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TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANTERRE

Ordonnance de référé

17 avril 2000

CAMIF c/ Éric G.

 

Le 29 mars 2000 le groupe Camif a assigné en référé d’heure à heure à la société Axinet Communication, Éric G. sur le fondement des articles L 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, 1383 du Code Civil, 809 du Nouveau Code de Procédure Civile afin :  

-qu’il soit constaté qu’en utilisant la dénomination «Camif» à titre de noms de domaine et en proposant leur mise en vente dans le cadre d’enchères organisées sur le site <funny-picture.com> du réseau internet, Éric G. a engagé sa responsabilité civile;

-qu'il est constaté que la société Axinet a manqué à ses obligations de prudence et de vigilance;

-qu’il soit fait interdiction à Éric G. d’utiliser la dénomination Camif, sous astreinte de 20.000 francs par infraction constatée;

-que les défendeurs soient condamnés à procéder aux opérations de transfert des noms de domaine:

- la-camif.com

- la-camif.net

- camif.org

- camif.net

et ce, sous astreinte de 20.000 francs par jour de retard;

-qu’ils soient condamnés in solidum à lui payer à titre provisionnel la somme de 50.000 francs;

-que la décision soit publiée dans 3 revues ou périodiques et sur le site Web de Camif <camif.com> aux frais d’Éric G.

-que les défendeurs soient condamnés au paiement de 15.000 francs au titre des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Vu les conclusions de la société Axinet.

Celle-ci soulève l’incompétence du juge des référés indiquant que le trouble manifestement illicite a cessé; qu’il existe une contestation sérieuse.

Elle ajoute que sa responsabilité dans la réalisation du dommage est symbolique; que le groupe Camif n’a subi aucun préjudice.

Elle conclut dès lors, au débouté des demandes et à la condamnation de la société Camif au paiement de 20.000francs en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Discussion

Le groupe Camif est une des sociétés leaders de la vente par correspondance; cette société est titulaire de la marque CAMIF déposée à l’OMPI le 11 juillet 1996.

Elle commercialise ses produits sous cette marque et dispose d’un site Web accessible sur le réseau internet à l’adresse <camif.com> où elle présente ses activités.  La dénomination Camif a acquis une notoriété certaine auprès d’un large public; son catalogue est diffusé à plusieurs millions d’exemplaires. 

Le 4 février 2000, elle recevait un appel téléphonique de Éric G. l’informant qu’il avait déposé les noms de domaine, <la-camif.com>, <la-camif.net>, <la-camif.org>, <camif.org>, <camif.net> et qu’il souhaitait «trouver un terrain d’entente avec la Camif».

Celle-ci avait parallèlement connaissance de l’organisation sur le site <funny-picture.com> créé par Éric G., de la mise en vente aux enchères d’un lot de noms de domaine jusqu’au 28 janvier 2000 correspondant aux dénominations des leaders de la vente par correspondance, dont 5 fois la Camif, sur la mise à prix de 1.500.000 euros à négocier.

Les 22, 23 et 24 février 2000 la Camif faisait constater par huissier que les noms de domaine restaient indisponibles et la propriété d’Éric G..

Aux termes de l’article L 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, l’emploi d’une marque jouissant d’une renommée engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.

L’enregistrement des noms de domaine précités constitue une exploitation injustifiée des marques notoires portant atteinte aux droits des titulaires des signes.

Étant observé qu’il a été procédé à une analyse de l’intégralité des combinaisons envisageables des noms de domaine et de leurs suffixes pour s’approprier ceux qui demeuraient disponibles, le caractère répréhensible des actes reprochés est démontré.

L’intérêt économique de l’auteur de l’enregistrement ne trouve sa source que dans la notoriété des entreprises concernées; il en est pour preuve l’appel téléphonique d’Éric G. à la société Camif le 4 février 2000 et un courrier e-mail qu’il a envoyé le 8 mars 2000 aux termes duquel il indiquait être en mesure de transférer les noms de domaine «le montant des frais se monte à un peu plus de 12.700 francs H.T., aucune autre somme ne vous sera demandée».

Ces agissements à des fins de pur commerce occasionnent à ces sociétés un trouble manifestement illicite.

Il est établi que l’auteur de ces actes de “cybersquatting” est Éric G. qui n’a eu pour seul but que de chercher à négocier des noms de domaine reproduisant des marques connues 

La société Camif est ainsi fondée à demander que soient ordonnées en référé, sur le fondement de l’article 809 du Nouveau code de procédure civile, les mesures nécessaires à faire cesser ce trouble manifestement illicite, étant observé qu’au jour de l’audience, le 5 avril 2000, Éric G. n’a pas procédé au transfert des noms de domaine au profit du groupe Camif.

Il sera fait droit aux mesures d’interdiction d’usage, selon les termes du dispositif de la présente ordonnance.

Eu égard aux éléments du dossier, Éric G. sera condamné à payer à titre de dommages et intérêts provisionnels la somme de 50.000 francs.  Cette indemnisation sera complétée par des mesures de publication.

En ce qui concerne la société Axinet, celle-ci, qui propose un service d’accès à l’enregistrement de noms de domaine et qui a participé à ce titre à l’enregistrement des noms de domaine en cause, justifie avoir fermé le site qu’elle hébergeait <funny-picture.com> dès le 2 janvier 2000 à 18h15, le jour où elle a eu connaissance de l’existence du litige.

Elle a également changé les codes d’accès du site afin que Éric G. ne puisse pas le réactiver et rouvert ce site le 31 janvier 2000 pour permettre l’affichage d’une publication judiciaire ordonnée en référé le même jour à l’occasion d’un litige opposant Éric G. et les sociétés La Redoute, Les Trois Suisses, Quelle.

Il n’existe donc plus, sur ce point, de trouble manifestement illicite.  Dès lors, les demandes diligentées envers la société Axinet seront rejetées.

Les conditions d’application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile sont réunies et il convient de condamner Éric G. à payer à la société Camif la somme de 15.000 francs.

Il ne parait inéquitable de laisser les frais irrépétibles à la charge de la société Axinet.

Par ces motifs

Statuant publiquement, par décision réputée contradictoire, en premier ressort et en référé

Vu les articles L 713-5 du Code de la propriété intellectuelle et 809 du Nouveau code de procédure civile:

Disons qu’en enregistrant, en utilisant à titre de noms de domaine la dénomination «CAMIF» et en procédant à leur mise en vente dans le cadre d’enchères organisées sur le site <funny-picture.com> du réseau internet, Éric G., éditeur du site, a engagé sa responsabilité civile.

Vu le trouble manifestement illicite:

Interdisons à Éric G. de faire usage de cette dénomination, sous astreinte de 20.000 francs par infraction constatée, chaque affichage à l’écran, constituant une nouvelle infraction.

Ordonne à Éric G. de procéder, à ses frais, aux opérations de transfert des noms de domaine <la-camif.com>, <la-camif.net>, <la-camif.org>, <camif.org>, <camif.net> au profit de la société Camif, et ce, sous astreinte de 20.000 francs par jour de retard, passé le délai de 72 heures suivant, la signification de la présente ordonnance.

Le condamnons à payer à la société Camif la somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts provisionnels.

Ordonnons la publication de la présente décision dans deux revues, aux frais d’Éric G., dans la limite de la somme de 20.000 francs.

Autorisons la Camif à faire procéder aux frais d’Éric G. à la publication de cette ordonnance sur son site Web <camif.com>.

Disons n’y avoir lieu à référé en ce qui concerne la société Axinet.

Condamnons Éric G. à payer à la société Camif la somme de 15.000 francs en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Rejetons la demande de la société Axinet fondée sur les dispositions de cet article.

Condamnons Éric G. aux dépens.

Ainsi jugé et rendu le 17 avril 2000. 

Texte communiqué par Maître Valérie Sédallian et retranscrit par Charles Perreault


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