Internet,
droit des obligations et droit d'auteur
ou
certains aspects
contractuels de l'exploitation des uvres sur Internet
Par Pierre-Emmanuel
Moyse
email : moyse@robic.com
Si la protection des uvres est organisée de façon
détaillée par la loi, les modalités de son exploitation sont, en revanche, largement
laissées à la loi des parties (1). C'est donc le contrat d'exploitation
qui va organiser les multiples formes d'utilisation auxquelles l'uvre est sujette.
Il est bien difficile de définir ces contrats autrement que par la description de leur
objet. En d'autres mots, est appelé contrat d'exploitation tout contrat qui a pour but la
cession d'un droit d'exploitation. On frôle la tautologie, Lapalisse veille ! Il serait
plus avisé de dire que le contrat d'édition est le modèle mère de tous les contrats
d'exploitation. L'analogie nous sauve.
La Loi modifiant la Loi sur le
droit d'auteur (2), adoptée en 1997, n'apporte pas de modifications
majeures quant aux mécanismes contractuels de cession du droit (3). La
formulation de l'ancien article 13 (4) est délaissée au profit d'un texte plus moderne
et plus clair mais qui ne change pas le principe de base de la licence. L'article 13 (4)
amendé énonce en substance que "le titulaire du droit d'auteur sur une
uvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d'une façon générale ou
avec des restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché
ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection"
(4). On se doit de constater la facture très générale de cette
disposition qui autorise finalement une multitude de montages contractuels. Ainsi que
l'enseignait Desbois, l'auteur peut ainsi diviser ses droits pour mieux régner. Voilà
pour le principe.
Seule précision notable, en
faisant référence au support, le législateur invite le rédacteur de contrat à
déterminer avec soin les formes mécaniques d'exploitation qui font l'objet de
l'autorisation. L'objectif est ici d'assurer la pérennité des liens contractuels en
évitant que les évolutions technologiques fassent apparaître des moyens de
communication de l'uvre non prévus au contrat initial. Le contenu du contrat doit
donc être suffisamment précis pour tenir compte des techniques à venir.
La seule véritable exigence
posée par l'article 13 (4) en est une de forme : pour être valable la cession doit être
faite par écrit et comporter la signature de son auteur. Voilà donc pour la forme.
Rappelons également que les
dispositions concernant la cession des droits d'auteur s'appliquent aux droits des
artistes-interprètes, des producteurs et des radiodiffuseurs en tenant compte du fait (5), bien entendu, que ces derniers ont un "bassin" de droits plus
limité que les auteurs. On parle ainsi couramment des droits "voisins" du droit
d'auteur pour rendre compte de la nature particulière des droits accordés aux
auxiliaires de la création.
Il appartient donc au rédacteur
de contrat d'organiser selon les intentions de son client, auteur, artiste-interprète,
producteur ou radiodiffuseur, le démembrement de son droit exclusif. Cependant, les
développements que l'on observe sur Internet aussi bien techniques, législatifs, ou
jurisprudentiels l'obligent à réviser quelque peu la façon dont il conçoit les
contrats de cession lorsque l'uvre est exploitée via Internet.
Nous développerons deux aspects
particuliers de la rédaction contractuelle. Le premier concerne la détermination de la
destination de l'uvre (I), le second la validité des contrats qui organisent les
rapports entre utilisateurs et commerçants sur Internet (II).
I. La destination de
l'uvre
En général toute cession
emporte des limites quant à la durée et l'étendue géographique. À ces deux
paramètres essentiels au contrat, il faut ajouter un troisième élément relatif,
celui-là, à l'exploitation même de l'oeuvre : la destination. De ces trois composantes,
la destination serait le panneau central d'un triptyque, l'âme du contrat. Les parties
s'entendent avant tout sur les modalités de l'exploitation. S'agit-il d'autoriser la
reproduction d'une uvre audiovisuelle sur vidéogramme ou d'accorder la publication
d'un texte en version électronique, la destination permet au cédant de contrôler
l'utilisation de son uvre dans l'exercice du droit cédé.
Mais les contrats, comme la loi,
ne sont pas toujours clairs. Et quand bien même ils le seraient, les termes utilisés
requièrent souvent l'intervention d'un interprète. C'est le cas notamment lorsque le
contrat vise un moyen technique spécifique que la science rend obsolète ou qui est
remplacé par un mode d'exploitation plus moderne (A). Dans ce cas le contrat ne parle pas
assez et, en y portant un peu d'attention, on pourra y lire ce que la plume des parties
n'a pas su exprimer. Mais il est des cas où le contrat ne dit presque rien, soit qu'il
n'existe pas, soit qu'il soit incomplet. Il faut alors découvrir les signes d'un accord
dans la nature des
relations entre les parties ; ce qui pose la question de la cession implicite (B).
A. L'interprétation du
contrat de licence
Il nous faut commencer par
quelques généralités. Le rédacteur, qu'il officie pour le titulaire des droits
d'auteur ou pour le compte du cessionnaire, s'applique à rendre la lecture du contrat la
plus imperméable possible aux contestations. Il en va de l'intérêt de son client ainsi
que de son devoir de professionnel du droit. Ici, deux techniques rédactionnelles lui
sont offertes : l'économie de mots ou l'épanchement. Les partisans de la première
méthode utilisent de termes superlatifs, surtout lorsqu'il s'agit de licence exclusive,
insistant sur le monopole accordé au cessionnaire. Le contrat est bref et
général. À ce titre, la clause qui revient le plus souvent est celle qui autorise
l'exploitation de l'uvre "quelque soit le mode d'exploitation ou la technique
utilisée" ou encore, lorsqu'il s'agit du droit de reproduction, "quelque soit
la forme matérielle". Au contraire, le juriste prolixe, adule de la seconde voie,
s'efforce d'ajouter des restrictions afin d'insister sur les actes qui ne sont pas permis
quand bien même ceux qui sont autorisés sont clairement et limitativement énoncés. Le
contrat est long et détaillé. Cette méthode vise à éluder tout doute, à écarter
définitivement les hésitations qui auraient pu naître de clauses générales (6). Il faut veiller cependant à ne pas sombrer dans l'extrême et
compliquer la lecture du contrat au point ou celui-ci en serait dénaturé.
Ligotée dans des termes précis,
encrée dans de longues définitions, la volonté des parties peut-elle être contenue ?
Chimère ! Les mots ont de multiples significations et y adjoindre une liste de
définitions crée parfois la faille dans l'édifice contractuel, trop longue et
s'effondre. Car la définition démultiplie le texte et l'affaiblit si elle n'est pas
servie avec précaution, le rendant souvent plus opaque. De la même façon, il est
difficile d'enfiler une camisole de mots à deux ou plusieurs volontés qui ne s'expriment
pas seulement par des mots, mais aussi par une attitude, par un comportement. Le contrat
ne peut donc ce lire sans tenir compte des faits et d'éléments contextuels qui entourent
la signature du contrat.
Les mots et les définitions ont
leur limite surtout lorsque l'on parle de technologies. Souvent le rédacteur manque sa
cible. Non qu'il ait omis certains modes d'exploitation dans son exercice de rédaction
mais la technologie lui vole des termes et techniques qui n'étaient, tout au plus, que
prévisible à l'époque de la signature du contrat. Si un auteur cède son droit de
reproduction en vue de la publication d'un texte dans une revue, cela signifie t-il qu'il
cède son droit de "publication électronique" sur Internet ? Est-ce que
l'expression "quelque soit le support ou mode d'expression" permet de couvrir
cette utilisation ? Voila les questions qui nous intéressent.
C'est ici que les règles
civilistes nous apportent quelques éléments de réconfort. Comme tout contrat, et bien
que son objet relève normalement de la compétence fédérale, le contrat de licence est
soumis, au Québec, aux règles du Code civil. Nous ne nous attarderons pas aux règles de
formation ni aux causes de nullité du contrat mais bien plutôt à son interprétation.
Les articles 1425 C.c.Q et suivant sont consacrés à cette matière. Le législateur est
très directif en posant comme premier principe que l'interprète doit rechercher
l'intention commune des parties plutôt que de "s'arrêter au sens littéral du
texte". Et, même si les clauses du contrat sont rédigés en terme généraux, nous
dit l'article 1431 C.c.Q., "elles comprennent seulement ce sur quoi il paraît que
les parties se sont proposé de contracter". La réalité peut donc changer le
sens des mots, comme le courant d'air fait vaciller la flamme d'une bougie ! La lecture
doit être fonction, entre autre, des usages, du contexte et de la nature du contrat (7). C'est seulement en superposant ces éléments à l'écrit que l'on
extrait le véritable sens du contrat. Il est donc important de favoriser la communication
entre les parties pour être certain d'en traduire ensuite la volonté commune.
L'article 1427 C.c.Q. oblige
indirectement à un certain niveau de précision et d'effort. Puisque chaque clause
s'interprète par rapport au tout et aux autres clauses en particulier, une clause unique
ou un contrat sommaire est à déconseiller. De même, les contrats types doivent être
utilisés avec précaution, puisqu'ils sont des documents préconstitués, n'ayant comme
intérêt que de guider la main du praticien. Sans modification ou adaptation, il est
difficile d'y attacher une haute valeur probatoire ou juridique.
Enfin, et ce principe est des
plus importants, l'article 1432 C.c.Q. énonce que "dans le doute, le contrat
s'interprète en faveur de celui qui a contracté l'obligation et contre celui qui l'a
stipulée. Dans tous les cas, il s'interprète en faveur de l'adhérent ou du consommateur"
(8). Cet article doit être lu ensemble avec les dispositions
réglementant les clauses abusives que l'on trouve un peu plus loin dans le code aux
articles 1434 C.c.Q. et 1379 C.c.Q (9). qui définissent le contrat
d'adhésion ainsi que dans la loi sur la protection des consommateurs de 1971(10). Tout comme on réprouvait l'emploi des clauses léonines on tend, dans
une logique consumériste, à protéger le contractant le plus faible, consommateur ou
"adhérent". Le terme adhérent utilisé par le législateur du Code civil est
plus neutre que celui de consommateur de la loi sur la protection du consommateur, ce qui
étend considérablement le champ d'application des articles 1434 C.c.Q. et suivants. Ce
sont de ces dispositions dont nous nous entretiendrons plus longuement (11).
Cette tendance protectionniste
s'observe non seulement dans l'interprétation des contrats entre professionnel et
consommateur mais également dans tous les cas où l'une des parties est dépossédée de
son droit de consentir librement, dans tous les cas où les faits relèvent sa qualité
d'adhérent. Partant de ces réflexions, toute clause abusive peut être révisée par le
juge quelque soit la nature du contrat ou la qualité des parties. Les contrats de licence
n'échappent pas à cette vérité même si il est vrai que parmi ceux-ci le contrat
d'utilisation, souvent imposé au consommateur, est plus particulièrement concerné. Nous
rapportons ici les propos du juge Benoît dans l'affaire Georges Huel c. Décalcomanie
Beaver (12) dans laquelle le cessionnaire d'un droit d'exploitation
d'un brevet conteste la validité de contrats de licence (13). Même si
il n'accueille pas favorablement les prétentions du cessionnaire, le juge Benoît
n'écarte pas la possibilité de pouvoir soumettre un contrat de gré-à-gré, qui plus
est passé entre professionnels, aux dispositions relatives aux contrat d'adhésion et aux
clauses abusives:
"Il me semble juste
d'affirmer qu'un contrat de quelque nature qu'il soit (ce qui explique l'utilisation du
terme "adhérent" que l'on retrouve seulement en matière d'assurance), peu
importe le statut des parties et leur pouvoir économique, peu importe que son objet (bien
ou service) soit offert à un individu ou au public, peut être qualifié de contrat
d'adhésion s'il remplit les conditions prévues à l'article 1379 C.c.Q. [...] De par sa
définition, le contrat d'adhésion est une relation contractuelle dictatoriale dont les
clauses peuvent être toutes raisonnables (contrat totalement valable) ou certaines
d'entre elles être abusives (clauses annulables ou réductibles), le stipulant fixant les
éléments essentiels et les imposant à l'adhérent sans possibilité pour ce dernier
d'en discuter. Les dispositions du Code en matière de contrat d'adhésion n'entendent pas
favoriser l'insouciance d'une partie qui pouvait être vigilante. En règle générale, le
contrat qualifiable comme contrat d'adhésion est un contrat valide. S'il comporte des
clauses abusives, celles-ci peuvent être annulées ou leur rigueur être amoindrie (art.
1437 C.c.Q.). Ce n'est que dans le cas où le contrat d'adhésion constitue un tout
indivisible que la clause abusive emporte l'annulation du contrat lui-même (art. 1438
C.c.Q.). [...] Puisqu'un contrat d'adhésion peut ne pas comporter de clause abusive, il
ne doit pas y avoir de réticence à qualifier ainsi un contrat dès que les conditions se
rencontrent. Il est difficile d'imaginer que la partie qui conçoit les éléments
essentiels du contrat pour son compte, etc. stipulera des clauses abusives contre
elle-même. C'est donc principalement l'imposition de l'essentiel du contrat par l'une des
parties qui lui confère la qualification d'adhésion. Mais le Code ajoute l'exigence de
l'impossibilité pour l'autre d'en discuter. Le Code parle de discussion et non de
modification obtenue suite à la discussion. Voilà de quoi limiter considérablement
l'application de l'article 1379 C.c.Q" (14).
Fort de ces quelques principes,
tentons de les appliquer aux contrats qui ont pour objet l'exploitation électronique des
uvres. Ainsi que nous l'avons énoncé en introduction, la seule exigence contenue
dans la loi sur le droit d'auteur est celle d'un écrit. En dehors de ce formalisme
et les dispositions générales du Code civil, la volonté commune des parties et des
dispositions est la seule source d'obligation et c'est elle qu'il faut découvrir. C'est
à cette tâche délicate que le juge américain s'est livré dans l'affaire Tasini (15). Des écrivains indépendants reprochaient au New York Time
d'avoir reproduit leurs articles en les intégrant sous format électronique dans un
CD-ROM ainsi que dans une banque de données accessible par réseau. L'un des demandeurs
avait signé un contrat de licence avec l'éditeur dans lequel il s'engageait à céder
son droit de première publication (16). La compagnie New York Time,
cessionnaire des droits, alléguait en défense que son droit de première publication ne
pouvait pas être limité à certains moyens de communication et que la rédaction du
contrat est assez souple pour pouvoir inclure la publication électronique des uvres
du demandeur. Assez étrangement la Cour conclut que le droit de première publication est
épuisé dès lors que le texte avait été reproduit une première fois en version
papier. La "republication" sous forme électronique est seconde et donc non
comprise dans la cession.
The right to publish an article
"first" cannot reasonably be stretched into a right to be the first to publish
an article in any and all mediums. [...] Because Whitford's article was "first"
published in print, the electronic republication of that article some 45 days later simply
cannot have been "first." (17)
Cet argument est à notre avis
contestable puisque le but recherché par l'acquisition d'un droit de première
publication est la primeur de la divulgation et il parait étrange de figer le droit du
cessionnaire à la première forme de l'exploitation choisie. La Cour donnera finalement
droit à l'éditeur et rejettera la demande des auteurs pour des motifs qu'il n'est pas
utile de présenter ici. L'intérêt de la décision est d'observer les difficultés
d'interprétation qui naissent d'un contrat a priori bien rédigé mais pour lequel le
rédacteur n'avait pas prévu d'autres modes de communication de l'uvre autre que
l'édition traditionnelle.
B. La licence implicite
Si il ne faut pas s'arrêter à
la formulation littérale du contrat cela signifie que l'on peut y découvrir des
obligations conventionnelles qui n'y sont pas initialement prévues. Quid d'une licence
implicite ? A priori on pourrait penser qu'elle peut se déduire de la communication entre
les parties lors de la phase précontractuelle par exemple. Répétons-le, le respect de
la lettre n'est pas une fin en soi.
Pourtant, le droit d'auteur, dans
ses attributs patrimoniaux, peut être divisé et subdivisé à la façon de ces fameuses
poupées russes. La loi elle-même, à son article 3 LDA, fait une liste de droits qui,
pris individuellement, peuvent faire l'objet d'une cession, exclusive ou non. Il s'agit
notamment des droits de produire, de reproduire, d'exécuter, de représenter (18). Cela étant, le contrat se doit d'être précis, aucune cession
n'étant présumée. La cession du droit de traduction n'emporte pas cession du droit de
reproduction, la cession du droit de reproduction mécanique n'inclut celui de
synchronisation, etc. Corrélativement, la lecture des contrats en cette matière est
guidée par une interprétation restrictive de sorte que la liberté contractuelle est
fortement restreinte par la stricte définition des droits qui en font l'objet.
C'est dans ce sens qu'il faut
également comprendre l'exigence de forme prévue à l'article 13 (4). L'écrit est là
pour assurer une certaine fiabilité à la transaction (19). Les juges
sont donc réticents à reconnaître la validité d'une cession sans écrit (20).
Les principes généraux de la théorie des obligations se heurtent alors à la
constitution réglementaire du droit d'auteur. Pour démêler ce nud cordien, encore
faut-il considérer l'objet de la licence. Commençons par les certitudes. Comme nous
l'avons déjà souligné, la cession d'un droit expressément prévu par la loi et visé
par le contrat n'emporte pas cession d'un autre droit à moins qu'il soit lui aussi
compris au contrat. Ainsi, si l'auteur transfert son droit de reproduction, le droit de
représentation ou de traduction n'est pas affecté (21). Il s'agit là
de ce que nous pourrions présenter comme le "principe de spécialité" du droit
d'auteur.
Par contre, les modalités
d'exercice de ces droits, prises isolément, doivent être clairement déterminées par le
cédant. Ainsi, il n'est pas suffisant de céder son droit de reproduction. Encore faut-il
préciser les supports qui mettent en jeu le droit de reproduction. S'agit-il d'un
vidéogramme, d'une bande sonore, d'un CD-ROM ? Nous voici arrivés aux incertitudes. Si
le juge Reed, dans l'affaire Apple Computer conclut que la fixation d'une
uvre sur un support électronique est une reproduction au sens de la loi sur le
droit d'auteur (22), à l'inverse, rien ne nous indique qu'en cédant
son droit de reproduction l'auteur autorise toutes les formes de fixation. Le droit de
reproduire un texte sur CD-ROM ou sur papier emporte t-il un droit de rendre l'uvre
accessible par Internet ? Ni la loi ni la jurisprudence canadiennes n'offre de réponse
claire. Les seules indications jurisprudentielles nous sont données par les conclusions
de l'affaire Netupsky (23). Dans ce cas d'espèce concernant une
uvre architecturale, le juge Judson, pour la Cour suprême, avait relevé
l'existence d'une licence tacite permettant au cessionnaire des droits sur l'uvre de
modifier les plans d'architecte afin d'apporter des changements à l'édifice. La
modification avait été rendue nécessaire afin que la production commandée
(l'uvre) soit conforme à celle pour laquelle le cessionnaire s'était engagé (24). En contrepartie ce dernier s'était obligé à payer l'architecte.
Ainsi sommes-nous revenu à l'interprétation du contrat : l'objet du contrat doit être
conforme à l'attente des parties.
Il faut bien avouer que cette
affaire reste un cas d'espèce. La solution qui y est présentée est loin d'être
systématique. Le processus de construction d'un immeuble doit répondre à un cahier des
charges, à une nécessité de fonctionnalité. Ce sont ces contingences d'habitabilité
qui ont conduit le juge à imposer des obligations accessoires à la charge de
l'architecte. On voit bien que la solution est difficilement transposable aux
environnements électroniques.
Si le législateur canadien avait
inséré un droit de transmission électronique en complément des droits déjà existant,
les choses eurent été peut-être plus aisées pour le rédacteur de contrat (25). En effet, en application du "principe de spécialité" du
droit d'auteur la cession du droit de reproduction ne s'étend pas, a priori, au droit de
transmission électronique. La rédaction actuelle de la loi ne permet pas une telle
construction (26). Mais, il nous est possible d'arriver à une solution
acceptable en posant certains principes. D'abord, l'exploitation d'une uvre sur
Internet met en cause le droit de reproduction (27) ainsi que le droit
de communication au public. Une des rares décision Internet canadienne, bien que jugée
sur la base du droit criminel, relève que "[s]ince computer programs are
expressely protected by the Act as literary works, and the owners of the copyrights have
the sole right to communicate the work to the public by telecommunciation, there can be no
doubt that the appelant created infringing copies of the software by placing them on the
bulletin board in such way that they were available to be used and copied by the 16
special users" (28). La cession des droits de reproduction et
de communication au public est donc nécessaire afin que le contrat de licence soit
pleinement valide. Si l'un des deux fait défaut, le principe posé par l'arrêt Bishop
(29) (la cession d'un droit n'emporte pas la cession d'autres droits
lorsqu'ils sont distincts) pourrait faire qu'un des droits ne soient pas libéré. Ainsi,
confronté aux même faits que l'affaire Tasini nous a permis de présenter, le
droit canadien n'aurait probablement pas pu légitimer l'utilisation des textes de
l'auteur dans des produits multimédias. Il aurait fallu que la licence comporte
clairement la cession du droit de reproduction, accompagné de ses modalités éventuels
(format, type de support...) ainsi que celle du droit de communication au public si
l'uvre devait être accessible par réseau télématique. Pour éviter d'alourdir le
contrat certains rédacteurs préfèreront insérer l'expression "publication
électronique" ou "publication sous forme électronique". Cette formule qui
à l'avantage d'être concise déplace la difficulté sur la définition du mot
publication. Si l'auteur confère une licence exclusive à des fins de publication de son
uvre sous forme électronique rien n'indique que l'autorisation s'étend à la
communication de l'uvre par courrier électronique ou encore qu'il est interdit à
l'auteur de placer celle-ci sur son site personnel.
Mais la réflexion ne doit pas
s'arrêter ici. Lorsque l'auteur place son uvre sur Internet cela ne signifie pas
qu'il cède pour autant ses droits dans l'uvre : il les exerce seulement d'une
manière particulière. Les décisions Trumpet Software (30) et Edirom
(31), bien qu'émanant de juridictions différentes, se rejoignent
pour confirmer cette solution. L'accès public au site n'est pas constitutif d'un abandon
du droit d'auteur. Dans la décision australienne Trumpet Software, le défendeur
avait reproduit sur disquette un logiciel mis gratuitement à la disposition du public sur
Internet. Les 60 000 disquettes comportant l'uvre téléchargée accompagnaient
la distribution d'un magazine spécialisée. Le juge refusa de reconnaître l'existence
d'une licence implicite de reproduction et condamna le défendeur. Quant à l'affaire
française Edirom, jugée par le Tribunal de commerce de Nanterre, l'uvre en
cause était également disponible sur Internet sans restrictions techniques d'aucune
sorte. Les juges ont toutefois relevé que le fait de copier les fichiers du site pour les
transposer sur un autre sans autorisation de son auteur constituait un acte de
contrefaçon. On doit donc présumer que l'auteur exerce entièrement son monopole, ce
qui, évidemment, ne joue pas en faveur de la reconnaissance de licence tacite (32).
Ainsi l'interprétation du
contrat est-elle aussi rigide que celle de la loi et nul droit ne peut éclore des faits
ou du contexte précontractuel. L'article 89 LDA est on ne peut plus explicite : "Nul
ne peut revendiquer un droit d'auteur autrement qu'en application de la présente loi ou
de toute autre loi fédérale, [...]" (33). L'impérialité de
la loi s'étend donc au contrat dont il n'est finalement que le prolongement, le bras
servant. Tout ce qui n'est pas écrit n'est pas permis, voilà l'adage qu'il faut
répandre. Il reste donc peu de place pour la reconnaissance d'une théorie de la licence
implicite. Certaines modalités d'exploitation de l'uvre pourront simplement se
déduire du tissu contractuel lorsquune interprétation littérale rendrait la chose
non conforme à l'usage projeté. Par exemple, si un auteur cède son droit de
reproduction pour une édition papier de son texte ce droit comprend de manière évidente
la manipulation électronique par traitement de texte.
II. La validité des
contrats de licence à l'égard des utilisateurs
Très peu de choses ont été
finalement écrites sur ces concessions d'usage que l'on place sous l'expression
générique de licence d'utilisation (34). La nécessité de rédiger de
tels contrats - car ce sont des documents contractuels quand bien même on peut en
contester la validité - est apparue avec la vente des logiciels de grande consommation
(progiciels). Ce type d'uvre se prêtant facilement aux manipulations diverses
(mémorisation, copies, envoie par réseaux, prêts de disquettes, de CD-ROM...),
l'industrie de l'informatique a cru bon de consolider l'exercice de son monopole en
imposant certaines interdictions dans un contrat destiné aux consommateurs du produit. Il
faut distinguer ici deux situations, selon qu'il s'agit des contrats accompagnant la vente
d'un produit (A) ou des contrats passés directement via Internet (B).
A. Les contrats
accompagnant le transfert du produit
Dans ce cas le contrat est
affiché sur la boite même du logiciel, inséré dans le manuel d'utilisation ou encore,
pour reprendre l'exemple de WordPerfect, présenté de manière indépendante sous
forme de livret. Le plus souvent une clause du contrat indique qu'en ouvrant l'emballage,
l'utilisateur en comprend et en accepte les termes. Ce mode d'acceptation forcé leur a
valu l'appellation de " shrinkwrap license " (35). Leur validité est très contestée notamment parce qu'il est
difficile de soutenir que le contrat de vente passé entre un détaillant et le
consommateur emporte acceptation des termes de la licence. Cette dernière convention vise
non l'objet matériel mais le logiciel lui-même.
Cette critique est d'autant plus
pertinente que le détaillant est ni le titulaire des droits d'auteur, ni son
représentant. On peut également objecter que le droit de propriété de l'acheteur sur
le matériel - disquette, CD-ROM... - s'oppose aux droits de l'auteur dans la mesure où
tout propriétaire est supposé être maître du bien qu'il acquiert. On comprend donc mal
que son droit d'usus, en particulier, soit limité unilatéralement par une licence
d'utilisation. Notamment, dans certaines circonstances, lorsque l'auteur autorise la mise
en marché du produit il ne lui est plus possible d'en contrôler la distribution
subséquente. On parle alors d'épuisement du droit d'auteur ou de doctrine de la
première vente aux Etats-Unis.
Pour mieux rendre compte de la
portée du droit contractuel dans un contexte de distribution nationale et transnationale
nous présenterons une jurisprudence récente qui évoque la question de l'épuisement.
Aucune des décisions étudiées n'est issue de nos tribunaux mais elles sont d'une grande
utilité pour les rédacteurs.
Deux affaires françaises ont
permis de préciser le principe de l'épuisement contenu à l'article 122-6 du Code de la
propriété intellectuelle. Cette disposition accorde un droit exclusif d'exploitation à
l'auteur du logiciel. L'alinéa 3) y apporte une restriction importante : "[...]
la première vente d'un exemplaire d'un logiciel dans le territoire d'un membre de la
Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord de l'espace économique par
l'auteur ou avec son consentement épuise le droit de mise sur le marché de cet
exemplaire dans tous les Etats membres à l'exception du droit d'autoriser la location
ultérieure d'un exemplaire".
Le Tribunal de commerce de
Créteil, le 12 novembre 1996, a eu à juger de la première affaire (36).
En voici les faits. Microsoft assigne en contrefaçon un distributeur indépendant qui
vend par correspondance, sur le territoire français, des produits Microsoft à des
conditions plus avantageuses que l'éditeur lui-même. Microsoft conditionne la vente de
certains de ces logiciels à l'acquisition d'une première version. La mise à jour du
logiciel est ensuite vendue à un prix préférentiel. Pour en bénéficier l'utilisateur
doit justifier de l'acquisition du produit antérieur. A défaut, le contrat d'utilisateur
joint à la version la plus récente indique que la licence est invalide. De son côté,
la société défenderesse commercialise les logiciels de mise à jour en les présentant
comme des versions complètes sans les soumettre à aucun pré-requis.
Le Tribunal de Créteil
reconnaît bien à l'éditeur le droit de contrôler la destination des exemplaires dont
il a autorisé la mise en marché. Mais il nuance ce droit par un attendu de première
importance : "[L]e législateur a voulu limiter la protection du droit de
propriété intellectuelle pour favoriser la libre commercialisation dans l'ensemble des
Etats de la Communauté Européenne, en disposant dans l'article 122-6-3 que la première
vente d'un exemplaire du logiciel, par l'auteur ou avec son consentement, épuise le droit
de mise sur le marché de cet exemplaire ; que cela signifie que l'auteur ne peut plus
alors imposer de conditions de commercialisation sur le fondement de son droit d'auteur
sauf accords contractuels ; que la société Microsoft, qui conserve pleinement le droit
de limiter les conditions d'exploitation des logiciels [...] en imposant aux utilisateurs
la possession antérieure d'un logiciel concurrent ou d'une autre version de logiciel
Microsoft, ne peut, en l'absence de lien contractuel avec la société Direct Price, lui
imposer des restrictions de commercialisation, pour des logiciels dont la première vente
a déjà eu lieu par l'auteur" (37). On doit lire dans les
propos du juge consulaire que le contrat d'utilisation permettrait de fonder un recours en
contrefaçon en cas de son inobservation mais, qu'en revanche, il ne peut être opposable
à un tiers au contrat, par exemple un distributeur. Les contrats d'utilisation
acquièrent ainsi leurs premières armes.
La seconde affaire française
présente des faits assez similaires mais concerne cette fois l'importation en France de
logiciels de Microsoft destinés au marché québécois. Il s'agit donc de commerce
extra-communautaire pour laquelle la règle 122-6 3) ne devrait pas pouvoir s'appliquer.
Des étiquettes apposées sur les coffrets distribués au Canada indiquaient d'ailleurs
clairement leur destination "canadienne". D'autres par, le juge rappelle en
citant les termes des licences d'utilisation que les concessions de droits sont valides et
applicables "seulement dans le cas ou le CLUF (contrat d'utilisateur final, notre
note) vous est livré au Canada. Si vous avez obtenu le présent CLUF ; en dehors du
Canada, il est nul et non avenu et vous devez retourner le logiciel afin d'obtenir
remboursement". En conclusion, le juge donnera droit à Microsoft non sur le
fondement du droit des obligations mais en concluant à l'importation illicite ainsi qu'à
l'irrecevabilité de l'épuisement. Cependant, on ne saurait trop insister sur
l'importance capitale d'insérer des stipulations claires au contrat d'utilisation ainsi
que de marquer sa volonté de limiter la destination des exemplaires. Les étiquettes
ajoutées sur les coffrets de Microsoft ont permis, si ce n'est de confirmer un droit prima
facie, au moins de relever l'atteinte volontaire à ses droits. Le contrefacteur ne
pouvait méconnaître l'intention de l'auteur, intention si bien affichée ! La
jurisprudence française incline donc vers la reconnaissance d'une certaine force
obligatoire des pratiques de commercialisation ainsi que des licences d'utilisation.
Aux Etat-Unis une tendance
analogue se dessine. La Cour d'appel du septième circuit a récemment imposé à
l'acheteur d'un CD-ROM l'observation des restrictions prévues par la licence
d'utilisation placée dans le coffret (38). Au surplus le contrat
apparaissait à l'écran de l'ordinateur chaque fois lorsque l'utilisateur lance le
chargement du programme. Le défendeur, un dénommé Zeidenberg, avait utilisé les
données inscrites sur le CD-ROM afin de les intégrer à son site Internet payant et
soutenait que le contrat ne pouvait lui être opposé. La Cour rejète sa défense et, sur
le visa de l'article 2-204 UCC (39), conclut qu'en ouvrant le paquet
ainsi qu'en ayant pris nécessairement connaissance de la licence à l'écran de son
ordinateur, il était lié par les termes du contrat.
B. Les contrats en ligne
Les contrats de licence en ligne
peuvent fixer précisément les contours de l'utilisation de l'uvre. L'absence de
support matériel va éviter les difficultés relatives à la validité des clauses
étiquettes ou encore des licences qui accompagnent la vente de progiciels et que l'on
nomme " shrinkwrap license ". Notons simplement que la vente
d'un bien matériel (support du logiciel par exemple) n'interfère plus avec la formation
du contrat de licence (le détaillant ne pouvant pas être le mandataire du titulaire du
droit d'auteur dans l'uvre). Le propriétaire du bien matériel (l'acheteur) ne peut
donc plus opposer à l'auteur son droit de propriété ordinaire puisque dans le cas
d'Internet il y a dématérialisation du produit. Le principe d'épuisement du droit ou de
"first sale doctrine" ne trouve plus à s'appliquer dans un environnement
électronique.
Avec Internet, la formation du
contrat de licence est parfaitement valide, elle correspond seulement à un mode
particulier de conclusion. Ainsi en est-il de l'expression du consentement qui se fera la
plupart par une simple pression sur le bouton de la souris (clickwrap license). Peu
importe le mode d'acceptation, l'interprétation qui a été suivie dans certaines
affaires, telles que l'affaire ProCD, pour les clauses stipulées sur ou dans la boite
doit pouvoir être transposée aux contrats électroniques. C'est au cas par cas que les
tribunaux pourront apprécier la formation du contrat. Certaines Cours américaines ont
déjà reconnu la validité des licences "clickwrap" (40).
Dans une décision de la Cour de district nord de Californie, le juge décide que le seul
fait de "cliquer" sur le bouton "I agree" est l'expression
valide d'un consentement (41).
Qu'en est-il cette fois de la
force contraignante de ces contrats ? Il s'agit en général de contrats d'adhésion
auxquels le droit consumériste a apporté d'importantes limitations tant au niveau de
leur forme qu'au niveau du contenu et plus particulièrement des garanties qui doivent y
être insérées. Les dispositions légales générales qui réglementent les contrats
s'appliquent de ce fait invariablement aux contrats électroniques comme aux contrats
papiers. Ainsi en va t-il de l'obligation de rédiger le contrat en français ou de
l'exigence de clarté et de lisibilité (42). Quant au contenu même du
contrat, lorsqu'il s'agit d'obligations déjà prévues par la loi sur le droit d'auteur,
le contrat ne vaut qu'avertissement. Il sert finalement de rappel des droits, sorte de
publicité. Mais d'autres stipulations peuvent répondre à la volonté unilatérale du
titulaire de droit dans l'uvre celle-ci dépassant le simple cadre légal. Ces
stipulations, dont la plupart aggravent le sort de l'utilisateur, sont à notre avis
valables, mais à certaines conditions.
Lorsqu'il s'agit d'un contrat
d'adhésion, les dispositions législatives sur les clauses abusives devront retrouver
leur plein effet. Peu importe qu'il s'agisse d'un utilisateur et non d'un consommateur, on
est dans le domaine protégé du droit consumériste. De la même manière on peut
dégager des usages du commerce et des habitudes de consommations. De cette analyse on
reconnaîtra à l'utilisateur certaines utilisations qu'il sera impossible d'interdire par
voie contractuelle. Il appartient également au titulaire de l'uvre de veiller à ce
que son produit soit accompagné d'un dis positif technique empêchant l'utilisation
indésirée. Par exemple, la clause qui obligerait à vider sa mémoire cache (43) après chaque visite du site de l'auteur nous apparaît tomber sous
cette catégorie de clauses que défi l'usage commun du produit. On revient finalement à
la découverte d'un droit de l'utilisateur.
La liberté du contractant,
déjà surveillé lorsqu'il est commerçant, est accompagnée d'une autre restriction,
celle de l'obligation de diligence du professionnel. Le professionnel se doit de
renseigner l'utilisateur. C'est désormais un principe classique en droit des obligations
qui, transposé dans le commerce électronique, peut revêtir une forme toute singulière.
L'article 2837 C.c.Q. qui porte sur les moyens de preuve concernant les inscriptions
informatisées nous servira d'illustration. Selon cette disposition, le document
informatique fait preuve du contenu "s'il est intelligible et s'il présente des
garanties suffisamment sérieuses pour que l'on puisse s'y fier". C'est du
système informatique et de la fiabilité de celui-ci dont il est ici question. Concernant
cette fois la formation du contrat il faudra également que le commerçant veille à
installer un système fiable, suffisamment compréhensible non seulement quant aux termes
de la licence, mais également quant aux modes de communication de son offre. Les
étiquettes, le contrats de licence et l'affichage des clauses du contrat à l'écran de
l'ordinateur ont été des éléments primoridaux dans l'affaire jugée par le Tribunal de
Créteil (44). De la même manière, le logiciel utilisé, la
présentation, l'intelligibilité des termes employés seront des paramètres importants
dans l'appréciation de la force obligatoire de la licence "on-line".
P.-E. M.
Notes
* LL.M en propriété intellectuelle
(Université de Montréal), D.E.S.S. de droit des affaires (Université de
Franche-Comté), D.I.D.F.A.A. (Université de Mayence). Etudiant au doctorat sous la
direction du professeur Ysolde Gendreau ; moyse@robic.com
.
1. Nous ajoutons ici deux commentaires. Il faut d'abord
préciser que la loi organise dans certains cas la cession des droits de l'auteur sans que
ce dernier puisse réellement s'y opposer. Il s'agit des licences légales. Ce mécanisme
est une réponse à l'utilisation massive des uvres. Le contrat de gré-à-gré ne
convient pas, par exemple, dans le cas de l'exploitation des uvres musicales par
radiodiffusion. On se référera à l'article 31 de Loi sur le droit d'auteur tel
qu'amendé par la Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur (ci-après LDA).
Ensuite, particularité de notre système, le contrat de cession est réputé sans effet
25 ans après la mort de l'auteur. La protection des ayants cause l'emporte donc sur la
loi des parties. Article 14.1 LDA.
2. L.C. 1997 c. 24
3. Le terme cession comprend la notion de licence. On
emploiera dans le texte invariablement cession ou licence pour désigner le contrat qui
réalise un transfert de la totalité ou d'une partie seulement du droit d'auteur.
Cependant, dans le langage parlé la cession s'entend plutôt d'une cession totale du
droit d'auteur alors que la licence fait référence à une cession partielle,
c'est-à-dire d'un ou plusieurs droits seulement. Cette distinction ne vaut pas que l'on
s'y attarde.
4. La version actuelle de la disposition principale
organisant la cession du droit d'auteur n,est pas très éloignée de celle de la loi de
1921. L'aricle 11 (2) de la loi de 1921, entrée en vigueur en 1924 et intitulée
"Loi modifiant et codifiant la législation concernant le droit d'auteur" se lit
ainsi : "Le titulaire du droit d'auteur sur une uvre peut céder ce droit, en
totalité ou en partie, d'une manière générale, ou avec des restrictions territoriales,
pour la durée complète ou partielle de la protection; il pourra également concéder,
par une licence, une faculté quelconque inhérente à ce droit; mais la cession ou
concession ne sera valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le
titulaire du droit qui en fait l'objet..."; 11-12 George V, c. 24.
5. Article 25 LDA, L.C. 1997 c. 24. "Les
paragraphes 13(4) à (7) s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux droits
conférés par la présente partie à l'artiste-interprête, au producteur
d'enregistrement sonore et au radiodiffuseur".
6. Les licences d'utilisation sont souvent construites
sur ce schéma. Une clause générale accorde "un droit non exclusif
d'utilisation" qu'une clause spéciale vient préciser en y apportant des
restrictions. La licence de Word Perfect consentit par Word Perfect Corporation contient
une clause "restrictions" qui se lit ainsi : "Vous ne pouvez en aucun cas
louer ou donner en location le Logiciel sans l'accord écrit de WPCorp. Vous ne pouvez en
aucun cas décompiler. démonter, inverser, reproduire, créer une uvre
dérivée...en dehors des cas expressément prévus dans ce contrat". Le terme
"utilisation" est donc défini par défaut par une liste d'interdictions
7. Article 1426 C.c.Q.
8. L'article 17 de la loi sur la protection du
consommateur comporte une règle semblable. L.Q. 1971, c. 74.
9. Sur ce point et pour plus de précisions, nous
renvoyons le lecteur aux références suivantes; N. CROTEAU, Le contrat d'adhésion :
de son émergence à sa reconnaissance, Montréal, Wilson & Lafleur, 1996. B.
MOORE, "A la recherche d'une règle générale régissant les clauses abusives en
droit québécois", (1994) 28 R.J.T. 177.
10. Loi sur la protection du consommateur, L.Q. 1971,
c. 74, remaniée en 1978 pour en étendre le champ d'application. La loi initiale ne
visait que les contrats de crédit et les contrats conclus avec les vendeurs itinérants.
Désormais elle s'applique à tout les contrats conclus entre un consommateur et un
commerçant "dans le cours de son commerce et ayant pour objet un bien [mobilier] ou
un service". Article 2, précité.
11. A titre indicatif, la loi sur la protection du
consommateur interdit les clauses pénales, les clauses d'exonération de responsabilité,
dans une certaine mesure les clauses arbitraires, ainsi que la clause qui a pour objet de
soumettre le contrat à une autre loi que la loi canadienne ou québécoise.
12. Georges Huel c. Décalcomanie Beaver Inc.,
[1997] A.Q. no 629, No 500-05-019380-961.
13. Les contrats en cause, considérés comme abusifs
par la défenderesse, octroyaient à cette dernière un droit exclusif de fabriquer,
promouvoir la vente, distribuer, utiliser, vendre les produits dans un certain territoire
et selon le brevet spécifié en contrepartie d'un paiement proportionnel aux ventes
nettes de ce produit.
14. Georges Huel c. Décalcomanie Beaver Inc.,
[1997] A.Q. no 629, No 500-05-019380-961
15. Tasini v. New York Times Co., (1997) 981 F
Supp. 841.(U.S. New York) Cette décision confirme le jugement sommaire rendu quelques
mois auparavant par la même cour. Tasini v. New York Times Co., (1997) 972 F Supp.
804. Les extraits cités proviennent du premier jugement uniquement.
16. Le droit de première publication était
accompagné de deux autres clauses que nous reproduisons pour information "(b) the
non-exclusive right to license the republication of the Story whether in translation,
digest, or abridgement form or otherwise in other publications, provided that the Magazine
shall pay to you fifty percent (50%) of all net proceeds it receives for such
republication: and (c) the right to republish the Story or any portions thereof in or in
connection with the Magazine or in other publications published by The Time Inc. Magazine
Company, its parent, subsidiaries or affiliates, provided that you shall be paid the then
prevailing rates of the publication in which the Story is republished", 972 F Supp.
804, 807.
17. Tasini v. New York Times Co., (1997) 972 F
Supp. 804, 812.
18. Les termes "représentation" et
"exécution" sont définis à l'article 2 LDA. On peut rappeler également la summa
divisio entre droit de reproduction et droit de représentation. Le juge Mc Lachin
dans l'affaire Bishop confirme cette distinction "Le droit d'exécuter une
uvre (notamment celui de la radiodiffuser) et le droit de faire un enregistrement
sont mentionnés de façon distincte au par 3(1). Ce sont des droits distincts en théorie
et en pratique, comme l'indique clairement la description du système de licences qui
permet de rémunérer les musiciens pour l'utilisation de leurs uvres". Bishop
c. Stevens (1990) 2 R.C.S. 467, 478. Cette réflexion est transposable aux autres
droits principaux définis par la loi sur le droit d'auteur.
19. Bien qu'à notre avis l'irrespect de cette
formalité n'emporte pas forcément résiliation d'une licence accordée verbalement par
exemple. Le fardeau de preuve est seulement alourdi. La jurisprudence, peu nombreuse, en a
pourtant jugé autrement. Par exemple, Bradale Distribution Inc., c Safety First Inc.
(1987) 18 C.I.P.R. 17 (C.S. Qué.). Selon Normand Tamaro, "au Canada l'exigence d'un
écrit est une règle de droit substantif". N. TAMARO, La loi sur le droit
d'auteur, Scarborough, Carswell, 1992, p. 242.
20. Slumber-Magie Co. Ltd. Sleep-King Adjustable
Bed Co. (1984) 3 C.P.R. (3d.) 81(C.S. C.-B.). Egalement C.P. Koch Ltd. c.
Continental Stell Ltd. (1984) 82 C.P.R. (2d.) 156 (C.S. C.-B.). Voir N. TAMARO, op.
cit., note 19, p. 244. Pour une autorisation verbale valide, voirNational Film Board c.
Bier, (1970) 63 C.P.R. 164.
21. Bishop c. Stevens (1990) 2 R.C.S. 467.
22. Apple Computer Inc. c. Mackintosh Computer Ltd.
(1987), [1988] 1 C.F. 673. Le juge Hugessen donne cette définition du droit
exclusif de reproduire (article 3) : "It is in my opinion, possible to read those
words as including by necessary implication the sole right to produce the means of
reproduction of the work or, to put the matter another way, the sole right to produce
anything used or intended to be used".
23. Netupsky c. Cominion Bridge, (1972) R.C.S.
368.
24. N. TAMARO, op. cit., note 19, p. 249. L'auteur
écrit : "L'engagement contre rémunération que prend l'architecte d'autoriser la
production d'une chose implique l'utilisation de cette chose conformément à ce que les
parties prévoyaient expressément, ou par implication nécessaire, au moment de la
formation du contrat".
25. Nous avions exprimé une opinion opposée dans
différentes études sur l'application du droit aux opérations télématiques. Il nous
semblait qu'une interprétation large des notions de communication au public et de
reproduction aurait été suffisante pour protéger les auteurs. Cependant, en créant un
autre droit, par exemple un droit de transmission électronique dment défini, la
tche des rédacteurs de contrat aurait été grandement facilité. En effet, à
défaut de savoir, avec certitude, quel droit s'applique à la dissémination d'un
uvre par Internet, ou encore à son simple survol, le praticien est ne sait plus
très bien à quel droit se voué !
26. D'autres lois, en revanche, ont résolu, au moins
en partie, la difficulté La loi sur le droit d'auteur de la République de Slovénie
accorde un droit de préférence à l'éditeur cessionnaire des droits de publication
papier. L'article 89 prévoit en effet que "(1) The publisher who has acquired the
right to publish the work in a book form has, among equal offerees, the priority right to
publish the work in electronic form. (2) The priority right, mentioned in the foregoing
paragraph, shall run for the period of three years from the agreed upon date of
publication of the work. [...]".
27. La jurisprudence canadienne ne s'est pas
prononcée sur cette question. L'application prima facie du droit de reproduction
est une solution confirmée dans de nombreux autres pays. Aux Etats-Unis : Playboy
Entreprises, Inc. v. Frena, 839 F. Supp. 1552 (M.D. Fla. 1993); United States v.
Lamachia, 871 F. Supp. 535 (D. Mass. 28 décembre 1994); Sega Entreprise Ltd v.
Maphia, 857 F. Supp. 679 (N.D. Cal. 1994). Religious Technology Center v. Netcom
On-Line Communication Servs., Inc., 907 F.Supp. 1361 (N.D.Cal. 1995). En Belgique : Association
Générale des Journalistes Professionnels de Belgique et autres c./ Central Station et
autres, TPI Bruxelles, 16 octobre 1996. voir Pierre-Emmanuel MOYSE, "Droit
d'auteur et espace cybernétique : le dernier veau d'or", (1997) 1 Auteurs &
Media 7. Egalement, Pierre-Emmanuel MOYSE, "Une analyse de lapplication du
droit dauteur aux environnements électroniques", (1997) 4Revue
détudes juridique s 85.
28. R. c. M (J.P.), (1996) 67 C.P.R. (3d.) 152.
29. Précité, note 21.
30. Trumpet Software Pty Ltd.. V.OzEmail Pty Ltd
(No TG 21, 1995). Voir les commentaires de M. RICHARDSON, "Intellectual Property
Protection and the Internet", (1996) 12 E.I.P.R. 669.
31. Tribunal de commerce de Nanterre, 27 Janvier 1998,
9 ème CHAMBRE, disponible sur internet à l'adresse suivante :
http://www.edirom.fr/emgmn.htm.
32. Cette solution vient d'être confirmée par la
Haute Cour de Justice anglaise. Fylde Microsystems Ltd. v. Key Radio Systems Ltd.,
(1998) F.S.R. 449, (High Court of Justice, Chancery Division). "There was no implied
licence of general exploitation. If the defendant's arguement was right, it would have
meant that after the plaintiff had spent four years developing the software, the defendant
would be able to exploit it on its own account and without recompense". Précité, p.
450.
33. Il faut retracer la nature "statutaire"
du droit d'auteur canadien dans l'ancien droit anglais. Voir sur ce point Pierre-Emmanuel
Moyse, "Le droit d'auteur : droit de propriété ou monopole ?", (1998) McGill
Law Journal (à paraître).
34. Les frères Lucas refusent d'ailleurs de faire
entrer ces contrats d'utilisation dans la catégorie des contrats d'exploitation. Selon
les auteurs, "[l]es contrats passés, au bout de chaîne, avec les consommateurs ou
utilisateurs ne peuvent davantage être rangés dans la catégorie des contrats
d'exploitation des droits d'auteur, tant il est vrai que communiquer une uvre n'est
pas tirer parti du monopole éventuellement attaché à ladite uvre. L'observation
relève de l'évidence lorsque la communication est le fait d'un distributeur qui n'est
lui-même investi d'aucun droit d'auteur. Personne par exemple ne songe à analyser
l'achat d'un livre chez un libraire comme un contrat d'exploitation des
droits d'auteur. Mais il faut aller plus loin et ne pas hésiter à ériger en principe
que les considérations tenant au droit de la propriété intellectuelle sont sans
incidences sur la qualification de l'opération par laquelle une uvre de l'esprit
est mise à la disposition du public, qu'il s'agisse par exemple de l'accès à un
spectacle cinématographique ou de la fourniture d'un logiciel". A. et H.-J. LUCAS, Traité
de la propriété littéraire et artistique, Paris, LITEC, 1994, p. 393. Voir
également pp. 548. Nous ne partageons pas le point de vue développé ci-dessus par les
éminents auteurs. Il est vrai que pour les moyens traditionnels d'exploitation des
uvres le contrôle de l'uvre passe par celui du support ou de tout élément
matériel conditionnant son exploitation (entrée d'une salle de cinéma par exemple). Le
mécanisme contractuel est donc suppléé par des barrières mécaniques que l'on tente
d'ailleurs de maintenir dans l'environnement électronique, les systèmes de codage
remplaçant finalement le guichet. Désormais la diffusion des uvres par Internet
escamote les moyens de distribution et les contrôles physiques des uvres. Le
contrat "on-line" est un des moyens de contrôler l'utilisation de l'uvre.
A ce titre il peut être considéré comme un contrat d'exploitation.
35. V. GAUTRAIS et P.-E. MOYSE, "Droit
dauteur et droit de la consommation: la relation auteur/utilisateur", (1996)
9-1 Cahiers de propriété intellectuelle 7
36. Tribunal de commerce de Creteil, 2e Chambre, 12
novembre 1996, (1997) 172 R.I.D.A. 310
37. Précité, p. 316.
38. ProCD, Inc. v. Zeidenberg, (1996) 86 F.3d.
1447 (7th Circ.) Voir également, D. A. EINHORN, "Shrink-Wrap Licences : The Debate
Continues", (1998) 3 I.D.E.A. 383. Pour une analyse détaillée de la
jurisprudence américaine antérieure à la décision de la Cour d'appel, voir J. L.
HAWKINS, "Enforceability of Schrinkwrap Licenses Under the Copyright Act",
(1997) 3 Rich. J.L. Tech. 6.
39. Pour ceux qui souhaitent suivre les discussions
qui concernent la modification de l'article 2B du UCC en vu de la reconnaissance
législative d'un mécanisme de formation contractuel plus souple, voir CyberDroit et
E-Law Updates, par David Loundy, Blake Bell et Pierre-Emmanue Moyse,
http://www.digiplace.com/E-law.
40. Voir notamment, Compuserve v. Patterson,
(1996) disponible sur Internet, http://www.law.emory.edu/6circuit/july96/96a0228p.06.html.
41. Hotmail Corporation v. Van Money Pie Inc., et
al., (20 avril 1998) C98-20064. Voir, pour un commentaire de l'affaire,
http://www.ljx.com/internet/0630click.html
42. Respectivement, les articles 26 et 25 de la Loi
sur la protection du consommateur.
43. Les navigateurs Explorer et Netscape
sont munis de dispositifs techniques qui mémorisent automatiquement les pages visitées
par l'utilisateur. Ceci permet de retracer les informations trouvées sans avoir à se
reconnecter ni à retourner sur les sites déjà visionnés. On parle plus communément de
la mémoire cache. Il s'agit en fait d'un fichier de sauvegarde des informations qui ont
transités par l'ordinateur au cours de la navigation.
44. Précité, note 36.