| Les livres électroniques : le droit
    dauteur face au futur Par Marie-Hélène
    Deschamps-MarquisAvocate au Barreau de Montréal
 email : descham@lsa.lan.mcgill.ca    
 Traditionnellement, un auteur écrit son roman,
    limprime, en envoie une copie à son éditeur qui, lui, le publie en format papier.
    Dans ce type de situation, les concepts de fixation et de reproduction de l'uvreen
    droit d'auteur ne font aucun doute puisque ces notions ont été conçues en fonction de
    cette réalité. Mais quen est-il si lauteur compose son texte sur un texteur
    informatique, quil nen fait pas de copie autre que sur un disque dur ou sur
    une disquette, quil envoie copie de son uvre à un éditeur par
    lentremise de lInternet, qui lui, toujours sans en faire de copie papier, la
    publie en la rendant disponible, sur support virtuel, aux propriétaires de livres
    électroniques ? Depuis
    lautomne 1998, cette fiction est devenue réalité. Il est donc intéressant
    détudier lapplication du droit dauteur à cet état de fait. Les
    livres électroniques Il
    existe présentement trois types de livres électroniques : le Rocket ebook ,
    le Softbook et le Everybook. Comme pour la bataille du Beta et du VHS
    dans le domaine de lenregistrement vidéo domestique, il faudra sûrement quelques
    années avant de pouvoir déterminer quel standard sera adopté par le marché. Ces
    appareils  comportent cependant des caractéristiques communes. Il sagit de
    boîtes de plastique de la grosseur dun livre de poche comportant un écran à haute
    résolution. Dans tous les cas, luvre nexiste plus que de manière
    informatique. Le consommateur achète et reçoit une copie virtuelle de l'uvre.
    Cette information est enregistrée et gardée de façon électronique dans le livre, ou
    dans un ordinateur, et lutilisateur nen prend habituellement connaissance que
    sur lécran de son appareil. Problèmes
    anticipés de droit dauteur Le
    concept de droit dauteur na évidemment pas été pensé en fonction de cette
    réalité. Deux types de problèmes méritent particulièrement dêtre
    abordés : lapplication du concept de fixation de l'uvre et la
    reproductionde l'ouvrage. La
    fixationLe droit
    d'auteur ne protège pas lidée derrière une uvre mais l'expression de cette
    idée. En application de ce principe, la jurisprudence [1]
    a établi quune uvre doit nécessairement être fixée, cest-à-dire
    prendre une forme matérielle identifiable relativement permanente, pour profiter de la
    protection légale. Dans une
    première étape, lauteur écrit son uvre sur un traitement de texte
    informatique et sauvegarde son texte sur son disque dur ou sur une disquettede façon à
    en conserver une copie durable. Nous nous devons donc dappliquer à cette
    technologie la notion traditionnelle de fixation. En droit
    canadien, larrêt clé sur cette question est la décision Apple Computer Inc. c.
    Mackintosh Computers Ltd [2]. Dans cette
    affaire, le juge Reed avait à déterminer si un logiciel, contenu sur un circuit
    intégré, copié sur un autre circuit intégré, était une reproduction illégale au
    sens de la Loi sur le droit dauteur [3].
    Statuant sur le caractère matériel de luvre, elle énonce clairement que peu
    importe si le logiciel est encodé sur une disquette ou un disque dur, cet encodage est
    une reproduction ou une production dune uvre sous une forme matérielle au
    même titre quun enregistrement sur une cassette audio. Il est
    intéressant de souligner que certains prétendaient que linformation enregistrée
    de manière informatique nétait pas fixée puisque quil ne sagissait
    que dinflux électriques sans forme matérielle. Dans cette même affaire, la Cour
    suprême du Canada a tranché la question et a reconnu quun programme informatique
    contenu sur une microplaquette de silicone devait être considéré comme un objet
    contenant des informations encodées plutôt quun ensemble de courants électriques. Considérant
    que lauteur doit nécessairement sauver son texte sur son disque dur ou sur une
    disquette pour en présenter une copie à son éditeur, nous devons donc en conclure que,
    selon notre analyse, lauteur dune uvre destinée exclusivement aux
    livres électroniques ne se verra pas exclu de la protection de la loi à cause de
    problèmes de fixation. La
    reproduction Le livre
    électronique permet à son utilisateur de lire des ouvrages littéraires. Considérant
    que ces ouvrages sont, pour la majorité, protégés par le droit dauteur, il est
    important danalyser si la diffusion de l'uvre par cette nouvelle technologie
    est incluse dans le concept de reproduction. Si on en venait à la conclusion que ce
    nest pas le cas, il serait alors possible de fournir aux propriétaires de livres
    électroniques des uvres ordinairement protégées par des droits dauteur sans
    avoir dobligation légale de dédommager les titulaires de ces droits. Le droit
    dauteur implique  le droit exclusif de produire ou reproduire la
    totalité ou une partie importante de l'uvre, sous une forme matérielle
    quelconque  [4]. Ce droit est violé
    lorsque, sans laccord de son titulaire, une reproduction, une copie de
    louvrage est effectuée [5]. Cette
    reproduction doit être faite sur un support matériel. Le concept de  forme
    matérielle quelconque , exigé dans la définition légale, rejoint la notion
    de fixation que nous avons étudiée précédemment. Lutilisateur
    de lappareil sadresse à son diffuseur et obtient des copies informatiques des
    ouvrages choisis. Ces ouvrages lui sont transmis de façon virtuelle et, pour les
    conserver, il doit les enregistrer sur son disque dur. Cette dernière étape, qui
    consiste à copier luvre originale complète sur un support matériel,
    équivaut à faire une reproduction de l'uvre au sens de la Loi sur le droit
    d'auteur. Conséquemment,
    louvrage est reproduit et le titulaire du droit dauteur devra consentir à sa
    distribution. Larrivée
    des livres électroniques est un événement qui marquera probablement le monde de
    lédition. Elle constitue, peut-être, la fin des bibliothèques en chêne peuplées
    de reliures en cuir et le début dinventaires de documents virtuels. Cependant,
    dun point de vue juridique, la venue de cette nouvelle technologie
    nentraînera pas une révolution des droits dauteur comme ce fut le cas avec
    linvention de la presse à imprimer. En fait, lapparition des ordinateurs
    domestiques et de lInternet ont déjà tracé la voie et modelé le droit
    dauteur de façon à ce quil réponde aux besoins des livres électroniques.
    Le juriste, aujourdhui, a donc déjà en main les moyens de faire face à cette
    nouvelle technologie. M-H. D-M. Article publié
    dans Le Journal
    du Barreau, volume 31, numéro 7, 15 avril 1999 Notes
   [1]  Canadian
    Admiral Corp. c. Rediffusion Inc (1954) 20 C.P.R. 75. [2][2]
    (1986) 10 C.P.R. (3d) 1 (F.C.T.D.), conf. par (1987) 18 C.P.R. (3d) 129 (C.A.), conf. par
    (1990) 30 C.P.R. (3d) 257(C.S.C.). [3][3]
    L.R.C. 1985, c. C-42. [4][4] Ibid.
    art 3(1). [5][5] Ibid.
    art 27(1). |