Ubi Free : syndicat virtuel
Grande vague ou simple remous ?
Juliette
Aquilina
Internet donnera-t-il le jour à une nouvelle forme de
syndicalisme ? Cest une question que lon peut se poser suite à la récente
création du site Web Ubi Free par quelques employés de lentreprise française
de jeux vidéo Ubi Soft. Ils
- on ne sait pas au juste combien ! - ont lancé le site en question le 15 décembre
dernier afin de clamer leur mécontentement face à la politique patronale de leur
entreprise.
Hélène Buzzetti, du quotidien
montréalais Le Devoir, a consacré un article à limpact de ce genre de
" pamphlet cybernétique " (Le Devoir, édition du 17 février
1999).
Doit-on parler, à linstar
du site lui-même, de " syndicat virtuel " ou de simple site
dénonciateur ? Selon la journaliste, " ce nest pas demain la veille
que les syndicats traditionnels troqueront les assemblées générales de gens en chair et
en os pour les octets et les électrons dInternet " !
En lespèce, le site Ubi
Free se présente comme une " alternative à labsence de structure
sociale au sein dUbi Soft." En effet, lentreprise qui regroupe
plus de 1000 collaborateurs serait dénuée de tout service du personnel, de
représentants syndicaux et de comité dentreprise.
Au regard de la loi, notamment du
Code du travail français, ce manque est effectivement contraire aux grands principes de
représentation salariale et de liberté syndicale. Toute entreprise de plus de 11
salariés est habilitée à avoir des délégués du personnel. Quand ce nombre dépasse
50, elle peut alors se doter dun comité dentreprise. Encore faut-il que les
employés le revendiquent, si la direction na pas delle-même mis en place ce
genre de structures !
Les allégations dUbi
Free sont faites " dans le plus grand anonymat par un certain Albert
[ qui dresse ] la liste des sources dinsatisfaction quéprouveraient
les employés. " Et le site dévoquer larbitraire des rémunérations
dheures supplémentaires, la précarité des emplois, le manque de formation et
autre " improvisation permanente qui règne à Ubi Soft. "
Concrètement, quel est
limpact dune telle dénonciation en ligne ? Hélène Buzzetti explique :
" (...) devant le battage médiatique dont linitiative a fait
lobjet, le président de la compagnie, Yves Guillemot, a répondu la semaine
dernière en promettant que la direction allait sentourer de plusieurs responsables
des ressources humaine. (...) Ces personnes seront des interlocuteurs privilégiés pour
toutes questions relatives aux ressources humaines. "
Mais pour la plupart des
spécialistes dInternet Ubi Free nest quune manifestation
spontanée, sans grande crédibilité au regard du syndicalisme. Comme le fait justement
remarquer larticle, la page est anonyme. De plus, " est-elle
luvre dun groupe de travailleurs représentatif ou celle dun
frustré isolé ? Et Albert travaille-t-il bien chez Ubi Soft ou agit-il à la solde
dun concurrent qui cherche à éroder le capital de sympathie dont jouit la
société française ? ".
Pour Bastien Beauchamp, associé
chez 2B Interactive, une agence de publicité Internet, " Ubi Free est
un geste très positif demployés qui veulent améliorer leur environnement de
travail. Mais au delà, [il] ne voit pas de volonté dorganisation.
Cest essentiellement une offensive qui, en étant anonyme, a donné du piquant et
obtenu de la visibilité. "
Ce site serait donc un simple
site de dénonciation, sapparentant à tous ceux dont regorge désormais Internet.
" Il suffit de taper `Microsoft Sucks` sur un engin de recherche pour
dégoter quelques bijoux en la matière. Sites [divers et variés] où employés
actuels ou passés déversent leur fiel contre lentreprise qui leur aurait
joué de vilains tours. "
Les syndicats traditionnels, de
leur côté, tempèrent leur réaction face à linitiative dUbi Free
et " ne sen réjouissent pas outre mesure. " Si la technologie
peut certainement être utilisée comme outil dinformation facilitant la
syndicalisation, lavenir syndical nest pas encore à lheure du virtuel.
Le syndicalisme sessouffle,
parait-il ? Quoiquil en soit, la présence " matérielle " de
syndicats et de représentants du personnel au sein des entreprises est encore loin de se
laisser substituer. Internet peut cependant servir comme medium supplémentaire de
protestation et de revendication. Son utilisation serait bien sûr encadrée par nos
" bons vieux " syndicats !
J. A.