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Rubrique : professionnels / volume 1

Enjeux de l'Internet

Novembre 1998


 

Premières remarques sur le rapport du Conseil d'Etat - Internet et les réseaux numériques

Etude adoptée par l'Assemblée plénière du Conseil d'Etat du 02.07.1998 (http://www.internet.gouv.fr)

Alexandre Menais, Juriste spécialisé en droit de l'informatique

 


Cette étude part du principe qu’il ne s'agit pas de bâtir une législation spécifique, mais d'appliquer, en les adaptant si cela est nécessaire, les textes actuels. Le Conseil d'Etat souligne qu'il n y a pas de vide juridique, en revanche la réglementation existante exige d’être clarifiée. Pour cela, la Haute Juridiction préconise, non seulement, de combiner la réglementation étatique et l'autorégulation des acteurs, mais aussi, de mettre en place une coopération internationale aujourd’hui inévitable eu égard au caractère planétaire des réseaux numériques.

Le Conseil d’Etat attire principalement l’attention des autorités françaises sur cinq points, qu’il considère comme devant être des priorités :

* la protection des données personnelles et la vie privée,

* le développement des échanges par une confiance accrue des acteurs,

* la lutte contre les contenus et les comportements illicites,

* l’adaptation de la réglementation et la communication à la convergence de l'informatique, de l'audiovisuel et des télécommunications.

* la protection du consommateur en tant qu’acteur du commerce électronique.

Sur ce dernier point, le Conseil prône la nécessité de lever toute ambiguïté concernant, notamment, le régime de la publicité sur Internet, dans la mesure où, une transaction électronique est généralement précédée d'une incitation commerciale. Seulement, la Haute Assemblée rappelle que la notion de publicité sur Internet pose de nombreux problèmes conceptuels. Faute de définition, deux critères d'appréciation pourraient être proposés :

  • la finalité du message, critère déterminant, dont l'objet est d'assurer la promotion d'un bien ou d'un service,
  • la destination d'un message qui doit être adressé au public.

Par cette définition, très large, le Conseil d'Etat vise la grande majorité des messages qui circulent sur le Web… Nous ne pensons pas que l’objectif soit cependant d’assimiler tous les messages évoluant sur l’Internet à des messages publicitaires ! mais, bien plus de parvenir à soumettre notamment les " Spams " à la législation établie de la publicité trompeuse et comparative.

La transaction en ligne est assimilée " officiellement ", pour ainsi dire, à une vente à distance. Cette clarification nous semble importante, et met peut être un terme aux interrogations portant sur la qualification juridique de la transaction en ligne. Pour justifier sa position, le Conseil d'Etat s'en remet au texte de la directive 20.05.1997 relative à la protection des consommateurs.

Certes, même si les dispositions de l'article L 121.6 du code de la consommation sur le délai de rétraction de 7 jours doivent trouver à s'appliquer, le Conseil considère qu'elles ne permettent pas aux consommateurs de bénéficier d'un service, sans en acquitter le prix (en cas de téléchargement de logiciels par exemple qui seraient retournés au vendeur).

Faut-il en conclure qu’il serait apporté une dérogation au droit de rétraction qui, rappelons-le, exclut les services pour ne s’appliquer qu’aux biens ? Le Conseil d’Etat précise qu’il faut entendre par "services", ceux dont "la consommation n'a pas commencé avant l'expiration d'un délai de 7 jours après la conclusion du contrat".

En outre, ne laissant rien au hasard la juridiction administrative suprême prévient qu'en l'absence d'application de ces dispositions, la voie contractuelle pourra aménager une telle faculté ! Cette volonté de rétablir l’autonomie de la volonté est très touchante…

Toujours sur la question de la défense des consommateurs, le Conseil précise que la distinction entre le "push" et le "pull" permet de définir le champ d'application du démarchage à domicile (par le biais des Spams). De sorte que, si le client a l'initiative de la transaction (système du "pull") alors la qualification de communication téléphonique non souhaitée doit être écartée, à la différence du système "push".

Sur l'information du consommateur, le rapport suggère d’une part que le consommateur ou client ait été informé des conditions de ventes lors de la prise de commande, et que d’autre part, il puisse clairement exprimer sa manifestation de volonté.

Pour reprendre les termes employés par la Haute Assemblée, l'information est due au client "sans que les points mentionnés puissent faire l'objet d'un renvoi à des conditions générales de vente par un lien hypertexte optionnel", le consentement devant prendre la forme, soit d'une confirmation par courrier électronique avec une obligation de conservation du message, soit au moins de deux clics distincts, sur deux boutons séparés (le premier sur l'icône "j'accepte l'offre" et le second étant précédé d'une mention du type "confirmez vous bien votre commande ?").

D'autre part, le Conseil propose l'apposition d'un label de qualité sur les sites Web attestant de "l'honorabilité des sites concernés", sans pourtant préciser à qui appartiendrait cette certification. On peut penser qu’il faudra sur ce point s'inspirer des CPA (voir Actualités Juriscom) aux USA, mais on assistera très certainement à la création, très française, d'un organisme habilité …Le titre de ce chapitre précise qu'il faut favoriser la mise en place d'une offre de services de certifications.

Si le droit de la VPC semble pouvoir répondre aux besoins du commerce électronique, les galeries marchandes auraient vocation à jouer un rôle d'intermédiaire en offrant soit des prestations spécifiques (volonté des "portal sites" - voir Actualités Juriscom), soit en assurant elle même les responsabilités du vendeur dans le cadre d'une relation contractuelle triangulaire.

De même, le rapport souligne la nécessité de reconnaître la valeur probatoire du message électronique par une signature fiable.

Puis, les enjeux de la cryptographie sont rappelés avec la volonté d'assouplir les contraintes de la nouvelle réglementation (voir nos remarques similaires sur la publication des nouveaux décrets). Le Conseil constate également que si la France restait le seul pays développé à pratiquer l'exigence des tiers de séquestres, il faudrait au plus vite remplacer ce régime "caduque"  par l'exigence de recouvrement des clés directement auprès de l'utilisateur !

Par ailleurs, le Conseil d'Etat prend pour la première fois position sur le règlement des conflits sur Internet et notamment, en mettant l’accent sur la nécessité d'adaptation des lois existantes.

Dans le silence des parties, il est préconisé de retenir le lieu de résidence du consommateur dans le cas du système "push", c'est à dire sollicitation par le vendeur. En revanche la loi du lieu de résidence du vendeur aura la primauté lorsque le consommateur a pris l'initiative de la transaction (système "pull").

Si le contrat prévoit le lieu de résidence du vendeur, il faudra tenir compte de la destination du message (dans ce cas là, ce choix n'aura néanmoins pas pour conséquence de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions de son lieu de résidence habituelle).

A côté de ces quelques développements, d'autres points sont abordés, mais ils ne représentent que des constats sans grande innovation. Le Conseil d'Etat, comme le précisait Annie KAHN dans le journal Le Monde ("Un rapport du Conseil d'Etat estime qu'Internet n'a pas besoin d'un droit spécifique", Le Monde, 09 septembre 1998), en appelle plus à la responsabilité du citoyen Internaute, qu'à une véritable réglementation (par exemple le Conseil d'Etat très lucide, fait le constat qu’il conviendrait d'assouplir la charte de nommage, conscient que notre pays ne peut rester isoler dans ce cyber-monde...).

Il apparaît en outre que le droit fiscal devra s'adapter pleinement. Ainsi, par opposition au droit américain, le rapport de la Haute Juridiction qualifie le fait de télécharger un logiciel de biens immatériels comme une prestation de service taxable sur le lieu de consommation ! Nous pensons que l'harmonisation des taux de TVA paraît plus qu'urgente, en tout cas dans l’Union Européenne...

Enfin, sur la notion d'établissement stable pour le recouvrement de l'impôt sur les sociétés, la Haute Assemblée s’en remet prudemment à l'OCDE...

A titre subsidiaire, on s’étonnera à propos du paiement sur l’Internet et du développement des portes-monnaie électroniques, de l'idée de mettre en place une taxe prélevée par l'établissement financier par lequel transite le paiement. En effet, q’adviendra-il alors du secret bancaire ?

Pour conclure, ce rapport, sans dégager de solutions révolutionnaires, nous rappelle que l'imagination doit être au pouvoir et qu'il ne faut pas s'exonérer d'un acquis juridique exploitable et non plus faire preuve d'un isolationnisme inadapté aux enjeux de l'Internet.

A. M.

 

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