@ccueil / actualité / jurisprudence / chroniques / internautes / professionnels / universitaires

Rubrique : internautes / le droit pour tous
Mots clés : normalisation, technologies, documents, preuve, électronique, Québec
Citation : Charles PERREAULT, Richard SALIS, Nicolas VERMEYS, "Premiers pas québécois pour réglementer les technologies de l'information", Juriscom.net, 12 octobre 2000
Première publication : Juriscom.net


Premiers pas québécois pour réglementer les technologies de l’information

Le gouvernement provincial s’initie aux inforoutes en déposant un avant-projet de loi sur la normalisation juridique des nouvelles technologies. Actuellement étudié par une commission parlementaire, l’effort législatif ne passe pas inaperçu dans le milieu des juristes et de la défense des droits du consommateur.

Charles Perreault, Richard Salis et Nicolas Vermeys,
Étudiants à la Faculté de droit de l'Université de Montréal


Le support papier, sans être voué à disparaître, tombe rapidement en désuétude. Les courriels remplacent le courrier et le monde des affaires s’adapte rapidement au rythme des nouvelles technologies. C’est en réponse à cette réalité que, le 16 juin dernier, le ministre délégué à l’Autoroute de l’information et aux Services gouvernementaux, David Cliche, déposa devant l’Assemblée nationale un avant-projet de loi portant sur la normalisation juridique de ces nouvelles technologies.

L’avant-projet aurait notamment pour but « d’assurer la sécurité juridique des communications effectuées au moyen de documents » et « la reconnaissance de leur valeur juridique, quels qu’en soient les supports ».  Le gouvernement semble vouloir remplire trois principaux objectifs : fournir un encadrement juridique aux communications électroniques, garantir une certaine uniformité des normes applicables au domaine, ainsi qu’encourager l’utilisation des nouvelles technologies de l’information.

Le corps de l’avant-projet de loi gravite autour de la notion de document ainsi défini à l’article 3 : « constitue un document toute information délimitée et structurée de façon tangible ou logique et qui est intelligible sous forme d’écrit, d’image ou de son » et « toute banque de données dont les éléments structurants permettent la délimitation et la structuration de l’information qui y est inscrite. » En d’autres termes, la qualité d’un document ne dépend plus des propriétés physiques de son support mais de sa fiabilité. Celle-ci doit répondre cumulativement à deux exigences. D’une part celle de l’intégrité, c’est-à-dire que l’information véhiculée doit être maintenue dans son intégralité et demeurer inchangée. D’autre part, celle du maintien de cette intégrité durant tout un cycle de vie, à savoir le transfert de l’information, la conservation, la consultation et la transmission du document. Un document fiable aura pleine valeur juridique et pourra donc constituer un moyen de preuve. L’avant-projet de loi prévoit également de nouvelles règles en matière de modes d’identification alternatifs, de leur contrôle et de leur impact sur la protection de la vie privée. Pour ce faire, il précise la notion de signature déjà énoncée à l’article 2827 du Code civil du Québec en prévoyant son application aux documents technologiques. Une signature électronique pourra être apposée sur un document selon diverses méthodes, dont le système de cryptographie asymétrique par lequel l’utilisateur se munit d’une « biclé » pour signer et déchiffrer ses documents.  Des services de certification et de répertoire visant la vérification de l’identité des individus seront également mis sur pied. Finalement, l’avant-projet de loi prévoit la constitution d’un comité multidisciplinaire gouvernemental chargé de favoriser la compatibilité des supports et des technologies de l’information.

Il va de soit qu’une telle addition au corpus législatif québécois ne peut s’effectuer sans modifier le droit existant. La Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur les archives, le Code de procédure pénale, la Loi sur le courtage immobilier, la Loi d’interprétation et la Loi sur la protection du consommateur devront toutes être remaniées pour permettre l’application de l’avant-projet. Celui-ci viendrait également modifier et abroger certains des articles du Livre Septième du Code civil du Québec traitants de l’admissibilité de moyens de preuve. Le Code de procédure civile n’échapperait pas non plus au remaniement, puisque l’avant-projet vient troubler la distinction entre élément matériel et document.

Une telle restructuration du droit applicable au Québec a suscité de vives réactions au sein de plusieurs organismes concernés. Ainsi, en août dernier, le Barreau du Québec présenta son Mémoire sur la Loi sur la normalisation juridique des nouvelles technologies de l’information, document dans lequel il critique vivement le nouvel avant-projet en prétendant que les objectifs fixés par le ministre ne peuvent être atteints par la législation suggérée. Le mémoire soutient que : « le fait que l’avant-projet se démarque de la plupart des législations existantes ailleurs au pays et dans le reste de l’Amérique du Nord notamment, de même que les règles complexes et contraignantes qu’il impose constitueront un frein à l’utilisation des moyens électroniques », ce qui occasionnera « un fardeau très lourd […] pour les petites et moyennes entreprises ».

La réaction n’est pas moins vive chez les praticiens. Pierre-Emmanuel Moyse, avocat chez Léger-Robic-Richard, voit d'un œil critique l'intervention du gouvernement : « la patience est de mise dans les domaines des nouvelles technologies. Laissons les développements suivre leur cours... le gouvernement pourra intervenir lorsqu'il y aura de véritables problèmes. Dans l’attente faisons confiance à nos tribunaux et à nos juges. » Maître Moyse ne remarque aucun problème suffisamment alarmant pour que l’on aie à modifier les règles de preuve. Les dispositions législatives actuelles seraient en effet suffisantes. Notre expert ajoute que l'avant-projet de loi s’obstine malencontreusement à vouloir consolider deux approches conflictuelles. Or, l'approche civiliste, qui énonce des grands principes et donne des définitions larges, s'adapte difficilement à l'objet d’une législation trop spécifique, celle-ci requérant une approche américaine, c'est-à-dire plus réglementaire.  Résultat : « ce projet de loi ne pose aucune véritable règle de droit » affirme-t-il, « une loi doit déterminer un comportement et sanctionner les écarts, or, aucune sanction n'est prévu au projet de loi. »

De son côté, l’Office de la protection du consommateur (O.P.C.) publia, le 11 août dernier, son Mémoire présenté à la Commission de l’économie et du travail. L’arrivée du commerce électronique emporte avec elle de nouveaux enjeux pour la consommation. Par conséquent, l'O.P.C. s'intéresse davantage aux règles juridiques régissant les contrats entre les commerçants et les consommateurs. L'organisme appuie, sous quelques réserves, l'avant-projet, mais recommande fortement que le support papier conserve une plus grande valeur juridique. En effet, un contrat rédigé sur un tel support offre une protection additionnelle au consommateur, notamment l’occasion de bien lire et de prendre connaissance des obligations contractuelles avant d'apposer sa signature. De plus, la signature numérique n'est pas un moyen disponible pour tous les consommateurs, ce qui vient renforcer l'importance d'un contrat écrit sur un support papier.

Une commission parlementaire sur le projet de loi, qui débuta le 29 août, est présentement en cours. Reste à savoir l’impact qu’auront les discussions sur ce texte qui, selon les dires du Barreau du Québec « doit être repris dans son entier ».

C.P., R.S., N.V.

Liens :

> vers le projet de loi : 
<http://www.assnat.qc.ca/fra/publications/av-projets/00-fap01.htm>

> vers le mémoire du Barreau : 
<http://www.barreau.qc.ca/opinions/memoires/2000/normalisationtic.pdf>

> vers le mémoire de l’O.P.C. : 
<http://www.opc.gouv.qc.ca>

 

Juriscom.net est une revue juridique créée et éditée par Lionel Thoumyre
Copyright © 1997-2001 Juriscom.net / Copyright © 2000 LexUM