Un guide de l'autoréglementation
Interview de Pierre Trudel,
professeur à l'Université de Montréal
réalisée par Lionel Thoumyre,
directeur de Juriscom.net
Dans le cadre d'un projet mené
conjointement entre le Centre de Recherche en Droit Public (CRDP - Canada) de
l'Université de Montréal et le Centre National pour la Recherche Scientifique (France),
le professeur Pierre Trudel a accepté de répondre à nos questions portant sur la mise au point d’une méthodologie d’élaboration des règles de
conduite sur Internet.
L.T. : Tout d'abord,
pouvez-vous nous éclairer un peu plus sur l'objet de votre projet ?
P.T. : Il s’agit de rédiger un guide à l’attention des
acteurs de l’Internet désireux d’élaborer des règles de conduites dans leurs
relations avec les utilisateurs. Nous procédons à la collecte des règles que l’on
retrouve sur l'Internet, celles qui prétendent régir le comportement des utilisateurs ou
celui des responsables d’un service.
L.T. : Quels
rapports ces règles entretiennent-elles avec le droit positif ? Restent-elles en
adéquation avec lui ?
P.T. : Bien qu'il existe
d’autres modèles que la loi à partir desquels les normes peuvent s’élaborer,
les acteurs produisent souvent ces règles en s’assurant qu’elles ne
contreviennent pas à l’ordre public d’un pays.
Le défit d’avoir des règles en
conformité avec les droits nationaux n’est pas si colossal. Simple exemple : en
appliquant les principes posés par la directive communautaire en matière de protection
des données personnelles, il y a aura peu de chance d’être en porte à faux avec
des droits nationaux. L’existence d’un corpus de règles supranationales
élaborées par l’Union européenne nous facilité la tâche. Ensuite, rien
n’empêche les acteurs d’apporter les règles que nous leur proposons.
Une chose est sûre : l’Etat ne peut plus
protéger l’internaute malgré lui. Sur l’Internet, c’est à l’usager
d’effectuer ses choix en fonction des " modes d’emploi " qui
lui sont proposés sur tel ou tel service. Or, le droit et les règles de conduite dans le
cyberespace sont des modes d’emploi. Les normes qui prévalent dans un site se
présentent comme un gage de confiance.
Le droit national peut figurer comme principe (voilà un
mode d’emploi clé en main !), mais il pourra arriver qu’il ne soit pas
adéquat.
L.T. : Beaucoup de personnes doutent
de l'efficacité des règles posées dans le cadre de l'autorégulation...
P.T. : Une norme énoncée n’est pas nécessairement effective. Elle peut
simplement démontrer la bonne volonté des acteurs de respecter ou de faire
respecter des règles déterminées au sein de leurs services.
Mais leur existence produisent un
certain nombre de conséquences. Tout d’abord, au niveau de la responsabilité.
Lorsqu’un acteur prétend appliquer telle règle, on peut penser qu’il désire
répondre de son application. Aussi, le besoin d’inspirer la confiance est
essentielle dans le cadre du commerce électronique. La déclaration de l’acteur
forcera sa crédibilité auprès de ses partenaires et de sa clientèle.
Si quelqu’un ne respecte pas sa parole,
il faut alors prévoir un système permettant d’exécuter les obligations promises.
Le Cybertribunal peut
contraindre au respect de la parole.
L.T. : Votre
projet aurait-il pour ambition d'uniformiser les règles de bonne conduite
existentes ?
P.T. :
Gardons-nous d’une approche "codifiante". Celle-ci procède d’une
vision centralisatrice et c’est justement celle-ci qui pose problème pour la
régulation du réseau. Internet supporte mal toute velléité de centralisation. Vouloir
mettre l’uniformisation en avant serait confondre le moyen avec la fin.
Le projet que nous menons n’a pas pour
ambition d’uniformiser les règles existantes. Mais il est possible qu’une
certaine uniformisation prenne place au sein des communautés et des sous-groupes du
réseau. Certaines entreprises ont tendance a accepter des règles égales dans la
recherche d’une certaine interopérabilité. Il s’agit alors des règles
auxquelles la clientèle est habituée.
On remarque fréquemment que
les acteurs eux-mêmes vont façonner leurs normes en fonction de celles qui
s’appliquent déjà de manière informelle au sein de l’Internet dans lequel ils
agissent ".
Il y a plusieurs internets. Par exemple,
celui de la pornographie n’est pas celui de l’Université. Ces différents
univers semblent vouloir opérer suivant des normativités passablement différentes. |