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Rubrique : internautes / revues de presse
Mots clés : diffusion, radio, télévision, streaming, statut 
Citation : Juliette AQUILINA, "Réflexions autour du statut de la la radiodiffusion sur Internet", Juriscom.net, 21 mars 1999


Réflexions autour du statut de la radiodiffusion sur Internet

Juliette Aquilina


Il y a encore quelques années de cela, écouter la radio, regarder la télévision ou téléphoner outre-mer au moyen d’Internet relevait de la marginalité. Alors que l’arrivée de la " Web-TV " est annoncée avec enthousiasme, les radios diffusent déjà leurs programmes sur Internet. Il peut s’agir bien sûr des radios traditionnelles, qui n’ont pas hésité une seconde à diffuser sur le Net, mais aussi de stations qui n’émettaient auparavant aucun signal hertzien. Elles sont donc fraîchement issues du cyberespace !

A titre d’exemple, nous pouvons citer " No problemo ", l'une des premières radios françaises à être diffusée exclusivement sur Internet (après Orbital radio). Stéphane Lacombe de COMFM, la société de communication qui a lancé la radio, explique qu’"en France, le nombre de fréquences est limité alors qu’Internet est extensible à l’infini. (…) Diffuser une radio sur Internet offre une plus grande liberté de manœuvre et surtout ça coûte beaucoup moins cher".

Ces radios ne sont, pour le moment, assujetties à aucune réglementation particulière. Est-ce à dire que leurs contenus sont totalement libres ? Les lois classiques sur les télécommunications et les communications audiovisuelles sont-elles applicables ? Comment protéger le droit d’auteur, une fois de plus menacé ?

(AFP-Paris) Selon Hervé Bourges, président du CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel), Internet " n’est pas un média [mais] un protocole d’information ". Il ne constituerait donc qu’un support et " ce n’est pas à Internet même que les réglementations diverses touchant les contenus devront s’appliquer : [elles] s’appliqueront aux différents services apportés par Internet, selon leur nature ".

Le 17 mars dernier, le CSA a rendu publique une " plate-forme de réflexion mondiale " sur la régulation des services audiovisuels sur Internet, avant la tenue d’un sommet international des régulateurs prévu pour la fin de l’année 1999 à Paris, sous l’égide de l’UNESCO. M. Bourges a expliqué que cette plate-forme se voulait " la première pierre de la concertation internationale ", engagée avec 50 autres instances de régulation. Le texte de huit pages, intitulé " Enjeux et problématique ", pose la question de savoir " si Internet oblige à repenser le régime juridique de la communication audiovisuelle ". Il distingue en outre " trois types de convergences : qu’est-ce qu’un service audiovisuel sur Internet ? A quel droit est-il soumis ? Qui est chargé de le faire respecter ? ".

C’est le même genre de réflexion qu’a entrepris au Canada le CRTC (Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications Canadiennes) à travers un programme d’audiences publiques sur " les nouveaux médias ". Débuté en novembre 1998, ce vaste programme se proposait notamment d’amasser " une documentation exhaustive " sur le sujet et d’étudier " les répercussions profondes et l’importance des nouveaux médias ".

Le Devoir a consacré un dossier intitulé " Haute surveillance ", dans son édition de novembre 1998. L’article s’interrogeait sur la nature de ces nouveaux médias et le moyen de les réglementer. Il relevait à juste titre que la Loi sur la radiodiffusion avait été promulguée à une époque où la diffusion se faisait dans un cadre bien précis qu’on pouvait réglementer : les ondes hertziennes, puis le câble. Or, ce cadre a été complètement chamboulé avec l’apparition du multimédia et " la réalité ne nous fait pas plaisir parce qu’elle rend la réglementation comme nous la connaissons impuissante devant les nouveaux phénomènes technologiques ", fait remarquer Michel Dumais, créateur de la station de radio Interactif, exclusivement diffusée sur Internet.

Le 8 février 1999, le CRTC a fait le point concernant le résultat des divers audiences. Il a identifié quelques avis majeurs. Certains ont d’abord suggéré l’absence complète de réglementation des nouveaux médias, dans la mesure où il est impossible d’appliquer une réglementation nationale. D’autres sont allés jusqu’à recommander l’établissement de fonds, crédits fiscaux ou " autres mesures financières incitatrices de la part du gouvernement ", afin de promouvoir le contenu canadien. Enfin, il a également été suggéré d’obliger les fournisseurs d’accès Internet et autres distributeurs à intervenir dans la protection des contenus.

Certaines propositions incitaient le CRTC à intervenir au niveau du contenu offensant, alors que d’autres estimaient que les lois actuelles, les mesures d’autodiscipline des fournisseurs d’accès ou les outils de contrôle du contenu existants suffisaient à assurer une protection adéquate. Suite à ces premières réflexions, le Conseil a demandé de bien vouloir examiner à nouveau certaines questions, comme celle de savoir lesquels, parmi les nouveaux médias, devraient être considérés comme étant des services de programmation ou de diffusion, en vertu de la Loi sur la radiodiffusion

La SOCAN (Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) n’est pas restée indifférente à ce sujet. Parallèlement aux réflexions engagées par le CRTC, elle a déposé il y a deux ans un tarif pour le droit d’exécution des œuvres sur Internet. Dans l’article " Hors les ondes ", publié en février dernier dans la revue Voir, la directrice de la SOCAN au Québec s’est exprimée ainsi : " En ce moment les auteurs ne sont pas rémunérés pour ce qui se passe sur Internet. (…) Nous proposons que les fournisseurs d’accès (ceux auprès desquels les utilisateurs s’abonnent) paient 0,25$ par abonné par mois ou, lorsqu’ils touchent des revenus publicitaires, 3,2% de leurs revenus bruts, avec un minimum de 0,25$ par abonné par mois ". La Commission du droit d’auteur devrait se prononcer sur la recevabilité d’une telle mesure. Claude Majeau, secrétaire à la Commission, relève toutefois " (…) que les fournisseurs d’accès Internet jugent que ce sont ceux qui mettent le contenu sur les sites Web qui devraient être responsables [du paiement de la redevance, notamment] ".

On comprend évidemment qu’en matière de responsabilisation sur Internet, il est toujours plus facile de se tourner vers les intermédiaires. Ces derniers constituent le maillon le plus visible et le plus identifiable du réseau, en plus d’offrir les meilleurs garanties de solvabilité. Ainsi, il sera plus aisé de s’adresser à eux pour l’acquittement des droits d’exécution, plutôt " que de courir après des milliers de sites Web qui diffusent de la musique " !

La radiodiffusion sur Internet soulève un autre problème juridique : celui de la reproduction. Cette dernière, également soumise au droit d’auteur, est effectuée dès lors que l’internaute télécharge le contenu diffusé sur son disque dur. La SODRAC (Société du droit de reproduction des auteurs compositeurs et éditeurs au Canada) a elle aussi déposé un tarif à la Commission du droit d’auteur, qui devrait être examiné après celui de la SOCAN. Là encore, les fournisseurs de services Internet sont visés pour le paiement de la redevance.

Si les " Web-radios " échappent pour l’instant aux règles habituelles des instances de régulation (de type CRTC ou CSA) et au droit d’auteur, l’on peut être sûr que d’ici quelques mois le phénomène sera juridiquement encadré. Solange Drouin, conseillère juridique et directrice générale de l’Association québécoise de l’industrie du disque (ADISQ), adopte une position ferme : " ce sont des radios, et elles devraient être soumises aux mêmes règlements qu’une station conventionnelle (…) C’est trop facile de baisser les bras devant cette grande toile d’araignée ! ". Évoquant en outre la question des quotas francophones, Mme Drouin rappelle que " si nous ne contrôlons pas ce qui est diffusé, nous n’aurons que de la musique américaine ".

En attendant de voir quelles solutions proposeront les divers régulateurs lors du sommet international de Paris, vous pouvez toujours, d’un " clic " à l’autre, écouter une radio allemande, puis dans la même heure une radio texane ou encore danser la gigue au son de la musique celtique programmée par une radio irlandaise. Il existerait environ 1968 radios live, dans 98 pays. Bonne balade !

J. A.

 

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