Les
hésitations de la Commission européenne
Par Marc Ganilsy
Elève à l'école du Barreau de Paris
email : marc.ganilsy@wanadoo.fr
La Commission européenne, les 4 et 5 novembre
1999, a procédé à une audition des acteurs du commerce électronique sur le thème de
la compétence judiciaire et de la loi applicable en matière de commerce électronique.
Le commerce ne connaît pas de frontières : les
consommateurs et les professionnels sont fréquemment de nationalités différentes. En
cas de litige lié à un achat effectué sur le Web, quel est le tribunal compétent et la
loi applicable ? L'article 18, relatif aux recours juridictionnels, de la Proposition
modifiée de directive relative à certains aspects de commerce électronique,
actuellement en discussion, ne répond pas à ces deux interrogations.
Traditionnellement, les questions
relatives au règlement des litiges transfrontaliers sont traitées par des conventions
européennes.
Le tribunal compétent
La question du tribunal
compétent est réglé par la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 relative à la
reconnaissance et l'exécution des jugements en matière civile et commerciale. D'une
manière générale, le tribunal compétent est celui de l'Etat du défendeur (celui qui
est assigné). Cette règle de principe varie néanmoins toutes les fois qu'un litige
oppose un consommateur et un professionnel. Lorsqu'il est sollicité par un professionnel,
le consommateur dispose d'un droit d'option : le litige pourra être porté, selon
son souhait, soit devant ses propres tribunaux, soit devant ceux du professionnel. De son
côté, le professionnel qui assigne le consommateur se voit imposer la compétence du
tribunal de l'Etat du consommateur.
Afin de tenir compte du
développement du commerce électronique, la Commission a adopté, le 14 juillet 1999, une
proposition de règlement communautaire qui ferait bénéficier au consommateur, en toutes
circonstances, le droit d'exercer ses recours devant ses tribunaux.
La loi applicable
Concernant les questions
relatives à la loi applicable, il faudra s'en remettre à la Convention de Rome du 19
juin 1980 relative aux obligations contractuelles. Celle-ci autorise les contractants à
déterminer eux-mêmes la loi applicable au contrat. A défaut de choix, comme le précise
le Bureau Européen des Unions des Consommateurs (BEUC), le consommateur qui a été
sollicité "ne peut être privé de la protection des règles de son pays de
résidence".
Ici encore la Commission a
décidé, le 3 décembre 1998, de réviser la Convention de Rome afin de l'adapter aux
spécificités du commerce électronique.
Discordes autour des
solutions communautaires
Dans les deux cas, les choix
opérés par la commission ont provoqué un tollé chez les professionnels. En raison des
discordances persistantes et avant de prendre sa décision, la Commission européenne, les
4 et 5 novembre 1999, a procédé à une audition des acteurs du commerce électronique
sur le thème de la compétence judiciaire et de la loi applicable en matière de commerce
électronique.
Les professionnels estiment que
le consommateur doit s'adresser, en cas de contestation, aux tribunaux du pays du
professionnel. En effet, une entreprise qui exploite un site de commerce électronique ne
pourra que très difficilement agir ou se défendre devant les tribunaux de l'ensemble des
Etats membres de la Communauté dans lesquels ses produits ou ses services pourraient
être accessibles. Dans le même sens, les professionnels précisent qu'ils ne peuvent
connaître les lois des quinze Etats membres et, pour cette raison, souhaitent que la loi
régissant le contrat soit également celle du professionnel. Le problème soulevé est de
taille puisque de nombreux sites de commerce électronique proposent des pages écrites en
plusieurs langues, accessibles par des consommateurs de nationalités différentes.
Les positions des entreprises
sont publiées sur le site Web de la Commission. On y trouve notamment Barclays, Brokat,
Vivendi, l'Association des Grandes Entreprises Françaises.
La vision du BEUC
Le BEUC considère pour sa part
que les consommateurs mécontent des achats qu'ils ont effectués sur le Net "doivent
pouvoir entreprendre une action en justice auprès de leurs tribunaux sur la base des lois
qu'ils connaissent". Ne pas accéder à cette doléance, c'est priver le consommateur
de tout droit de recours, car celui-ci ne se dirigera pas devant le tribunal étranger de
l'Etat du professionnel. "Pourquoi les consommateurs seraient-ils moins bien
protégés lors de leur achats en ligne que lorsqu'ils effectuent des achats de façon
traditionnelle ?" ajoute le BEUC. Il s'agit d'un droit fondamental dans un marché
électronique.
Concernant la loi applicable, le
Bureau considère que les professionnels ont l'obligation de se conformer aux lois de tous
les consommateurs européens à partir du moment où ils profitent de ces nouveaux
marchés pour réaliser leurs profits.
Pour le moment, rien n'est
définitivement décidé. Mais, une fois voté, le règlement sera applicable
immédiatement dans tous les Etats membres et devra être connu par tous les acteurs de
commerce électronique. En pratique, les professionnels devront adapter leurs Conditions
Générales de Vente aux nouvelles règles européennes.
Toutefois, le règlement envisage
le problème de la compétence du tribunal et de la loi applicable uniquement pour des
contractants européens. Que se passe-t-il lorsque l'un des contractant est américain, ce
qui est fréquemment le cas ? Faut-il revenir aux règles classiques du droit
international privé ou bien le règlement aura-t-il vocation à régir les situations
extra communautaires, comme c'est parfois le cas en matière de concentration ou
d'ententes ?
En fait, ne fallait-il pas
revoir, d'une manière globale, tous ces problèmes au niveau mondial plutôt qu'à
l'échelon communautaire ?
Sources :
- Proposition de règlement sur la juridiction,
la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (COM
(1999) 348 final, 14 juillet 1999) : http://europa.eu.int/comm/sg
- BEUC : http://www.beuc.org
- Affaires et Justices : http://europa.eu.int/comm/justice_home/events/index_fr.htm
- DGXV : http://europa.eu.int/comm/dg15/fr/media/eleccomm/index.htm
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