PROCÉDURE D'AUDIENCE
Par exploits des 3 et 20
juillet 2000, Carl Yves L. a fait citer devant ce tribunal, à l'audience du 6
septembre suivant :
- Thierry M.,
- Raphaël M.
- l'association "Réseau Voltaire",
pour y répondre,
respectivement comme auteurs principaux et comme civilement responsables, du délit
de diffamation publique envers un particulier, prévu et réprimé par les
articles 29 al.1 et 32 al.1 de la loi du 29 juillet 1881, en raison de la
diffusion, sur Ie site INTERNET de l'association RÉSEAU VOLTAIRE, d'une
"Note d'information" faisant état de la carrière de Carl L., et
indiquant notamment : "Dévoué (...) à Jean-Marie L. P., il était
partisan de (...) au problème M.".
La partie civile demande la
condamnation solidaire des prévenus et du civilement responsable au paiement
d'une somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts, et d'une
indemnité de 15.000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du code de
procédure pénale, avec exécution provisoire ; elle sollicite également la
publication intégrale du jugement dans trois journaux, ainsi qu'au pied de la
Note d'information relative à CarI L., sur le site INTERNET de l'association
RÉSEAU VOLTAIRE, sous astreinte de 1000 francs par jour de retard.
Le tribunal a fixé à 3.000
francs le montant de la consignation, qui a été versée le 15 septembre
2000.
L'affaire a été renvoyée,
contradictoirement, à l'audience du 8 novembre 2000.
A cette date, les débats se
sont ouverts en présence des prévenus, assistés de leur conseil, qui représentait
également le civilement responsable ; la partie civile était représentée
par son avocat.
Avant toute défense au fond,
le conseil des prévenus a excipé de la prescription de l'action publique, et
de l'irrecevabilité de la citation, qui ne précise pas la qualité en
laquelle Thierry M. est poursuivi, ni les motifs de la mise en cause de Raphaël
M.
Après débat contradictoire,
ces incidents ont été joints au fond, la défense ayant eu la parole en
dernier.
Le président a procédé au
rappel des faits et de la procédure, et à l'interrogatoire des prévenus.
Les conseil de la partie civile
a développé les termes de sa demande.
Le représentant du Ministère
public a présenté ses réquisitions.
L'avocat des prévenus a été
entendu en ses moyens de défense .
L'affaire a été mise en délibéré
; le président a, conformément à l'article 462 al.2 du code de procédure pénale,
informé les parties que le jugement serait prononcé à l'audience du 6 décembre
2000.
SUR L'EXCEPTION DE PRESCRIPTION
Les prévenus excipent de la
prescription de l'action publique, au motif que le texte comportant le passage
incriminé, relatif à la biographie de CarI L. et à ses engagements
politiques, a été publié dans une "Note d'information du Réseau
Voltaire", datée du 24 juin 1999, diffusée auprès des adhérents de
l'association à date, et dont le plaignant a eu connaissance en temps utile.
Il soutiennent qu'en
application de l'article 65 de la loi de 1881, la prescription est donc
acquise depuis le 25 septembre 1999, le site INTERNET du Réseau Voltaire ne
procédant pas à une nouvelle publication de l'article litigieux mais se
bornant à l'archiver, à l'identique, dans son service de "bibliothèque
électronique" , pour le mettre gracieusement à disposition du public,
comme le font bon nombre de journaux de la presse nationale ou régionale.
En réponse, le conseil de la
partie civile produit un procès-verbal de la SCP COHEN et SUSINI, huissiers
de justice, constatant, à la date du 13 juin 2000, la présence sur le site
INTERNET du Réseau Voltaire de la note biographique concernant CarI LANG,
comportant la phrase incriminée, et mentionnant, en marge, la date du 24 juin
1999 ; il soutient :
- que la "Note
d'information" écrite du 24 juin 1999 n'a été distribuée qu'aux adhérents
de l'association, qu'elle n'a pas fait l'objet d'une diffusion publique à
cette date, et que cette distribution confidentielle n'a pu faire courir le délai
de prescription ;
- que la mise à disposition du
public du message litigieux sur le site INTERNET de l'association a constitué
un acte autonome de publication, caractérisant à tout le moins une nouvelle
édition de ce texte sur un nouveau support ;
- que l'acte de publication sur
un site INTERNET est un acte continu, et que le délit qu'il est susceptible
de constituer revêt donc lui-même le caractère d'une infraction continue ;
- que, dès lors, la citation
du 3 juillet 2000 a été délivrée dans le délai de la prescription.
SUR CE, LE TRIBUNAL
L'article 65 de la loi du 29
juillet 1881 dispose que l'action publique et l'action civile résultant des
infractions prévues par cette loi se prescrivent après trois mois révolus
à compter du jour où elles ont été commises, ou du jour du dernier acte
d'instruction ou de poursuite, s'il en a été fait.
En matière de presse écrite,
tout délit résultant d'une publication est réputé commis le jour où l'écrit
est porté à la connaissance du public, et mis à sa disposition, car c'est
par cette publication que se consomme l'infraction pouvant résulter d'un tel
écrit ; et il importe peu que cette infraction, instantanée, produise
des effets délictueux qui se prolongent dans le temps par la seule force des
choses (l'offre d'un livre en librairie, le maintien d'un hebdomadaire ou d'un
mensuel dans un kiosque ), dès lors que cette situation ne résulte pas d'une
manifestation renouvelée de la volonté de son auteur.
Au contraire, les caractéristiques
techniques spécifiques du mode de communication par le réseau INTERNET
transforment l'acte de publication en une action inscrite dans la durée, qui
résulte alors de la volonté réitérée de l'émetteur de placer un message
sur un site, de l'y maintenir, de le modifier ou de l'en retirer, quand bon
lui semble, et sans contraintes particulières ; par voie de conséquence, le
délit que cette publication ininterrompue est susceptible de constituer revêt
le caractère d'une infraction successive, que la doctrine définit comme
celle qui se perpétue par un renouvellement constant de la volonté pénale
de son auteur, et qu'elle assimile, au point de vue de son régime juridique,
à l'infraction continue : le point de départ de la prescription se situe au
jour où l'activité délictueuse a cessé.
A cet égard, et contrairement
à ce que soutient la défense dans le cas d'espèce, il n'existe aucun
argument de droit pertinent permettant de réserver un sort particulier à la
pratique de "l'archivage électronique" ou de la " bibliothèque
électronique", consistant à placer sur un site INTERNET un document déjà
publié antérieurement sur un autre support, et à en permettre l'accès au
public le plus large, d'une manière simple et permanente : outre le fait que
l'insertion, sur un site INTERNET, d'un message ayant déjà fait l'objet, sur
un autre support, d'une mise à disposition du public constitue, selon une
jurisprudence établie en matière de presse, une édition nouvelle, ou une réimpression,
qui fait courir un nouveau délai de prescription, cette pratique a pour objet
et pour résultat d'autoriser une accessibilité immédiate et constante à
des documents qui auraient sombré graduellement dans l'oubli , mais que ce
progrès technique pérennise dans la mémoire des hommes.
Cette vitalité moderne de
l'archive sur INTERNET s'accompagne naturellement d'une permanence des
infractions qu'elle est susceptible de comporter, et des dommages que
celles-ci occasionnent aux victimes, et doit donc avoir pour corollaire la
possibilité de la poursuivre à chaque instant de sa nouvelle existence.
Appliqués au cas d'espèce,
ces principes conduisent à constater :
- que le message incriminé était
diffusé sur le site INTERNET de l'association "Réseau Voltaire" à
la date du 13 juin 2000 ;
- qu'il importe peu, au point
de vue de la prescription, qu'il ait tait l'objet d'une précédente
publication sur un autre support ;
- que l'action engagée par
citations des 3 et 20 juillet 2000 l'a été dans le délai de la prescription
.
L'exception sera donc rejetée.
SUR L'EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ
Le conseil des prévenus excipe
de l'irrecevabilité de la citation au motif que celle-ci ne précise pas en
quelle qualité Thierry M. est poursuivi (président de l'association Réseau
Voltaire, directeur de la publication "Notes d'information du Réseau
Voltaire", ou responsable du site INTERNET de l'association), et au motif
également que la poursuite a commis une erreur sur la qualité de Raphaël M.
en le qualifiant "d'auteur du message incriminé".
Le tribunal relève que cette
argumentation concerne non la recevabilité de l'action, mais l'imputabilité
de l'infraction éventuellement commise, et concerne le fond du litige.
AU FOND
Cari L., partie civile, a fait
constater, le 13 juin 2000, la présence sur le site INTERNET de l'association
"Réseau Voltaire", dont le président est Thierry M., d'une note
biographique le concernant, se terminant par la mention :
"Le 9 décembre 1998, il
est nommé par Jean-Marie L. P. à la tête de la délégation générale en
remplacement de Bruno M. Dévoué (...) à Jean-Marie L. P., il était
partisan de (...) au problème M.".
Il considère que cette dernière
phrase est diffamatoire, en ce qu'elle lui impute d'être partisan des méthodes
les plus violentes, puisqu'il lui est attribué de vouloir utiliser les armes
contre M. M. et ses amis, et donc de vouloir les blesser ou les tuer (citation
p.3).
SUR QUOI LE TRIBUNAL
La diffamation consiste en
l'imputation à une personne d'un fait, précis et déterminé, qui porte
atteinte à son honneur et à sa considération.
La précision de ce fait doit
être suffisante pour permettre un débat contradictoire et une preuve.
A cet égard, ne constitue pas
une diffamation la mise en cause d'une doctrine, considérée comme pouvant
inspirer une action criminelle, ou l'attribution à une personne d'une
opinion, en des termes généraux ne comportant aucune allégation d'une
traduction de celle-ci en des actes déterminés.
En l'espèce, écrire que Carl
L. était "partisan de la solution armée au problème M." revient
à lui prêter une certaine prise de position dans le débat interne au FRONT
NATIONAL, mais cette assertion ne comporte aucune imputation de faits précis
: être partisan d'une solution quelconque, c'est prendre parti pour une
doctrine, défendre une opinion, ce n'est pas nécessairement traduire
celle-ci en actes.
Par suite, la diffamation ne
saurait être constituée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens
proposés en défense.
Les prévenus seront relaxés,
et la partie civile déboutée.
La preuve d'un abus de
constitution de partie civile n'étant pas rapportée, la demande formée par
les prévenus sur le fondement de l'article 472 du code de procédure pénale
sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant
publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement
contradictoire à l'égard de Thierry M., Raphaël M., prévenus, à l'égard
de l'association RÉSEAU VOLTAIRE, civilement responsable, à l'égard de Carl
L., partie civile (art.424 du code de procédure pénale), et après en avoir
délibéré conformément à la loi ;
REJETTE l'exception tirée de
la prescription de l'action publique.
RELAXE les prévenus Thierry M.
et Raphaël M. des fins de la poursuite.
DÉBOUTE la partie civile Carl
L. de ses demandes.
MET hors de cause l'association
Réseau Voltaire, civilement responsable.
REJETTE la demande formée par
les prévenus sur le fondement de l'article 472 du code de procédure pénale.
Aux audiences des 8 novembre et
6 décembre 2000, 1ème chambre, le tribunal était composé de :
Président : M. Jean-Yves
MONFORT vice-président
Assesseurs : MME. Marie Françoise SOULIE juge
MME. Corinne HERMEREL juge
Ministère Public : M. Lionel BOUNAN substitut
Greffier : MME. Martine VAIL (lors des débats)
MLE. Ingrid ERTEL greffier (lors du prononcé)
LE GREFFIER LE PRESIDENT