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Rubrique : professionnels / volume 1

Publicité sur Internet

22 octobre 1999


 

Publicité et marketing sur Internet

Quelles sont les dispositions légales entourant les opérations publicitaires et de marketing en ligne ?

Par Maître Thibault Verbiest
Avocat au Barreau de Bruxelles

email : thibaut.verbiest@skynet.be


Forum de discussions


Le développement du commerce électronique va de pair avec celui de la publicité et du marketing en ligne.

Selon une étude récente, les investissements publicitaires aux Etats-Unis se sont élevés à plus de 12 milliards de francs sur le réseau, et le marché double chaque année. L’Europe est à la traîne mais suit inexorablement le mouvement en raison de la prolifération exponentielle des connexions à Internet, favorisée par les offres d’accès gratuits.

De plus, le profil des annonceurs se diversifie. La publicité en ligne n’est plus l’apanage de l’industrie informatique et des nouveaux médias. Les secteurs de la banque, de l’automobile, de l’édition, des produits de luxe, pour ne citer qu’eux, se lancent également dans des campagnes publicitaires et des opérations de marketing en ligne au fur et mesure qu’ils investissent dans le commerce électronique.

Comme toute activité opérée sur Internet, la publicité est soumise à un cadre légal qu’il convient de respecter.

Les pratiques du commerce et la protection du consommateur

La loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et la protection du consommateur interdit toute une série de pratiques publicitaires.

A titre d’exemple, sont interdites les publicités qui comportent des indications susceptibles d’induire en erreur sur les caractéristiques d’un produit ou d’un service ou celles qui comportent des éléments dénigrants à l’égard d’un autre vendeur, ses produits, ses services ou son activité. Par ailleurs, la loi, modifiée à cet égard le 25 mai 1999, réglemente strictement le régime de la publicité comparative, qui n’est licite qu’à certaines conditions. Ainsi, elle ne peut être trompeuse ou dénigrante pour un concurrent, elle doit se limiter à comparer des produits ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif, etc…

Cette réglementation, initialement conçue pour les médias traditionnels (support écrit, radio et télévision) s’applique-t-elle aussi à Internet ? Par exemple, un commerçant qui établit un lien hypertexte avec le site de l’un de ses concurrents dans le but d’inciter les internautes à comparer ses produits sera-t-il astreint à respecter le cadre légal de la publicité comparative ? La réponse affirmative ne fait aucun doute dans la mesure où l’article 22 de la loi sur les pratiques du commerce définit la publicité comme étant " toute communication qui a pour but direct ou indirect de promouvoir la vente de produits ou de services… quels que soient le lieu ou les moyens de communication mis en œuvre ".

Par ailleurs, certains services ou produits ne peuvent faire l’objet de publicité ou sont soumis en la matière à des réglementations spécifiques.

Tel est le cas en ce qui concerne la publicité sur le tabac, les boissons spiritueuses, les médicaments, les cosmétiques, les ventes à tempérament… Autant de produits qu’il est de plus en plus fréquent de voir offerts en vente sur Internet.

Les pages de présentation d’un site Web et les messages postés dans les forums de discussion

Le Web regorge de pages de présentation relatives à des produits, des services ou des sociétés.

Il convient à cet égard d’être attentif à l’article 23.5° de la loi sur les pratiques du commerce qui dispose qu’est interdite toute publicité qui " étant donné son effet global, y compris sa présentation, ne peut être nettement distinguée comme telle et qui ne comporte pas la mention " publicité " de manière lisible, apparente et non équivoque. "

Dès lors, si une page Web de présentation ou d’information a été en réalité conçue pour promouvoir tel produit ou tel service, le contenu sera qualifié de publicitaire et soumis à la réglementation précitée sur la publicité.

Tel pourra également être le cas pour certains messages postés dans les forums de discussion et qui cachent une démarche publicitaire.

Les liens hypertextes

Le fait de créer un lien hypertexte renvoyant à un site commercial relève-t-il de la publicité ?

La Proposition modifiée de directive sur le commerce électronique du 1er septembre 1999 apporte une réponse à cette question essentielle dans le cadre d’Internet. En effet, elle précise que ne constituent pas en tant que telles des communications commerciales :

  • les coordonnées permettant l’accès direct à l’activité d’une entreprise, d’une organisation, ou d’une personne, notamment un nom de domaine ou une adresse de courrier électronique ;
  • les communications relatives aux biens, services, ou à l’image de cette entreprise, organisation ou personne, élaborées d’une manière indépendante de celle-ci, en particulier sans contrepartie financière. 

Dans ces conditions, ne constituera en principe pas une communication commerciale le lien hypertexte établi vers un site commercial lorsqu’il est créé sans lien financier ou autre contrepartie provenant de la personne responsable de ce site.

L’action en cessation

La loi sur les pratiques du commerce autorise l’intentement d’une action en cessation devant le Président du Tribunal de commerce à charge de l’annonceur d’une publicité considérée comme illégale.

De plus, la loi institue une responsabilité en cascade, à savoir, que, si l’annonceur n’est pas domicilié en Belgique ou n’a pas désigné une personne responsable ayant son domicile en Belgique, ce sera successivement l’éditeur de la publicité écrite ou le producteur de la publicité audiovisuelle, l’imprimeur ou le réalisateur et ensuite le distributeur ainsi que toute personne ayant contribué sciemment à ce que la publicité produise son effet qui pourraient être tenus pour responsables.

Appliqué aux acteurs d’Internet, ce régime pose la question de la responsabilité des fournisseurs d’accès ou d’hébergement, à l’instar de la responsabilité en cascade prévue par la Constitution en matière de délits de presse et que nous avons évoquée dans notre précédente chronique (L’Echo 16 septembre 1999). Ces intermédiaires techniques du réseau pourraient-ils être qualifiés de personnes ayant contribué " sciemment à ce que la publicité produise son effet " en Belgique ?

Aucune réponse générale ne peut être apportée dans la mesure où il s’agira de déterminer, au cas par cas, si l’intermédiaire a ou non eu une connaissance suffisante de la présence d’une publicité illégale sur son réseau ou serveur.

La publicité par courriers électroniques non sollicités

Qualifié par certains de véritable fléau du Net, l’envoi massif de courriers électroniques non sollicités (ou spamming) est devenu un moyen courant pour réaliser des campagnes publicitaires à grande échelle.

Une telle pratique est-elle légale ?

Selon la loi du 25 mai 1999, modifiant la loi précitée du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce, prise en application de la Directive européenne du 20 mai 1997 sur les contrats à distance, " la publicité par courrier électronique non sollicitée, doit être identifiable comme telle de manière claire et non équivoque dès sa réception par le destinataire ".

En outre, la loi dispose que les techniques de communication autres que les systèmes automatisés d’appel et les télécopieurs, le courrier électronique étant ici particulièrement visé, ne peuvent être utilisées qu’en l’absence d’opposition manifeste du consommateur.

Il s’agit de la consécration du système dit de de l’opt-out, à savoir qu’il appartient au consommateur d’effectuer la démarche pour s’opposer aux communications non sollicitées par courriers électroniques, par opposition au système de l’opt-in selon lequel le spamming n’est autorisée que s’il a obtenu le consentement préalable des consommateurs concernés.

Le système de l’opt-out a également été retenu par la Commission européenne et le Parlement européen dans le cadre de la Proposition précitée de directive européenne sur le commerce électronique, ainsi que par la Chambre de Commerce Internationale (CCI) dans son Code de conduite du 2 avril 1998 relatif à la publicité et le marketing sur Internet.

Toutefois, il est à noter que l’article 14 de la Directive européenne sur les contrats à distance permet aux Etats Membres de prévoir des dispositions plus protectrices du consommateur. 

C’est ainsi que l’Autriche et l’Italie ont récemment fait usage de cette faculté en consacrant dans leurs législations le système de l’opt-in. Quant à la Belgique, la loi a également prévu cette faculté dans la mesure où elle habilite le Roi à étendre la liste des techniques de communication dont l’utilisation nécessite le consentement préalable du consommateur. Un arrêté royal pourrait par conséquent inclure la communication non sollicitée par courrier électronique dans le système de l’opt-in.

Il va sans dire qu’une telle situation a pour conséquence d’instaurer un régime à deux vitesses au sein de l’Union européenne en matière de spamming, préjudiciable au marché commun, ce qui n’était certainement pas l’intention du législateur européen….

La protection de la vie privée

Aux fins de ciblage publicitaire, des bases de données d’une taille parfois considérable, se multiplient sur Internet. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, certaines entreprises se vantent d’avoir " fiché " dans leurs bases de données plus de 30 millions d’internautes…

C’est notamment par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès et des portails que les données personnelles des internautes sont collectées. En effet, outre leurs fonctions de moteurs de recherche ou d’annuaires, les portails offrent différents services qui ne sont disponibles qu’après enregistrement préalable de l’internaute (e-mail gratuit consultable par le Web, services semi-éditoriaux personnalisables, telles que des informations boursières ciblées, des nouvelles du jour en fonction de sujets pré-selectionnés, …).

Le parrainage sur Internet constitue également une forme de collecte indirecte d’informations.

En effet, de plus en plus de sites Web invitent les internautes à communiquer l’adresse e-mail d’un proche susceptible d’être intéressé par le service proposé.

Les campagnes de publicité en ligne peuvent également s’organiser en recourant à des techniques plus avancées de traçage invisible des internautes qui reposent en grande partie sur l’utilisation des cookies. Un cookie est un petit fichier " espion " envoyé par un serveur Internet, qui s’enregistre sur le disque dur de l’ordinateur de l’internaute. Il garde la trace du site Internet visité et contient un certain nombre d’informations sur cette visite. Les versions récentes des navigateurs Internet (browsers) permettent toutefois à l’internaute d’être averti de la mise en place d’un cookie sur le disque dur de son ordinateur, et de l’accepter ou le refuser.

Un cookie peut également être attribué à un bandeau publicitaire de sorte qu’il est possible de savoir si un internaute a déjà vu tel bandeau lors d’une visite antérieure, voire de déterminer le nombre de fois que ce bandeau lui a été délivré.

De surcroît, le recours aux " adservers " (serveurs chargés de l’expédition de messages publicitaires) et aux " admanagers " (logiciels de gestion des bandeaux publicitaires) permet d’envoyer des bandeaux différents et mêmes personnalisés, en fonction de certains paramètres prédéfinis tels que l’heure, la date de la requête, le type de navigateur de l’internaute identifié (données contenues dans l’adresse IP de son ordinateur), ou la page en cours de consultation. Ces outils permettent même de changer le bandeau après un nombre donné d’expédition auprès du même internaute lors de ses prochaines visites.

Ainsi, trois personnes qui consultent la page d’accueil du même site pourraient voir la même page en terme de contenu mais avec un bandeau publicitaire différent selon qu’elles habitent un pays différent, qu’elles utilisent un navigateur également différent ou qu’elles ont déjà consulté cette page auparavant…

En plus de ces possibilités de ciblage technique, certains admanagers peuvent être combinés à une base de données éditeur (stockant par exemple les informations fournies par le visiteur lors de son inscription sur un site Web) et permettre une véritable personnalisation du message publicitaire. Par exemple, lorsqu’un internaute consulte pour la première fois un site d’informations financières, il pourrait devoir s’enregistrer préalablement via un formulaire d’identification. Comme le formulaire comporte toute une série de critères d’ordre socio-démographique (âge, sexe, lieu d’habitation, montant du revenu, …), le site d’informations financières sera en mesure de proposer à ses annonceurs des campagnes combinant ciblage technique et ciblage socio-démographique.

Ces techniques publicitaires et de marketing, d’une redoutable efficacité, sont susceptibles d’être visées par la loi du 8 décembre 1992 sur la protection de la vie privée à l’égard du traitement des données à caractère personnel, modifiée par une loi du 11 décembre 1998 (prise en application de la Directive européenne du 24 octobre 1995).

La loi donne une définition large des données personnelles. Il s’agit de toute information permettant d’aboutir directement ou indirectement à l’identification d’une personne.

Dès lors, l’adresse électronique, l’adresse d’une page Web personnelle, un mot de passe, le remplissage d’un formulaire électronique pour demander de l’information en ligne, acheter un bien ou un service, répondre à une enquête ou participer à une loterie, sont des données personnelles protégées par la loi.

De même, les cookies seront visés dès lors qu’ils permettent d’identifier une personne.

Quelles les obligations imposées par la loi ?

La loi dispose que les données à caractère personnel doivent être collectées " pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne pas être traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités, compte tenu de tous les facteurs pertinents, notamment des prévisions raisonnables de l’intéressé ".

De surcroît, l’utilisation de données personnelles dans le cadre d’opérations de marketing direct est réglementée : au plus tard, au moment où les données sont obtenues, le responsable du traitement doit signaler à la personne visée qu’elle a le droit de s’opposer, sur demande et gratuitement, au traitement des données envisagé à des fins de marketing direct.

Une obligation similaire pèse sur le responsable du traitement qui aurait acquis les données auprès d’une personne autre que la personne concernée (les achats des fichiers sont notamment visés). Dans ce cas, la personne visée a le droit de s’opposer à ce que des données personnelles la concernant soient traitées à des fins de marketing direct.

Il est à noter qu’à notre sens, au regard de ces principes de finalité et d’information, le recours aux cookies peut s’avérer problématique lorsque des informations personnelles issues d’un formulaire en ligne sont automatiquement intégrées dans le cookie sans avertissement préalable de l’usager (et que l’internaute n’a pas configuré son logiciel de navigation pour refuser les cookies).

L’autorégulation

Compte tenu du caractère international d’Internet, et de la difficulté, voire de l’impossibilité d’imposer un cadre juridique mondial, des initiatives d’autodiscipline ont vu le jour.

Ainsi, la Chambre de Commerce Internationale a développé un code de conduite relatif à la publicité et le marketing sur Internet qui invite le secteur publicitaire à respecter un ensemble de règles telles que l’obligation de diffuser une publicité loyale, honnête, véridique et décente, le respect de la dignité humaine, la vigilance quant aux sensibilités diverses d’un public potentiellement international, la protection des mineurs, la protection de la vie privée etc…

Aux Etats-Unis, la Better Business Bureau attribue déjà un label aux communications commerciales loyales. Ces initiatives ne peuvent qu’être saluées en ce qu’elles représentent certainement à moyen terme la voie la plus efficace pour créer un climat de confiance et de sécurité dans le monde de la publicité sur Internet.

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Pour plus d’informations : " La publicité sur Internet ", Dunod (éd.), Paris, 1999 ; http://www.droit-technologie.org

T. V.

Article paru dans L'Echo le 21 octobre 1999

 

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