Il y a encore quelques années de cela, écouter la radio,
regarder la télévision ou téléphoner outre-mer au moyen dInternet relevait de la
marginalité. Alors que larrivée de la " Web-TV " est annoncée avec
enthousiasme, les radios diffusent déjà leurs programmes sur Internet. Il peut
sagir bien sûr des radios traditionnelles, qui nont pas hésité une seconde
à diffuser sur le Net, mais aussi de stations qui némettaient auparavant aucun
signal hertzien. Elles sont donc fraîchement issues du cyberespace !
A titre dexemple, nous
pouvons citer " No problemo
", l'une des premières radios françaises à être diffusée exclusivement sur
Internet (après Orbital radio). Stéphane Lacombe de COMFM, la société de
communication qui a lancé la radio, explique qu"en France, le nombre de
fréquences est limité alors quInternet est extensible à linfini. (
)
Diffuser une radio sur Internet offre une plus grande liberté de manuvre et surtout
ça coûte beaucoup moins cher".
Ces radios ne sont, pour le
moment, assujetties à aucune réglementation particulière. Est-ce à dire que leurs
contenus sont totalement libres ? Les lois classiques sur les télécommunications et les
communications audiovisuelles sont-elles applicables ? Comment protéger le droit
dauteur, une fois de plus menacé ?
(AFP-Paris) Selon Hervé
Bourges, président du CSA (Conseil Supérieur de lAudiovisuel), Internet " nest
pas un média [mais] un protocole dinformation ". Il ne
constituerait donc quun support et " ce nest pas à Internet même que
les réglementations diverses touchant les contenus devront sappliquer : [elles]
sappliqueront aux différents services apportés par Internet, selon leur
nature ".
Le 17 mars dernier, le CSA a
rendu publique une " plate-forme de réflexion mondiale " sur la
régulation des services audiovisuels sur Internet, avant la tenue dun sommet
international des régulateurs prévu pour la fin de lannée 1999 à Paris, sous
légide de lUNESCO. M. Bourges a expliqué que cette plate-forme se voulait
" la première pierre de la concertation internationale ", engagée avec
50 autres instances de régulation. Le texte de huit pages, intitulé " Enjeux
et problématique ", pose la question de savoir " si Internet oblige à
repenser le régime juridique de la communication audiovisuelle ". Il distingue
en outre " trois types de convergences : quest-ce quun service
audiovisuel sur Internet ? A quel droit est-il soumis ? Qui est chargé de le faire
respecter ? ".
Cest le même genre de
réflexion qua entrepris au Canada le CRTC (Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications
Canadiennes) à travers un programme daudiences publiques sur " les nouveaux
médias ". Débuté en novembre 1998, ce vaste programme se proposait notamment
damasser " une documentation exhaustive " sur le sujet et
détudier " les répercussions profondes et limportance des nouveaux
médias ".
Le Devoir a consacré un
dossier intitulé " Haute surveillance ", dans son édition de novembre 1998.
Larticle sinterrogeait sur la nature de ces nouveaux médias et le moyen de
les réglementer. Il relevait à juste titre que la Loi sur la radiodiffusion avait
été promulguée à une époque où la diffusion se faisait dans un cadre bien précis
quon pouvait réglementer : les ondes hertziennes, puis le câble. Or, ce cadre
a été complètement chamboulé avec lapparition du multimédia et " la
réalité ne nous fait pas plaisir parce quelle rend la réglementation comme nous
la connaissons impuissante devant les nouveaux phénomènes technologiques ",
fait remarquer Michel Dumais, créateur de la station de radio Interactif,
exclusivement diffusée sur Internet.
Le 8 février 1999, le CRTC a
fait le point concernant le résultat des divers audiences. Il a identifié quelques avis
majeurs. Certains ont dabord suggéré labsence complète de réglementation
des nouveaux médias, dans la mesure où il est impossible dappliquer une
réglementation nationale. Dautres sont allés jusquà recommander
létablissement de fonds, crédits fiscaux ou " autres mesures financières
incitatrices de la part du gouvernement ", afin de promouvoir le contenu
canadien. Enfin, il a également été suggéré dobliger les fournisseurs
daccès Internet et autres distributeurs à intervenir dans la protection des
contenus.
Certaines propositions incitaient
le CRTC à intervenir au niveau du contenu offensant, alors que dautres estimaient
que les lois actuelles, les mesures dautodiscipline des fournisseurs daccès
ou les outils de contrôle du contenu existants suffisaient à assurer une protection
adéquate. Suite à ces premières réflexions, le Conseil a demandé de bien vouloir
examiner à nouveau certaines questions, comme celle de savoir lesquels, parmi les
nouveaux médias, devraient être considérés comme étant des services de programmation
ou de diffusion, en vertu de la Loi sur la radiodiffusion
La SOCAN (Société canadienne
des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) nest pas restée indifférente à
ce sujet. Parallèlement aux réflexions engagées par le CRTC, elle a déposé il y a
deux ans un tarif pour le droit dexécution des uvres sur Internet. Dans
larticle " Hors les ondes ", publié en février dernier dans la revue Voir,
la directrice de la SOCAN au Québec sest exprimée ainsi : " En ce
moment les auteurs ne sont pas rémunérés pour ce qui se passe sur Internet. (
)
Nous proposons que les fournisseurs daccès (ceux auprès desquels les utilisateurs
sabonnent) paient 0,25$ par abonné par mois ou, lorsquils touchent des
revenus publicitaires, 3,2% de leurs revenus bruts, avec un minimum de 0,25$ par abonné
par mois ". La Commission du droit dauteur devrait se prononcer sur la
recevabilité dune telle mesure. Claude Majeau, secrétaire à la Commission,
relève toutefois " (
) que les fournisseurs daccès Internet jugent
que ce sont ceux qui mettent le contenu sur les sites Web qui devraient être responsables
[du paiement de la redevance, notamment] ".
On comprend évidemment
quen matière de responsabilisation sur Internet, il est toujours plus facile de se
tourner vers les intermédiaires. Ces derniers constituent le maillon le plus visible et
le plus identifiable du réseau, en plus doffrir les meilleurs garanties de
solvabilité. Ainsi, il sera plus aisé de sadresser à eux pour lacquittement
des droits dexécution, plutôt " que de courir après des milliers de sites
Web qui diffusent de la musique " !
La radiodiffusion sur Internet
soulève un autre problème juridique : celui de la reproduction. Cette dernière,
également soumise au droit dauteur, est effectuée dès lors que linternaute
télécharge le contenu diffusé sur son disque dur. La SODRAC (Société du droit de
reproduction des auteurs compositeurs et éditeurs au Canada) a elle aussi déposé un
tarif à la Commission du droit dauteur, qui devrait être examiné après celui de
la SOCAN. Là encore, les fournisseurs de services Internet sont visés pour le paiement
de la redevance.
Si les " Web-radios "
échappent pour linstant aux règles habituelles des instances de régulation (de
type CRTC ou CSA) et au droit dauteur, lon peut être sûr que dici
quelques mois le phénomène sera juridiquement encadré. Solange Drouin, conseillère
juridique et directrice générale de lAssociation québécoise de lindustrie
du disque (ADISQ), adopte une position ferme : " ce sont des radios, et elles
devraient être soumises aux mêmes règlements quune station conventionnelle
(
) Cest trop facile de baisser les bras devant cette grande toile
daraignée ! ". Évoquant en outre la question des quotas francophones, Mme
Drouin rappelle que " si nous ne contrôlons pas ce qui est diffusé, nous
naurons que de la musique américaine ".
En attendant de voir quelles
solutions proposeront les divers régulateurs lors du sommet international de Paris, vous
pouvez toujours, dun " clic " à lautre, écouter une radio
allemande, puis dans la même heure une radio texane ou encore danser la gigue au son de
la musique celtique programmée par une radio irlandaise. Il existerait environ 1968 radios live,
dans 98 pays. Bonne balade !
J. A.