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TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

3ème ch. 2ème Section

15 octobre 1999

 SARL Double ClicK Internet Advertising c/ SA Double Clic

 

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Alain Girardet, Vice-Président

Dominique Saint Schroeder, Premier Juge

Pascale Beaudonnet, Juge

 

La société Double Clic, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 11 juin 1986, a pour activité la formation, le conseil, l’assistance, l’édition et la diffusion informatique.

Elle est titulaire de la marque Double Clic déposée à l’INPI le 18 avril 1996 sous le n° 96/621683 pour désigner, en classes 9, 35, 41 et 42, la fourniture d’ordinateurs, imprimantes et logiciels informatiques, les conseils en gestion et matériel informatique, la formation, l’édition informatique et l’élaboration de programmes informatiques spécifiques.

Cette marque, déposée en couleurs, est constituée d’un rectangle gris sur lequel est dessinée une souris vertes, la dénomination Double Clic étant écrite en lettres capitales noires sur fond blanc et placée sous le rectangle gris.

La société Double Clic a également déposé, le 3 mars 1998 sous le n° 98 720843, la marque Double Clic identique à la précédente pour les services de communication par terminaux d’ordinateurs compris en classe 38 de la classification internationale.

La société de droit américain Double Click Inc a déposé les marques communautaires dénominatives suivantes :

- Doubleclick n° EM 401240, déposée le 27 novembre 1996 et publiée le 29 décembre 1997, pour désigner en classe 35 les services d’agence de publicité ;

- Doubleclick n° EM 578377, déposée le 23 juillet 1997, pour désigner en classes 9, 35, 38 et 42, les produits et services suivants :

programmes informatiques liés à la publicité et à la promotion, y compris publicité en gros caractères, services publicitaires et de promotion des ventes (pour des tiers), services d’informations commerciales connexes et fournis en ligne à partir d’une base de données informatiques ou de pages web sur Internet ; location d’espaces publicitaires sur des pages web ; fourniture d’informations concernant l’accès à des espaces publicitaires ; services de ciblage et de rédaction de rapports liés à la publicité sur Internet ; tests créatifs liés à la publicité sur Internet ; services de télécommunication d’informations (y compris pages web) ; services de courrier électronique ; communications par terminaux d’ordinateurs ; transmission de messages et d’images assistée par ordinateur ; fourniture d’accès et de liens à des bases de données informatiques et à Internet par télécommunication ; connexion de sites web sur Internet à un réseau publicitaire ; fourniture d’accès et location de temps d’accès à des bases de données informatiques et fournitures d’informations concernant l’utilisation d’Internet.

Au début de l’année 1998, la société Doubleclick Inc a approché la société Double Clic afin de parvenir à un accord de coexistence ; ces démarches n’ont pas abouti. La société Doubleclick Internet Advertising a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 29 avril 1998 : elle a pour activité, en France et dans tous pays, notamment la vente d’espaces publicitaires et d’agence d’espace publicitaire sur le réseau d’Internet et tout autre media interactif comprenant les activités directement ou indirectement liées et en particulier la publication, la formation, la communication, le marketing et la publicité.

La société Doubleclick Internet Advertising a fait assigner la société Double Clic par acte du 13 mai 1998 en nullité des marques Double Clic pour défaut de caractère distinctif et, subsidiairement, en nullité de la marque n° N98 720 843 pour dépôt frauduleux, relevant que la société Double Clic n’exerçait aucune activité dans le domaine de la communication ou de l’information, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire. Elle sollicite la somme de 50 000 francs au titre des frais irrépétibles ;

Considérant que l’usage de la dénomination Doubleclick à titre de dénomination sociale et de nom commercial constituait des actes de contrefaçon de sa marque n° 96/621683 de même que le dépôt des marques communautaires Doubleclick, la société Double Clic a fait assigner, par actes du 30 juillet 1998, les sociétés Doubleclick Internet Advertising et Doubleclick Inc aux fins de voir ordonner des mesures d’interdiction sous astreinte et de publication et condamner solidairement ces deux sociétés à lui verser la somme de 1 000 000 francs à titre de provision en réparation de son préjudice, une mesure d’expertise étant sollicité ainsi que l’exécution provisoire, de même que le versement de la somme de 30 000 francs sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Dans ses conclusions postérieures, elle conteste l’absence de validité de sa marque n° 96/621683 ainsi que la fraude et le préjudice résultant du dépôt de sa seconde marque qu’elle affirme avoir déposé afin de mieux couvrir son développement récent dans le domaine d’Internet. Concernant le préjudice qu’elle dit subir du fait de l’utilisation par les société Doubleclick de cette dénomination pour des produits et services qu’elle estime identiques ou similaires à ceux visés dans l’enregistrement de sa marque, elle soutient subir également un « préjudice d’image » lié à l’utilisation par ces sociétés de « cookies » qui comporteraient un risque d’atteinte à la vie privée des intervenants.

Dans ses dernières conclusions, elle sollicite la condamnation solidaire des sociétés Doubleclick au payement de la somme de 500 000 francs pour procédure abusive dans le cadre de la demande de sursis à statuer formée par la société Doubleclick Internet Advertising et abandonnée en cours de procédure, et celle de 174 925 francs en application de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile, outre la somme provisionnelle de 1 000 000 francs réclamée pour réparer le préjudice lié à l’image, aux frais découlant du temps consacré par ses dirigeants à assurer leur défense ainsi qu’à la différence existant entre les résultats avant impôt initialement estimés à 600 000 francs pour l’exercice 1998/99 et le résultat prévisible qu’elle chiffre à la somme de 400 000 francs.

Les sociétés Doubleclick dénient la contrefaçon alléguée par la société Double Clic en contestant la similarité des services visés au dépôt des marques en présence et en insistant sur le fait que, non seulement la société Double Clic n’exerce aucune activité de régie publicitaire sur Internet, mais que de plus elle ne dispose d’aucun site correspondant à sa dénomination alors qu’elles-mêmes exercent leur activité de régie publicitaire exclusivement sur Internet.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la validité de la maque Double Clic

Attendu que les société Doubleclick Inc et Doubleclick Internet Advertising sollicitent la nullité de cette marque pour absence de caractère distinctif en raison de son caractère usuel.

Attendu qu’aux termes de l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle, « sont dépourvus de caractère distinctif :

a) les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service (…) »

Attendu que le caractère distinctif d’une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés dans son enregistrement.

Attendu, en l’espèce, que si le terme « double clic » est évocateur de l’environnement informatique et désigne la manœuvre qui consiste à appuyer deux fois de suite sur le bouton gauche de la souris afin, par exemple, de sélectionner un mot dans un traitement de texte ou d’ouvrir un logiciel pour en visualiser le contenu, elle ne constitue pas, en revanche, la désignation nécessaire ni usuelle des produits et services visés au dépôt de la marque Double Clic ;

que ni la fourniture d’ordinateurs, d’imprimantes et de logiciels informatiques, ni les services de conseils en gestion et matériel informatique, de formation, d’édition informatique ou d’élaboration de programmes ne sont désignés en eux-mêmes, en raison de leurs propriétés, par l’expression « double clic » ;

que le simple fait de suggérer le domaine dont relève les service set produits compris dans l’enregistrement de la marque ne fait pas obstacle à son adoption à titre de marque dès lors que le signe Double Clic conserve un caractère arbitraire pour désigner ces produits et services :

qu’il suit que la marque Double Clic sera déclarée valable et l’action en nullité des sociétés Doubleclick rejetée.

Sur le dépôt frauduleux de la marque Double Clic n° 98/720843

Attendu que cette marque a été déposée par la société Double Clic le 3 mars 1998 pour désigner les services de communication par terminaux d’ordinateurs ;

que la société Doubleclick Internet Advertising considère que cette demande d’extension de la défenderesse de l’enregistrement de sa marque en classe 38 constitue un dépôt frauduleux dès lors qu’elle a été formulée postérieurement aux négociations entreprises ente les sociétés en cause à l’initiative de la société Doubleclick Inc et que la société Double Clic n’exerce aucune activité sur Internet notamment dans le domaine d’activité qui est celui des sociétés Doubleclick.

Attendu que la fraude ne se présume pas ; qu’il incombe à celui qui l’invoque d’en rapporter la preuve.

Attendu que s’il est exacte que le nouveau dépôt de la marque Double Clic a été effectué après que la société Double Clic eut été approchée par la société Doubleclick Inc aux fins de signer un accord de coexistence, il y a lieu de relever que la société Double Clic était déjà, lors de ce dépôt, titulaire depuis 1996 de la marque Double Clic dont l’enregistrement vise des produits et services relevant exclusivement du domaine informatique ;

que, de plus, cette société proposait des formations portant sur le réseau Internet comme en témoignent les brochures qu’elle publie et qui mentionnent sept stages par an dès le mois de janvier 1996 et donc antérieurement au début des relations entre les sociétés en cause au mois de février 1998 ;

qu’elle avait ainsi vocation à déposer sa marque pour désigner les services de communication par terminaux d’ordinateurs ;

que la seule concomitance de date entre le début des négociations et le dépôt de la marque litigieuse ne suffit pas à établir l’existence d’une fraude aux droits de la société Doubleclick par la société Double Clic ; que la demande en nullité de la marque n° 98/720 843 sera donc rejetée.

Sur la contrefaçon de la marque Double Clic n° 96/621683

Attendu que la société Double Clic fait grief aux sociétés Doubleclick d’avoir commis des actes de contrefaçon de sa marque Double Clic n° 96/621683 en faisant usage en France de la dénomination Doubleclick à titre de dénomination sociale et de nom commercial et, s’agissant de la société Doubleclick Inc, d’avoir déposé deux marques communautaires Doubleclick pour des services identiques ou similaires à ceux visés dans l’enregistrement de sa propre marque.

Attendu qu’il n’est pas contesté que la marque Doubleclick reproduit le signe Double Clic, la présence de la lettre finale k ne faisant pas disparaître la similitude visuelle et phonétique des deux dénominations qui résulte de l’identité des dix autres lettres qui les composent et qui sont déclinées dans le même ordre, l’absence d’espace entre les mots Double et Click ne constituant qu’une différence insignifiante.

Attendu qu’il ressort de l’extrait Kbis de la société Doubleclick Internet Advertising que celle-ci a pour dénomination sociale « Doubleclick Internet Advertising » dans laquelle le terme Doubleclick présente un caractère arbitraire pour désigner les activités de cette société ; qu’il ne constitue un des éléments distinctifs ;

que cette société ne conteste pas utiliser le mot Doubleclick à titre de nom commercial.

Attendu qu’il n’est pas contesté par la société américaine Doubleclick Inc que celle-ci fait usage sur le territoire français du terme Doubleclick à titre de dénomination sociale et de nom commercial.

Attendu que la réalisation de la contrefaçon de la marque Double Clic par l’usage du terme Doubleclick à titre de dénomination et de nom commercial et par le dépôt des marques communautaires Doubleclick suppose, d’une part, que les deux sociétés Doubleclick ont une activité identique ou similaire aux services visés au dépôt de la marque dont est titulaire la société Double Clic, et, d’autre part, que les marques communautaires déposées par la société Doubleclick Inc désignent des produits ou des services identiques ou similaires à ceux visés dans l’enregistrement de la marque Double Clic n° 96/621683 et sont exploitées en France ; qu’il convient d’examiner successivement ces deux points.

Attendu que la société Doubleclick Inc a pour activité en France la vente d’espaces publicitaires sur le réseau Internet et la commercialisation de logiciels informatiques ;

que la société Doubleclick Internet Advertising exerce l’activité de vente d’espace publicitaire et d’agence d’espace publicitaire sur le réseau Internet et tout autre media interactif comprenant les activités directement ou indirectement liées et en particulier la publication, la formation, la communication, le marketing et la publicité, la création, l’acquisition, la location de toute activité et la location, l’installation et l’exploitation de tout établissement ou fonds de commerce, l’acquisition, l’exploitation ou la cession de tous procédés, dessins, modèles, marques, brevets concernant ces activités, l’achat, la vente, la gestion, la location ou la prise en location gérance de tous biens immobiliers ; qu’elle propose sur son site Internet des logiciels et l’accès à un centre de formation.

Attendu que la vente de logiciels informatiques est identique à la fourniture de logiciels informatiques ; que l’activité de publication sur Internet et les services d’édition informatique sont similaires par leur nature de même que sont similaires l’activité de formation sur Internet et le service de formation informatique ; que l’identité et la similitude de ces produits et services sont susceptibles de générer un risque de confusion préjudiciable à la société Double Clic ;

Que la contrefaçon de la marque Double Clic est ainsi réalisée par l’utilisation du terme Doubleclick comme dénomination sociale et nom commercial sur le territoire français par les sociétés Doubleclick pour l’exercice des activités énumérées au paragraphe précédent.

Attendu que s’agissant des marques communautaires dont est titulaire la société Doubleclick Inc, la première de celles-ci a été déposée le 27 novembre 1996 pour désigné exclusivement en classe35 les services d’agences de publicité qui ne sont pas visés dans l’enregistrement de la marque Double Clic ;

que parmi les produits et services désignés dans la seconde de ces marques, les « programmes informatiques liés à la publicité et à la promotion, y compris publicité en gros caractères » sont similaires par leur nature à « la fourniture de logiciels informatiques » visée dans la marque première, les logiciels constituant des ensembles de programmes, ainsi qu’aux services d’ « élaboration de programmes informatiques spécifiques » ; que sont également similaires les services de fourniture d’informations concernant l’utilisation d’Internet et ceux de formation informatique qui comprennent l’utilisation du réseau Internet ;

que si l’usage de la marque Doubleclick en France pour désigner de tels produits et services est susceptible de créer un risque de confusion pour l’utilisateur qui pourra se méprendre sur leur origine et leur attribuer la même provenance que ceux qui sont fournis sous la marque Double Clic, le tribunal relève, toutefois, qu’aucun acte d’usage de cette marque en France n’est incriminé par la société Double Clic.

Sur les mesures réparatrices

Attendu qu’il sera fait droit aux mesures d’interdiction et de publication sollicitées dans les conditions ci-après définies au dispositif.

Attendu que le préjudice subi par la société Double Clic résulte de l’atteinte à ses droits privatifs sur la marque et de l’affaiblissement de la valeur attractive de celle-ci ;

que la réalité des autres chefs de préjudice invoqués par la société Double Clic n’est pas établie ;

qu’elle n’explique pas en quoi l’utilisation de « cookies » par  les sociétés Doubleclick lui cause un préjudice dès lors que l’utilisateur peut les refuser ;

que, d’autre part, si les dirigeants de l’entreprise ont la liberté d’assister aux audiences de plaidoiries, il demeure que leur présence à ces audiences n’est pas obligatoire, les parties étant représentées par leurs avocats.

Attendu que la somme de 80 000 francs sera allouée à la société Double Clic à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice découlant de l’atteinte à sa marque.

Attendu que la demande de cette société tendant à la condamnation des sociétés Doubleclick au payement de la somme de 500 000 francs pour procédure abusive sera rejetée en l’absence de tout abus de leur droit d’ester en justice.

Sur l’exécution provisoire

Attendu que l’exécution provisoire sera ordonnée du seul chef de la mesure d’interdiction.

Sur l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

Attendu que l’équité commande d’allouer à la société Double Clic la somme de 15 000 francs au titre des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer dans le cadre de la présente instance.

Sur les dépens

Attendu que les sociétés Doubleclick qui succombent supporteront les dépens.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déclare valable la marque Double Clic n° 96/621683 dont est titulaire la société Double Clic.

Déboute les sociétés Doubleclick Inc et Doubleclick Internet Adversiting de leurs demandes.

Dit que la société Doubleclick Internet Adversiting et la société Doubleclick Inc en faisant usage du terme Doubleclick à titre de dénomination sociale et de nom commercial sur le territoire français, ont commis des actes de contrefaçon de la marque Double Clic ° 96/621683 dont est titulaire la société Double Clic ;

En conséquence,

Interdit aux sociétés Doubleclick Internet Adversiting et Doubleclick Inc de faire usage en France du terme Doubleclick à titre de dénomination sociale et de nom commercial sous astreinte de 5 000 francs par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement.

Condamne in solidum les sociétés Doubleclick Internet Adversiting et Doubleclick Inc à verser à la société Double Clic la somme de 80 000 francs à titre de dommages-intérêts.

Autorise la société Double Clic à faire publier le présent dispositif dans trois journaux ou revues de son choix aux frais des demanderesses, le coût total de ces insertions ne pouvant excéder à la charge de celles-ci la somme de 60 000 francs hors taxes.

Déboute la société Double Clic du surplus de sa demande.

Ordonne l’exécution provisoire de la seule mesure d’interdiction.

Condamne in solidum les sociétés Doubleclick Internet Adversiting et Doubleclick Inc à verser à la société Double Clic la somme de 15 000 francs sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Les condamne aux dépens qui pourront être recouvrés directement par avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du Nouveau Code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris, le quinze octobre mil neuf cent quatre vingt dix neuf.

 


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