Informatique et libertés : décision du Conseil
constitutionnel du 29 décembre 1998
Juliette Aquilina
Le Conseil Constitutionnel a été saisi par les
parlementaires afin de se prononcer sur la validité dun certain nombre
darticles de la Loi de finances 1999. Cest surtout la censure de
larticle 107 qui était attendue : celui-ci prévoyait notamment lutilisation
par ladministration fiscale du numéro didentification de la Sécurité
sociale.
Déjà en 1974, Pierre Mesmer et
son gouvernement avaient tenté dutiliser le numéro de Sécurité sociale pour
interconnecter les fichiers de police. Dans son éditorial du 1er janvier dernier, Le
Monde rappelle qu " un vaste débat sétait alors ouvert,
débouchant sur la loi de 1978 qui avait chargé la CNIL de veiller à ce que
linformation ne mette pas à mal les libertés ".
Plus de vingt ans après, les
neufs juges du Palais Royal valident la loi de finances pour 1999, estimant que son
article 107 ne menace pas les libertés individuelles.
Est-ce une manière, comme
lécrit Valérie Rousseau dans Libération du 31 décembre 1998, de
" montrer un certain agacement (...) et de faire comprendre aux
parlementaires que les saisines doivent être juridiquement mieux fondées quelles
ne le sont parfois " ?
Quoiquil en soit, le
Conseil constitutionnel na pas censuré la mesure qui permet aux directions
générales de la comptabilité publique, des impôts, des douanes et des droits indirects
dutiliser, " en vue déviter les erreurs didentité et de
vérifier les adresses des personnes, le numéro dinscription au répertoire
national didentification des personnes physiques, dans le cadre des missions
respectives de ces directions. "
Dans un communiqué officiel,
publié le 30 décembre, le Conseil rappelle toutefois que larticle de la loi de
finances " na été admis quau prix de réserves
dinterprêtation (...), que sa portée devra rester restreinte et quaucun
nouveau transfert de données nominatives ne devra être effectué entre administrations
".
De plus, et afin de rassurer ses
contestataires, le Conseil en appelle aux " garanties " que la
loi elle-même renferme :
- lutilisation du numéro
de Sécurité sociale par ladministration fiscale devra être strictement limitée
aux opérations relatives à lassiette et au recouvrement des impôts,
droits, taxes, redevances ou amendes ;
- les informations recueillies
sont soumises à lobligation de secret professionnel ;
- la Commission Nationale de
lInformatique et des Libertés aura la faculté dintervenir en cas
datteinte aux droits et libertés établis par la loi Informatiques et libertés de
1978 ;
Ainsi, le Conseil constitutionnel
a pu estimer que ces dispositions constituaient des " gardes-fous "
suffisants et que " le législateur navait pu entendre déroger aux
dispositions protectrices de la liberté individuelle et de la vie privée, établies par
la loi de 1978 ".
Reste à savoir désormais
quelles seront les retombées pratiques dune telle mesure.
Si elle est effectivement
utilisée dans le cadre restreint de lidentification des contribuables et de la
politique de lutte contre la fraude fiscale, il ny a pas lieu de tirer la sonnette
dalarme !
Jacques Fauvet, actuel président
de la CNIL, sest lui-même rangé à cet avis.
Cependant, dans son Edito, Le
Monde (précité) nous fait justement remarquer que " la légitime lutte
contre la fraude fiscale ne doit pas servir de prétexte à des atteintes aux libertés
individuelles " .
Il est vrai que lon peut se
demander en quoi linterconnexion de fichiers sociaux et fiscaux est pertinente, eu
égard au strict but supposément poursuivi ...
Mais le débat risque dêtre relancé
prochainement, puisque le gouvernement doit transposer au plus vite dans notre droit la directive
européenne de 1995 sur lutilisation de linformatique. Et la loi de 1978
devra ainsi subir quelques " réajustements ".
J. A.