Les possibilités offertes par Internet intéressent depuis
peu le marché du livre, et ce, pour des raisons essentiellement économiques. En effet,
la diffusion sous forme " immatérielle " permet aux éditeurs
électroniques de saffranchir dans une large mesure des coûts de production et de
distribution, représentant parfois jusquà 65% du prix dun ouvrage.
Précurseurs dans le domaine de lédition électronique, la société 00h00,
qui proposaient plus de 120 titres en ligne en septembre 1998, sest ainsi permise de
baisser le prix des romans de 20% par rapport au marché traditionnel [1], tout en atteignant un très large public. Autre atout de la
publication électronique : la vente dune centaine
d " exemplaires " suffit à léditeur douvrages
numériques pour rentrer dans ses frais, là où léditeur classique devra en vendre
10 fois plus [2]. Les avantages économiques de la
publication sur le Web ne peuvent pour autant saffranchir des impératifs juridiques
liés à la protection des droits dauteur.
Suivant
les règles communes applicables à lensemble des contrats dexploitation des
droits dauteur, léditeur doit obtenir une cession expresse de la part des
auteurs. Ce principe a pu être affirmé de nombreuses fois en droit français depuis la
mise en ligne, en janvier 1996, des pages du livre du docteur Gubler et de Michel Gonod.
La grande question qui se posait alors était tout simplement de déterminer dans quelle
mesure les principes relatifs aux droits dauteur sappliquaient à Internet. La
jurisprudence laura résolu quelques mois plus tard dans une affaire relative à la
numérisation et la mise en ligne des " uvres musicales "
essentiellement des textes de chansons de Jacques Brel [3]. Dans son ordonnance du 14 août 1996, le juge concluait :
" toute reproduction par numérisation d'uvres musicales protégées
par le droit d'auteur susceptible d'être mise à la disposition de personnes connectées
au réseau Internet doit être autorisée expressément par les titulaires ou
cessionnaires des droits "[4]. En mai
1997, une décision similaire était rendue à propos de la reproduction et de la
diffusion sur Internet des uvres du poète Raymond Queneau [5].
Cette
solution nous paraît maintenant évidente. Pour autant, la problématique liée à
lapplication des droits dauteur sur Internet ne sépuise pas. Elle
rejaillit notamment sur les rapports contractuels quentretiennent auteurs et
exploitants pour lédition dune uvre littéraire sur le réseau. Le but
de cette étude sera justement de dévoiler une partie de ces rapports au travers de
lanalyse des obligations découlant du contrat dédition électronique. Nous
supposerons que les cocontractants auront pour premier réflexe de sinspirer des
principes et des concepts juridiques issues de lédition traditionnelle. Dès lors,
il nous faudra évaluer le degré dadaptabilité de ces concepts à lacte de
diffusion sur Internet (1) avant dexaminer les principales obligations que les
acteurs entendront simposer (2).
1.
Les concepts relatifs à lédition traditionnelle face au réseau
Si le
sens commun nous incite à employer le terme d " édition "
pour définir le processus de fabrication et de diffusion des uvres littéraires sur
Internet (1.1.), le sens juridique, quant à lui, engage une réflexion approfondie sur la
transposition des concepts relatifs à lactivité éditoriale traditionnelle (1.2.).
1.1.
Lactivité éditoriale sur Internet : une réalité
Lédition
se rapporte couramment à la fabrication et la distribution commerciale de tout ouvrage
imprimé et de toute espèce duvre artistique. Dans ce cas, léditeur,
identifié par la personne physique ou morale responsable de lactivité décrite
ci-dessus, procèdera au choix des textes et à la leur publication en un certain nombre
dexemplaires. Pour aborder un autre média, il est également devenu courant de
parler dédition en matière daudiovisuel. Une émission télévisée comporte
un contenu éditorial précis qui sera dévoilé sur les écrans des téléspectateurs par
les soins dun producteur. On ne parle plus alors de " publication
dexemplaires " mais de " diffusion dune
émission ".
La
publication duvres sur Internet se démarque de ces deux modèles.
Contrairement à lédition papier, elle ne nécessite plus le recours à
limpression mécanique. Il suffit maintenant dintégrer directement une
uvre, déjà sous forme électronique ou reproduite par numérisation, aux pages Web
dun serveur. Elle se distingue également de lémission télévisée en ce
sens quelle met à la disposition du public des textes écrits dont le temps de
consultation ne dépend pas dun horaire préfixé. En outre, la publication
dune uvre sur Internet provoque sa reproduction systématique à chacune des
consultations. Bien que le résultat se rapproche de lédition papier, à savoir la
mise à disposition durable dune uvre littéraire au public, ses conditions
dexistence sen écartent nettement.
Dès
lors, convient-il encore de parler dédition pour la diffusion duvres
sur Internet ? Pour répondre à cette question, nous devons retrouver la
signification même du verbe " éditer ". Dérivé du latin edare,
il signifie dans sa traduction littérale : " mettre au monde ",
" produire " ou encore " donner au dehors ". Ces
actions définissent bien celles de léditeur de librairie ou du producteur
démission télévisée, qui fabriquent ou produisent une uvre puis la
dévoilent au public, cest à dire la " donnent au dehors " de
son lieu de création. Lédition reconnaît donc à la fois un acte de création et
un acte de publication. Aussi, à partir du moment où lédition ne dépend
daucun support en particulier, le terme pourra facilement identifier le processus
par lequel une personne morale ou physique procède à la fabrication dune
uvre littéraire et la dévoile sur Internet. Notons quil est maintenant
devenu courant de lutiliser pour définir la mise en ligne dune uvre sur
le réseau [6].
1.2.
Ladaptation des concepts juridiques relatifs à lédition traditionnelle
La
plupart des concepts juridiques qui se rattachent à lactivité éditoriale ont
été forgés dans le paradigme de limprimerie. Pierre-Emmanuel Moyse explique ainsi
la manière dont les nouvelles technologies remettent en cause les concepts juridiques
issus des droits dauteur : " les lois [qui se rapportent au droit
dauteur] gardent encore lempreinte de la matière puisque la distribution des
uvres se fait encore classiquement par la distribution dexemplaires, de
supports. Mais la technologies avance à grands pas et laisse derrière elle de nombreux
vestiges conceptuels tels que la notion de fixation ou même dans un avenir proche la
notion même de reproduction qui fleure bon lencre dimprimerie "[7]. Aussi, le contrat relatif à la diffusion
duvres littéraires sur Internet ne pourrait employer les termes
d " édition " ou de " publication "
sans que lon sassure au préalable de leur exactitude juridique.
Soulignons
dès maintenant que le droit dauteur français présente la particularité de
définir très précisément le contrat dédition. Selon larticle L. 132-1 du
Code de propriété intellectuelle, il sagit du " contrat par lequel
l'auteur d'une uvre de l'esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions
déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire
fabriquer en nombre des exemplaires de l'uvre, à charge pour elle d'en assurer la
publication et la diffusion ". Cette définition nous donne un excellent
aperçu des termes qui pourraient se retrouver au sein de notre contrat dédition
électronique. Á y regarder de plus près, elle témoigne aussi, dune manière
presque caricaturale, du contexte dans lequel elle a été rédigée : celui de
limprimerie. Nous reprendrons donc les caractéristiques délivrées par le
législateur français, à titre dexemple, pour évaluer ladéquation des
termes relatifs à lédition traditionnelle aux réseaux électroniques.
1.2.1.
La fabrication
La
fabrication constitue ici lune des deux composantes que nous avons retirées de
létymologie du verbe " éditer ". Il sagit du processus
par lequel luvre sera mise au monde. Mais, le terme utilisé par le Code de
propriété intellectuel semble se rapporter davantage au processus de fabrication
dun livre, qui nécessite un long travail de mise en page, dimpression et de
reliure, quà la simple mise en ligne dun texte numérique. Il aura
dailleurs des consonances barbares dans le monde des réseaux numériques où la
genèse de lécrit ne nécessite plus lintervention de nombreuses matières
tels que lindispensable papier, le carton de la reliure, la couche protectrice
de plastique, les multiples encres et les dorures éventuelles. Ne nous laissons pas
prendre au piège... La notion de fabrication ne se définit pas, dans labsolu, au
travers de lutilisation de multiples ressources matérielles. Elle peut simplement
signifier quun certain travail a été accompli et, surtout, a abouti à
lexistence de luvre sous une forme publiable. Or, le travail
dédition sur Internet nest pas moins exigeant que celui qui sera effectué
pour la parution dun livre. Il fait également intervenir de nombreux
intermédiaires, tels que des infographistes, des maquettistes, des programmateurs en HTML
et divers fournisseurs de services. Ce processus témoigne, à notre sens, dune
véritable " fabrication " dun exemplaire de luvre.
1.2.2.
Les exemplaires de luvre
Nous
abordons maintenant une seconde difficulté, car la loi française indique que le contrat
dédition est celui par lequel léditeur doit fabriquer " des
exemplaires " de luvre " en nombre "
déterminé. Or, les éditeurs ne pourront prévoir la fabrication que dun seul
exemplaire. Les reproductions suivantes ne seront plus réalisées par ses soins dans la
mesure où elles sopèreront de manière automatique sur le disque dur des
internautes venus consulter le premier des exemplaires. Soumis au volume aléatoire de
connexions sur le serveur de léditeur, ou au nombre aléatoire des demandes, le
nombre de copies ne sera pas non plus déterminable à lavance. Á cet égard, la
définition légale semble bien désuète pour pouvoir sappliquer ipso facto aux
réalités de lédition sur les réseaux numériques. Nous rencontrerons le même
sentiment de frustration en analysant le terme de " publication ", le
plus important sans doute en matière dactivité éditoriale.
1.2.3.
La publication
La
notion de " publication ", telle quelle est utilisée au sein de
la définition française du contrat dédition, pourrait nous apparaître inadaptée
pour définir le processus de mise en ligne sur le réseau, étant donné sa forte
connexité avec la notion de reproduction en " plusieurs
exemplaires ". Le législateur visait effectivement la publication de
lensemble de ces exemplaires qui, comme nous venons de le voir, ne seront plus le
fait de léditeur.
La
difficulté pourrait toutefois être surmontée en replaçant le terme dans un contexte
juridique rafraîchi par les récentes évolutions législatives. Le phénomène
duniformisation des régimes juridiques de la presse écrite et de la communication
audiovisuelle a fait que la publication ne se distingue plus réellement des procédés de
diffusion " par voie hertzienne ou par câble " désignés
dans la loi du 13 décembre 1985. Elle peut désormais se définir simplement comme un
acte de " communication au public ", détaché dun nombre
déterminé ou déterminable dexemplaires. Pour reprendre lanalyse de Sandra
de Faultrier-Travers, nous nous basons ici sur les dernières lois relatives à la
liberté de communication (lois de 1972, de 1985 et de 1986) pour entendre le mot
" publication " au sens large : " Publier, pour un
éditeur, cest (...) assurer la communication au public de luvre,
cest faire paraître, rendre visible et accessible, rendre public, faire connaître.
"[8]
Nous ne
pourrions nous permettre la même latitude dinterprétation si nous devions pousser
ce raisonnement dans le cadre dune législation qui aurait précisément défini le
terme de publication. Tel est le cas, par exemple, de la Loi sur le droit d'auteur au
Canada. Au sens de son article 2.2 (1), la publication sentend " de la
mise à disposition du public dexemplaires de luvre (...) ".
Point nest question ici de diffusion. Le mot " exemplaires "
étant mis au pluriel dans la définition, la publication sous-entend que
lexploitant devrait mettre plus dun seul exemplaire à la disposition du
public. Cest, du moins, ce qui ressort dune doctrine imposante selon laquelle
: " There [can not] be publication of a work of wich there exists only one
sample "[9]. Précisons tout de même
que cette doctrine sest forgée dans lignorance des réseaux numériques.
Aussi, nous pourrions contourner lobstacle du pluriel en constatant simplement que
le fait de mettre un seul exemplaire à la disposition des internautes le rend
simultanément multiple. Après tout, nest-ce pas le résultat qui compte ?
Est-il si important que la multiplicité des exemplaires préexiste à la mise à
disposition du public ? Bien entendu, il nous faut soutenir le contraire, surtout
lorsque nous nous situons dans le domaine contractuel, où lon recherchera à
connaître le résultat que les parties désiraient atteindre. Mais les termes de la loi
sont ainsi écrits. Nous ne pouvons que conclure provisoirement à leur désuétude face
au processus dédition sur Internet.
Enfin,
noublions pas de citer larticle 3 §3 de la Convention de Berne qui définit
les " uvres publiées " comme étant " les
uvres éditées avec le consentement de leurs auteurs, quel que soit le mode de
fabrication des exemplaires, pourvu que la mise à disposition de ces derniers ait été
telle qu'elle satisfasse les besoins raisonnables du public, compte tenu de la nature de
l'uvre. " Nous rencontrons à nouveau les difficultés soulevées par
larticle L. 132-1 du Code de propriété intellectuelle français. Cependant, la
" fabrication des exemplaires " nincombe plus
explicitement à léditeur. Il nous est donc permis, ici encore, de penser que la
reproduction de luvre sur le disque dur des internautes suffirait à étendre
le champ dapplication de larticle 3 aux diffusions sur Internet.
Dernier
obstacle à franchir : la phrase finale du §3 qui écarte explicitement de la notion
de publication " la transmission ou la radiodiffusion des uvres
littéraires ou artistiques (...) ". Certains auteurs considèrent que la
formule bannit la diffusion sur Internet du champ dapplication de la Convention et
regrettent que le traité de lOMPI sur le droit d'auteur, adopté le 20 décembre
1996, nait pas tenu compte de la Proposition de base du 30 août 1996 visant à
élargir la notion de publication aux uvres " mises à la disposition
du public par fil ou sans fil de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et
au moment qu'il choisit "[10].
Ladjonction de cette formule était-elle vraiment nécessaire ?
La
Convention de Berne entendait exclure du domaine de la publication toute activité de
diffusion instantanée, cest à dire les communications éphémères qui ne laissent
aucune trace de luvre après quelle fut dévoilée au public. Mais la
communication dune uvre sur Internet ne sapparente pas, techniquement,
à un acte de radiodiffusion ou télédiffusion. Ce dernier ne laisse rien dautre
derrière lui que le souvenir auditif ou visuel de luvre. Il en va
différemment sur le réseau : dès lors quune uvre y est diffusée, elle
sexpose à une reproduction instantanée (sur la mémoire cache des ordinateurs
connectés) et durable (lorsque les internautes désirent la stocker sur leur disque dur),
en autant dexemplaires nécessaires à la satisfaction du public. Ainsi, la
définition des " uvres publiées " de larticle 3
sapplique bien, selon nous, à lacte de communication des uvres
littéraires sur Internet.
1.2.4.
Conclusion provisoire
Lobjectif
de cette première partie était simplement dévaluer ladéquation des termes
juridiques usuels aux réalités techniques de lédition électronique. Nous venons
de constater à quel point les concepts d " édition ", de
" publication " ou encore d " uvres
publiés " ont été définis sur les principes désuets de lédition
traditionnelle, liées à la fabrication de plusieurs exemplaires. A première vue, cela
ne portera pas réellement à conséquence. En premier lieu, parce quune uvre
communiquée au public par Internet est destinée à être automatiquement reproduite en
plusieurs exemplaires sur des supports tangibles. Il nous apparaît donc raisonnable
dadmettre que cet acte répond bien à lesprit des définitions présentées
tant par larticle 2.2. (1) de la Loi sur le droit dauteur canadienne que par
larticle 3 de la Convention de Berne. Dautre part, nous avons choisi
daborder le thème de lédition électronique sous langle contractuel.
Or, il sagira essentiellement de comprendre ce que les cocontractants entendent par
" édition sur un site Web " ou " publication sur le
réseau ". Dès lors quil est implicitement entendu que les deux
dernières étapes de lédition traditionnelle, la fabrication en plusieurs
exemplaires et la publication, fusionnent en un seul et même procédé, il peut sembler
évident que les cocontractants nenvisagent pas de faire obligation à
lexploitant de fabriquer plusieurs exemplaires de luvre avant leur mise
en ligne.
Néanmoins,
la définition légale du contrat dédition énoncée dans le Code de propriété
intellectuelle français impose une problématique différente. En théorie, un contrat ne
pourrait recevoir la qualification de " contrat dédition " que
si léditeur est investi du " droit de fabriquer ou de faire fabriquer
en nombre des exemplaires de luvre "[11]. Le nombre dexemplaire nétant pas déterminable, les
contrats dédition duvres littéraires sur Internet risquent
déchapper à la qualification prévue à larticle L. 132-1 du Code de
propriété intellectuelle et, par la même, dignorer lensemble des
obligations que le législateur impose aux parties contractantes dans ce domaine. On en
reviendrait alors à une approche contractuelle plus classique incitant les cocontractants
au respect des règles ordinaires de la propriété intellectuelle en matière de cession
de droits dauteur.
Nous
sommes malgré tout en plein cur dune activité éditoriale aboutissant aux
mêmes résultats quune publication de librairie. Dès lors, ne serait-il pas
choquant que le contrat par lequel un exploitant obtient les droits nécessaires de
lauteur pour procéder à la mise en ligne de ses écrits sur le réseau demeure
hors de portée de la qualification du contrat dédition ? A lheure des
réseaux numériques, la qualification de " contrat dédition "
ne peut manifestement pas se cantonner à lunivers de limprimé.
Dailleurs, les principales obligations qui découlent de cette qualification
demeurent tout à fait applicables dans le cadre de lédition électronique...
moyennant une certaine interprétation à laquelle nous allons maintenant nous livrer.
2.
Les obligations découlant du contrat dédition électronique
Les
dispositions du Code de propriété intellectuelle français relatives à la cession des
droits dauteur dérogent au principe de liberté contractuelle en instaurant un
véritable régime de " liberté surveillée ", selon
lexpression du professeur André Françon [12].
Partant du principe que le droit commun des contrats noffrait pas de protection
suffisante à lauteur, souvent peu avisé des enjeux juridiques, les rédacteurs de
la loi française du 11 mars 1957 ont voulu le protéger contre les exploitants peu
scrupuleux. Sagissant de la protection dune partie
" faible ", certains auteurs ont considéré que les règles
instaurées par la loi sont dordre public. Leur respect simposera aux
cocontractants, quelle que soit leur volonté [13].
Ce type de protection est fortement liée à la tradition des droits dauteur des
pays continentaux.
Nous ne
retrouverons pas les mêmes préoccupations du côté des législations qui relèvent en
tout ou partie de la doctrine du Copyright. Pour reprendre lexemple du
Canada, la Loi sur le droit dauteur délègue aux parties contractantes le soin de
ménager leurs obligations. Les relations contractuelles dépendront essentiellement du
contrat quelles auront formé [14]. Ceci
étant, la plupart des contrats types relatifs à lédition dune uvre
littéraire définissent, au Canada, des obligations souvent similaires à celles qui
découlent du Code de propriété intellectuelle français.
2.1.
Obligations à la charge de lauteur
De
manière traditionnelle, deux principales obligations simposent à
lauteur : la remise de ses écrits et lobligation de garantie. Nous
analyserons ici la manière dont lauteur pourra sexécuter dans le contexte
des réseaux numériques.
2.1.1.
La remise des écrits
Au
regard de larticle L.132-9 du Code de propriété intellectuelle, lauteur doit
permettre à léditeur de fabriquer et de diffuser son uvre, sans quoi
léditeur ne pourrait lui-même remplir ses obligations. Aussi lauteur
devra-t-il remettre ses écrits dans une forme qui permette à léditeur de
procéder à la mise en ligne de son uvre. Cette forme sera généralement prévue
au sein du contrat. Une partie de la doctrine sentend sur le fait que le manuscrit
doit être parfaitement lisible [15]. Par
extension, nous pourrions imaginer quun texte livré dans un fichier informatique
dont le format demeure illisible sur la machine de léditeur ne présente pas les
caractéristiques nécessaires pour conclure que lauteur a bien rempli son
obligation. Suivant les exigences de léditeur et les normes qui sinstaurent
progressivement au sein de la profession de lédition numérique, lauteur
pourra avoir, par exemple, à transmettre son fichier en format Word avec
lextension en " .rtf ", pouvant être lu indifféremment sur PC
ou sur Macintosh. Aussi léditeur devra veiller, de son côté, à être équipé de
manière à pouvoir lire la majorité des formats utilisés sur le marché.
Dans
certains cas, il pourra être demandé que la version finale du texte soit présentée à
léditeur directement au format HTML, surtout sil sagit dun roman,
ou dune nouvelle, criblé de liens hypertextes. Lensemble de ces questions se
réglera plus précisément au sein des contrats. Les clauses relatives à la remise des
écrits ou à la conformité de luvre pourraient indifféremment mettre à la
charge de lun ou lautre des cocontractants linsertion des hyperliens. Si
lobligation est à la charge de léditeur, ce dernier devra alors exiger de
lauteur la délivrance dun organigramme lui permettant de disposer
correctement lensemble des liens sur les textes. Si lobligation est mise à la
charge de lauteur et que celui-ci ne parvient pas à en assurer la fonctionnalité,
léditeur pourrait lui opposer la résolution du contrat. Cette dernière
affirmation sinspire dun arrêt de la Cour de cassation qui a accepté la
résolution dun contrat à lencontre de lauteur dun guide dont le
texte napparaissait pas utilisable en dépit des indications techniques
préalablement délivrées par léditeur [16].
Léditeur peut encore se réserver le droit de demander la réécriture des textes
qui ne conviendraient pas et ce, jusquà lobtention dune version
satisfaisante [17].
Enfin,
suivant larticle L.132-9 §2 du Code de propriété intellectuelle, lauteur
devra sacquitter de son obligation de délivrance dans les délais fixés par le
contrat. En labsence de précisions, lon sen remettra simplement aux
usages [18]. En cas de retard, la Cour
dappel de Paris a jugé que le contrat pouvait être résolu de plein droit [19]. Pour sa part, la loi canadienne sur le droit
dauteur ne prévoit aucune obligation de la sorte. Lon se réfèrera alors au
contenu des clauses contractuelles. Dans le cas où le contrat prévoit effectivement un
délai de livraison, la jurisprudence a précisé très tôt que le fait de ne pas
remettre le manuscrit au moment voulu permet à léditeur de réclamer des dommages
et intérêts, évalués en fonction du manque à gagner résultant du défaut de
publication [20].
2.1.2.
Obligation de garantie
Plutôt
que de sen remettre strictement au contrat, le droit français impose une seconde
obligation à lauteur " qui doit garantir à léditeur
lexercice paisible et, sauf convention contraire, exclusif du droit cédé "[21]. Au Canada, il incombera simplement à
léditeur de prévoir une telle clause dans son contrat. Celle-ci se rencontre
dailleurs dans la plupart des contrats-types relatifs à lédition [22].
Il
sagit en premier lieu de garantir léditeur contre lensemble des
troubles qui pourraient survenir de la publication de luvre, si son contenu
porte atteinte au droit dun tiers (diffamation, contrefaçon, ou droit à
limage) ou savère contraire à lordre public et aux bonnes murs.
Si un trouble survenait, lauteur indemnisera alors léditeur pour le dommage
quil aurait provoqué. En second lieu, lauteur devra répondre dune
cession faite à un autre éditeur, antérieurement ou ultérieurement au contrat.
Lindemnisation correspondra, cette fois-ci, aux frais que léditeur aura dû
engager pour défendre son droit [23].
2.2.
Les obligations à la charge de léditeur
Les
obligations à la charge de léditeur ont été spécialement conçues par le
législateur français pour protéger les intérêts de lauteur. Elles consistent
principalement en la publication, lexploitation et la diffusion de
luvre, le respect de son droit moral et la rémunération de lauteur,
que nous nétudierons pas ici étant donné les difficultés particulières
quelle soulève. Dans dautres systèmes législatifs, les acteurs pourront
librement choisir dadopter la première obligation. En revanche, le respect du droit
moral simposera de facto à léditeur dans tous les pays qui
reconnaissent son existence.
2.2.1.
Obligations de publication, dexploitation et de diffusion
En droit
français, ces obligations découlent directement de la définition proposée à
larticle L.132-1 du Code de propriété intellectuelle. Il restera aux parties de
préciser avec exactitude le nombre de tirages minimum envisagé pour la première
édition [24]. Mais, étant donné que nous ne
pouvons plus raisonner en terme de " tirages ", nous devrons
substituer cette exigence par une obligation équivalente. Léditeur sur Internet
pourrait plutôt mentionner la durée minimum pendant laquelle il compte exploiter
luvre sur son serveur ou encore indiquer le nombre de téléchargements
quil envisage dassurer.
En plus
de la publication, léditeur devra également assurer lexploitation permanente
et suivie de luvre, ainsi que sa diffusion commerciale "
conformément
aux usages de la profession "[25].
Léditeur ne peut interrompre impunément lexploitation de luvre
avant lexpiration du délai prévu au contrat ou avant que le nombre de
consultations nait été atteint. Dans le cas où luvre naurait
aucun succès, il pourra néanmoins en interrompre la diffusion. La doctrine relève, dans
le cadre de lédition traditionnelle, que léditeur pourra stopper la
commercialisation de luvre lorsque la vente ne dépasse pas le seuil des 5%
dexemplaires tirés [26].
Dans la
mesure où nous navons plus à faire à la vente dexemplaires, il est bien
difficile dadapter cette évaluation doctrinale à lédition électronique.
Lexploitant tirera bénéfice de la diffusion des uvres dune manière
plus adaptées au réseau. Lon dénombre à lheure actuelle trois principales
sources de financement [27]. La première
consisterait en un abonnement par lintermédiaire duquel linternaute pourrait
revenir sur le serveur de léditeur au moyen du mot de passe quil
aurait acquis pour consulter les uvres régulièrement publiées. La seconde
permet à léditeur dimposer un paiement préalable pour la consultation de
chacune des uvres que le visiteur désire consulter ou télécharger (système pay
per view ). Enfin, léditeur pourra recevoir une rémunération complémentaire
par la conclusion de partenariats publicitaires. Dès lors, nous pensons que
linterruption de lexploitation de luvre ne pourrait être
légitimé quen raison dun très faible taux de connexions sur
luvre observé sur une période donnée. Encore faudrait-il comparer ce
chiffre au succès des uvres classées dans la même catégorie par léditeur.
Rappelons tout de même que lhébergement de luvre et sa mise à
disposition à partir du serveur de léditeur nentraînent pas les mêmes
frais dexploitation quune édition de librairie. Il sera vraisemblablement
plus facile à léditeur dun ouvrage numérique de poursuivre son exploitation
sur le réseau.
A
lopposé du droit français, la tradition du Copyright, dont sinspire en
grande partie le droit canadien, nimpose toujours pas dobligation similaire à
léditeur [28]. Harold G. Fox résume ainsi
la situation : " A publisher who has agreed to publish a work must
publish it, but is not bound to continue publishing it "[29]. Là encore, le législateur laisse libre cours à la volonté des
parties.
2.2.2.
Lobligation de respect du droit moral
Nous
savons déjà que le droit moral de lauteur nest susceptible daucune
cession et que, en droit français comme en droit canadien, la cession des droits
patrimoniaux nentraîne pas la cession des droits moraux. Au regard de ces
principes, léditeur continental veillera à respecter le nom et les qualités de
lauteur, mais aussi, ce qui pose plus de difficultés, le respect de
luvre. Il ne peut apporter de sa propre initiative aucune modification,
suppression ou adjonction à luvre.
Le
travail dédition nécessite toutefois un certain nombre de remaniements de forme.
Dans ce cas, il est toléré que léditeur procède aux corrections dusage,
cest à dire aux fautes dorthographe, de syntaxe à la condition que ces
fautes ne constituent pas le style de lauteur [30].
La Cour dappel de Paris a dailleurs érigé cette possibilité en une
véritable obligation pour léditeur, sous peine de résiliation du contrat [31].
Précisions
encore que lexploitant est tenu dune certaine loyauté envers le cessionnaire.
Il ne peut procéder à la publication des uvres extrêmement critiques à
légard dun auteur quil aurait précédemment édité [32]. Interprétée dans un sens large, cette obligation posera problème
à léditeur qui voudrait tenir un forum de discussion sur son serveur afin de
satisfaire le désir de participation des lecteurs. Dans ce cas, léditeur devrait
procéder à la censure des critiques trop ardentes.
Le
respect du droit moral simpose également à léditeur canadien, sans doute
avec moins de véhémence. Dans la mesure où le copyright lui a été cédé, il
peut modifier ou supprimer des passages de luvre, sans requérir au préalable
une renonciation du cessionnaire, dès lors que ces manipulations ne portent par atteinte
à lhonneur et à la réputation de lauteur [33].
Conclusion
générale
En
abordant les relations contractuelles entre auteurs et exploitants dans le cadre de
lédition électronique, nous avons pu remarquer à quel point le paradigme de
limprimerie simpose encore aux acteurs du " cyberespace ".
Les concepts juridiques relatifs à la publication ou à lédition ont soudainement
pris de nombreuses rides et risquent bien de confondre les cocontractants, ou même la
jurisprudence. Sur ce point, nous nétions pas loin de prétendre que
lapparition des réseaux numériques à bouleversé les concepts du droit
dauteur relatifs à lédition.
Pour
autant, létude comparée des droits canadien et français nous a permis de mettre
en lumière lattachement des traditions du droit dauteur à la protection du
créateur. Il nous est alors apparu nécessaire de redéfinir les obligations de chacune
des parties en fonction du résultat que le législateur désirait obtenir dans le monde
de lédition. Ce travail ne sest pas avéré aussi laborieux pour le droit
canadien qui fait place dans une large mesure à la liberté contractuelle.
Adaptées
aux réseaux électroniques, les obligations imposées à léditeur apparaîtrons
toutefois sous forme " allégée ". Il naura que très peu de
difficultés à remplir son devoir de publication et dexploitation étant donné le
peu de frais que cela entraîne. Aussi, certaines des obligations imposées par la loi ne
viendront plus régir les rapports entre auteurs et exploitants. Telle est le cas de
lobligation de réédition en cas dépuisement des exemplaires de
luvre, lorsque le contrat a été conclu pour un nombre indéterminé
déditions successives [34]. En effet, il
nest plus possible de parler maintenant en terme dépuisement de
luvre puisque la diffusion de celle-ci ne dépend plus dun nombre
limité dexemplaires. Dun autre côté, certaines des obligations de
lauteur pourraient gagner en importance. Dans le cadre du roman interactif, par
exemple, ce dernier pourra être amené à établir lui-même les nombreux liens
hypertextes quil souhaite inclure dans son uvre. Il devra alors livrer le tout
sous un format HTML fonctionnel ou autre, sans quoi il naurait pas correctement
rempli son obligation de délivrance.
Lédition
sur réseaux numériques engage de nouvelles compétences et, surtout, de nouveaux usages
qui dessineront les relations contractuelles de demain. Dans limmédiat, il
nest pas évident de connaître la manière dont ces relations sétabliront
réellement. Cest pourquoi nous avons choisi de nous appuyer sur le paradigme de
lédition traditionnelle pour définir, dans un but prospectif, les obligations
éventuelles que les cocontractants voudraient simposer. Il ne sagit là que
de spéculations, dont le législateur des pays protecteurs de lauteur pourrait bien
avoir à se préoccuper.