@ccueil / actualité / jurisprudence / chroniques / internautes / professionnels / universitaires

Rubrique : professionnels / volume 1

Interview

21 mars 1999


 

Un guide de l'autoréglementation

Interview de Pierre Trudel,
professeur à l'Université de Montréal

réalisée par Lionel Thoumyre,
directeur de Juriscom.net

 


Dans le cadre d'un projet mené conjointement entre le Centre de Recherche en Droit Public (CRDP - Canada) de l'Université de Montréal et le Centre National pour la Recherche Scientifique (France), le professeur Pierre Trudel a accepté de répondre à nos questions portant sur la mise au point d’une méthodologie d’élaboration des règles de conduite sur Internet.

 

L.T. : Tout d'abord, pouvez-vous nous éclairer un peu plus sur l'objet de votre projet ?

P.T. :  Il s’agit de rédiger un guide à l’attention des acteurs de l’Internet désireux d’élaborer des règles de conduites dans leurs relations avec les utilisateurs. Nous procédons à la collecte des règles que l’on retrouve sur l'Internet, celles qui prétendent régir le comportement des utilisateurs ou celui des responsables d’un service.

 

L.T. : Quels rapports ces règles entretiennent-elles avec le droit positif  ? Restent-elles en adéquation avec lui ?

P.T. : Bien qu'il existe d’autres modèles que la loi à partir desquels les normes peuvent s’élaborer, les acteurs  produisent souvent ces règles en s’assurant qu’elles ne contreviennent pas à l’ordre public d’un pays.

Le défit d’avoir des règles en conformité avec les droits nationaux n’est pas si colossal. Simple exemple : en appliquant les principes posés par la directive communautaire en matière de protection des données personnelles, il y a aura peu de chance d’être en porte à faux avec des droits nationaux. L’existence d’un corpus de règles supranationales élaborées par l’Union européenne nous facilité la tâche. Ensuite, rien n’empêche les acteurs d’apporter les règles que nous leur proposons.

Une chose est sûre : l’Etat ne peut plus protéger l’internaute malgré lui. Sur l’Internet, c’est à l’usager d’effectuer ses choix en fonction des " modes d’emploi " qui lui sont proposés sur tel ou tel service. Or, le droit et les règles de conduite dans le cyberespace sont des modes d’emploi. Les normes qui prévalent dans un site se présentent comme un gage de confiance.

Le droit national peut figurer comme principe (voilà un mode d’emploi clé en main !), mais il pourra arriver qu’il ne soit pas adéquat.

 

L.T. : Beaucoup de personnes doutent de l'efficacité des règles posées dans le cadre de l'autorégulation...

P.T. : Une norme énoncée n’est pas nécessairement effective. Elle peut simplement démontrer la bonne volonté des acteurs de respecter ou de faire respecter des règles déterminées au sein de leurs services.

Mais leur existence produisent un certain nombre de conséquences. Tout d’abord, au niveau de la responsabilité. Lorsqu’un acteur prétend appliquer telle règle, on peut penser qu’il désire répondre de son application. Aussi, le besoin d’inspirer la confiance est essentielle dans le cadre du commerce électronique. La déclaration de l’acteur forcera sa crédibilité auprès de ses partenaires et de sa clientèle.

Si quelqu’un ne respecte pas sa parole, il faut alors prévoir un système permettant d’exécuter les obligations promises. Le Cybertribunal  peut contraindre au respect de la parole.

 

L.T. : Votre projet aurait-il pour ambition d'uniformiser les règles de bonne conduite existentes ?

P.T. : Gardons-nous d’une approche "codifiante". Celle-ci procède d’une vision centralisatrice et c’est justement celle-ci qui pose problème pour la régulation du réseau. Internet supporte mal toute velléité de centralisation. Vouloir mettre l’uniformisation en avant serait confondre le moyen avec la fin.

Le projet que nous menons n’a pas pour ambition d’uniformiser les règles existantes. Mais il est possible qu’une certaine uniformisation prenne place au sein des communautés et des sous-groupes du réseau. Certaines entreprises ont tendance a accepter des règles égales dans la recherche d’une certaine interopérabilité. Il s’agit alors des règles auxquelles la clientèle est habituée.

On remarque fréquemment que les acteurs eux-mêmes vont façonner leurs normes en fonction de celles qui s’appliquent déjà de manière informelle au sein de l’Internet dans lequel ils agissent ".

Il y a plusieurs internets. Par exemple, celui de la pornographie n’est pas celui de l’Université. Ces différents univers semblent vouloir opérer suivant des normativités passablement différentes.

 

Juriscom.net est une revue juridique créée et éditée par Lionel Thoumyre
Copyright © 1997-2001 Juriscom.net / Copyright © 2000 LexUM