@ccueil / actualité / jurisprudence / chroniques / internautes / professionnels / universitaires

Rubrique : professionnels / volume 2
Mots clés : ventes, enchères, commerce, électronique
Citation : Jean-Luc BELLIN, "Le marteau pris dans la toile...", Juriscom.net, 17 juin 2000
Première publication : Cahiers Lamy droit de l'informatique et des réseaux, n°126, juin 2000


Le marteau pris dans la toile...

Par Jean-Luc Bellin
DEA Informatique et Droit
Equipe de Recherche en Informatique et Droit (ERID)
Université Montpellier 1

email : jlbellin@juriste.com


Paru dans les cahiers Lamy droit de l’informatique et des réseaux, n°126, juin 2000. Article édité sur Juriscom.net avec l’aimable autorisation des éditions Lamy.

Introduction

1.  Comme le pensait déjà Jean-Jacques Rousseau en son temps, « Mieux vaut réfléchir avant d’écrire d’une main tremblante une nouvelle loi. » Deux cents ans plus tard, cela reste toujours vrai. Ainsi, le 22 mai 2000, après de longues heures de débats, la commission mixte paritaire, vient de parvenir à un accord mettant fin à la tradition française du monopole des commissaires-priseurs en matière de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

2.  Les ventes aux enchères ne sont pas une création récente. Selon les auteurs, la première vente aux enchères remonterait à 500 avant Jésus-Christ et "les biens" vendus étaient des femmes. Très vite, les femmes ont été délaissées, et les enchères se sont portées sur d'autres types de biens, répondant ainsi à des nécessités pratiques. Chez les romains, l'institution semble avoir pris un caractère officiel avec notamment la mise en place d'un "auctionator", précurseur de notre commissaire-priseur contemporain (d'ailleurs, aujourd'hui, l'intermédiaire compétent dans le système Common Law s'appelle "auctioneer"). Après un déclin suite aux invasions, il fallut véritablement attendre la Renaissance pour voir réapparaître les ventes aux enchères. Leur développement se fit alors autour de deux grands axes : celui de l'extension de la fonction de commissaire-priseur et celui de l'augmentation des garanties offertes aux parties.

3.  Suite à une volonté de sécurité et de transparence, la loi du 22 Pluviôse an VII, posa le principe que les ventes aux enchères publiques de meubles ne pouvaient avoir lieu qu'en présence et par le ministère d'officiers publics ayant qualité pour y procéder. Et, la loi du 27 Ventôse an IX de disposer dans son article 1er : « A compter du 1er Floréal prochain les prisées de meubles et ventes publiques aux enchères d'effets mobiliers, qui auront lieu à Paris, seront faites exclusivement par des commissaires-priseurs vendeurs de meubles.» Enfin, l'article 89 de la loi du 28 avril 1816 d'ajouter : « Il pourra être établi, dans toutes les villes et lieux où Sa Majesté le jugera convenable, des commissaires-priseurs dont les attributions seront les mêmes que celles des commissaires-priseurs établis à Paris par la loi du 27 Ventôse an IX. »

4.  Deux siècles plus tard, le monopole des commissaires-priseurs qui était toujours d'application pour les prisées et ventes aux enchères de meubles, se trouve contesté. Les contraintes communautaires (dont le principe de libre circulation des biens et des personnes posé par le Traité de Rome), mais aussi l'orientation mondiale du marché de l'art, ses nouvelles règles, et la concurrence internationale, rendaient nécessaire cette réforme. En 1995, suite à une saisine par la société britannique Sotheby's, la France a été mise en demeure par la Commission européenne de se mettre en conformité avec les règles européennes.

5.  Il aura fallu attendre 1999 pour que le débat revienne devant le Parlement. Le 23 mai 2000 le projet de loi portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (ici appelée "la loi") a été adopté en séance publique à l’Assemblée Nationale[1]. En première lecture, les sénateurs ont tenté d'inclure un article 2bis dans le projet, afin de tenir compte des ventes aux enchères se déroulant sur Internet. Après une hostilité passagère de la part des députés, cette disposition a été adoptée par l’Assemblée Nationale en deuxième lecture. Partant, l’article 2bis de la loi est désormais ainsi rédigé :

« Le fait de proposer, en agissant comme mandataire du propriétaire, un bien aux enchères publiques à distance par voie électronique pour l’adjuger au mieux disant des enchérisseurs constitue une vente aux enchères publiques au sens de la présente loi.

Les opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique, se caractérisent par l’absence d’adjudication et d’intervention d’un tiers dans la conclusion de la vente d’un bien entre les parties, ne constituent pas une vente aux enchères publiques.

Sont également soumises aux dispositions de la présente loi, à l’exclusion des articles 6 et 15, les opérations de courtage aux enchères portant sur des biens culturels réalisées à distance par voie électronique. »

6.  Fallait-il ou non légiférer sur les enchères sur Internet ? Face à la construction européenne, et au développement des réseaux dont Internet, la réponse est positive. Le texte adopté doit encore être passé en séance publique devant le Sénat[2] et être promulgué. Et, s’il peut apparaître comme tardif et minimal (III), il a pour mérite d’unifier une matière au contenu éclaté dans de nombreux textes, en précisant la notion de vente aux enchères stricto sensu (I) tout en qualifiant juridiquement certaines opérations en pleine expansion comme le courtage aux enchères (II).

I. La vente aux enchères stricto sensu

7.  La réforme est intervenue dans un contexte particulier. Les enjeux étaient nombreux et variés. Les parlementaires devaient s’attacher à la résolution de différentes questions. D’une part, ils devaient mettre fin à l’héritage traditionnel du monopole des commissaires-priseurs en matière de vente volontaire de meubles aux enchères publiques – suppression rendue nécessaire par les dispositions européennes. D’autre part, il fallait concilier les ventes volontaires avec l’avènement des nouvelles technologies et d’Internet. Pour certains députés, le « flou juridique » rendait nécessaire la prise en compte des ventes aux enchères sur Internet.

8.  Enfin, et contrairement à d’autres pays, si elle n'a pas été inscrite comme telle par les rédacteurs du Code civil français, la vente aux enchères est, comme son nom le laisse entendre, un mode particulier de transfert de la propriété. A ce titre, et même si elle est emprunte à un certain formalisme rigide, elle appartient au droit des obligations. Or, une difficulté de la matière résidait dans l’éparpillement des textes.

9.  Avec la réglementation adoptée, l’intérêt du législateur aura notamment été de suppléer à la dispersion des règles relatives à la vente volontaire aux enchères publiques de biens meubles. Tout en délimitant la notion de vente aux enchères (A), les parlementaires ont entendu tenir compte dans la définition, de "l’encan électronique" (B).

A. Les éléments constitutifs d’une vente aux enchères stricto sensu

10.  L’alinéa premier de l’article 2bis pose désormais la définition des ventes aux enchères par voie électronique. Cette définition était jusqu’à présent principalement prétorienne et doctrinale. Ainsi que le note Laurence Mauger-Vielpeau[3] dans sa thèse sur les ventes aux enchères, « dans le silence des textes, la pratique a pris le relais du législateur pour fixer les modalités des ventes aux enchères sans se soucier pour autant des règles qui régissent la vente du Code civil. […] cette pratique s’étant imposée au fil des années à l’ombre des juridictions ».

11.  Aujourd’hui, la définition est clairement posée par le législateur : constitue une vente aux enchères publiques : « Le fait de proposer, en agissant comme mandataire du propriétaire, un bien aux enchères publiques […] pour l’adjuger au mieux disant des enchérisseurs ».

Quatre conditions sont donc nécessaires pour qu’il y ait vente aux enchères stricto sensu :

> « le fait […] en agissant comme mandataire du propriétaire… » 

12.  Tout d’abord, il faut une personne mandatée par le propriétaire du bien. Cette notion de mandat reprend les fondements de la loi du 22 pluviôse an VII imposant le monopole des commissaires-priseurs pour des considérations de transparence et de sécurité. Hier, cet intermédiaire était, en matière de vente volontaire de meubles, le commissaire-priseur ; aujourd’hui, sous l’empire de la nouvelle loi, il s’agit d’une société de forme commerciale (voire un notaire ou huissier), mais à objet civil : le mandat donné par le vendeur à la société chargée de procéder à la vente.

13.  La particularité de ces sociétés réside dans le fait qu’elles ne pourront pas acheter pour revendre, à l’inverse des commerçants. De plus, l’activité de la société dite « société de vente volontaire de meubles aux enchères publiques », est limitée à l’estimation des biens mobiliers et à l’organisation de ventes volontaires aux enchères publiques (art. 3 de la loi). Au préalable, elle devra être agréée par un conseil des ventes volontaires (art. 4) et devra comprendre parmi ses dirigeants, associés ou salariés au moins une personne ayant la qualification requise pour diriger une vente ou titulaire d’un titre, d’un diplôme ou d’une habilitation (art. 7). Des ressortissants de l’Union européenne pourront donc intervenir en France à la condition d’avoir les titres suffisants et de se soumettre à la loi. En raison de la suppression de leur monopole et donc de leur droit de présentation, une indemnisation des commissaires-priseurs a été prévue (à hauteur de 450 millions de francs).

> « … de proposer […] un bien… » 

14.  L’intermédiaire ainsi mandaté a pouvoir pour vendre le bien du mandant. Il s’agit pour lui de vendre le bien « pour le mandant et en son nom » (art. 1984 du Code civil). Le mandat devra être donné par le propriétaire dudit bien et non par le seul vendeur. Cela repose les questions notamment de la vente de la chose d’autrui (art.  1599 du Code civil), des meubles meublants de l’article 215 du Code civil…

15.  Il convient de rappeler aux lecteurs que le bien ici considéré est un meuble. Un débat s’était élevé sur les bancs de l’Assemblée quant à la notion même de ces meubles. En effet, la loi était au départ intitulée : « loi portant réglementation des ventes volontaires de meubles par nature aux enchères publiques », l’expression « par nature » renvoyant aux articles 527 et 528 du Code civil. Mais les parlementaires avaient estimé que la définition du mot « meubles » telle qu’elle ressort de l’article 533 du Code civil, était trop restrictive, excluant certains biens pouvant être vendus aux enchères. Le texte finalement adopté, supprime la référence aux meubles « par nature » dans l’intitulé de la loi mais la conserve dans l’alinéa second du premier article.

> « … aux enchères publiques… » 

16.  D’une part, le législateur rappelle logiquement que le mécanisme des enchères est utilisé comme mode de fixation du prix. Ainsi, le bien a vocation à être attribué automatiquement au dernier enchérisseur, c'est-à-dire celui qui a proposé le plus fort prix. Il est intéressant néanmoins de constater qu’à défaut d’adjudication du bien, la société mandatée pourra procéder à la vente de gré à gré dudit bien, à la demande du vendeur (art. 8 de la loi).

17.  D’autre part, le caractère public des enchères n’est pas sans incidence. En effet, certains parlementaires ont tenté de faire de la présence du public un critère discriminant, permettant d’exclure les enchères sur Internet. Le gouvernement faisant d’ailleurs valoir « qu’une vente organisée sur le seul réseau Internet, sans aucun lien avec le déroulement d’une vente dans une salle des ventes, n’était pas ouverte à l’ensemble du public, et n’était donc pas publique. » Il est vrai que dans un arrêt du 6 juin 1877[4], la Cour de cassation a précisé que la vente, même faite dans un lieu public, perd son caractère de vente publique dès que l'acquisition est réservée à certaines personnes (en l'espèce aux seuls membres de l'association). Néanmoins la vente, même réservée à quelques-uns, sera publique, dès lors que la catégorie de personnes présentes est suffisamment large[5]. Ainsi dans un jugement du 3 mai 2000[6], le Tribunal de grande instance a estimé que la vente aux enchères litigieuse organisée sur le réseau Internet, « présente en réalité toutes les caractéristiques d’une vente publique puisqu’elle est accessible à tout internaute intéressé » (cf. infra). En outre, une pratique dite de la "vente à la palette" s'est développée obligeant les personnes souhaitant enchérir à s'acquitter préalablement d'une somme. La Cour de cassation a estimé que la vente était publique dès lors que toute personne qui s’acquittait de la somme pouvait participer aux enchères.

18.  Enfin, la publicité des enchères passe par la connaissance des enchères portées. Selon les usages constants et séculaires, une vente aux enchères doit s’effectuer "à cri public". Une jurisprudence constante de la Cour de cassation souligne la nécessité de connaissance du prix proposé pour qu'il y ait enchère : « Les éventuels adjudicataires doivent connaître au fur et à mesure les enchères portées par les autres adjudicataires. » Or, que la criée soit physique ou électronique, elle sera toujours un cri public.

> «… pour l’adjuger au mieux disant des enchérisseurs » 

19.  L’adjudication apparaît comme un élément déterminant de la vente aux enchères stricto sensu. Elle s'entend du transfert de la propriété du bien à l'enchérisseur qui a proposé la plus forte enchère c'est-à-dire le prix le plus fort, dans le délai imparti. Et la loi de poursuivre dans son article 8 : « Les personnes mentionnées à l’article 7 sont seules habilitées à diriger la vente, à désigner le dernier enchérisseur comme adjudicataire ». Selon Laurence Mauger-Vielpeau, « l’adjudication correspond à la désignation automatique et objective de la personne de l’acquéreur et du prix. »

20.  En érigeant l’adjudication comme condition fondamentale de la vente aux enchères et en imposant dans la société de vente, la présence d’un commissaire-priseur pour "tenir le marteau", le législateur a donc voulu entourer cette opération de garanties pour la sécurité juridique tant des acheteurs qui souhaitent acquérir un bien que des vendeurs. Le problème du lieu d’adjudication de la vente aux enchères à distance par voie électronique  reste entier malgré la nouvelle législation.

B. L’encan électronique

21.  Une des nécessités de la matière résidait dans la modernisation tant de la matière elle-même que de la profession des commissaires-priseurs. Celle-ci devait rompre avec un cadre d’exercice parfois jugé archaïque et entrer dans une économie de marché plus concurrentielle. Un des aspects novateurs du texte réside notamment dans la volonté du législateur de légiférer sur les ventes aux enchères sur Internet, autorisant ainsi la "criée électronique".

22.  Après un refus en première lecture, les députés et le gouvernement ont donc suivi la position des sénateurs qui dès la première lecture avaient introduit l’article 2bis pour tenir compte des ventes réalisées à distance. « Si pendant six mois, un an ou deux ans, il y a un vide juridique en France sur les ventes aux enchères publiques sur Internet, vous en serez responsables. J’en prends acte ici ce soir » avait d’ailleurs déclaré Pierre Lellouche aux élus de la majorité suite à la suppression de la disposition sénatoriale[7]. La commission mixte paritaire est allée plus loin puisqu’elle fait de l’article 2bis une disposition entièrement tournée vers le réseau Internet. Ainsi, le législateur semble avoir voulu offrir des garanties suffisantes aux acquéreurs et aux vendeurs, notamment dans le domaine de l’art.

23.  Avec cette extension du champ d’application de la loi, les sociétés de vente volontaires vont donc être soumises aux dispositions adoptées. Néanmoins, il faut souligner que les sociétés de ventes volontaires aux enchères physiques ou virtuelles, devront, au préalable, recueillir l’agrément du Conseil des ventes, sous peine de se voir condamner à deux ans d’emprisonnement et 2.500.00 francs d’amende (art. 14).

24.  Le fait, pour la société, de compter parmi ses membres un officier habilité ne pose pas difficulté (si ce n’est un paradoxe avec la fin du monopole des commissaires-priseurs). Mais la délivrance même de l’agrément risque de susciter plus de problèmes, notamment pour les sociétés qui proposent des ventes aux enchères sur Internet et qui, à l’heure actuelle, sont domiciliées à l’étranger…

25.  Il convient néanmoins de souligner ici que le processus d'adjudication se compose lui-même en deux éléments : le coup de marteau et le prononcé du mot "adjugé". Selon la Cour de cassation, le coup de marteau intervient en premier : il marque la fin des enchères. Le prononcé du mot "adjugé" engendre quant à lui le transfert de la propriété du vendeur à l'adjudicataire. Or, si selon la jurisprudence, il incombe au commissaire-priseur et à lui seul de prononcer le mot "adjugé", même si dans la réglementation adoptée, ce principe est repris en ce que seul un commissaire-priseur peut "tenir le marteau", rien n’est dit sur le lieu où tombe le marteau. La question de la localisation du contrat n’est pas nouvelle mais elle prend une autre dimension en matière de ventes aux enchères à distance par voie électronique, notamment en raison de la fiscalité française sur les œuvres d’art.

26.  En effet, pour attirer d’autres marchés, voire parfois pour tenter d’échapper aux taxations, certaines sociétés de ventes aux enchères sur Internet se sont déjà domiciliées à l’étranger. La Directive "sur certains aspects juridiques du commerce électronique"[8] prévoit que dans l’espace européen, c’est l’établissement du prestataire[9] qui doit servir de critère de rattachement territorial pour les transactions en ligne.

27.  Quant aux locaux de la vente (lieu d’exposition des meubles et des opérations de vente), le législateur a précisé que, lorsque la vente aux enchères a lieu à distance, la société qui en est chargée devra en aviser préalablement le Conseil (art. 6). L’intérêt de cette information du Conseil des ventes pouvant notamment résider dans le maintien par le législateur du droit de préemption au profit de l’Etat.

28.  Enfin, il est à noter que l’article 44A[10] vient modifier l'article L. 122-5, 3° d) qui exemptait du droit de reproduction les catalogues de ventes aux enchères publiques des officiers publics ou ministériels. Alors que nous aurions pu nous attendre à un élargissement du bénéfice de cette disposition aux catalogues numérisés[11], le gouvernement a estimé que cette exception ne se justifiait plus en raison de la perte par les commissaires-priseurs de leur statut d’officier ministériel.

29.  Jusqu’à la réforme de 1997 les commissaires-priseurs devaient s’incliner devant la jurisprudence Fabris-Loudmer de la Cour de cassation[12]. Désormais l’exception instaurée dans le Code de la propriété intellectuelle par l’article 17 de la loi du 27 mars 1997[13] sera limitée aux seules ventes judiciaires. Nicole Feidt, rapporteure pour l'Assemblée, a justifié le maintien d'un droit de reproduction pour les ventes volontaires « par la nécessité de protéger les droits des artistes » et que l'exonération maintenue pour les ventes judiciaires se justifiait « par le régime juridique tout à fait spécifique de ces ventes réalisées par des officiers ministériels ». Les sociétés de ventes aux enchères volontaires devront à nouveau s’acquitter du droit de reproduction alors même que ce droit n’existe, ni dans les places fortes de l’art de l’Union européenne, ni aux Etats-Unis.

30.  En intégrant les nouvelles technologies dans la définition de la vente aux enchères, le législateur semble avoir voulu offrir des garanties suffisantes aux acquéreurs et aux vendeurs, notamment dans le domaine de l’art. Partant, cela permet de qualifier juridiquement d’autres opérations. C’est ainsi que l’adjudication va permettre de distinguer les ventes aux enchères stricto sensu de ces opérations dites de courtage aux enchères.

II. La création d’une nouvelle notion : le courtage aux enchères

31.  En dressant une typologie des sites Internet qui recourent aux enchères, on peut distinguer trois catégories : les sites répondant à la définition telle qu’elle est ci-dessus posée (sites de vente aux enchères stricto sensu), les sites utilisant Internet comme simple modalité technique pour passer des enchères, dans le cadre de ventes physiques (à l’instar du minitel ou du téléphone), et enfin les sites qui mettent en relation un vendeur et un acheteur, à l’instar des petites annonces mais avec utilisation du mécanisme d’enchères. Le législateur a réagi en créant dans le projet de réforme, le concept de courtage aux enchères. Cette notion apparaît comme un concept sous l’empire du droit commun pour la vente de biens courants (A), mais régie par loi sur les ventes aux enchères pour les biens dits "culturels" (B).

A. Le courtage aux enchères de biens courants : un concept soumis au droit commun

32.  Il convient tout d’abord de rappeler que « le courtier est un intermédiaire qui met en relation des personnes désireuses de traiter entre elles, sans conclure lui-même le contrat »[14]. Le courtier apparaît, à la lecture de l’article 74 du Code de commerce, comme un "agent intermédiaire". Selon l’article 632 du même code, il est un commerçant lorsqu’il se livre de manière habituelle à son activité d’entremise et ce, même si l’opération visée est une opération civile[15].

33.  Le courtage aux enchères peut être analysé tant négativement que positivement par rapport à la définition même des ventes aux enchères posée par le législateur. Négativement, le législateur dans le deuxième alinéa de l’article 2bis dispose que les opérations de courtage aux enchères se caractérisent « par l’absence d’adjudication et d’intervention d’un tiers  dans la conclusion de la vente d’un bien entre les parties ». Partant, il en déduit que ces opérations « ne constituent pas des ventes aux enchères publiques ».

34.  Le courtier agit en toute indépendance. Il ne passe pas d’acte juridique au nom et pour le compte d’autrui : il n’est pas mandataire. A ce titre, il ne peut donc pas adjuger le bien (art. 7 de la loi) et donc "tenir le marteau". Il n’intervient pas dans la vente. Son rôle se limite à cette mise en relation entre le vendeur et l’(es) acheteur(s).

35.  Positivement, quant aux obligations pesant sur lui, outre sa responsabilité éditoriale sur le contenu de son site Internet (cf. infra), une obligation de moyen semble être à sa charge. Même s’il n’intervient pas dans les transactions entre le donneur d’ordre et l’acheteur, en tant que prestataire de services, il est un intermédiaire technique, chargé de fournir à ses adhérents l’accès aux différents services qu’il propose. Il convient ici de souligner qu’une relation contractuelle unit les parties en raison de l’adhésion expresse qui est nécessaire tant pour proposer un bien que pour l’acheter. Cette adhésion engendre dès lors un cadre contractuel régissant les rapports entre les adhérents et la société exploitant le site.

36.  Contrairement à certaines clauses figurant dans des contrats d’adhésion de sites actuels, si l’opérateur ne garantit pas la réalisation de l’opération contractuelle, il doit néanmoins effectuer toutes les démarches nécessaires afin de permettre que la vente ait lieu, et ce dans les meilleures conditions. Ces démarches résident tant dans l’aspect technique (c'est-à-dire permettre l’hébergement de l’annonce de vente et permettre d’enchérir) que dans l’information des parties : le site doit aviser le vendeur, à la fin du délai, s’il a trouvé ou non d’éventuels cocontractants intéressés par l’offre et l’informer de l’identité de ceux-ci (reddition des comptes). La plupart des sites remplissent cette obligation envers le donneur d’ordre par voie d’e-mail (la preuve par message électronique étant désormais rapportable[16]).

37.  La jurisprudence considère que le courtier doit fournir des informations exactes, « de telle sorte qu’aucune incertitude ne puisse naître sur les rapports de droit liant les personnes concernées par l’opération[17]», sous peine de devoir réparer le préjudice subi par le donneur d’ordre induit en erreur. A titre d’illustration, la responsabilité du courtier peut être engagée s’il présente au donneur d’ordre une personne juridiquement incapable de contracter[18].

38.  A l’heure actuelle, l’identification des parties soulève des difficultés sur les sites Internet, la virtualité semblant compliquer les choses. En effet, rien ne peut garantir l’exactitude des informations fournies par les intervenants. C’est pourquoi, certains sites demandent le numéro de carte bleue. Ce numéro étant à l’heure actuelle sous les feux de l’actualité. D’autres demandent à ce que l’adhérent envoie par la voie postale un relevé d’identité bancaire ou un chèque barré.

39.  Les sites de courtage aux enchères semblent également avoir une obligation quant aux biens proposés aux enchères et donc quant au contenu même de leurs pages. En effet, une responsabilité éditoriale s’impose à eux. Un société de courtage aux enchères américain Yahoo!Inc. vient d’être condamnée, en référé, par le Tribunal de grande instance de Paris[19], pour vente d’objets nazis[20]. Saisi par la LICRA[21], le juge des référés Jean-Jacques Gomez a conclu que, sur la base de l’article R645-2 du Code pénal[22], constituait une infraction à la législation française « la consultation de sites faisant l’apologie du nazisme et/ou exhibant des uniformes, des insignes, des emblèmes, rappelant ceux qui ont été portés ou exhibés par les nazis ou offrant à la vente des objets et ouvrages dont la vente est strictement interdite en France ». Il a ordonné à la société Yahoo de prendre « des mesures de nature à dissuader et à rendre impossible toute consultation  du service de ventes aux enchères d’objets nazis et tout autre site ou service qui constitue une apologie du nazisme et une contestation des crimes nazis », en filtrant "l’origine géographique" des connexions grâce aux adresses IP et en interdisant l'accès aux internautes surfant anonymement. Le magistrat a donné au géant américain jusqu’au 24 juillet pour formuler des mesures techniques permettant de mettre fin à « ce trouble manifestement illicite », estimant que l’exposition d’objets nazis était constitutive d’une « offense à la mémoire collective du pays profondément meurtrie par les atrocités commises par et au nom de l’entreprise criminelle nazie ».

40.  Outre les difficultés d’identification nationale des internautes, il est intéressant de constater qu’alors qu’Internet vise la suppression des frontières, cette décision tend à reconstituer virtuellement ces frontières. Dans notre culture, il est normal que des enchères portant sur des biens nazis choquent.  Mais l’injonction faite à Yahoo peut surprendre : le site américain, alors qu’il a vocation à une diffusion mondiale, voit sa responsabilité engagée quant aux biens proposés aux enchères, et se voit condamné à respecter la législation française. Or, les sites français se conforment-ils eux-mêmes à toutes les législations ?

41.  Interrogé sur la décision par le quotidien Libération[23], Jerry Yang, co-fondateur de Yahoo se disait surpris de la décision et manifestait son incompréhension : « Ce tribunal français veut imposer un jugement dans une société  sur laquelle il n'a aucun contrôle. Il me semble difficile pour la justice française de demander à une société américaine de faire ceci ou cela. […] Chaque culture doit pouvoir se défendre. Mais vous ne pouvez pas imposer vos propres valeurs au reste du monde. Si l'on parle d'impérialisme américain, alors ne doit-on pas parler d'impérialisme français dans l'affaire Licra ? » Jugeant « très naïve » l’injonction faite par la juridiction française, il a déclaré au journaliste que les sites de ses filiales respecteront la souveraineté des Etats et partant leur législation, mais qu’il n’interviendrait pas sur le site américain, à moins d’une injonction faite par une cour américaine : « Nous n'allons pas changer le contenu de nos sites aux Etats-Unis juste parce que quelqu'un en France nous le demande… »

42.  Enfin, comme le suggère Benoît Tabaka, « il est intéressant de relever que le juge a fait une définition "originale" du territoire virtuel français en le restreignant aux utilisateurs d'adresses IP enregistrées comme appartenant à des FAI ".fr" ou aux personnes utilisant un ".fr". » A l'instar de l'auteur de ces propos, nous pouvons nous demander si, alors que "la République est une et indivisible", la décision s'applique également pour les français non métropolitains (internautes de Nouvelle-Calédonie ou de Polynésie par exemple)... Ne serait-ce pas là une division ?

43.  Outre la notion de courtage, la loi semble révolutionner la notion même de vente aux enchères en ce qu’elle isole l’enchère de la vente. En effet, « lorsque la société se contente d'intervenir comme un simple intermédiaire ou prestataire de services - annonçant une liste d'objets, ouvrant le site aux enchères et mettant en relation des internautes avec le vendeur - mais pas comme mandataire du vendeur ou de l'acheteur, les parties restant libres une fois les enchères terminées de conclure ou non la vente, le projet de loi n'a pas lieu de s'appliquer puisqu'on ne retrouve pas les ingrédients de la vente aux enchères, et notamment l'adjudication : il s'agit plutôt d'un journal électronique de petites annonces, avec utilisation de la technique des enchères. […] si elles échappent à la réglementation spécifique des ventes aux enchères, les ventes en la forme d’enchères de biens courants relèveront néanmoins du droit commun des contrats. » (Nicole Feidt, rapport n° 2301 enregistré le 29 mars 2000[24]). Ainsi, alors qu’elle lui était traditionnellement attachée, l’enchère devient un mécanisme à part entière, indépendant de la vente. Ce mode de détermination du prix se voit isoler par rapport au contrat de vente qui lui, devient secondaire.

44.  Alors que Laurence Mauger-Vielpeau[25] soutient que l’enchère s’inscrit dans un processus plus large qu’est celui de l’adjudication, dans le courtage aux enchères, l’intérêt ne réside plus dans la détermination automatique de la personne de l’acquéreur, dernier enchérisseur, mais il se situe ici dans la détermination d’éventuel(s) cocontractant(s). L’enchère devient indépendante de l’adjudication en ce qu’ici, elle n’emporte pas transfert de propriété : l’acheteur n’est pas nécessairement le plus offrant. Le prix reste toujours un aléa pour le vendeur en ce qu’il est le fruit des enchères. Il permet toujours de désigner indirectement un cocontractant mais celui-ci n’est qu’hypothétique, le vendeur pouvant s’affranchir de cette proposition et choisir une autre personne. Le choix du cocontractant du donneur d’ordre est laissé à sa seule volonté (ce peut être celui qui propose le plus fort prix, celui qui est plus près géographiquement, celui qui présente le plus de sécurité, …).

45.  Alors que dans les ventes aux enchères stricto sensu, le vendeur n’a ni la maîtrise du prix (même en présence d’un prix de réserve), ni de l’acquéreur, dans le courtage aux enchères, le vendeur a la maîtrise de son cocontractant et peut avoir celle du prix. En effet, les sites de courtage aux enchères s’assimilent à des petites annonces avec utilisation du système d’enchères, et il n’est pas rare de voir un donneur d’ordre utiliser le site en proposant un bien tout en l’assortissant d’un prix de réserve qui en fait n’est autre qu’un prix ferme : « Vends téléphone portable 2000 Frs. Si vous êtes intéressé vous pouvez me contacter directement au 04.67.XX.XX.XX ». Or, l’article 1583 du Code civil, ne dispose-t-il pas que : « [La vente] est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. » ? Néanmoins, et ce même si la fin des enchères semble transformer l’opération en vente de gré à gré, le recours au procédé des enchères, semble limiter la possibilité du vendeur de contracter directement puisque ici, il doit préalablement à la vente, mettre en compétition plusieurs acheteurs, et son cocontractant sera déterminé de manière indirecte. S’il désire éviter cette mise en concurrence, il doit lui être conseillé de ne pas utiliser le mécanisme d’enchères.

46.  En cas réalisation de la vente, le droit commun s’applique pour ce qui est des relations entre particuliers. Et, il convient de noter que si le vendeur est un commerçant, les dispositions relatives à la vente à distance semblent s’appliquer, notamment pour ce qui est du délai de rétractation.

47.  Le texte adopté fait donc le distinguo entre ce qui s'apparente plus à des opérations de courtage qu'à de véritables ventes aux enchères. Ce faisant, il exclut ces procédés du champ d'application de la loi, à une exception près : le courtage de "biens culturels" reste, quant à lui, soumis à la nouvelle réglementation.

B. Le courtage aux enchères de biens culturels : un concept soumis à la loi sur les ventes aux enchères

48.  Par le biais de l’alinéa 3 de l’article 2bis, le législateur dispose que : « Sont également soumises aux dispositions de la présente loi […] les opérations de courtage aux enchères portant sur des biens culturels réalisées à distance par voie électronique. » Le problème dès lors suscité est de savoir ce que recouvre la notion de « biens culturels ». « Le législateur a compris qu'il n'avait rien à gagner à réglementer les enchères en ligne portant sur des cocottes-minutes ou des ordinateurs. En revanche, il est important pour lui de réglementer le marché de la vente d'objets d'art pour lequel il faut des garanties afin de protéger l'acheteur » déclarait récemment Olivier Creuzy directeur général d’une société de courtage d’enchères (QXL).

49.  La notion de bien culturel est plus large que celle d’œuvre d’art et que celle de trésors nationaux. La convention[26] adoptée à Paris par l’UNESCO le 14 novembre 1970, dispose dans son article 1er que : « sont considérés comme biens culturels les biens qui, à titre religieux ou profane, sont désignés par chaque Etat comme étant d’importance pour l’archéologie, la préhistoire, l’histoire, la littérature, l’art ou la science ». Si nous nous en remettons au Traité de Rome et à l’Administration générale des douanes, cette notion englobe, de manière large, tous les biens qui présentent un intérêt historique, artistique ou archéologique : « Les dispositions des articles 28 à 29 inclus ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons […] de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique …» (art. 30 du Traité instituant la Communauté européenne, version consolidée[27]). En outre, l’expression n’est pas non plus sans rappeler l’annexe du règlement du 9 novembre 1992[28] qui définit la notion de « biens culturels », et la Directive du 15 mars 1993[29] modifiée par celle du 17 février 1997[30]. Le bien doit donc, soit économiquement, soit de part son ancienneté, s’inscrire dans notre culture, notre patrimoine français.

50.  Les sociétés de courtage aux enchères devront se soumettre à la loi en ce qui est de la vente de biens culturels, sachant que cette notion devra être clarifiée par le législateur dans les décrets d’application[31]. Elles devront ainsi obtenir notamment l’agrément nécessaire (cf. supra). Il sera intéressant d’observer si les sociétés de courtage solliciteront cet agrément ou, a contrario, se cantonneront dans ce qui est leur vocation première : la vente de biens courants.

51.  A l’heure où la société Yahoo se voit condamnée pour exposition d’objets nazis, force est de remarquer que, parmi ces biens, figurent des armes prétendues avoir servi durant la seconde guerre mondiale. Or, d’après le règlement du 9 novembre 1992, les armes ayant entre cinquante et cent ans d’âge, sont des objets d’antiquité qui se voient inclus dans le concept de biens culturels. Ces armes devraient-elles alors être soumises à la loi sur les ventes publiques en leur qualité de biens "culturels" ?

III. Une loi dépassée par les faits ?

52.  A l’instar de nombreuses lois adoptées aujourd’hui par le Parlement, ce texte est dicté par la construction communautaire. La loi se devait donc de concilier deux choses : d’un côté l’adaptation de la législation aux contraintes communautaires en permettant la libre circulation des biens et personnes, et d’un autre côté, la prise de conscience de l’avènement des réseaux dont Internet qui a fait voler en éclat les frontières. Il s’agissait en quelque sorte d’un combat entre des valeurs juridiques françaises, héritage du passé, et l’avènement des nouvelles technologies. Malgré ces différents avantages, le projet ainsi adopté et plus précisément l’article 2bis, nous apparaît malgré tout comme tardif (A) avec un contenu minimal (B).

A. Une loi tardive

53.  Même si la réforme est en passe d’aboutir, il faut remarquer qu’elle intervient dans un contexte mouvementé et peut dès lors apparaître comme tardive. Tout processus de réforme s’inscrit dans le temps mais les résistances paraissent particulièrement fortes dans le domaine qui nous intéresse aujourd’hui : les commissaires-priseurs demeuraient très attachés à leur statut et différents projets sont restés lettres mortes. La réforme se heurtait donc à un mouvement corporatiste fort.

54.  Force est ici de convenir que c’est en raison de l’opiniâtreté des sénateurs que l’article 2bis a été adopté. En effet, la Chambre Haute a été la première à introduire dans le projet de loi un article prenant en compte le phénomène qui germait sur Internet. Aujourd’hui, ce phénomène est une véritable révolution dans la manière de vendre. La majorité à l’Assemblée et les membres du gouvernement étaient opposés à cette disposition. Dans un premier temps ils estimaient que le phénomène ne répondait pas aux éléments de la vente aux enchères en raison notamment de l’absence de public (cf. supra). Dans un second temps, l’accent était mis sur le commerce électronique : « il n’est pas nécessaire de légiférer dans l’urgence dans un domaine aussi complexe » (Christian Paul), domaine qui sera traité dans « la grande loi sur la société de l’information » en préparation… La résistance des sénateurs étant, et les bienfaits du bicaméralisme aidant, ministres et députés ont revu leur copie et se sont ralliés à la position du Sénat.

55.  Tardive, la loi l’est parce que la révolution d’Internet avait déjà commencé. En effet, les enchères sur Internet constituaient véritablement un nouveau mode de consommation avec son lot d’avantages et d’inconvénients. Certains commissaires-priseurs avaient d’ailleurs senti cet avènement et n’ont pas hésité à se tourner vers l’étranger pour ouvrir des sites Internet de ventes aux enchères (stricto sensu).

56.  Tardive elle l’est aussi, puisque, sur la base de la loi du 27 ventôse an IX, un site Internet (Nart. com) vient d’être condamné par le Tribunal de grande instance de Paris[32], pour « comportement fautif » résultant de « l’immixtion dans l’organisation et la réalisation des ventes aux enchères d’objets mobiliers se trouvant en France ». Il est fait interdiction aux sociétés organisatrices « de s’immiscer de quelque façon que ce soit dans les opérations de ventes aux enchères réalisées en France et qui relèvent du monopole des commissaires-priseurs ».

57.  Le tribunal avait été saisi d’une demande de la Chambre nationale des commissaires-priseurs de France. Celle-ci reprochait à la société française Nart SAS et sa filiale new-yorkaise (Nart Inc.) d’avoir organisé sur Internet, en décembre 1999, la vente aux enchères d’une œuvre d’art, portant ainsi atteinte au monopole des commissaires-priseurs et aux règles françaises spécifiques aux ventes aux enchères publiques. Sans pour autant répondre à la question de la loi applicable à la transaction, le tribunal présidé par Jean-Jacques Gomez, a déclaré « la loi française incontestablement applicable au présent litige » du fait que « l’offre qui est faite à des internautes domiciliés en France, et plus particulièrement à Paris, de participer à une vente aux enchères en ligne, implique l’extension de la salle des ventes virtuelle au territoire français et à celui de la ville de Paris ». La décision donne droit à la demande soulignant que « la vente aux enchères en ligne présente toutes les caractéristiques d’une vente publique puisqu’elle est accessible à tout internaute intéressé » et interdit aux sociétés défenderesses d’intervenir en France. L’accès au site, tout du moins à la partie enchères, devra donc être techniquement interdit aux internautes situés en France…

58.  Enfin, la condamnation, que l’on aurait pu penser lourde, ne consiste qu’en l’allocation de la somme de 1 franc de dommages intérêts, et ce alors même que la vente, objet du litige, semble avoir été un succès… Les sociétés Nart ont néanmoins interjeté appel de la décision.

B. Une loi minimale

59.  Il est intéressant, en prenant l’exemple de la cocotte-minute, de remarquer que celle-ci tombera sous le coup de la présente loi si elle est vendue aux enchères sur réseaux électroniques par une société de vente aux enchères. Or, la même cocotte-minute échappera à ce sort si le vendeur passe par un site de courtage d’enchères. Les garanties accordées au vendeur seront donc différentes suivant le mode de vente choisi.

60.  Certes, l’utilisation de cet ustensile de cuisine est caricatural mais elle illustre bien que la loi telle qu’elle a été votée s’inspire d’une double logique : d’une part conserver le patrimoine français et, d’autre part, redonner à la France – et plus spécialement à la place parisienne – ses lettres de noblesses en tant que place forte du marché de l’art.  Or, avec Internet, le débat est aujourd’hui international.

61.  Le texte a vocation à s’appliquer aux ventes aux enchères stricto sensu (cf. supra), ainsi qu’aux courtages aux enchères de biens culturels. Dès lors, il suffira demain d’ouvrir un site et de le localiser à l’étranger pour contourner la loi française. En effet, comme nous l’avons vu, au sujet de la définition même de la vente aux enchères, l’adjudication est une des conditions. Or, face aux deux éléments constitutifs de l’adjudication (cf. supra), la loi est muette sur la localisation du coup de marteau lorsqu’il s’agit d’une vente à distance par voie électronique. De cette localisation semble pourtant dépendre la loi applicable à la vente. Si, comme nous l’avons vu, l’établissement du prestataire a vocation à servir de critère de rattachement, l’intérêt sera notamment d’échapper à la fiscalité de certains pays comme la France qui a conservé le droit de suite (exception à la française ?)… Quid dès lors de la théorie de l’émission adoptée par la jurisprudence française et permettant de localiser le contrat au lieu d’émission de l’acceptation (donc de l’enchère) ? La décision Nart n’apporte d’ailleurs aucune réponse à cette question.

62.  Minimale la loi l’est aussi, car elle ne règle pas véritablement le problème essentiel de la fiscalité sur les ventes, dont la lourdeur entraîne une fuite des protagonistes de l’art à l’étranger (droit de reproduction, TVA à l’importation, droit de suite, impôts sur les plus-values, …). La commission Chandernagor, nommée par le Ministre de la Culture en 1992, prônait dans son rapport[33] une réduction des handicaps du marché français de l’art dont une réduction et une harmonisation européenne du droit de suite. Or, à l’heure actuelle, cette généralisation du droit de suite au niveau communautaire, se trouve contestée par différents pays dont la Grande-Bretagne[34] qui y voit une concession faite au marché américain.

63.  Minimal, le projet adopté l’est encore car même s’il identifie un nouveau procédé de vente, nous pouvons nous demander si l’expression "courtage aux enchères" ne risque pas de laisser perdurer une confusion dans l’esprit des consommateurs. Ceux-ci ne pensent-ils pas trouver un intermédiaire officiel, à l’instar des commissaires-priseurs, en s’adressant à des sites de courtage ? D’autant que certains sites continuent à se présenter dans leur bannière comme « site de ventes aux enchères ». Il convient de rappeler qu’en vertu de l'article 433-13 du Nouveau Code pénal : « Est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende le fait par toute personne: 1° D'exercer une activité dans des conditions de nature à créer dans l'esprit du public une confusion avec l'exercice d'une fonction publique ou d'une activité réservée aux officiers publics ou ministériels […] ». Avec le nouveau texte, la vente aux enchères restera de la seule compétence des sociétés agréées.

64.  Minimale, la réglementation l’est enfin car elle ne s’intéresse qu’aux biens culturels en matière de courtage d’enchères. Il est vrai qu’économiquement, le marché de l’art est plus intéressant que celui des biens courants. Encore faut-il néanmoins s’entendre sur la notion même de biens culturels. A l’heure où la société américaine Yahoo vient d’être condamnée pour exposition d’objets nazis, la question est soulevée (cf. supra).

Conclusion

65.  Derrière le débat de mots, se cache un véritable débat d’idées. Malgré les difficultés précédemment soulevées, la loi a un rôle unificateur – rôle rendu nécessaire du fait de l’éparpillement des textes relatifs à la matière. Elle vient préciser la définition des ventes aux enchères, tout en intégrant la dimension électronique. Des garanties sont ainsi offertes aux acheteurs et vendeurs intervenant en matière de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et, plus particulièrement, en matière d’œuvres d’art.  A l’instar Nicole Feidt, « gageons que les futures sociétés de ventes sauront mettre en avant les garanties qu’elles apportent. »

66.  Le projet de loi vient aussi définir les contours juridiques du courtage aux enchères. Partant, il vient apporter sa pierre à l’édifice législatif en construction : celui du commerce dit électronique. Les nouvelles technologies viennent bousculer une tradition vieille de deux siècles. Et, alors que la décision Nart semblait redonner toute sa force au régime du 27 ventôse an IX, la réforme sur les ventes volontaires y met un point final.

67.  Si les enchères sur Internet apparaissent aujourd’hui véritablement comme un nouveau mode de consommation, la vigilance doit être de mise. « Sans confiance, pas de commerce ; et sans sécurité, pas de confiance » écrivait Cyril Rojinsky[35]. La confiance apparaît comme la clé de voûte des transactions via Internet. La plupart des grands sites faisant aujourd’hui du courtage aux enchères l’ont bien compris. En est-il autant du législateur ? Comme l’écrivait Balzac : « Les lois sont des toiles d’araignées à travers lesquelles passent les grosses mouchent et où restent les petites » (La maison Nucigen).

68.  Le texte adopté le 23 mai 2000 doit encore passer en séance publique au Sénat avant d’être promulgué par le Président de la République. Un recours pour inconstitutionnalité est également possible par la saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou sénateurs. Entre temps, les sites de courtages aux enchères se multiplient de manière exponentielle. Or, la virtualité a rattrapé la réalité. Aux Etats-Unis, les dérives et plaintes se font légion. A l’heure où nous écrivons ces quelques lignes, les affaires du petit cubain, Elian, sont vendues aux enchères sur Internet, et les prix flambent. De même, ayant droit à cinq témoins, un condamné à mort américain a mis aux enchères les cinq places pour assister à son exécution. Le site a retiré l’annonce… car jugée trop longue. En France, les décisions tendant à rendre impossible l’accès aux internautes français semblent être la réponse de la justice. Celle-ci venant de condamner deux sociétés américaines (Nart Inc. et Yahoo!Inc.) pour non-respect de la législation française.

69.  Le marteau pris désormais dans la Toile se voit également pris dans les mailles de la Justice. Sans pour autant en faire le « Drouot du pauvre », il revient au législateur et aux juristes de surveiller le respect du droit commun par ces sites. Tout l’art du juriste sera de définir chaque chose, chaque concept, tout en gardant à l’esprit que la protection des plus faibles demeure l’enjeu le plus important. L’intérêt des consommateurs ne devant être sacrifié sur l’autel de la nouvelle économie…

J-L. B.


Notes

[1] Voir Lionel Costes, "Vers une réglementation des enchères en ligne", Cahiers Lamy Droit de l’informatique et des réseaux, mai 2000, n° 125.

[2] Le texte devrait passer le 27 juin devant le Sénat.

[3] Laurence Mauger-Vielpeau, Les ventes aux enchères,  thèse Caen 1997.

[4] Civ. 6 mars 1877 : D.P., 77, 1, 161.

[5] Trib. Civ. Vouziers, 14 juillet 1859 : D.P., 60, 3, 15.

[6] TGI Paris, 1° chambre, 1° section, 3 mai 2000 : Legalis.net, <http://www.legalis.net>.

[7] Nous renvoyons ici le lecteur aux Cahiers Lamy Droit de l’informatique et des réseaux, Bulletin E d’août-septembre 1999, n° 117, p. 22 et au Bulletin J de février 2000, n°122, p. 24.

[8] JOCE, 8 mai 2000, n°C 128, p. 32 et s.

[9] L’établissement s’entendant comme une installation stable pour une durée indéterminée, ce qui exclut le simple hébergement de technologies. (Rapport CCIP in Supplément au Bulletin E de mars 2000, n° 123, p. 38).

[10] Article 44A : Dans le d) du 3° de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle :
1° Les mots : « aux enchères publiques » sont remplacés par le mot :  « judiciaire » ;
2° Les mots : « par un officier public ou ministériel » sont supprimés ;
3° Les mots : « qu’il met » sont remplacés par le mot : « mis ».

[11] Michel Vivant (sous la direction de ), Lamy Droit de l’informatique et des réseaux, Lamy, 2000, n°301.

[12] Cass. Ass. Plenière, 5 novembre 1993 : Bull. civ., n° 15.

[13] Loi n° 97-283 du 27 mars 1997, art.  17.

[14] R. Bout, M. Bruschi, C. Prieto, Lamy Droit Economique, éd. 2000, Lamy.

[15] Com. 3 avril 1984 : Gaz. Pal., 1984, 2, 708, note Dupichot.

[16] Art.  1316 al.2 résultant de la loi du 29 février 2000 : « Le juge règle les conflits de preuves littérales en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable quel qu’en soit le support. »

[17] CA Versailles, 13 novembre 1985 : Gaz. Pal., 1986, 2, Somm., p. 281.

[18] CA Rennes, 6 février 1952 : JCP, éd. G, 1952, IV, p. 159.

[19] TGI Paris, ordonnance de référé, 22 mai 2000 : Juriscom.net, <http://www.juriscom.net/jurisfr/yahoo.htm>.

[20] cf. l’article dans Le Monde Interactif édition électronique, accessible à l’adresse : <http://www.lemonde.fr/article/0,2320,seq-2039-64201-MIA,00.html> et l’annonce sur Juriscom.net, <http://www.juriscom.net/actu/achv/avrmai00.htm>.

[21] LICRA : Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme.

[22] Article R645-1 du Code pénal : « Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait, sauf pour les besoins d'un film, d'un spectacle ou d'une exposition comportant une évocation historique, de porter ou d'exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, soit par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité prévus par les articles 211-1 à 212-3 ou mentionnés par la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964. »

[23] cf. l’article dans Libération – Multimédia,<http://www.liberation.fr/multi/actu/20000612/20000616venzc.html>.

[24] Le rapport de Nicole Feidt du 29 mars 2000 est disponible sur le site de l’Assemblée Nationale, <http://www.assemblee-nationale.fr/2/rapports/r2301.htm>.

[25] Laurence Mauger-Vielpeau, ibid.

[26] Convention UNESCO, signée à Paris, le 14 novembre 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicite de biens culturels.

[27] Version dans laquelle ont été intégrées les modifications apportées par le Traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997 – (ex art.  36 du Traité de Rome).

[28] Règlement (CEE) n° 3911/92 du Conseil, du 9 décembre 1992, concernant l'exportation de biens culturels.

[29] Directive 93/7/CEE du Conseil, du 15 mars 1993 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre.

[30] Directive 96/100/CE du parlement européen et du conseil du 17 février 1997 modifiant l'annexe de la Directive 93/7/CEE relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre.

[31] Gageons que le législateur, dans les décrets d’application, prendra soin de clarifier cette notion.

[32] TGI Paris, 1° chambre, 1° section, 3 mai 2000 : Legalis.net, <http://www.legalis.net>.

[33] Rapport au ministre de l’Education nationale et de la Culture, Les conditions du développement du marché de l’art en France, La documentation Française, 1994.

[34] La Grande-Bretagne vient d’ailleurs de bénéficier d’une dérogation pour appliquer le droit de suite.

[35] Cyril Rojinsky, Internet, support de vente, mémoire, 1996.

 

Juriscom.net est une revue juridique créée et éditée par Lionel Thoumyre
Copyright © 1997-2001 Juriscom.net / Copyright © 2000 LexUM