Rubrique : internautes / le droit
pour tous
Mots clés : liens, hypertexte, contrefaçon
Citation : Anne GIRAUDEL, "Les liens hypertextes face au droit",
Juriscom.net, juin 1998
Première publication : Juriscom.net
Les liens hypertextes face au droit
L'établissement d'un lien hypertexte vers un
autre site ne pose aucun problème juridique. C'est ce que l'on a coutume de croire. De
nombreux juristes nous affirment pourtant le contraire...
(Synthèse du débat qui a eu lieu sur
la liste de discussion droit-net@cru.fr
entre le 26 mai et le 28 mai 1998)
Anne Giraudel
Tout est
parti de la question suivante : " Lorsque lon fait un lien
dun site Internet vers un autre site, est-il nécessaire de prévenir le responsable
du site cible ? " Cette première interrogation a rebondi sur le problème
de laffichage dun site Internet à lintérieur dun emboîtement de
cadres ou frames. Enfin, des solutions ont été proposées visant à respecter le droit
dauteur et à protéger les sites de la concurrence illégale.
Le lien comme référence
" Les écrits "historiques" parlant du format HTML (celui des
pages Web) décrivent lutilité de lhyperlien comme dune part, un moyen
simple de faire référence à un autre document et dautre part, une facilité
technique permettant au lecteur de retrouver immédiatement et sans effort ce document. Il
est donc généralement défendable dassimiler un hyperlien à une référence
bibliographique, notamment lorsque cette référence est explicite ".[1]
Bien que ce soit une recommandation de la Netiquette,
" aucune source du droit telle quentendue classiquement ne pose une
obligation de prévenir ou même de demander une quelconque autorisation pour établir un
lien vers un autre site ".[2]
Puisque ni la loi, ni la jurisprudence française ou
américaine nont pris en compte cette question et " en dehors de
toutes considérations morales ou courtoises, que risque-t-on à établir un lien
hypertexte sans laccord du responsable du site ? ".[3]
Liens malveillants et
"framing"
" Il est entendu que lindication de
la référence dune page (précisément ladresse URL) par la technique du lien
hypertexte est juridiquement assimilable à une référence bibliographique ".
Mais il arrive très vite un moment où, de la
référence bibliographique on peut basculer dans le plagiat, le détournement de contenu.
Internet nétant pas un espace de non-droit, nous entrons dans le champ juridique.
Les difficultés commencent avec les mots (ou
limage) affichés qui intègrent le lien hypertexte. "Si cette
présentation est malveillante, si elle dénature le contenu dun site, ou
limage dune personne ou dune société, on entre dans le domaine de la
diffamation."
Plus encore, la technique des frames : une frame
étant un " document HTML indépendant, qui possède une adresse Web
propre, et qui est affiché par le navigateur Web simultanément avec d'autres, en
n'occupant ainsi qu'une partie de l'écran " (Vocabulaire
dInternet, Office de la
langue française du Québec ). Celle-ci fait apparaître "
le contenu dun autre site comme étant le sien, sans nécessairement mentionner la
source, dautant que ladresse spécifique ne saffiche pas. On peut, alors
considérer quon dépasse le droit de citation, pour sapproprier une
réalisation dautrui ".[4]
" Manifestement, la pratique des frames
est illicite : elle porte atteinte au droit moral (respect, divulgation) et au droit
de représentation de lauteur de la page ; et elle constitue aussi un acte de
concurrence déloyale. "[5]
Laffaire TotalNews
"L'interdiction de détourner un site en le
présentant de manière déloyale, uniquement au travers de l'interface
("frame") d'un autre site et au détriment des éléments d'identification du
titulaire d'origine, va devenir un principe à l'occasion de cette affaire. L'issue de ce
conflit est donc de toute première importance, puisqu'en encourageant la pratique des
liens hypertextes dans le strict respect de la propriété intellectuelle, elle favorise
le développement du réseau Internet lui-même.
En l'espèce, la société Total News gérait un
site web, qui proposait des liens hypertextes pointant vers diverses sources
d'informations contenues dans d'autres sites. Mais lorsque les internautes
"cliquaient" sur ces liens, les sites ainsi pointés apparaissaient uniquement
au travers de l'interface de Total News, sur laquelle figurait son logo, de la publicité
pour ce que cette société propose à la vente, ainsi que son URL. Les cadres d'origine
des sites appelés, contenant leurs éléments d'identification des titulaires et les
informations commerciales, étaient quant à eux occultés.
Le 20 février 1997, le Washington Post et divers
autres médias titulaires de sites, tous pointés par les hyperliens proposés par Total
News, attaque cette dernière en justice devant la Southern District Court of New-York.
Ils l'accusent notamment de détournement commercial, et de violation de leurs droits
d'auteur et de marque.
La solution de cette affaire a été trouvée le 5
juin 1997, sous la forme d'un accord entre plaignants et défendeurs. Cet accord autorise
Total News à faire pointer des liens sans équivoque vers les sites des plaignants, mais
lui interdit de présenter ces derniers au travers de son propre cadre ou
"frame" [6]".
Le site de Total News a été modifié en fonction de
cet accord (notamment en ce qui concerne l'interdiction d'utiliser les logos des sites
externes).
Voir : http://www.totalnews.com
Selon le droit suisse, l'utilisation commerciale d'un
tel procédé de "framing" serait - en l'absence de jurisprudence en la matière
- sûrement proscrit par la Loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD) (http://www.admin.ch/ch/f/rs/c241.html ),
laquelle considère que "Agit de façon déloyale celui qui, notamment ...
reprend grâce à des procédés techniques de reproduction et sans sacrifice
correspondant le résultat de travail d'un tiers prêt à être mis sur le marché et
l'exploite comme tel." (art. 5 lit. c).[7]
Quelles solutions contre les liens
dommageables ?
Linternet est un espace de liberté qui a produit
ses propres règles acceptées par lensemble des internautes. Le respect de la
Netiquette est une première garantie de la pérennité de cette liberté. Elle demande de
prévenir lauteur du site cible vers lequel on établit un hyperlien et de faire
pointer des liens sans équivoque, " de clairement signaler que le lien
dirige vers un contenu extérieur et den citer la référence. "
Une autre solution serait " dinterdire
lusage des liens encapsulés dans des cadres qui ne donnent pas à linternaute
limpression de naviguer sur un site distinct ".
Viennent ensuite des solutions juridiques et techniques
qui visent à se protéger contre les liens indésirés.
Deux étudiants du Centre de Recherche de
lUniversité de Montréal ont élaboré un projet expérimental visant à protéger
et à informer sur les liens hypertextes "dommageables". Ce travail se veut
respectueux des usages et des habitudes du réseau et des internautes, mais aussi
pragmatique.
Le projet de François-Xavier
Farasse et Eric Labbé[8]
" Notre projet repose sur un logo et un
site qui doivent permettre une protection des propriétaires de sites contre les liens
indésirés. Ces outils doivent aussi informer les internautes des préjudices qu'ils
peuvent causer en construisant des liens. Il contient donc un exposé juridique des
risques juridiques encourus en cas de "lien illicite" en considération des
droits français, canadien, de la jurisprudence américaine et anglaise.
CIPertexte (acronyme pour Campagne d'Information et
de Prévention sur les liens hypertextes) offre aux concepteurs du web des logos par
lesquels ils peuvent manifester leur volonté de ne pas être liés, ou de ne l'être
qu'après avoir donné leur autorisation. Lorsqu'un internaute rencontre le logo placé
sur une page, il n'a qu'à cliquer dessus pour se retrouver sur un contenu lui explicitant
la signification de ce logo et lui rappelant que la pratique des liens peut entraîner des
conséquences de droit (notamment en propriété intellectuelle, concurrence déloyale et
diffamation). "
La page principale de CIPertexte est citée à l'adresse
:
http://www.droit.umontreal.ca/~farassef/cipertexte/
Enfin une solution purement technique est à connaître.
Elle vise à introduire dans le code HTML des pages Web, dans la balise BODY, le
javascript suivant :
<BODY onLoad="if (self != top) top.location =
self.location">
Grâce à cet ajout, un site saffichera toujours
dans la totalité de la fenêtre du navigateur, même si le site qui le référence
la inclus dans une frame.[9]
A.G.
Notes
[1] Mondie, Pierre. Lien Internet.
Message de la liste droit-net, 26 mai 1998 16 :43
[2] Farasse, François-Xavier. Lien Internet.
Message de la liste droit-net, 26 mai 1998 12 :53
[3] Thoumyre, Lionel. - Lien Internet. Message de la
liste droit-net, 26 mai 1998 17 :34
[4] Denis, Maurer. - Lien Internet. Message de la
liste droit-net, 26 mai 1998 19 :02
[5] Levol, François-Régis. - Lien Internet. Message
de la liste droit-net, 26 mai 1998 22 :56
[6] Traduction française indéterminée d'une dépêche
américaine également indéterminée. La traduction est disponible sur le site de Legalis.net. L'intégralité du jugement de l'affaire Total News est disponible sur le site Court TV
Online (en anglais).
[7] Dufresne, Bertrand. - Lien Internet. Message de
la liste droit-net, 26 mai 1998 23 :13
[8] Farasse, François-Xavier, Labbé, Eric. - Lien
Internet. Message de la liste droit-net, 26 mai 1998 12 :53 et 13 juin 1998
18 :45
[9] Aumont, Serge. - Lien Internet. Message de la
liste droit-net, 27 mai 1998 9 :06
Références bibliographiques proposées
Le Cabinet F.G. Associés, Avocats proposent sur leur
site Internet Droit de
lInformatique du Multimédia et des Réseaux plusieurs articles et interviews
intéressants.
Maître Vanina Spacensky-Riff, Promotion dun site Web et
risques encourus, Legipresse, avril 1998, p.34.
Brad Templeton, Linking Rights, Brad
Templeton's home page. Article en anglais sur le "droit des liens".
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