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Rubrique : internautes / les Cybernotes
Mots clés : cybernotes, MP3, contrefaçon, musique, auteur
Citation : Bertrand SALVAS, "Bras de fer sur les MP3", Juriscom.net, janvier 1999


Bras de fer sur les MP3

Bertrand Salvas


Un peu avant la pause des fêtes, une nouvelle lancée au cours d'un bulletin radiophonique attire mon attention: "l'industrie du disque américaine annonce une politique visant à contrer les MP3." De quoi s'agissait-il et pourquoi accorder autant d'importance à un tel sujet ? Le développement des nouvelles technologies, nous ne le dirons jamais assez, remet en question les façons de faire de bien des activités de nos sociétés occidentales, et vient également éprouver les limites de nos systèmes juridiques. Le débat entourant les MP3 est en ce sens très représentatif.

Qu'est-ce donc qu'un MP3 ? Tout simplement un format de compression de fichiers sonores, qui réduit leur taille et facilite leur transmission sur les réseaux informatiques. Vous savez probablement, sinon vous l'apprendrez, que les pistes sonores numériques d'un CD traditionnel ne peuvent pas circuler facilement sur Internet, la trop grande taille des fichiers impliquant des durées de téléchargement interminables. Cette situation a par ailleurs longtemps réussi à décourager le piratage d'œuvres musicales sur le Web. Par contre, la taille d'un fichier musical compressé en format MP3 sera réduite d'environ dix fois, sans perte de qualité ou presque. Il devient donc possible de télécharger de la musique sur Internet dans des délais raisonnables mais aussi, par le fait même, de les copier et de les distribuer illégalement, facilement et sans frais. Il va sans dire que les MP3 sont devenus très populaires, d'où la controverse. Si la technologie comme telle est tout à fait légale, on ne peut donc pas en dire autant de l'usage que plusieurs en font.

La réaction de l'industrie du disque, qui risque de voir s'envoler des millions de dollars de profits et de redevances, ne s'est pas faite attendre. Elle a tout d'abord pris la forme d'une action judiciaire contre Diamond Multimedia systems. Cette compagnie se préparait l'automne dernier à lancer sur le marché son lecteur Rio, un baladeur capable de télécharger des fichiers MP3 directement sur Internet. La requête en injonction alléguait que, même si la fabrication et la vente d'un tel appareil était légale, sa distribution publique ne pouvait qu'encourager la violation des droits d'auteurs. Suite au rejet de la requête en injonction, le lecteur a été commercialisé. Mais l’affaire est toujours pendante quant au fond.

Après avoir initié l'action sur le Rio, l'association des producteurs de disques américains (RIAA) a opéré une seconde stratégie. Elle s'est affairée à empêcher les artistes de diffuser leur propre musique sur Internet, en entier ou par extraits, au moyen de la technologie MP3. Billy Idol, les Beastie Boys et le rapper Chuck D ont notamment eu droit à ce traitement.

La plus récente offensive de la RIAA, annoncée en décembre dernier, visait cette fois-ci la création d'un nouveau format aussi pratique que le MP3, mais qui permettrait également de protéger les droits de reproduction des auteurs et des diffuseurs des œuvres. Cette initiative, baptisée SDMI (1) et supportée par plusieurs poids lourds des industries du spectacle et de l'Internet (2), ferait notamment usage de procédés cryptographiques pour empêcher que les œuvres achetées puissent être copiées ou reproduites par l'acheteur. La technologie pressentie pour arriver à ces fins reposerait principalement sur le format a2b, développé par AT&T.

L'objectif de la RIAA est de lancer ce nouveau format en automne 1999. Cet échéancier rend plusieurs observateurs sceptiques, le délai pouvant donner assez de temps pour confirmer le rôle prépondérant du format MP3 sur le marché, et son statut de norme de facto en la matière ! Il pourrait donc être déjà trop tard pour le projet SDMI, qui rejoindrait les Betamax, Amiga, OS/2 et autres orphelins technologiques.

Au-delà de ces stratégies et manœuvres commerciales, nous constatons dans le dossier MP3 la manifestation d'un bouleversement des rapports de force dans le domaine de la diffusion des arts, conséquence de l'implantation des nouvelles technologies. S'il est vrai que les nouvelles technologies facilitent la propagation légale ou illégale des œuvres artistiques, il ne faut pas oublier qu'elles permettent aussi d'atteindre des niveaux inégalés dans le contrôle de la reproduction et de la distribution illicite des œuvres. Ainsi l'utilisation de procédés cryptographiques pourrait facilement empêcher un consommateur de copier la musique qu'il aurait achetée sur Internet, alors que rien ne l'empêche de copier un CD ou une cassette achetée en magasin, toujours pour son usage personnel bien entendu.

Faut-il souligner que cette situation ne pourra que forcer des modifications dans les rapports de droit existant traditionnellement entre éditeurs, auteurs et consommateurs, notamment en matière de propriété intellectuelle. Et cette situation ne se limite pas aux œuvres musicales. Elle affectera la distribution électronique de toute œuvre sujette au droit d'auteur, par exemple les œuvres littéraires, tel que l'a mis en évidence le lancement des livres électroniques (e-books) (3) et la controverse qui a suivi (ce dossier sera abordé dans une prochaine cybernote).

Un dernier aspect de cette question tient aux rapports entre les auteurs et les compagnies qui diffusent leurs œuvres, surtout à la lutte qu'ils se livrent pour le contrôle du marché artistique. Au risque de trop simplifier une situation complexe, demandons-nous seulement quel intérêt aurait un artiste à concéder des droits à un éditeur, un producteur, une maison d'édition... quand il lui est possible de diffuser lui-même et à peu de frais ses œuvres sur Internet ? Répondre simplement "aucun" pourrait paraître un peu exagéré.

La question a néanmoins le mérite d’éclaircir l'enjeu du débat et d’illustrer les bouleversements qui guettent cette industrie. Dans ce contexte, nous comprenons mieux les interventions de la RIAA pour empêcher certains artistes connus de diffuser leurs œuvres en format MP3. Selon plusieurs observateurs, la réaction de cet organisme démontre bien la volonté des producteurs de préserver leur contrôle traditionnel sur le marché lucratif de la musique. L’on ne désirerait donc pas simplement protéger les auteurs !

Il est fascinant de constater à quel point la révolution technologique touche tous les secteurs de l'activité humaine, et d'observer la manière dont les règles de droit s'adaptent aux changements qui en découlent. L'évolution des relations qui prévalent dans l'industrie de la musique en constitue une excellente illustration. L'aboutissement du cas des MP3 sera déterminant dans le domaine du droit d'auteur sur Internet. Ce dossier chaud n'a certainement pas fini de faire jaser.

À très bientôt,

Si vous voulez en savoir plus, je vous suggère ces liens:

http://www.mp3.com

http://www.a2bmusic.com

http://www.wired.com/news/news/mpthree

B. S.

Réactions ?
bsalvas@colba.net


Notes

(1) Secure Digital Music Initiative

(2) BMG, EMI, Sony, Time-Warner's, AOL, At&T, IBM, Intel, Lucent, Microsoft, Toshiba.....

(3) voir par exemple http://www.rocket-ebook.com

 

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