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Rubrique : internautes / les Cybernotes
Mots clés : cybernotes, université, formation, virtuel
Citation : Bertrand SALVAS, "Cyber-Universités et formation virtuelles", Juriscom.net, décembre 1998


Cyber-Universités et formation virtuelle

Bertrand Salvas


Imaginez un peu ce scénario : il y a quelques temps, vous vous êtes inscrits à plein temps comme étudiant d'une institution universitaire reconnue. Vous avez complété avec succès tous les cours que vous avez suivis, avez assisté à toutes les séances, avez remis tous les travaux. Bref, vous avez rempli toutes les conditions, si bien que le recteur vient de vous décerner votre diplôme.

Il est là, devant vous, tout frais sorti de l'enveloppe et prêt à être encadré. Il y a pourtant quelque chose qui cloche : vous n'avez jamais mis les pieds à l'Université ni rencontré un professeur. Pis encore, vous ne connaissez aucun de vos confrères de promotion. De toutes façons, comment auriez-vous pu faire autrement ? Cette Université n'a pas de locaux, pas de facultés, aucun professeur régulier, et ne génère aucune promotion d'étudiants. Science-fiction ? Épisode des "X-Files" ? Non, pas vraiment. La chose est possible, elle existe même déjà. Le futur de l'éducation est ici mes amis. Faites place à ... l'Université virtuelle.

Citons l'exemple de la Western Governors University, institution sans but lucratif fondée récemment par les gouverneurs de 15 états américains. Elle dispense tous ses services à distance par le biais d'Internet, qu'il s'agisse des cours, de la remise et correction des travaux, des inscriptions et abandons, même des consultations à la bibliothèque... virtuelle bien sûr ! Aussi l'Université de Phoenix, dont 15% des étudiants n'étudient qu'en ligne, ne dispose d'aucune école ou faculté au sens traditionnel du terme. Deux exemples parmi tant d'autres.

N'est-ce pas là le progrès, l'évolution logique de l'éducation supérieure ? Alors qu'est-ce qui m'agace autant dans ce tableau idyllique ? À l'origine de ma crise d'urticaire : mon aversion naturelle pour la généralisation systématique. Pour vous aider à partager mon angoisse, je vous réfère immédiatement à un texte tiré de la revue First Monday, intitulé "Brave new Universities".

En substance, l'auteur nous expose la vogue que connaissent actuellement les technologies d'enseignement virtuel. Il insiste sur le fait que leur adoption systématique par les institutions universitaires constitue pour elles une condition de survie. Cette conclusion découle pour lui d'une analyse économique, et non pas seulement d'impératifs dictés par la révolution technologique. En effet, les Universités ne pourraient survivre dans leur univers de plus en plus compétitif qu'en réduisant leurs coûts. Cela passerait par l'élimination de leurs locaux, facultés, bibliothèques et professeurs. Résultat : nos belles Facultés deviendraient des machines distributrices de cours et de diplômes, vendus au moins offrant, à des étudiants rivés à leurs PC. En toute objectivité (!), l'auteur constate que ces économies d'échelle permettront aux institutions d'investir dans leurs équipes sportives... Rassurant, n'est-ce pas ? Donc, selon son analyse, l'implantation des nouvelles technologies n'aurait pas pour but de fournir les moyens d’un meilleur enseignement. Oh que non ! Il s’agit surtout de réduire les coûts et d’augmenter consécutivement les profits. Logique d’entreprise.

Permettez-moi de m’insurger. En voulant généraliser ce que l'on pourrait appeler "l'éducation virtuelle", le secteur universitaire risque de voir diminuer la qualité de son enseignement.  La formation qu'acquiert un étudiant à l'Université ne se limite pas aux notions théoriques reçues en classe. Quiconque est passé par là doit l'admettre. Le contact et la confrontation avec les professeurs, ses confrères et ses consœurs, ainsi que son immersion globale dans le milieu universitaire, contribueront à lui faire suivre une évolution personnelle essentielle à sa vie post-estudiantine. C'est ce qui donnera toute sa valeur à sa formation et au diplôme qui l'attestera. Si la transmission des connaissances académiques peut, parfois avantageusement, être réalisée à distance, je ne peux pas croire que ces contacts formateurs puissent se transmettre dans un monde virtuel.

C’est indéniable, il y un risque à utiliser les nouvelles technologies de manière aussi radicale. S’il vous plaît, évitons de jeter le bébé avec l'eau du bain, d’éliminer en bloc l'important et le superflu, en remplaçant des méthodes éprouvées par des solutions techniquement plus avancées mais moins efficaces.

Où faut-il donc tracer la limite ? Il est certain qu'utiliser les nouvelles technologies à des fins éducatives peut améliorer plusieurs aspects de l'enseignement universitaire. Je pense notamment à certains programmes de formation continue. Je ne pourrais aussi qu'applaudir si nos Universités rendaient leurs bibliothèques accessibles sur Internet. Ceci faciliterait les recherches à des heures indues, bien connues des étudiants jouant comme moi à la roulette russe avec les dates de remise, tout en assurant une disponibilité permanente des ouvrages.

De là à tout "virtualiser" ? Je ne crois pas... Ici aussi, "la modération a bien meilleur goût" (1). N'en déplaise à l'auteur de l'article précité, une Université ne peut se définir comme un simple fournisseur de services éducatifs, apprécié selon des critères commerciaux. L'Université a toujours été un lieu d'apprentissage de matières académiques. Mais une Université c'est aussi, surtout pour les plus jeunes, un lieu d'apprentissage de la vie. Ce lieu devra bien sûr profiter des nouvelles avenues que lui offrent les technologies de l'information. Il lui faudra cependant choisir lesquelles emprunter, et comment le faire de façon profitable. L’amélioration d’une situation économique en péril ne peut se faire au prix d’une telle démission éducative. Le roi dollar devrait-il donc être le seul à régner sur l'Université ?

À la prochaine !

B.S.

Réactions ?
bsalvas@colba.net


Notes

(1) expression utilisée dans un slogan publicitaire québécois. Pour les lecteurs français ceci équivaut à "un verre ça va, trois verres bonjour les dégâts".

 

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