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TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

Ordonnance de référé

21 décembre 1999

Association LUCCAS et M. C. c/ SA Paris Câble

 

DEMANDEURS

L’Association loi 1901 "LES UTILISATEURS DU CYBERCABLE ASSOCIES dite "LUCCAS", avenue de la Grande Armée 75116 PARIS

Me CAHEN, Avocat M 123

Monsieur G. C.

Me CAHEN, Avocat M 123

DEFENDEUR

La société anonyme PARIS CABLE

20 Place des Vins de France 75012 PARIS

Me ALTERMAN, Avocat P 02

ORDONNANCE DE REFERE rendue le 21 DECEMBRE 1999

Par Madame Dominique LAVAU, Juge au Tribunal de Grande Instance de Paris, tenant l’audience publique des Référés par délégation du Président du Tribunal, assisté de Christiane FLEURY, Greffier.

Nous, Président, après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,

FAITS ET PROCEDURE

La SA PARIS CÂBLE offre la possibilité d’un accès a Internet par souscription d’un abonnement baptisé "Cybercâble".

L’association "Les Utilisateurs du Cybercâble associés" dite LUCCAS a été créée le 27 février 1999 avec pour objet "la défense sur 1e territoire national des intérêts des abonnés au service "Cvbercâble", l’assistance technique, administrative et juridique de ses adhérents et l’organisation de toutes manifestations destinées a la formation et a l’information de ses adhérents et du public intéressé par la connexion sur Internet par 1e Câble".

Par acte du 29 novembre 1999, l’association LUCCAS a assigné la SA PARIS CABLE afin de voir désigner un expert chargé d’établir la réalité et l’importance de la baisse de la qualité des prestations fournies, imposée selon elle par la défenderesse aux abonnés sans information ni contrepartie depuis septembre 1999.

L’association expose que la société a unilatéralement limité le débit de la bande passante allouée à ses clients de façon considérable et qu’elle a ainsi modifié une caractéristique essentielle du service, dans la mesure où elle fondait sa publicité sur une "rapidité d’accès inégalée le modem Cybersurf de Motorola permet le transfert de données à très haute vitesse jusqu’à 2 mégabits/seconde = 256 kilo-octets/secondes".

Elle fait valoir qu’il s’agit là d’un acte délibéré exprimé à un groupe de discussion sur le réseau par la représentante de PARIS CÂBLE le 29 septembre 1999 en ces termes:

"Afin d’équilibrer au mieux les ressources partagées par chacun de nos abonnés., nous avons décidé de mettre en place des limites visant à répartit la bande passante de manière plus équitable. Voici les valeurs désormais en application : voie descendante : 512 kilo-bits/seconde, voie remontante : 128 kilo-bits/ seconde".

Elle ajoutait : "A la demande de certains d’entre vous, voici une explication du dispositif : sans limitation, un modem peut aisément provoquer des débits de l’ordre de 6 a 7 Mbps par abonné. Alors que statistiquement, il est possible de garantir un trafic plus fluide en limitant les débits au profit d’un usage plus équitable pour tous".

L’association estime que cette réduction viole les dispositions du 3.5 du contrat, intitulé "évolutivité" qui énonce "les services proposés par le fournisseur pourront être modifiés à tout moment et sans préavis en fonction de l’évolution des techniques et des services accessibles sur 1e réseau, sans suppléments de coût à la charge de l’abonné ni dégradation des performances de son équipement".

Elle reproche à la défenderesse de rompre ses engagements contractuels en invoquant un "hypothétique bienfait pour la majorité des abonnés".

Elle conteste le motif avancé selon lequel "cette limitation du débit serait la conséquence de l’usage indélicat de plusieurs dizaines de consommateurs de Cybercâble utilisant 20% de la voie de retour. La possibilité de facturer ces abus aux seuls concernés, et donc de fait de limiter ce type d’utilisateur n’a pas été retenue par Cybercâble. Motif : cette mesure serait impopulaire".

L’association invoque la recommandation émise par le Conseil National de la Consommation le 18 février 1997, qui prohibe les clauses "ayant pour objet de réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les caractéristiques du bien à livrer ou du service à rendre".

Elle demande que l’expert ait pour mission d’accéder au site, puis à une adresse précise, de télécharger deux ou trois logiciels de son choix et d’indiquer les débits constatés en voie descendante et en voie montante. En outre la possibilité d’ordonner à PARIS CABLE de rétablir au minimum la situation antérieure et de vérifier ce rétablissement.

Elle sollicite la condamnation de la défenderesse à voir rétablir la situation antérieure sous astreinte de 100 000 francs par jour de retard a compter de la signification de l’ordonnance, outre l’avance des frais d’expertise et la condamnation aux dépens, incluant les frais d’un constat d’huissier.

M. Gilles C. a assigné la SA PARIS CABLE par acte du 29 novembre 1999, dans des termes identiques à ceux de l’association.

La société PARIS CÂBLE soulève la nullité de l’assignation en raison du non respect des dispositions de l’article 648-2 b) du nouveau code de procédure civile, l’organe représentant l’association n’ayant pas été précisé.

Dans un deuxième temps, elle conclut a l’irrecevabilité de la demande, dès lors que ses statuts ne prévoient pas expressément la possibilité d’ester en justice et souligne que la demanderesse n’est pas une association de consommateur agrée.

La société PARIS CABLE conteste l’existence d’un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de faits dont elle ne conteste pas la réalité, seules leurs conséquences font l’objet d’une contestation entre les parties.

Elle soulève l’irrecevabilité de la demande de M. C., qui ne se serait jamais plaint auprès d’elle.

Subsidiairement en fait, elle fait valoir que l’association ne respecte pas les règles de la "Nétiquette" sur 1e "bon comportement du net surfer", visées dans les conditions contractuelles en ces termes : "Internet met a la portée de tous des ressources multiples, mais partagées entre tous. Tout utilisateur du réseau Internet est a la fois émetteur et récepteur d’informations. C’est pourquoi chacun doit se sentir responsable de la façon dont il accède à l'information et dont il la transmet. Tout le monde n’a pas le droit d’accéder à tout. Il n’est pas non plus possible de diffuser n’importe quoi sur le réseau mondial, de l’encombrer inutilement, ou de gêner l’usage d’lnternet d’un autre utilisateur. Il est donc nécessaire de respecter une ligne de conduite appelée Nétiquette. Cette Nétiquette a été élaborée au fil de l’eau par les utilisateurs eux-mêmes. Elle concerne tous les usages d’Internet. Les utilisateurs ne respectant pas cette Nétiquette s’exposent aux réactions des autres utilisateurs, parfois violentes, qui souvent demandent au fournisseur d’accès de couper l’accès du fautif. CYBERCABLE, comme la plupart des fournisseurs d’accès, a donc inclus cette possibilité dans les conditions d’abonnement. Nous vous conseillons d’en prendre connaissance et d’en appliquer les règles".

La société PARIS CABLE reproche aux membres de l’association un usage qui aboutit à la congestion du réseau en hébergeant des serveurs et en abusant du chargement de fichiers en violation des clauses contractuelles.

C’est en raison des ces comportements qu’elle a pris la décision de brider la bande passante descendante exclusivement, la voie montante restant à 128 kilo bits/secondes, sans modification aucune.

Elle se réfère au rapport établi par M. LEMAIRE, expert judiciaire, qui critique les allégations techniques de l’assignation et conclut que seul le transfert de fichiers subit une diminution du débit maximal, l’accès à un document demeurant aussi rapide qu’auparavant.

Elle souligne que l’association fournit 55 attestations qui doivent s’apprécier au regard des 28 000 abonnés, dont certains se sont plaints de la lenteur d’accès à certaines heures, l’incitant à brider la voie descendante.

Très subsidiairement, elle conteste la mission définie en demande et refuse formellement de se voir condamner à faire droit aux exigences de l’association, demande qui échappe au pouvoir du juge des référés. L’expertise doit être ordonnée aux frais avancés des demandeurs et la mission doit être précisée et complétée.

PARIS CABLE sollicite 1 5 000 francs au titre des frais irrépétibles.

MOTIFS

Le défaut de mention du nom de son représentant légal sur l’assignation ne constitue une cause de nullité de l’assignation que dans la mesure ou il ferait grief au défendeur qui doit l’énoncer et en justifier. La SA PARIS CABLE ne fait état d’aucun grief au sens des dispositions de l’article 114 du nouveau code de procédure civile. L’assignation comporte toutes les mentions obligatoires prévues par les dispositions de l’article 648 du nouveau code de procédure civile cet argument est donc sans fondement.

L’association LUCCAS justifie avoir déclaré régulièrement ses statuts le 5 février 1999, publiés au JO du 27 février 1999.

Son objet social est "la défense sur le territoire national des intérêts des abonnés au service "Cybercâble", l’assistance technique, administrative et juridique de ses adhérents et l’organisation de toutes manifestations destinées à la formation et à l’information de ses adhérents et du public intéressé par la connexion sur Internet par le Câble".

Elle produit le procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire du 17 novembre 1999, qui a décidé à l’unanimité de confirmer le mandat du Président M. PENN pour ester en justice au nom de l’association et de charger Maître CAHEN de sa représentation.

Il en résulte que l’association LUCCAS justifie de son intérêt à agir en justice afin de réclamer réparation de l’atteinte aux intérêts collectifs de ses membres, ces intérêts étant spécifiés et délimités par son objet social, conforme à l’objet de la présente action. Elle a en outre approuvé le principe de cette action lors d’une assemblée générale extraordinaire, donnant mandat à son président d’agir en son nom.

La demanderesse n’a pas à remplir des conditions autres que celles des dispositions de l’article 6 de la loi du ler juillet 1901, modifiées par la loi du 23 juin 1948 qui énoncent 1e principe de la liberté pour toute association régulièrement déclarée d’ester en justice, dès lors qu’elle respecte le principe de spécialité des intérêts qu’elle prétend défendre.

A l’inverse, M. Gilles C. ne justifie pas de son intérêt a agir, dans la mesure où il ne fait pas état d’un préjudice personnellement subi. Sa demande est donc irrecevable.

La matérialité du bridage de la bande passante du fournisseur d’accès n’étant pas contestée, il convient de faire droit à la demande d’expertise aux frais avancés du demandeur. La mission visera à mesurer l’importance du bridage, donner son avis sur ses effets pour les abonnés en fonction de la nature des usages possibles et donner son avis sur 1e contenu et la portée de la "Nétiquette" invoquée par 1e fournisseur.

Il convient de débouter l’association LUCCAS du surplus de ses demandes, notamment quant à l’injonction au défendeur de rétablir la situation antérieure, car elles préjugeraient de l’issue des opérations de l’expert et soulèvent donc une contestation sérieuse.

Chacune des parties conservera la charge de ses frais et les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS

Statuant en matière de référé. par ordonnance contradictoire et en premier ressort.

Constatons la validité de l’assignation émanant de l’association LUCCAS et la disons recevable à agir,

Disons M. Gilles C. irrecevable, faute de justifier d’un intérêt personnel à agir,

Désignons en qualité d’expert :

M. Hubert BITAN
16 rue du Général Maleterre 75016 PARIS
tél : O1 45243297

Avec mission de :

Se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estimera utiles à l’accomplissement de sa mission, même détenus par des tiers et entendre tous sachants ;

Décrire le contenu des contrats d’abonnement proposés par la Société PARIS CÂBLE sous l’intitulé "CYBERCABLE" et les conditions expresses d’utilisation ;

Accéder au réseau CYBERCABLE et mesurer 1e plus précisément possible les débits des bandes montantes et descendantes ainsi que leurs variations en fonction de l’heure ou des dates d’utilisation, préciser ces délais selon les différents types d’usage possibles et légitimes des utilisateurs abonnés ;

Donner son avis sur la "Nétiquette" invoquée par le fournisseur d’accès au regard des usages et de la réglementation en vigueur, rechercher si les membres de l’association LUCCAS utilisent leur accès de façon non conforme à ces usages et décrire les conséquences éventuelles pour le fonctionnement du réseau et les autres utilisateurs ;

Rechercher dans quelles circonstances et à quelle date la société PARIS CABLE a été amenée à brider la bande passante au cours de l’année 1999, dire si cette opération a entraîné une baisse de la qualité des prestations pour les utilisateurs, si ces conséquences varient selon l’usage qu’ils font de l’accès au serveur et donner son avis sur l’intérêt de la prestation ainsi réduite au regard des offres existantes par ailleurs ;

Donner son avis sur l’argument de la défenderesse selon lequel cette réduction viserait à préserver une meilleure fluidité du réseau au bénéfice de la majorité des abonnés ;

Fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre, le cas échéant, à la juridiction compétente de déterminer les responsabilités éventuellement encourues et d’évaluer s’il y a lieu tous les préjudices subis ;

Disons que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du Nouveau code de Procédure Civile et qu’il déposera l’original et une copie de son rapport au Greffe du Tribunal de Grande Instance de Paris (Contrôle des Expertises, Escalier P, 3ème étage) dans les trois mois de sa saisine, sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile auprès du Juge du Contrôle ;

Fixons à la somme de 10 000 francs la provision concernant les frais d’expertise qui devra être consignée par 1e demandeur A LA REGIE DU TRIBUNAL (Escalier D, 2ème étage) avant 1e 15 février 2000 ;

Disons que faute de consignation de la provision dans ce délai impératif, la désignation de l’expert sera caduque et privée de tout effet.

Déboutons les parties de leurs plus amples demandes principales et accessoires.

Rappelons que l’exécution provisoire est de droit.

Réservons les dépens.

FAIT à PARIS, le 21 décembre 1999,

LE GREFFIER,

Christiane FLEURY


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