je ne pourrais aussi qu'applaudir si nos Universités rendaient leurs
bibliothèques accessibles sur Internet. Ceci faciliterait les recherches à des heures
indues, bien connues des étudiants jouant comme moi à la roulette russe avec les dates
de remise, tout en assurant une disponibilité permanente des ouvrages.
De là à tout "virtualiser" ? Je ne crois pas... Ici
aussi, "la modération a bien meilleur goût" (1). N'en
déplaise à l'auteur de l'article précité, une Université ne peut se définir comme un
simple fournisseur de services éducatifs, apprécié selon des critères commerciaux.
L'Université a toujours été un lieu d'apprentissage de matières académiques. Mais une
Université c'est aussi, surtout pour les plus jeunes, un lieu d'apprentissage de la vie.
Ce lieu devra bien sûr profiter des nouvelles avenues que lui offrent les technologies de
l'information. Il lui faudra cependant choisir lesquelles emprunter, et comment le faire
de façon profitable. Lamélioration dune situation économique en péril ne
peut se faire au prix dune telle démission éducative. Le roi dollar devrait-il
donc être le seul à régner sur l'Université ?
À la prochaine !
B.S.
Réactions ?
bsalvas@colba.net
Notes
(1) expression utilisée dans un slogan publicitaire
québécois. Pour les lecteurs français ceci équivaut à "un verre ça va, trois
verres bonjour les dégâts".