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Rubrique : internautes / les Cybernotes
Mots clés : cybernotes, cyberculture, virtuel
Citation : Bertrand SALVAS, "Cyberculture : mythe ou réalité ?", Juriscom.net, février 1999


Cyberculture : mythe ou réalité ?

Bertrand Salvas


Vous avez certainement déjà entendu l'expression "cyberculture". Peut être avez-vous aussi entendu parler de "cyberpunk", de "netizens", de "village virtuel", de "Netiquette" ou autres expressions du même cru. D’apparence innocente, ces mots suggèrent l'existence d'un monde à part, d'un cyber-espace indépendant, d'une culture auto-générée voire d'une société virtuelle distincte (attention, terrain glissant...) hors de portée des lois et règlements en vigueur. Internet serait-il donc un réseau anarchiste, la plus récente incarnation du diable après l'état bolchévique ? D'où vient donc cette conception ?

À l'origine, principalement pendant les années 70-80, Internet ne constituait qu'un réseau marginal. Mis à part l'usage officiel qu'en faisaient les gouvernements, il ne reliait que quelques universités. Utilisant une interface qui nous apparaîtrait bien archaïque aujourd’hui, il ne s'adressait pas au grand public. Parmi ses premiers utilisateurs privés, on comptait principalement des chercheurs et des étudiants profitant du réseau pour toutes sortes de fins, académiques ou autres... Il ne faut donc pas s'étonner que l'accès à un moyen de communication aussi puissant et original ait pu stimuler l'émergence d'un sentiment contestataire chez certains de ces utilisateurs.

La publication de livres et l'apparition de revues dédiées au Web naissant, en particulier la revue Wired, ont finalement contribué à cristalliser ce mythe du cyber-espace, dernière frontière de l'homme libre. Mais qu'en est-il vraiment ? "Cyberfolklore", ou "cyberéalité" ?

Il est acquis qu'Internet, en plus de fournir de nouveaux outils de communication encore largement sous-estimés, génère déjà une culture originale, sujet d'études en soi. Nous prenons à témoin l'existence de certains sites : le musée des bannières publicitaires, le cimetière des sites désuets, ou encore ceux qui lèvent le voile sur les canulars les plus célèbres circulant sur le Web Hoaxkill ou Urbanlegends). Internet entre dans les mœurs ! Il cesse ainsi de n'être qu'un outil technique pour devenir un phénomène culturel.

Mais le Web fait également l'objet d'études "sérieuses". Dans son édition de juin 1998, la revue First Monday nous raconte l'expérience de M. Leonard Williams, professeur de sciences politiques à North Manchester, Indiana, qui a eu l'idée de créer et donner un cours universitaire sur la politique d'Internet.

Après avoir étudié l'utilisation et les impacts politiques du réseau, une partie des travaux réalisés dans le cadre de ce cours a justement porté sur l'étude du phénomène de "cyber-culture". L'idéologie qui soutient qu'Internet constitue le fer de lance d'un certain mouvement libertaire universel émane principalement des écrits de John Katz, et de la revue Wired à laquelle il collabore... Il n'est pas étonnant que les étudiants de M. Williams aient été invités à étudier les résultats du Digital Citizen Survey, étude qui avait justement été commandée par Wired afin d'analyser la société cybernétique et ses prétendus citoyens, ou "netizens". Alors, vos conclusions M. Williams ? Cyberculture : mythe ou réalité ?

Mythe ! Ce pseudo-caractère "libertaire" du Web serait, selon lui, de la pure fantaisie. Du moins, dans le contexte actuel. La théorie de Katz sur le développement d'une cyberculture distincte et originale fondée par des cyber-citoyens désenchantés de la politique et des médias traditionnels ne reposerait plus sur des données tangibles et vérifiables. De plus en plus, le Web refléterait les valeurs de la société traditionnelle, tant au point de vue économique que social, et ne soutiendrait plus la théorie du développement d'une société "post-politique" d'une cyberculture distincte.

Comment ne pas être en accord avec ces conclusions, surtout en voyant le développement phénoménal d'Internet et son usage commercial grandissant ? Si, aux premiers balbutiements du réseau, on pouvait soutenir que les quelques intellectuels contestataires qui l'utilisaient étaient en mesure de lui insuffler une idéologie originale et distincte, il est difficile de croire qu'une telle influence soit encore possible aujourd'hui. Internet est maintenant un réseau surpeuplé qui ressemble plus à un vaste centre commercial qu'à un salon de thé où se tiennent des discussions politiques ou philosophiques. Comment en effet une telle idéologie pourrait-elle convertir les flots de nouveaux internautes qui déferlent quotidiennement sur le réseau pour y faire leurs emplettes, y accéder aux sites des gouvernements, corporations, partis politiques et autres institutions officielles? (Et que dire des pages personnelles qui ne servent qu'à publier des photographies de son bungalow, de sa tondeuse à gazon ou de son chien ?) Ces usages du réseau peuvent difficilement être qualifiés de contestataires. Ne devient-il pas difficile, sous cet angle, de soutenir qu'il pourrait y avoir aujourd'hui 100 millions d'anarchistes sur le Web ?

Certains parleront de tentatives de récupération d'Internet par la droite ou par la gauche... La vérité est, selon moi, beaucoup plus simple : Internet n'est pas une société à part, un espace immatériel hors d'atteinte de nos institutions. Internet est tout simplement un nouveau médium. Il permet aux hommes de faire ce qu'ils ont toujours fait, à une plus grande échelle et avec plus d'efficacité. N’allons donc pas croire qu'il s'agit d'un nouveau far-west à l'abri des lois.

Cependant, il est vrai que la structure même du réseau, son ouverture et son caractère supra-national, remettent en cause nos lois et leurs modes d'application traditionnels. Le simple fait qu'une personne avertie puisse contourner ses lois nationales en installant son site dans un autre pays, impose la concertation entre les états pour assurer que les dispositions législatives et réglementaires conservent toute leur efficacité. Internet vient amplifier le vent de globalisation qui souffle sur l'humanité en cette fin de millénaire.

Là se trouve le vrai défi : l'adaptation de nos structures au nouvel environnement issu de la révolution informatique. Prétendre découvrir et légiférer un "espace nouveau", un cyber-espace prétendument sans loi, est un faux problème.

B. S.

Réactions ?
bsalvas@colba.net


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