Cette étude part du
principe quil ne s'agit pas de bâtir une législation spécifique, mais
d'appliquer, en les adaptant si cela est nécessaire, les textes actuels. Le Conseil
d'Etat souligne qu'il n y a pas de vide juridique, en revanche la réglementation
existante exige dêtre clarifiée. Pour cela, la Haute Juridiction préconise, non
seulement, de combiner la réglementation étatique et l'autorégulation des acteurs, mais
aussi, de mettre en place une coopération internationale aujourdhui inévitable eu
égard au caractère planétaire des réseaux numériques.
Le Conseil dEtat attire principalement lattention
des autorités françaises sur cinq points, quil considère comme devant être des
priorités :
* la protection des données personnelles et la vie privée,
* le développement des échanges par une confiance accrue des
acteurs,
* la lutte contre les contenus et les comportements illicites,
* ladaptation de la réglementation et la communication à
la convergence de l'informatique, de l'audiovisuel et des télécommunications.
* la protection du consommateur en tant quacteur du
commerce électronique.
Sur ce dernier point, le Conseil prône la nécessité de lever
toute ambiguïté concernant, notamment, le régime de la publicité sur Internet, dans la
mesure où, une transaction électronique est généralement précédée d'une incitation
commerciale. Seulement, la Haute Assemblée rappelle que la notion de publicité sur
Internet pose de nombreux problèmes conceptuels. Faute de définition, deux critères
d'appréciation pourraient être proposés :
- la finalité du message, critère déterminant, dont l'objet est d'assurer la
promotion d'un bien ou d'un service,
- la destination d'un message qui doit être adressé au public.
Par cette définition, très large, le Conseil d'Etat vise la
grande majorité des messages qui circulent sur le Web
Nous ne pensons pas que
lobjectif soit cependant dassimiler tous les messages évoluant sur
lInternet à des messages publicitaires ! mais, bien plus de parvenir à
soumettre notamment les " Spams " à la législation établie de la
publicité trompeuse et comparative.
La transaction en ligne est assimilée
" officiellement ", pour ainsi dire, à une vente à distance. Cette
clarification nous semble importante, et met peut être un terme aux interrogations
portant sur la qualification juridique de la transaction en ligne. Pour justifier sa
position, le Conseil d'Etat s'en remet au texte de la directive 20.05.1997 relative à la
protection des consommateurs.
Certes, même si les dispositions de l'article L 121.6 du code
de la consommation sur le délai de rétraction de 7 jours doivent trouver à s'appliquer,
le Conseil considère qu'elles ne permettent pas aux consommateurs de bénéficier d'un
service, sans en acquitter le prix (en cas de téléchargement de logiciels par exemple
qui seraient retournés au vendeur).
Faut-il en conclure quil serait apporté une dérogation
au droit de rétraction qui, rappelons-le, exclut les services pour ne sappliquer
quaux biens ? Le Conseil dEtat précise quil faut entendre par
"services", ceux dont "la consommation n'a pas commencé avant
l'expiration d'un délai de 7 jours après la conclusion du contrat".
En outre, ne laissant rien au hasard la juridiction
administrative suprême prévient qu'en l'absence d'application de ces dispositions, la
voie contractuelle pourra aménager une telle faculté ! Cette volonté de rétablir
lautonomie de la volonté est très touchante
Toujours sur la question de la défense des consommateurs, le
Conseil précise que la distinction entre le "push" et le "pull"
permet de définir le champ d'application du démarchage à domicile (par le biais des
Spams). De sorte que, si le client a l'initiative de la transaction (système du
"pull") alors la qualification de communication téléphonique non souhaitée
doit être écartée, à la différence du système "push".
Sur l'information du consommateur, le rapport suggère
dune part que le consommateur ou client ait été informé des conditions de ventes
lors de la prise de commande, et que dautre part, il puisse clairement exprimer sa
manifestation de volonté.
Pour reprendre les termes employés par la Haute Assemblée,
l'information est due au client "sans que les points mentionnés puissent faire
l'objet d'un renvoi à des conditions générales de vente par un lien hypertexte
optionnel", le consentement devant prendre la forme, soit d'une confirmation par
courrier électronique avec une obligation de conservation du message, soit au moins de
deux clics distincts, sur deux boutons séparés (le premier sur l'icône "j'accepte
l'offre" et le second étant précédé d'une mention du type "confirmez vous
bien votre commande ?").
D'autre part, le Conseil propose l'apposition d'un label de
qualité sur les sites Web attestant de "l'honorabilité des sites concernés",
sans pourtant préciser à qui appartiendrait cette certification. On peut penser
quil faudra sur ce point s'inspirer des CPA (voir Actualités Juriscom) aux USA,
mais on assistera très certainement à la création, très française, d'un organisme
habilité
Le titre de ce chapitre précise qu'il faut favoriser la mise en place
d'une offre de services de certifications.
Si le droit de la VPC semble pouvoir répondre aux besoins du
commerce électronique, les galeries marchandes auraient vocation à jouer un rôle
d'intermédiaire en offrant soit des prestations spécifiques (volonté des "portal
sites" - voir Actualités Juriscom), soit en assurant elle même les responsabilités
du vendeur dans le cadre d'une relation contractuelle triangulaire.
De même, le rapport souligne la nécessité de reconnaître la
valeur probatoire du message électronique par une signature fiable.
Puis, les enjeux de la cryptographie sont rappelés avec la
volonté d'assouplir les contraintes de la nouvelle réglementation (voir nos remarques
similaires sur la publication des nouveaux décrets). Le Conseil constate également que
si la France restait le seul pays développé à pratiquer l'exigence des tiers de
séquestres, il faudrait au plus vite remplacer ce régime "caduque" par
l'exigence de recouvrement des clés directement auprès de l'utilisateur !
Par ailleurs, le Conseil d'Etat prend pour la première fois
position sur le règlement des conflits sur Internet et notamment, en mettant
laccent sur la nécessité d'adaptation des lois existantes.
Dans le silence des parties, il est préconisé de retenir le
lieu de résidence du consommateur dans le cas du système "push", c'est à dire
sollicitation par le vendeur. En revanche la loi du lieu de résidence du vendeur aura la
primauté lorsque le consommateur a pris l'initiative de la transaction (système
"pull").
Si le contrat prévoit le lieu de résidence du vendeur, il
faudra tenir compte de la destination du message (dans ce cas là, ce choix n'aura
néanmoins pas pour conséquence de priver le consommateur de la protection que lui
assurent les dispositions de son lieu de résidence habituelle).
A côté de ces quelques développements, d'autres points sont
abordés, mais ils ne représentent que des constats sans grande innovation. Le Conseil
d'Etat, comme le précisait Annie KAHN dans le journal Le Monde ("Un rapport
du Conseil d'Etat estime qu'Internet n'a pas besoin d'un droit spécifique", Le
Monde, 09 septembre 1998), en appelle plus à la responsabilité du citoyen
Internaute, qu'à une véritable réglementation (par exemple le Conseil d'Etat très
lucide, fait le constat quil conviendrait d'assouplir la charte de nommage,
conscient que notre pays ne peut rester isoler dans ce cyber-monde...).
Il apparaît en outre que le droit fiscal devra s'adapter
pleinement. Ainsi, par opposition au droit américain, le rapport de la Haute Juridiction
qualifie le fait de télécharger un logiciel de biens immatériels comme une prestation
de service taxable sur le lieu de consommation ! Nous pensons que l'harmonisation des
taux de TVA paraît plus qu'urgente, en tout cas dans lUnion Européenne...
Enfin, sur la notion d'établissement stable pour le
recouvrement de l'impôt sur les sociétés, la Haute Assemblée sen remet
prudemment à l'OCDE...
A titre subsidiaire, on sétonnera à propos du paiement
sur lInternet et du développement des portes-monnaie électroniques, de l'idée de
mettre en place une taxe prélevée par l'établissement financier par lequel transite le
paiement. En effet, qadviendra-il alors du secret bancaire ?
Pour conclure, ce rapport, sans dégager de solutions révolutionnaires, nous
rappelle que l'imagination doit être au pouvoir et qu'il ne faut pas s'exonérer d'un
acquis juridique exploitable et non plus faire preuve d'un isolationnisme inadapté aux
enjeux de l'Internet.
A. M. |