TRIBUNAL
DE GRANDE INSTANCE DE NANTERRE
1
ère ch., section A
20
septembre 2000
Vincent
c/ Sté Production du téléphone
DEMANDEUR
Monsieur
Vincent
Ayant
pour avocat Maître GUERRINI du barreau de PARIS, M 1152
DEFENDEUR
La
Société Anonyme PRODUCTIONS DU TELEPHONE
Ayant
pour avocat Maître HANNELAIS du barreau de PARIS, C 2264
DEBATS
A
l'audience du 31 août 2000 tenue publiquement
JUGEMENT
Contradictoire,
prononcé publiquement et en premier ressort
Vincent
se présente comme ayant crée au Canada, le 12 juillet 1996, le premier
magazine francophone traitant de l'actualité du cinéma édité uniquement
sur le réseau internet sous le nom :
Ecran
Noir, le ciné-zine de vos nuits blanches
Il
expose qu'étant rentré en France, il a fait héberger à compter de mars
1998 son site par la société Productions du téléphone, exerçant sous le
nom commercial Alla Ciné, avec laquelle il était entré en relations ;
Désireux
de transférer son site vers un autre hébergeur, il indique avoir eu la
surprise de constater que la société Productions du téléphone avait déposé
à son nom auprès de l'Internic les noms de domaine Ecran-noir.com,
Ecrannoir.com, Ecran-noir.org, Ecrannoir.org, Ecran-noir.net,
Ecrannoir.net ;
N'ayant
pu obtenir la restitution amiable de la libre disposition de ces noms de
domaine, Vincent a assigné à jour fixe le 28 juin 2000 la société
Productions du téléphone afin d'obtenir de sa part le transfert, sous
astreinte, des noms de domaine précités à son profit, dans le délai de 24
heures à compter du prononcé du jugement ;
Il
réclame en outre une somme de 200 000 francs à titre de dommages-intérêts,
une mesure de publication de la décision dans des revues et sur le site web
allocine.com ainsi que 50 000 francs au titre des frais hors dépens ;
Il
fonde son action sur la violation des droits d'auteur qu'il prétend détenir
sur le titre Ecran noir et sur le caractère frauduleux de l'enregistrement
des noms de domaine par la société défenderesse ;
La
société Productions du téléphone soulève successivement l'incompétence
matérielle et territoriale du tribunal au profit du tribunal de commerce de
Paris, l'irrecevabilité de l'action d'une part pour défaut de qualité à
agir de Vincent, d'autre part du fait de l'absence de mise en cause de
l'ensemble des coauteurs du site Ecran noir, œuvre de collaboration ;
Subsidiairement,
faisant état de la procédure dont elle a saisi le tribunal de commerce de
Versailles, elle sollicite en raison de la connexité existante avec la présente
procédure, le dessaisissement du tribunal de grande instance au profit du
tribunal de commerce antérieurement saisi ;
A
tout le moins, elle demande au tribunal de surseoir à statuer dans l'attente
de la décision commerciale ;
Au
fond, elle conclut au rejet de l'action, le demandeur ne rapportant pas, selon
elle, la preuve de l'existence du titre sur lequel il prétend être titulaire
de droits, pas plus que la preuve de son caractère original.
A
titre reconventionnel, elle réclame 50 000 francs de dommages-intérêts pour
procédure abusive et 35 000 francs au titre des frais hors dépens ;
Vincent
réfute les moyens et arguments de son adversaire ;
SUR
CE
Avant
de procéder à l'examen du litige, il est nécessaire de rappeler la réalité
de son objet qui porte sur la contrefaçon du titre Ecran noir, œuvre sur
laquelle Vincent prétend avoir des droits, et non pas sur le site lui même
comme semble le croire pour les besoins de sa défense et au terme d'une
confusion volontairement entretenue, la société Productions du téléphone ;
Sur
les exceptions :
-
d'incompétence matérielle
L'action
a pour objet une contrefaçon qui ne peut s'analyser comme un acte de commerce
relevant par nature de la juridiction commerciale quelles que soient les
circonstances et les modalités de sa réalisation ;
La
compétence du tribunal de grande instance est donc justifiée et l'exception
doit être rejetée.
-
d'incompétence
territoriale
A
supposer qu'un contrat ait pu exister entre les parties, la contrefaçon
reprochée serait nécessairement extra-contractuelle et la compétence
territoriale de la juridiction doit s'apprécier au regard des dispositions régissant
le domaine délictuel ;
En
l'espèce, le fait dommageable, à savoir l'enregistrement des noms de domaine
litigieux par la société Productions du téléphone, a été constaté
notamment par maître Simart, huissier de justice à Clamart (92), le 22 février
2000, soit dans le ressort territorial du tribunal de grande instance de
Nanterre ;
Cette
circonstance suffit à justifier la compétence du tribunal et l'exception
doit être rejetée.
-
d'irrecevabilité pour défaut de qualité
à agir
Il
apparaît qu'à l'initiative de Vincent, a été crée le 16 septembre 1999
une association Ecran noir - le ciné-zine de vos nuits blanches
dont l'objet est notamment la responsabilité de la protection des droits
d'auteur (journalistes, graphistes programmeurs, éditeur) ;
La
société défenderesse soutient qu'en raison de son objet, elle est seule
investie du droit d'agir en contrefaçon et en restitution du nom de domaine
Ecran noir à l'exclusion de Vincent ;
Cependant,
si l'association est certainement investie de la protection des droits
d'auteur relatifs aux œuvres réalisées postérieurement à sa création,
elle ne peut l'être, pour des droits antérieurs, qu'en vertu d'un transfert
explicite à son profit ;
Or,
il ne peut être contesté que la création du titre Ecran noir est bien antérieure
au 16 septembre 1999 ; Aussi, faute d'établir un transfert de droit dont
l'existence n'est d'ailleurs même pas alléguée, Vincent est demeuré
titulaire du droit d'action qu'il exerce et l'exception est mal fondée ;
-
pour absence de mise en
cause des coauteurs
Cette
exception découle de la confusion entretenue en défense sur l'objet du
litige ; celui-ci ne portant pas sur le site mais exclusivement sur la
contrefaçon du titre Ecran noir, l'exception est sans objet ;
-
de connexité et de
sursis à statuer
Le
litige dont a été saisi le tribunal de commerce de Versailles antérieurement
à la présente procédure concerne l'ensemble des relations entre les parties
et vise précisément à obtenir, aux torts de Vincent et de l'association
Ecran noir, la résolution judiciaire du contrat de partenariat dont la défenderesse
soutient l'existence entre les parties ;
La
société Productions du téléphone demande en conséquence de la résolution
du contrat l'autorisation de fermer le site Ecran noir et un million de
dommages – intérêts ;
Cette
action ne met pas en cause la titularité des droits d'auteur sur le titre
Ecran noir et sa solution est sans incidence sur l'appréciation de la
contrefaçon alléguée ;
Dans
ces conditions, le souci d'une bonne administration de la justice ne conduit
ni à une décision de dessaisissement ni à une décision de sursis à
statuer mais au contraire à l'examen sans désemparer du fond du litige ;
Au
fond
Contrairement
à ce qui est prétendu par la société Productions du téléphone, Vincent rapporte suffisamment la preuve, par plusieurs coupures de presse (le Devoir
du 10 février 1997 - Yahoo internet life de mai 2000) et une
invitation du service presse du festival de Cannes du 2 mai 1997, que le titre
Ecran noir existait dès 1996, donc antérieurement à son enregistrement
comme nom de domaine par Allociné en mars 1998 et qu'il en est l'auteur ;
Ce
titre présente manifestement un caractère original ;
L'expression
écran noir n'est pas d'un emploi usuel ; elle n'est ni générique ni
descriptive ;
S'il
est exact qu'elle se retrouve dans une chanson de Claude Nougaro sous la forme
: Sur l'écran noir de mes nuits blanches, encore faut-il relever
qu'elle ne constitue pas le titre de cette chanson et qu'elle est utilisée
par Vincent dans un genre différent du monde musical, ce qui est de nature
à éviter toute confusion ;
Dans
ces conditions, Vincent est bien titulaire d'un droit protégeable au titre
du droit d'auteur sur le titre Ecran noir ;
En
procédant à l'enregistrement à son profit du titre Ecran noir comme nom de
domaine, la société Productions du téléphone a privé son auteur de la
libre utilisation de son œuvre et a ainsi porté atteinte au droit
d'exploitation de Vincent ;
La
demande tendant à la cessation de cette contrefaçon est bien fondée ;
En
dépouillant Vincent de la possibilité d'exploiter son œuvre sur
internet, alors que ce marché est en pleine expansion et fortement
concurrentiel, la société défenderesse lui a indiscutablement causé un préjudice
qui sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 50 000 francs sans
qu'il soit nécessaire de compléter cette indemnisation par les mesures de
publication sollicitées ;
L'exécution
provisoire est compatible et justifiée par la nature de la présente affaire ;
elle sera donc ordonnée ;
Les
conditions d'application de l'article au titre de l'article 700 du nouveau
code de procédure civile du nouveau code de procédure civile sont réunies
au profit du demandeur ;
PAR
CES MOTIFS
Rejette
les exceptions soulevées par la société Productions du téléphone ;
La
déclare responsable d'une contrefaçon au préjudice de Vincent ;
Ordonne
à la société Productions du téléphone de procéder au transfert des noms
de domaine :
Ecran-noir.com
Ecrannoir.com
Ecran-noir.org
Ecrannoir.org
Ecran-noir.net
Ecrannoir.net
au
profit de Vincent dans les huit jours de la signification de la présente décision,
sous astreinte de 1000 francs par jour de retard passé ce délai ;
Se
réserve la liquidation de l'astreinte ;
Condamne
la société Productions du téléphone à payer à Vincent la somme de 50
000 francs à titre de dommages – intérêts ;
Ordonne
l'exécution provisoire de la présente décision ;
Condamne
la société Productions du téléphone à payer à Vincent la somme de 20
000 francs au titre de l'article au titre de l'article 700 du nouveau code de
procédure civile du nouveau code de procédure civile ;
Condamne
la société Productions du téléphone aux dépens qui comprendront le coût
des procès verbaux de constat.
Le
greffier
C.
Martin
Le
président
X.
Raguin