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Droit du Cyberespace # 10

Juin 1999

Lettre de Pierre-Emmanuel Moyse

Le 29 mai 1999 s’est tenue à Montréal la conférence de l’ALAI Canada sur la protection des bases de données. Ce nouvel E-Law fait état, en partie, des connaissances qui y ont été révélées. Les professeurs A. Strowel, J. Ginsburg, R. Howell ont pu faire une synthèse éclairée de cet aspect particulier du droit des nouvelles technologies, chacun en rapporteur de leur droit national (Belgique, Etats-Unis, Canada) . J’ai pu professer à la suite de ces trois présentations une série de voeux qui invite à la simplification des solutions juridiques et techniques. Il devient en effet extrêmement difficile de contenir cette technique que l’on qualifiera d’adolescente tant ses manifestations sont insolites ; pour cette raison ce E-Law 10 sera aussi insolite.

Ce nouveau E-Law est édité sous la responsabilité du professeur Y. Gendreau du Centre de Recherche de l’Université de Montréal et du directeur entrant, le professeur Ejan Mackaay.  Quant aux cellules actives qui sont derrières la réalisation de ce nouveau bulletin, on remarquera celles de Lionel Thoumyre, émoulu chercheur du CRDP et E-Lawyer de premières armes, ainsi que celles de Camille Champeval et de Jonathan Hickley.

Bonne lecture.

P.-E. Moyse

Rédacteur :
Lionel Thoumyre (lionel@juriscom.net)

Ont collaboré à ce numéro : 
Jonathan L. Hickey
Camille Champeval

 

Rapport de l’OMPI : Droit des marques - noms de domaine

L’organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) vient de communiquer son rapport sur les mesures à prendre pour lutter contre l’utilisation frauduleuse des marques sur Internet. Maintenant bien connus sous le nom de " cybersquatters ", les pirates enregistrent des noms de domaines identiques aux marques dont ils ne sont pas les titulaires, obligeant ainsi les véritables propriétaires à racheter le nom de domaine.

Le rapport propose cinq mesures, parmi lesquelles la création d’un système administratif de règlement des conflits, afin de réduire les délais et coût de procédure, et l’obligation pour les déposants de noms de domaine de fournir des indications fiables et exactes, afin de pouvoir les contacter. La sanction du non-respect de cette dernière mesure serait l’annulation du nom de domaine.

Les propositions de l’OMPI ont été approuvées par L’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) le 27 mai 1999, à la suite du meeting de Berlin. Le rapport de l'OMPI doit encore être soumis au DNSO (ICANN's Domain Name Supporting Organization) avant que ses propositions ne puissent être définitivement adoptées.

L.T.

Références :

- rapport final de l’OMPI sur les noms de domaine :
http://wipo2.wipo.int/process/eng/final_report.html ;

- annonce sur ZDNet.com :
http://www.zdnet.com/zdnn/stories/news/0,4586,2251556,00.html ;

- commentaire du rapport de l’OMPI par Thibault Verbiest sur Cyberlexnet :
http://www.grolier.fr/cyberlexnet/COM/A990418.htm.

 

Canada : Bases de données

Publication du rapport Howell

Le professeur Robert G. Howell a rendu public une étude exhaustive relative à la protection des bases de données au Canada qui vient en réponse à la Directive européenne 96-9 du 11 mars 1996 et à l’ancien projet de loi américain HR 2652.

L’auteur aborde en premier lieu les régimes de protections envisageables et disponibles au Canada, en droit civil comme en Common Law. Ce rapport intéressera particulièrement le spécialiste du droit comparé, car il confronte, dans sa seconde partie, le droit canadien au cadre normatif des États-Unis, aux initiatives de l’Union européenne et aux travaux de l’OMPI. Sans délivrer de solutions véritablement originales, le rapport envisage ensuite une série de recommandations à l’attention du législateur.

L’étude a le mérite de présenter une synthèse unique sur l’état du droit dans les pays de Common Law ainsi que sur les travaux internationaux et communautaires.

L.T.

Références :

L’étude est publiée sur le site Strategis :
http://strategis.ic.gc.ca/SSG/it04771e.html.

 

Canada : Publication électronique – droit des journalistes (1)

Affaire Robertson c/ Thomson Corp., Cour supérieure de l’Ontario, 11 février 1999

Il s’agit d’un nouveau litige relatif au droit d’auteur des journalistes pour la publication de leurs écrits sous format électronique pour lequel ils n’ont pas donné leur consentement. Les circonstances ne sont plus inédites. Rappelons simplement que la première affaire du genre remonte à l’année 1996, où une ordonnance du Tribunal de 1ère instance de Bruxelles, confirmée en appel, avait interdit à la société Central Station de publier sur le réseau les articles de presse pour lesquels elle n’avait pas obtenu le consentement exprès des journalistes (texte de l’ordonnance sur Legalis.net : http://www.legalis.net/legalnet/judiciaire/ord_1096.htm, commentaire intitulé  " Les journalistes et l’Internet " sur Cyberlexnet : http://www.grolier.fr/cyberlexnet/COM/A980219.htm)

Dans la présente affaire, la demanderesse, Mme Robertson, avait autorisé la publication sur support papier des extraits de ses œuvres dans certains journaux publiés par Thomson, qui édite notamment le Globe and Mail. Suite à l’initiative de la société d’édition de procéder à la republication de ces œuvres dans des bases de données électroniques, sans l’accord de Mme Robertson, la demanderesse s’est réunie avec d’autres auteurs, victimes du même procédé, pour former un recours collectif contre Thomson. Le procès vise à obtenir en tout 100 millions de dollars pour le préjudice causés à un millier de pigistes, de photographes et d’illustrateurs. Ce recours a été récemment certifié et l’action suit actuellement son cours.

L.T.

 

Canada : Publication électronique – droit des journalistes (2)

Affaire en cours : AJIQ c/ 14 publications québécoises

Un second conflit émerge au Canada entre des journalistes pigistes, représentés par l'Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), et la société CEDROM-Sni ainsi que 14 publications québécoises. Les journalistes  réclament notamment le versement d’une nouvelle rémunération pour la publication de leurs articles sous forme électronique.

Les faits sont les suivants : les sociétés d’éditions, auxquelles seul le droit de première publication a été cédé, vendent leurs contenus depuis 1990 à la société CEDROM-Sni. Cette dernière redistribue ensuite les articles sur CD-ROMs et sur le Web depuis 1995. Or, les sociétés éditrices n’étaient pas expressément habilitées à céder les droits de distribution électronique de ces textes. C’est pourquoi la Fédération nationale des communications (FNC-CSN) et l’AJIQ ont mis en demeure les principaux quotidiens et magazines du Québec ainsi que CEDROM-Sni de négocier des droits d'utilisation des articles des pigistes. Le 21 juin 1999, l'AJIQ dépose sa requête en recours collectif devant la Cour supérieure à Montréal.

L.T.

Références :

- affaire annoncée sur Multimedium :
http://www.mmedium.com/cgi-bin/nouvelles.cgi?Id=2328 ;
ainsi que sur le site de l’AJIQ :
http://www.ajiq.qc.ca/recours1.html ;

- dépôt de la requête par l'AIJQ anoncé sur Le Devoir :
http://www.ledevoir.com/med/1999/aijq210699.html.

 

Canada : Internet et juridiction

Affaire Braintech Inc. c/ Kostiuk, Cour d’appel de Colombie Britannique, 18 mars 1999

La Cour d’appel de la Colombie Britannique se prononçait, le 18 mars dernier, sur les pourtours juridictionnels de l’Internet. C’est la première décision de ce genre au Canada. Le défendeur canadien, Kostiuk, avait tenu des propos diffamatoires à l’égard de Braintech sur un groupe de discussion. Braintech a alors engagé une action diffamatoire et obtenu gain de cause contre le défendeur dans un jugement rendu dans l’État du Texas le 7 mai 1997. Braintech tenta ensuite d’homologuer le jugement dans l’État canadien de Colombie Britannique. Mais la Cour d’appel a refusé d’accorder l’homologation du jugement du Texas, estimant que cette dernière juridiction n’aurait pas dû recevoir compétence pour traiter du litige.

Le juge Goldie remarque notamment que le défendeur n’est pas résident au Texas et n’y est d’ailleurs jamais " entré ". Il propose alors une méthode permettant de déterminer la compétence d’une juridiction par l’examen du niveau d’interactivité et de la nature commerciale de l’échange d’information sur Internet :

" [60] (…) If the defendant enters into contracts with residents of a foreign jurisdiction that involve the knowing and repeated transmission of computer files over the Internet, personal jurisdiction is proper. ... At the opposite end are situations where a defendant has simply posted information on an Internet Web site which is accessible to users in foreign jurisdictions. A passive Web site that does little more than make information available to those who are interested in it is not grounds for the exercise personal jurisdiction. ... The middle ground is occupied by interactive Web sites where a user can exchange information with the host computer. In these cases, the exercise of jurisdiction is determined by examining the level of interactivity and commercial nature of the exchange of information that occurs on the Web site. "

La cour affirme alors que la présence passive d’un acteur sur Internet ne peut être assimilé à une présence suffisante (plus exactement, à une " substantial presence ") dans un territoire tiers, ne pouvant ainsi légitimer la compétence de la juridiction de ce territoire pour un non-résident :

" [65] In the circumstance of no purposeful commercial activity alleged on the part of Kostiuk and the equally material absence of any person in that jurisdiction having "read" the alleged libel all that has been deemed to have been demonstrated was Kostiuk's passive use of an out of state electronic bulletin. The allegation of publication fails as it rests on the mere transitory, passive presence in cyberspace of the alleged defamatory material. Such a contact does not constitute a real and substantial presence. On the American authorities this is an insufficient basis for the exercise of an in personam jurisdiction over a non-resident. "

Le juge conclut ainsi :

" [69] (…) In the circumstances revealed by record before this Court, British Columbia is the only natural forum and Texas is not an appropriate forum. That being so, comity does not require the courts of this province to recognize the default judgment in question. "

Pour finir, nous remarquerons que la cour relève les effets nocifs que pourrait produire le fait de reconnaître compétence à n’importe quelle juridiction connectée à Internet sur la liberté d’expression.

" [63] It would create a crippling effect on freedom of expression if, in every jurisdiction the world over in which access to Internet could be achieved, a person who posts fair comment on a bulletin board could be haled before the courts of each of those countries where access to this bulletin could be haled before the courts of each of those countries where access to this bulletin could be obtained. "

L.T.

Références :

Texte de l’arrêt relatif à l’affaire Braintech Inc. c/ Kostiuk :
http://www.courts.gov.bc.ca/jdb-txt/ca/99/01/c99-0169.txt.

 

États-Unis : Bases de données

Deux nouveaux projets de loi sur la protection des compilations ou bases de données

Dans la course effrénée aux projets de loi sur les bases de données, les Etats-Unis ont vu apparaître deux nouvelles propositions : les HR 354 et HR 1858. Celles-ci se substituent donc à l’ancien projet, le HR 2652. Notons que, selon Jane Ginsburg, seul le premier de ces deux nouveaux projets (le HR 354) semble sérieux.

I. Le HR 354

Déposé par la Représentant Howard Coble le 19 janvier 1999, le projet HR 354 est baptisé Collections of Information Antipiracy Act. Il vise a amender la loi fédérale sur le Copyright en rendant illicite l’extraction ou l’utilisation commerciale d’une partie substantielle d’une compilation d’informations, dont le rassemblement ou l’entretien a nécessité un investissement financier conséquent, de telle manière que ces actes nuisent au marché réel ou potentiel de l’investisseur :

" Sec. 1402. Prohibition against misappropriation

Any person who extracts, or uses in commerce, all or a substantial part, measured either quantitatively or qualitatively, of a collection of information gathered, organized, or maintained by another person through the investment of substantial monetary or other resources, so as to cause harm to the actual or potential market of that other person, or a successor in interest of that other person, for a product or service that incorporates that collection of information and is offered or intended to be offered for sale or otherwise in commerce by that other person, or a successor in interest of that person, shall be liable to that person or successor in interest for the remedies set forth in section 1406. "

Le projet comprend de nombreuses exceptions, concernant notamment l’extraction ou l’utilisation d’une information contenue au sein de la compilation dans le domaine de l’éducation, de la science, ou de la recherche, dès lors que ces actes ne portent pas préjudice à l’investisseur.

Il est également stipulé que la protection concédée par la loi est indépendante des autres protections relatives au Copyright et qu’elle ne doit ni les affecter, ni les élargir.

Enfin, le projet prévoit un double délai de prescription. D’une part, il limite le délai des actions civiles et pénales à trois ans après la survenance du fait dommageable et, d’autre part, il fixe le délai pour agir à 15 ans après la commercialisation de la partie extraite ou utilisée.

Voici l’extrait relatif aux délais de prescription :

" Sec. 1408. Limitations on actions

(a) CRIMINAL PROCEEDINGS- No criminal proceeding shall be maintained under this chapter unless it is commenced within three years after the cause of action arises.

(b) CIVIL ACTIONS- No civil action shall be maintained under this chapter unless it is commenced within three years after the cause of action arises or claim accrues.

(c) ADDITIONAL LIMITATION- No criminal or civil action shall be maintained under this chapter for the extraction or use of all or a substantial part of a collection of information that occurs more than 15 years after the portion of the collection that is extracted or used was first offered for sale or otherwise in commerce, following the investment of resources that qualified that portion of the collection for protection under this chapter. In no case shall any protection under this chapter resulting from a substantial investment of resources in maintaining a preexisting collection prevent any use or extraction of information from a copy of the preexisting collection after the 15 years have expired with respect to the portion of that preexisting collection that is so used or extracted, and no liability under this chapter shall thereafter attach to such acts of use or extraction. "

Les premières critiques du projet ont porté sur le fait que le niveau de protection était trop important, que le système de prescription permet de faire courir un délai de protection perpétuel et que les exceptions en faveur de l’éducation ne sont pas suffisantes.

Références sur le HR 354 :

Le texte du projet HR 354 est disponible sur Thomas :
http://thomas.loc.gov/cgi-bin/bdquery/z?d106:h.r.354:

II. Le HR 1858

Plus récemment, le projet HR 1858, nommé Consumer and Investor Access to Information Act, a été déposé par le Représentant Tom Bliley le 19 mai 1999.

Cette nouvelle initiative interdit à quiconque de vendre ou de distribuer au public une base de données qui est une duplication d’une autre base de données collectées et organisées par une tierce personne ; et qui est vendue ou distribuée dans le commerce en concurrence avec la base de données dupliquée :

" SEC. 102. Prohibition against distribution of duplicates

It is unlawful for any person, by any means or instrumentality of interstate or foreign commerce or communications, to sell or distribute to the public a database that:

(1) is a duplicate of another database that was collected and organized by another person; and

(2) is sold or distributed in commerce in competition with that other database. "

La série d’exceptions est plus importante que dans le précédent projet. En revanche, aucun délai de prescription n’a été spécifié.

L.T.

Références sur le HR 1858 :

- le texte du projet HR 1858 est disponible sur Thomas :
http://thomas.loc.gov/cgi-bin/bdquery/z?d106:h.r.1858:

- voir également sur Database Coalition :
http://www.databasecoalition.org/copytoc/hr1858/hr1858.html.

Références communes aux deux projets :

- pour un tableau comparatif entre les deux projets voir, sur Database Coalition :
http://www.databasecoalition.org/DBside-by-side.doc ;

- les deux projets sont présentés sur Database Coalition :
http://www.databasecoalition.org/copytoc/copytoc.html ;

- actualités du 16 juin 1999 sur Techlawjournal :
http://www.techlawjournal.com/intelpro/19990616b.htm.

 

États-Unis : Cryptographie

Affaire Bernstein c/ U.S.D.O.J., Cour d’appel du 9ème circuit, 6 juin 1999

Une décision américaine du 9ème circuit de la Cour d’appel a établi que la cryptographie est protégée à titre de liberté d’expression. Le gouvernement ne peut ainsi bannir l’exportation de logiciels cryptographiques pour des raisons de sécurité. Les arguments invoqués par le gouvernement, à savoir la crainte du terrorisme et du crime organisé, ont été rejetés.

L’opinion du Juge Betty B. Fletcher est ainsi résumée :

" The government defendants appeal the grant of summary judgment to the plaintiff, Professor Daniel J. Bernstein ("Bernstein"), enjoining the enforcement of certain Export Administration Regulations ("EAR") that limit Bernstein's ability to distribute encryption software. We find that the EAR regulations (1) operate as a prepublication licensing scheme that burdens scientific expression, (2) vest boundless discretion in government officials, and (3) lack adequate procedural safeguards. Consequently, we hold that the challenged regulations constitute a prior restraint on speech that offends the First Amendment."

Le gouvernement américain a indiqué sont intention de poursuivre l’affaire devant la Cour Suprême.

L.T.

Références :

- texte de l’arrêt relatif à l’affaire Bernstein c/ U.S.D.O.J. sur le site de l'EFF:
http://www.eff.org/pub/Privacy/ITAR_export/Bernstein_case/Legal/19990506_circuit_decision.html ;

- annonces de l'affaire sur ZDNet.com :
http://www.zdnet.com/zdnn/stories/news/0,4586,2254799,00.html et
http://www.zdnet.com/zdnn/stories/news/0,4586,2254989,00.html ;

- réactions sur Washington Post :
http://search.washingtonpost.com/wp-srv/WPlate/1999-06/14/035l-061499-idx.html.

 

France : Publication électronique – droit des journalistes

Affaire SNJ et autres c/ Figaro, Tribunal de grande Instance de Paris, 14 avril 1999

La première chambre du Tribunal de grande instance de Paris a rendu, le 14 avril dernier, une décision sur une affaire sensiblement similaire à celles de Central Station (voir ci-dessus) et des DNA (texte de l’ordonnance sur Juriscom.net : http://www.juriscom.net/jurisfr/dna.html). Là encore, les journalistes revendiquaient une rémunération supplémentaire pour l’édition de leurs articles, initialement effectué en vue d’une publication papier, sur support électronique. De son côté, la défense alléguait le droit qu’elle possédait sur l’œuvre collective constituée par le journal et affirmait que " l’édition télématique n’est qu’un prolongement de la diffusion du journal ".

Le tribunal n’a pas fait droit à cet argument. Quand bien même le journal serait considéré comme une œuvre collective, cela ne dispense pas l’employeur d’obtenir de la part de ses journalistes salariés un nouveau droit de publication. Aucune convention particulière n’établissant la cession des droits des journalistes pour une publication sur un autre support, le tribunal a statué que la Société de Gestion n’avait acquis que le droit de première reproduction sur support papier :

" Attendu que la société éditrice du journal Le Figaro soutient que le caractère d’œuvre collective du journal, dans laquelle la contribution individuelle des divers journalistes se fond, l’investit de la propriété de l’œuvre ainsi que des droits d’auteur sur celle-ci ; qu’elle en conclut pouvoir légalement et librement user des droits d’auteur des journalistes salariés ; ces derniers limitent en revanche ce droit à la première publication sur support papier, dès lors que le contrat de travail les liant à l’entreprise de presse ne contient aucune clause de cession globale des droits d’exploitation des articles dont ils sont les auteurs. "

" (…) Attendu que même à supposer que le journal constitue une œuvre collective, ainsi que le soutient la défenderesse, l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit en son alinéa 3 que l’existence d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l’alinéa 1er, lequel énonce que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous . "

Les magistrats ont conclu que toute reproduction "sur un nouveau support résultant de la technologie récente" (à savoir le Minitel, Internet, et sur CD-ROM) exige non seulement une nouvelle rétribution des journalistes, mais surtout le consentement exprès des ayants droit :

"  Attendu que, dans ce contexte normatif, l’entreprise de presse, ne justifiant d’aucune convention expresse particulière établissant la cession des droits des journalistes sur leurs articles pour l’exploitation incriminée, n’a pu acquérir que le droit de première reproduction ; que toue publication supplémentaire de ceux-ci, notamment pas la voie télématique litigieuse, est constitutive de contrefaçon ouvrant droit à l’allocation d’indemnités ".

Rappelons simplement que l’affaire américaine Tasini
(http://www.law.seattleu.edu/chonm/cases/tasini.html) s’est conclue par le résultat inverse. La Cour suprême avait fait droit aux sociétés éditrices de publier les articles de leurs pigistes sur CD-ROM sans leur consentement au travers d’un droit de modification de l’œuvre collective. Entre la tradition du droit d’auteur et celle du Copyright, moins avantageuse pour l’auteur, nous attendons maintenant le résultat des affaires traitées par les tribunaux canadiens.

L.T.

Références :

- texte du jugement relatif à l’affaire Figaro sur Juriscom.net :
http://www.juriscom.net/jurisfr/figaro.htm.

- affaire annoncée : sur Multimedium :
http://www.mmedium.com/cgi-bin/nouvelles.cgi?Id=1528 (précédents de l'affaire) ;
ainsi que sur ZDNet France :
http://www.zdnet.fr/actu/busi/a0003931.html (précédents de l'affaire).

 

France : Commerce électronique (1)

Affaire Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques c/ Alain B., Tribunal de commerce de Pontoise, 15 avril 1999

Fabre, société de cosmétique, voulait empêcher que l’un de ses distributeurs  vende ses produits sur le réseau Internet, invoquant une clause contractuelle commune qui ne prévoit pas expressément la commercialisation en ligne de produits. En l’espèce, le Président du Tribunal de commerce de Pontoise a néanmoins estimé que la pratique de distribution en ligne s’ajoute aux moyens traditionnels de vente employés par Alain B. et qu’elle ne peut donc pas être constitutive de troubles manifestement illicites.

" Attendu, de plus, que ce document ne fait aucune référence aux modalités, probablement trop récentes, de commercialisation par un serveur en ligne des produits concernés ; qu'en l'espèce ce moyen Internet immatériel s'ajoute aux modalités traditionnelles mises en place par Monsieur ALAIN B. dans son officine et conformes aux exigences de la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES relatives à la matérialité du lieu de vente. "

Les entreprises qui voudraient exclure la vente de leurs produits sur Internet devront donc le prévoir de manière expresse et explicite au sein de leurs contrats de distribution ou d’un avenant.

L.T.

Références :

- texte du jugement relatif à l’affaire Fabre sur Juriscom.net :
http://www.juriscom.net/jurisfr/fabre.htm.

- commentaire de l’affaire Fabre par Yann Dietrich et Alexandre Menais sur Juriscom.net :
http://www.juriscom.net/espace2/fabre.htm.

 

France : Droit des marques et noms de domaine

Affaire Société Nationale Radio France c/ Christian Fouche, Tribunal de grande instance de paris, 27 avril 1999

Nouvelle affaire en matière de nom de domaine. La société Radio France a créé depuis 10 ans la chaîne de radio "France Info" disponible sur Internet accessible depuis mars 1995 à partir du nom de domaine "radio-france.fr". De son côté, Monsieur Fouche a enregistré le nom de domaine "france-infos.com" fin 1998 auprès de Network Solutions Inc (NSI), à partir duquel il rend disponible un site qui diffuse notamment sous la mention "le Flash de France Info", sans l’autorisation de Radio France, ses propres bulletins d'information. La société Radio France a donc assigné Monsieur Fouche le 14 avril 1999 en contrefaçon de marque et a obtenu gain de cause dans un jugement du 27 avril. Il est fait interdiction à  Christian Fouche d'utiliser le nom "france-infos.com" à titre de nom de domaine, ou de partie de nom de domaine, ainsi que sur ses pages Web.

L.T.

Références :

Texte relatif à l’affaire Radio France sur Juriscom.net :
http ://www.juriscom.net/jurisfr/radio-france.htm.

 

France : Bases de données

Affaire Électre c/ T.I. Communication, Maxotex Hébergement et Monsieur M. D., Tribunal de commerce de Paris - 7 mai 1999

Spécialisée dans la publication et l'exploitation de banques de données, la société Électre avait répertorié sur format électronique un ensemble d'ouvrages édités en France, notamment disponible sous forme de cédérom. Un modèle de contrat en interdit toute diffusion et communication à des tiers.

Devant le tribunal, la demanderesse est parvenue a établir que le gérant de la société T.I. Communication, éditrice d'un site Web "Le Livre en Ligne", et abonné au cédérom de Électre, a servilement reproduit sa base de données.

T.I. Communication estimait que les emprunts qu'elle a pu faire à Électre ne sont pas relatifs " au choix ou à la disposition des matières " qui, au regard de l'article L. 112-3 (http://www.celog.fr/cpi/lv1_tt1.htm) du Code de propriété intellectuelle constituent des créations intellectuelles protégeables dans les bases de données.

Le Tribunal la condamne néanmoins à 100 000 F de dommages et intérêts en ayant précisé au préalable :

" (…) qu'il est établi, et d'ailleurs non contesté, que T.I. Communication ait utilisé les données de Electre dans "Le Livre en Ligne" ; qu'il n'appartenait pas à T.I. Communication d'apprécier si ces données pouvaient, ou non, être licitement utilisées par elle, alors qu'elle avait signé un contrat excluant la diffusion de la banque de données à des tiers ; que cette clause du contrat s'applique aux sous ensembles de la banque de données visés en l'espèce ; le tribunal dira que T.I. Communication a utilisé le cédérom de Electre d'une façon illicite. "

Nous noterons que l’hébergeur du " Livre en Ligne ", Maxotex, a été mis hors cause dans l’attendu suivant :

" Attendu qu'il n'est pas contesté que le rôle de Maxotex se soit limité à "l'hébergement" ; qu'aucune disposition n'impose à l'hébergeur de vérifier le contenu des informations dont il permet la circulation ; que prévenue de la survenance d'un litige, Maxotex a agi promptement en fermant le site "Le Livre en Ligne" à titre conservatoire ; Le tribunal dira que Maxotex n'a commis aucune faute et la mettra hors de cause. "

L.T.

Références :

Le texte du jugement est disponible sur Juriscom.net :
http://www.juriscom.net/jurisfr/electre.htm.

 

France : Commerce électronique (2)

Affaire Norwich Union c/ Peytureau, Tribunal de Grande Instance de Bordeaux, 12 mai 1999

Dans cette seconde affaire française relative au commerce électronique, un agent d’assurance salarié par la société Norwich Union, M. J.-F. Peytureau, a créé un site enregistré auprès de l’InterNIC sous le nom de domaine " norwich-union-france.com ". Considérant que le site a été développé et mis en ligne sans son consentement, la société Norwich Union estimait que l’utilisation de sa dénomination sociale constituait un trouble manifestement illicite qui entraîne notamment " une confusion dans l'esprit du public qui peut croire à un site établi par elle-même ou sous son contrôle ". Mais le Président du Tribunal de grande instance a estimé pour sa part que l’agent d’assurance, habilité à constituer un site Web sous cette dénomination par accord tacite, n’a pu causer aucun préjudice pour Norwich-Union puisque le site Internet qu’il avait mis en ligne à ses propres frais faisait la promotion des produits de sa compagnie pour en développer les ventes.

" (…) force est de constater que ce site n'est à l'origine d'aucun préjudice pour Norwich Union. Il est en effet totalement consacré à la promotion des produits de Norwich Union et destiné à en développer les ventes. Aucune concurrence déloyale, aucun parasitisme ne sont à déplorer. "

Petite originalité : le juge s’est basé sur le référent de " l’internaute moyennement attentif " pour déterminer qu’il ne pouvait y avoir de confusion possible.

" D'ailleurs, il est à observer que la mention "site personnel - J.-F. P. - conseiller financier - Norwich Union", en caractères bien apparents, et l'indication d'une adresse e-mail personnelle permettent à un internaute moyennement attentif de savoir qu'il ne se trouve pas sur le site officiel de Norwich Union. "

L.T.

Références :

Le texte du jugement est disponible sur Legalis.net :
http://www.legalis.net/jnet/decisions/marques/ord_tgi-bordeaux_120599.htm.

 

France : Responsabilité des prestataires techniques

Projet d’amendement Bloche

Ce projet d’amendement, du nom de son instigateur, propose l’exonération de la responsabilité des prestataires techniques. Selon ce texte, deux conditions non cumulatives sont nécessaires pour assurer l’exonération. La première, le fournisseur ne doit pas avoir lui-même contribué à la création ou à la reproduction du contenu. La deuxième, dans les cas litigieux, si le fournisseur n’a pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu.

L’amendement Bloche a été adopté par l’assemblée nationale le 27 mai 1999. Sous réserve de l'approbation du Sénat, les articles suivants auront vocation à compléter la Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication :

"Art 43-6-1 : Les personnes physiques ou morales dont l’activité est d’offrir un accès à des services en ligne autres que de correspondance privée sont tenues de proposer un moyen technique permettant de restreindre l’accès à certains services ou de les sélectionner.

Art 43-6-2 : Les personnes physiques ou morales qui assurent, directement ou indirectement, à titre gratuit ou onéreux, l’accès à des services en ligne autres que de correspondance privée ou le stockage pour mise à disposition du public de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par ces services ne sont responsables des atteintes aux droits des tiers résultant de ces services que :

- si elles ont elles-mêmes contribué à la création ou à la production de ce contenu ;

- ou si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n’ont pas agit promptement pour empêcher l’accès à ce contenu, sous réserve qu’elles en assurent directement le stockage.

Art 43-6-3 : Les personnes mentionnées à l’article 43-6-2 sont tenues, sous réserve qu’elles en assurent directement le stockage et lorsqu’elles sont saisies par une autorité judiciaire, de lui transmettre les éléments d’identification fournis par la personne ayant procédé à la création ou à la production du message ainsi que les éléments techniques en leur possession de nature à leur permettre de localiser leur émission."

L.T.

Références :

Interview de Patrick Bloche sur ZDNet France :
http://www.zdnet.fr/actu/a0009393.html.

 

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