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Rubrique : internautes / le droit
pour tous
Le
support papier, sans être voué à disparaître, tombe rapidement en désuétude.
Les courriels remplacent le courrier et le monde des affaires s’adapte
rapidement au rythme des nouvelles technologies. C’est en réponse à cette réalité
que, le 16 juin dernier, le ministre délégué à l’Autoroute de
l’information et aux Services gouvernementaux, David Cliche, déposa devant
l’Assemblée nationale un avant-projet de loi portant sur la normalisation
juridique de ces nouvelles technologies. L’avant-projet
aurait notamment pour but « d’assurer la sécurité juridique des
communications effectuées au moyen de documents » et « la
reconnaissance de leur valeur juridique, quels qu’en soient les supports ».
Le gouvernement semble vouloir remplire trois principaux objectifs :
fournir un encadrement juridique aux communications électroniques, garantir une
certaine uniformité des normes applicables au domaine, ainsi qu’encourager
l’utilisation des nouvelles technologies de l’information. Le corps de
l’avant-projet de loi gravite autour de la notion de document ainsi défini à
l’article 3 : « constitue un document toute information délimitée et structurée de façon
tangible ou logique et qui est intelligible sous forme d’écrit, d’image ou
de son » et « toute banque de
données dont les éléments structurants permettent la délimitation et la
structuration de l’information qui y est inscrite. » En d’autres
termes, la qualité d’un document ne dépend plus des propriétés physiques
de son support mais de sa fiabilité. Celle-ci doit répondre cumulativement à
deux exigences. D’une part celle de l’intégrité, c’est-à-dire que
l’information véhiculée doit être maintenue dans son intégralité et
demeurer inchangée. D’autre part, celle du maintien de cette intégrité
durant tout un cycle de vie, à savoir le transfert de l’information, la
conservation, la consultation et la transmission du document. Un document fiable
aura pleine valeur juridique et pourra donc constituer un moyen de preuve. L’avant-projet
de loi prévoit également de nouvelles règles en matière de modes
d’identification alternatifs, de leur contrôle et de leur impact sur la
protection de la vie privée. Pour ce faire, il précise la
notion de signature déjà énoncée à l’article 2827 du Code civil du Québec
en prévoyant son application aux documents technologiques. Une signature électronique
pourra être apposée sur un document selon diverses méthodes, dont le système
de cryptographie asymétrique par lequel l’utilisateur se munit d’une
« biclé » pour signer et déchiffrer ses documents.
Des services de certification et de répertoire visant la vérification
de l’identité des individus seront également mis sur pied.
Finalement, l’avant-projet de loi prévoit la constitution d’un comité
multidisciplinaire gouvernemental chargé de favoriser la compatibilité des
supports et des technologies de l’information. Il va de
soit qu’une telle addition au corpus
législatif québécois ne peut s’effectuer sans modifier le droit existant.
La Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection
des renseignements personnels, la Loi sur les archives, le Code de procédure pénale,
la Loi sur le courtage immobilier, la Loi d’interprétation et la Loi sur la
protection du consommateur devront toutes être remaniées pour permettre
l’application de l’avant-projet. Celui-ci viendrait également modifier et
abroger certains des articles du Livre Septième du Code civil du Québec
traitants de l’admissibilité de moyens de preuve. Le Code de procédure
civile n’échapperait pas non plus au remaniement, puisque l’avant-projet
vient troubler la distinction entre élément matériel et document. Une telle
restructuration du droit applicable au Québec a suscité de vives réactions au
sein de plusieurs organismes concernés. Ainsi, en août dernier, le Barreau du
Québec présenta son Mémoire sur la Loi sur la normalisation juridique des nouvelles
technologies de l’information, document dans lequel il critique vivement
le nouvel avant-projet en prétendant que les objectifs fixés par le ministre
ne peuvent être atteints par la législation suggérée. Le mémoire soutient
que : « le fait que
l’avant-projet se démarque de la plupart des législations existantes
ailleurs au pays et dans le reste de l’Amérique du Nord notamment, de même
que les règles complexes et contraignantes qu’il impose constitueront un
frein à l’utilisation des moyens électroniques », ce qui occasionnera
« un fardeau très lourd […] pour
les petites et moyennes entreprises ». La réaction
n’est pas moins vive chez les praticiens. Pierre-Emmanuel Moyse,
avocat chez Léger-Robic-Richard, voit
d'un œil critique l'intervention du gouvernement : « la patience est de mise dans les domaines des nouvelles technologies.
Laissons les développements suivre leur cours... le gouvernement pourra
intervenir lorsqu'il y aura de véritables problèmes. Dans l’attente faisons
confiance à nos tribunaux et à nos juges. » Maître Moyse ne
remarque aucun problème suffisamment alarmant pour que l’on aie à modifier
les règles de preuve. Les dispositions législatives actuelles seraient en
effet suffisantes. Notre expert ajoute que l'avant-projet de loi s’obstine
malencontreusement à vouloir consolider deux approches conflictuelles. Or,
l'approche civiliste, qui énonce des grands principes et donne des définitions
larges, s'adapte difficilement à l'objet d’une législation trop spécifique,
celle-ci requérant une approche américaine, c'est-à-dire plus réglementaire.
Résultat : « ce projet de loi ne pose aucune véritable règle de droit »
affirme-t-il, « une loi doit déterminer
un comportement et sanctionner les écarts, or, aucune sanction n'est prévu au
projet de loi. » De son côté,
l’Office de la protection du consommateur (O.P.C.) publia, le 11 août dernier, son Mémoire
présenté à la Commission de l’économie et du travail. L’arrivée
du commerce électronique emporte avec elle de nouveaux enjeux pour la
consommation. Par conséquent, l'O.P.C. s'intéresse davantage aux règles
juridiques régissant les contrats entre les commerçants et les consommateurs.
L'organisme appuie, sous quelques réserves, l'avant-projet, mais recommande
fortement que le support papier conserve une plus grande valeur juridique. En
effet, un contrat rédigé sur un tel support offre une protection additionnelle
au consommateur, notamment l’occasion de bien lire et de prendre connaissance
des obligations contractuelles avant d'apposer sa signature. De plus, la
signature numérique n'est pas un moyen disponible pour tous les consommateurs,
ce qui vient renforcer l'importance d'un contrat écrit sur un support papier. Une commission parlementaire sur le projet de loi, qui débuta le 29 août, est présentement en cours. Reste à savoir l’impact qu’auront les discussions sur ce texte qui, selon les dires du Barreau du Québec « doit être repris dans son entier ». C.P.,
R.S., N.V. Liens : > vers
le projet de loi : >
vers le mémoire du Barreau : > vers le
mémoire de l’O.P.C. : |
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Thoumyre |