| La presse électronique : quel cadre
    juridique ? Par Maître Thibault VerbiestAvocat au Barreau de Bruxelles
 email : thibaut.verbiest@skynet.be
       
 Sur Internet, dinnombrables sites diffusent
    périodiquement de linformation sous une forme qui sapparente à la presse
    écrite ou audiovisuelle. Ainsi, des centaines de journaux à travers le monde sont mis en
    ligne le jour même de leur parution sur support " papier ",
    dautres étant même édités uniquement sur Internet. Quant à la radio et la
    télévision, il existe déjà des sites diffusant de véritables émissions
    radiophoniques ou télévisuelles (WebTV). Avec la généralisation des lignes à haut
    débit, le phénomène ira sans aucun doute en samplifiant. Dans quelle mesure les textes
    légaux existants, susceptibles de régir les activités de presse, sappliquent-ils
    dans le cyberespace, sachant quils ont généralement été conçus avant
    lémergence des autoroutes de linformation ? La question est cruciale et a
    notamment trait au droit d'auteur, aux notions de délit de presse et de responsabilité
    en cascade, au droit de réponse ainsi quaux textes pénaux réprimant les actes
    inspirés par le racisme ou condamnant le révisionnisme. Droit dauteur et
    journalisme  Lorsquun éditeur
    décide de publier sur son site Internet ou sur celui dun tiers des articles de
    presse, qui ont déjà fait lobjet dune première publication dans le journal
    ou la revue " papier " quil édite, quelle sera létendue des droits des auteurs
    des articles en question dans lhypothèse où les contrats les liant à leur
    éditeur ne réglerait pas précisément la question ? A cet égard, deux thèses
    saffrontent. Dune part, certains éditeurs affirment que la publication
    électronique ne serait que le prolongement naturel de la publication sur support papier.
    Il ny aurait donc pas une nouvelle exploitation soumise à laccord préalable
    de lauteur. Pareille thèse a été consacrée par la Cour Suprême des Etats-Unis.
    Dautre part, les journalistes et leurs associations soutiennent au contraire que la
    publication par voie électronique est une nouvelle publication qui suppose leur agrément
    et lattribution à leur profit dune rémunération distincte. Cette dernière
    thèse a été consacrée sans hésitation par la jurisprudence française et belge.  Ainsi, en Belgique, la société Central
    Station, fondée à linitiative de dix éditeurs de la presse quotidienne et
    hebdomadaire belge, avait constitué une importante banque de données darticles de
    presse sur trois mois alimentée chaque soir des différentes éditions des journaux
    appartenant à ses actionnaires, consultable depuis Internet contre paiement. Cette mise
    en ligne avait toutefois été opérée sans le consentement des journalistes auteurs des
    articles incriminés. Dans cette affaire, par un arrêt
    du 28 octobre 1997, la Cour dappel de Bruxelles décida que la diffusion
    " en ligne " des articles de presse litigieux constituait une
    exploitation nouvelle, différente de la diffusion sur le journal
    " papier " initialement convenue, et qui requérait donc
    lautorisation des journalistes. En France, un procès a opposé
    lUnion syndicale des Journalistes (SNJ) et la société éditrice
    du journal Les Dernières Nouvelles dAlsace (DNA), à qui il
    était reproché davoir donné lautorisation à une société de reproduire
    sur un site Web les DNA et ce, de façon illicite, faute davoir obtenu le
    consentement des journalistes concernés. Par ordonnance du 3 février 1998, le Tribunal de grande instance de
    Strasbourg considéra que " la reproduction sur le réseau Internet des
    articles déjà publiés dans les DNA est soumise à lautorisation des auteurs,
    cest-à-dire des journalistes ". Dans une seconde affaire, le
    même SNJ, ainsi que huit journalistes, assignèrent la Société de gestion
    du Figaro pour avoir mis en uvre une édition télématique proposant la
    consultation, sur Minitel, des archives du Figaro comportant les numéros
    publiés depuis deux ans, assortie de la possibilité dobtenir copie des articles,
    soit par télécopie, soit par le biais dune adresse e-mail sur Internet. Le 14 avril 1999, le Tribunal de
    grande instance de Paris jugea
    quétait proscrite " la reproduction des articles sur un nouveau
    support résultant des technologies récentes, et notamment sur réseau
    télématique " sans le consentement préalable des auteurs, ajoutant que
    " à défaut de convention expresse conclue dans les conditions de la loi,
    lauteur na pas davantage transmis aux entreprise de presse le droit de céder
    ses articles à des tiers pour les reproduire par fax ou par e-mail ". En Belgique, léditeur
    devrait néanmoins pouvoir se dispenser dun tel accord dans lhypothèse où la
    cession initiale sinscrirait dans le cadre dun contrat de commande ou
    dun contrat demploi, qui prévoirait que les droits sont cédés pour tous les
    modes dexploitation connus, dans les conditions visées à larticle 3, § 3 de
    la loi sur le droit dauteur, et ce à condition bien sûr quau moment de la
    conclusion du contrat, la " mise en ligne " sur Internet fût un mode
    dexploitation connu .  Toutefois, dans le cas de banque
    de données compilant sur Internet des articles de sources diverses par rubriques
    thématiques, lauteur pourrait invoquer son " droit moral ", qui
    lautorise notamment à sopposer à toute atteinte à son uvre qui serait
    préjudiciable à son honneur ou à sa réputation.. Ainsi, un journaliste, dont le
    contrat de travail ou lun de ses avenants, stipulerait une cession
    " générale " de ses droits patrimoniaux, pourrait-il sopposer
    à une telle exploitation de ses articles, au motif que, ce faisant, la ligne éditoriale
    ou philosophique à laquelle il adhère est forcément altérée.  Dans cette perspective, afin
    déviter toute atteinte à ses prérogatives morales, il devrait être reconnu au
    journaliste un certain droit de regard sur la conception et léconomie du site Web,
    et en particulier sur les liens hypertextes qui unissent ses articles à dautres
    contributions ou dautres sites. De même, les éditeurs devront
    être attentifs à ne pas porter atteinte à lintégrité des articles au moyen par
    exemple de reproductions tronquées ou de résumés réducteurs. Le délit de presse Les délits de presse sont
    des infractions de droit commun (la calomnie par exemple) mais commises par voie de
    " presse ". Ils ont ceci de particulier quils sont , comme en
    matière criminelle, de la compétence exclusive de la Cour dassises (sauf les
    délits de presse inspirés par le racisme ou la xénophobie, lesquels ont été
    correctionnalisés en mai de cette année) et sont soumis au régime de la responsabilité
    en cascade en vertu duquel lauteur du délit de presse est seul responsable
    sil est connu et domicilié en Belgique (articles150 et 25 de la Constitution). A
    défaut, la responsabilité se reporte " en cascade " vers l'éditeur,
    le distributeur, voire l'imprimeur.  Quentend-on par la notion
    de " presse " au sens des articles 25 et 150 de la Constitution ?
    La notion nest pas précisée par ces dispositions. Sagit-il dès lors de tous
    les supports de presse : presses écrite, audiovisuelle et
    " multimédia " ou électronique ? La question est primordiale
    dans la mesure où, en pratique, les délits de presse ne sont jamais renvoyés devant la
    Cour dassises (sauf un renvoi exceptionnel en 1994), ce qui fait dire à certains
    que ce régime séculaire confère à la presse une véritable impunité de fait en
    matière pénale. Deux interprétations
    saffrontent à cet égard. Selon la première, seule serait visée la presse
    écrite, au sens de la presse utilisant lécrit imprimé. Une telle interprétation
    se prévaut notamment de lautorité de plusieurs arrêts de la Cour de cassation
    ainsi que du terme " drukpers " retenu en 1967 pour le texte
    néerlandais de la Constitution. Par conséquent, ni la presse audiovisuelle ni la presse
    par voie électronique ne seraient visées, et tout délit commis par ces médias
    relèveraient exclusivement de la compétence des tribunaux correctionnels. Autrement dit,
    les poursuites seraient ici possibles
 Selon lautre thèse, en
    visant la " presse ", le Constituant de 1831 a entendu garantir de
    manière générale la liberté dexpression des opinions. Bien entendu, si le
    Constituant na eu alors à lesprit que la presse écrite, cest
    quà lépoque, aucun autre moyen de communication de masse
    nexistait
 Le bon sens dicterait de suivre cette interprétation. Elle fut
    dailleurs suivie un moment par la Cour dappel de Bruxelles en matière de
    presse audiovisuelle, mais la Cour revint sur sa position par la suite
 Pour illustrer la problématique,
    prenons lexemple le plus parlant : deux journaux diffusent le même jour la
    même information, selon une présentation identique, mais lun est publié sur
    support papier tandis que lautre est édité exclusivement sur Internet. A supposer
    par exemple quun même délit de diffamation ait été commis à cette occasion,
    comment justifier une différence de traitement au regard des protections
    constitutionnelles de la presse, et ce, dautant que les journaux électroniques
    touchent un public international et donc potentiellement plus large ? Certains ont
    préconisé à cet égard détendre naturellement le régime du délit de presse à
    la seule presse télématique au motif que des écrits électroniques restent des écrits.
    Cest oublier quInternet est un outil multimédia qui allie sans cesse le texte
    à des applications de type " audiovisuel ". Devrait-on alors opérer
    des distinctions au sein dun même site en fonction de la nature des informations,
    " écrites " " sonores " ou
    " animées " ? En tout état de cause, la
    situation devrait être rapidement clarifiée, que ce soit par une nouvelle prise de
    position (courageuse) de la Cour de cassation ou, idéalement, pour assurer une parfaite
    sécurité juridique, par une révision de la Constitution (une déclaration de la
    révision a dailleurs été faite avant les élections dans le but dassimiler
    un écrit électronique à une publication imprimée). Si le choix est fait
    détendre les protections constitutionnelles de la presse aux nouvelles technologies
    de linformation et de la communication, il restera à préciser la délicate
    question de la responsabilité en cascade sur le réseau (régime que la Cour de cassation
    a décidé, par un arrêt de 1996, détendre aux actions civiles en responsabilité
    contre des journalistes).  En effet, lanonymat est
    fréquent sur Internet. De plus, les signatures sont parfois éphémères, un site pouvant
    être modifié à tout moment, voire supprimé ou délocalisé. Dans ce cas, sil
    ny a pas de véritable " éditeur " du site au sens traditionnel
    du terme (le propriétaire pouvant lui aussi être anonyme ou
    " disparaître "), comment interpréter les notions de distributeur ou
    dimprimeur dans un univers exclusivement virtuel ? Sagira-t-il, par une
    audacieuse analogie, des fournisseurs daccès et/ou dhébergement, voire des
    opérateurs de télécommunication ? Certains lont préconisé. Cette solution
    devrait être exclue, en ce quelle aboutirait sans doute à créer une
    responsabilité " objective " de ces intermédiaires du réseau, et
    une immunité de fait des vrais auteurs des délits de presse commis en ligne. De
    surcroît, elle serait en parfaite contradiction avec le régime de responsabilités
    actuellement soutenu par la Commission européenne et le Parlement européen (proposition
    modifiée de directive sur le commerce électronique du 1er septembre 1999). Une autre voie serait une
    correctionnalisation de tous les délits de presse (et non seulement ceux inspirés par le
    racisme ou la xénophobie) ainsi quun retour à la responsabilité de droit commun,
    quel que soit le média en cause. Cette solution a aussi ses partisans. Une seule chose
    est certaine : le débat ne fait que commencer
 Le droit de réponse Toute personne a le droit de
    requérir un droit de réponse si elle est citée nominativement ou implicitement
    désignée dans un " écrit périodique ". Un droit de réponse dans
    les programmes audiovisuels à caractère périodique est également organisé par la loi,
    mais son régime diffère à maints égards, notamment en ce qui concerne ses conditions
    de recevabilité et les recours prévus en cas de refus d"insertion "
    du droit de réponse. Ainsi, pour la presse audiovisuelle, contrairement à la presse
    écrite, une procédure est ouverte devant le tribunal de première instance, statuant au
    fond, en premier et dernier ressort. Dans quelle mesure la
    législation sur le droit de réponse sapplique-t-elle à la presse
    électronique ? Le débat est proche de celui
    évoqué plus haut à propos de la notion de délit de presse. Ainsi, certains
    préconisent dassimiler un journal périodique mis en ligne ou un site Web
    régulièrement mis à jour à un " écrit périodique ". Il est vrai
    que les arguments développés sur la notion décrits imprimés dans les délits de
    presse nont jamais été avancés en matière de droit de réponse. Quant au droit
    de réponse en matière audiovisuelle, rien ne devrait sopposer, compte tenu de la
    formulation de la loi, à lappliquer à des programmes périodiques de radio ou de
    télévision diffusés sur Internet. Toutefois, comment qualifier un site Web qui mélange
    lécrit et l"audiovisuel " ? Par exemple, un journal
    électronique périodique pourrait sans problème agrémenter ses articles de nombreuses
    nouvelles ou informations " vidéo " cliquables par liens hypertextes.
    Si le droit de réponse concerne des propos tenus à loccasion de ces séquences
    vidéo, quel sera le régime applicable, sachant que le support principal est celui de
    lécrit, à savoir larticle mis en ligne ?  A terme, la solution devrait, à
    notre sens, passer par un rapprochement des régimes de droit réponse en matière de
    presse écrite ou de presse audiovisuelle, sauf à vouloir créer un troisième régime
    propre aux autoroutes de linformation
 Les délits résultant
    dactes de racisme ou de propos révisionnistes Rappelons que les délits inspirés par le racisme et
    la xénophobie, et commis par voie de presse (y compris par voie de tracts), relèvent
    désormais des tribunaux correctionnels.  Le réseau Internet est souvent
    cité comme étant le repère des racistes et des révisionnistes. Il ne peut être
    reproché à Internet dêtre la cause dun tel phénomène. Par contre, sa
    nature mondiale crée un nouveau défi pour les autorités. La diffusion est plus large et
    les coupables sont souvent hors datteinte ou impossibles à identifier. Ainsi, le 13
    novembre 1998, le tribunal de grande instance de Paris a estimé nécessaire
    dacquitter le professeur Faurisson, tristement célèbre pour ses écrits
    révisionnistes, poursuivi pour avoir mis en ligne un texte intitulé " Les
    visions cornues de l'holocauste ", en violation de la loi française condamnant
    le racisme et le révisionnisme. En effet, bien que les écrits
    litigieux étaient " signés " de son nom, le prévenu contestait en
    être l'auteur et les avoir mis en ligne. De plus, le tribunal dut constater
    quaucune preuve formelle navait pu être rapportée par le ministère public
    quant limputabilité des écrits révisionnistes au Professeur Faurisson, et
    quen particulier nimporte qui aurait pu se faire passer pour lui. Le jugement
    eut également à se prononcer sur sa compétence, déniée par le prévenu, invoquant le
    fait que le site litigieux était hébergé par un serveur américain. Le tribunal retint
    toutefois sa compétence au motif qu" en matière de presse, il est
    constant que le délit est réputé commis partout où l'écrit a été diffusé,
    l'émission entendue ou vue. En l'espèce, dès lors que le texte incriminé, diffusé
    depuis un site étranger, a été reçu et vu dans le ressort territorial du Tribunal de
    Paris, ainsi qu'il ressort de l'enquête, celui-ci est compétent pour connaître de la
    poursuite. " Le même principe est de rigueur
    en Belgique de sorte quil ne fait pas de doute que les tribunaux belges seraient
    compétents au cas où les responsables dun site, émettant depuis létranger,
    y prôneraient le révisionnisme ou y inciteraient à la haine raciale. Laffaire
    Faurisson ne doit pas laisser penser que tous les délits en cette matière restent
    impunis. Ainsi, le 30 août 1999, une personne a été condamnée en France pour avoir
    exprimé des propos racistes dans un forum de discussion. Cette personne put être
    identifiée, à la requête des autorités, par le fournisseur daccès en
    lespèce responsable du forum. Il est vrai toutefois que tous les acteurs de cette
    affaire étaient français
 Enfin, il nest pas inutile
    de dire un mot sur ces sites marchands en plein développement qui vendent des ouvrages en
    ligne, que ce soit depuis la Belgique ou depuis un autre pays. Il est devenu de
    notoriété publique que certains dentre eux offrent en vente des ouvrages incitant
    à la haine raciale ou révisionnistes. Il nous semble que les responsables de ces sites,
    dès lors quils ont la conscience de vendre des ouvrages
    " racistes " ou " révisionnistes " à un large
    public, pourraient être poursuivis du chef dincitation à la haine raciale (loi du
    30 juillet 1981) ou du chef d "approbation " de thèses
    révisionnistes (loi du 23 mars 1995). Une telle conscience ne devrait pas être difficile
    à établir lorsque louvrage est par exemple intitulé
    " Meinkampf " ou a comme auteur un certain Professeur Faurisson
  T. V. Article paru dans L'Echo le 16
    septembre 1999 
 Voir également sur Juriscom.net :  - Les
    tribulations juridiques de la presse sur Internet (Espace "Internautes"), de
    Lionel Thoumyre ;- Bulletins E-Law
    n°10 et 12, de Pierre-Emmanuel Moyse et Lionel Thoumyre.
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