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Responsabilité des intermédiaires

Proposition de loi présentée par M. Alain Madelin

Mars 1999

 

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

 

PROPOSITION DE LOI

relative à la liberté de communication sur l’Internet

 

PRÉSENTÉE

PAR M. ALAIN MADELIN

Député

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

L'article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 Aout 1789 dispose : "la libre communication des pensés et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi".

La liberté d'expression est la première des libertés dans une démocratie. Les libéraux ont, à toutes les époques, défendu la liberté d'expression, d'information et de communication, que ce soit pour la presse, la radio libre, la fin du monopole d'Etat sur l'audiovisuel. Aujourd'hui c'est sur l'Internet que ce combat doit être mené.

S'agissant de presse, la loi libérale du 29 juillet 1881 a défini le cadre d'exercice de cette liberté en organisant notamment la protection des droits des tiers. En 1982 et 1986, cette législation a été adaptée pour l'audiovisuel.

Avec l'Internet, qui constitue un formidable vecteur de liberté, la société de l'information appelle de nouvelles régulations. A ces nouveaux moyens technologiques doivent correspondre tant un cadre d'autorégulation aussi large que possible défini par les acteurs eux-mêmes que la protection par le législateur d'un certain nombre de droits individuels.

En particulier, la clarification de la responsabilité des acteur de l'Internet est une des questions clés de la régulation de ce nouvel espace. Dans l'attente d'une prise en compte effective du droit de ce nouvel instrument, les juges ont dû déterminer eux même les règles de cette responsabilité, en empruntant les régimes de responsabilité spécifiques prévus dans le domaine de la presse écrite et de la communication audiovisuelle. La jurisprudence en la matière est apparue incertaine et parfois inadaptée, entraînant une incertitude juridique préjudiciable aux différents acteurs intervenants dans cet espace, éditeurs de contenus, hébergeurs de sites, fournisseurs d'accès ou transporteurs.

C'est ainsi qu'une récente décision de la Cour d'Appel de Paris (10 février 1999) a fait une application audacieuse et contestée des textes relatifs à la communication audiovisuelle à propos de la responsabilité d'un fournisseur d'hébergement pour la mise en ligne par un site anonyme qu'il hébergeait de photographies portant atteinte au droit à l'image d'un mannequin. L'arrêt précise en effet "qu'en offrant d'héberger et en hébergeant de façon anonyme sur le site...qu'il a créé et qu'il gère, toute personne qui, sous quelque dénomination que ce soit, en fait la demande aux fins de mise à disposition du public ou de catégories de publics, de signes ou de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature, qui n'ont pas le caractère de correspondances privées, M....excède manifestement le rôle technique d'un simple transmetteur d'information et doit, à l'évidence, assumer à l'égard des tiers aux droits desquels il serait porté atteinte dans de telles circonstances, les conséquences d'une activité qu'il a, de propos délibéré, entrepris d'exercer dans les conditions susvisées".

En conséquence, la Cour d'Appel a condamné le fournisseur d'hébergement à verser des dommages et intérêts pour atteinte au droit à l'image et à l'intimité de la vie privée.

Cette orientation jurisprudentielle, qui tend à mettre lourdement en cause les opérateurs techniques de l'Internet en évoquant en l'état la législation de la communication audiovisuelle, risque d'entraver gravement le développement de nouveaux services sur l'Internet. Elle apparaît en outre inéquitable, dans la mesure où elle institue une responsabilité pour des choses que l'on n'est pas en mesure de contrôler.Il apparait plus juste et aussi plus efficace de protéger les personnes qui n'exercent que des fonctions techniques pour atteindre le véritable auteur de l'infractin.

Un équilibre doit donc être trouvé entre, d'un côté la protection des personnes, de la propriété intellectuelle et de l'ordre public, et de l'autre, la liberté d'information et de communication.

Un tel équilibre est préconisé par le Conseil d'Etat qui dans son rapport public du 8 septembre 1998 intitulé "Internet et le réseau numériques" propose d'instituer une exonération de la responsabilité des opérateurs techniques, qu'ils soient simples transporteurs, fournisseurs d'accès ou fournisseurs d'hébergement, à condition qu'il prêtent leur concours aux autorités publiques en cas d'infraction, notamment en procédant à la suppression du service en ligne litigieux.

Dans le même sens, la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur, prévoit d'adapter le régime de responsabilité à la nature spécifique de l'Internet. Ainsi l'article 14 de la directive dispose :

Article 14

Hébergment

1. Les Etats membres prévoient dans leur législation qu'en cas de fourniture d'un service de la société d'information consistant dans le stockage des informations fournuies par un destinataire du servic, la responsabilité du prestataire ne peut, sauf dans le cadre d'une action en cessation, être engagée pour les informations stockées à la demande d'un destinataire du service à condition que : a/ le prestataire n'ait pas effectivement connaissance que l'activité est illicite et, en ce qui concerne une action en dommage, n'ait pas connaissance des faits ou de circonstances selon lesquels l'activité illicite est apparente; ou b/ le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les information ou rendre l'accès à celles-ci impossibles..."

Enfin, les exemples étrangers montrent une volonté de donner effet au principe de liberté d'expression sans imposer de charges disproportionnées aux acteurs de l'Internet, en tenant compte des connaissances et des moyens de contrôle des contenus des messages diffusés. Ainsi, aux Etats Unis, le Digital Millenium Copyright Act de 1998, exonère les fournisseurs d'hébergement de toute responsabilité, dès lors qu'ils bloquent ou suppriment le contenu de certains sites à la suite d'une mise en demeure de la personne s'estimant atteinte dans ses droits.

Il ressort de ces différents exemples qu'un fournisseur d'hébergement, comme tout intermédiaire technique de l'Internet, ne doit avoir davantage de responsabilité à l'égard du stock d'information qu'il héberge, que France Télécom par rapport au contenu des information qu'elle transmet, ou encore la Poste à l'égard du contenu des publications qu'elle achemine.

C'est pourquoi, sans attendre l'adoption de la directive européenne et sa transposition en droit français, il est proposé de déterminer un régime clarifié de la responsabilité des acteurs de l'Internet. Un tel dispositif dégagerait la responsabilité de ceux qui ne sont pas les auteurs de l'infraction, et qui n'ont qu'un rôle technique de transmission des informations, dans la mesure évidemment où ils n'auraient pas participé à la commission de l'infraction ou, qu'en ayant connaissance de cette infraction, ils n'agiraient pas promptement pour la faire cesser, en retirant les informations illicites ou en rendant leur accès impossible.

Dans la mesure où, en application de la loi du 26 juillet 1996 et dans l'attente d'une législation spécifique et adaptée à l'Internet, la notion de "service de communication audiovisuelle" s'applique aux sites Web et plus généralement à toute fourniture publique d'informations sur Internet, la proposition de loi s'inscrit dans le cadre de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

 

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Il est inséré dans la loi n°86-1087 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication un article 43-2 ainsi rédigé :

"Art 43-2- Les personnes intermédiaires techniques, concourant à la mise en ligne sur les réseaux de télécommunications de services d'information, qu'ils soient transporteurs, fournisseurs d'accès ou fournisseurs d'hébergement, ne sont pas pénalement responsable des infractions résultant du contenu des messages diffusés par ce service de communication, sauf s'il est établi que ces personnes ont, en connaissance de cause, personnellement commis l'infraction, participé à sa commission, ou qu'ils n'ont pas accompli les diligences nécessaires à la faire cesser".

 

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