| Cryptographie : l'exception française Interview de Maître Valérie Sédallian,  réalisée par Lionel Thoumyre, directeur de Juriscom.net   
   Dans son dernier article Maître Valérie Sédallian conclue :
    "Ne faudrait-il pas raisonner moins en terme de compromis quen terme de balance
    entre les inconvénients et les avantages que lon pourrait tirer dune réelle
    libéralisation de la réglementation de la cryptographie ? "
 L.T. : Qu'entendez-vous
    par une "réelle libéralisation" ?
 V.S. : La loi française du 27 juillet 1996 a été présentée comme une
    libéralisation, alors que si l'on analyse soigneusement les textes, on s'aperçoit qu'en
    pratique, rien n'est changé. La seule réelle nouveauté de la loi est la mise en place
    des tiers de confiance et, de mon point de vue, on ne peut pas considérer ceci comme une
    "libéralisation".
 Par exemple, la loi indique que
    l'utilisation de procédés qui ne font que de l'authentification , sans confidentialité
    est libre (il s'agit de la signature numérique) . Certes, mais pour pouvoir utiliser ces
    procédés, il faut qu'ils soient commercialisés, donc qu'une entreprise ait déposé un
    dossier de déclaration en France. Or, sous l'ancienne loi, lorsqu'une entreprise
    déposait un dossier de déclaration pour fourniture en vue d'une utilisation générale,
    la déclaration était valable pour les utilisateurs. CQFD. Quant aux logiciels que l'on
    peut télécharger sur Internet, sauf si le SCSSI publiait une liste de ceux qui sont
    conformes à la loi française, comment voulez-vous par exemple que l'utilisateur moyen
    sache s'il utilise ou non plus de 2 puissance 40 sur un test d'arrêt simple
    (spécifications techniques d'un des décrets) ?
 D'autres dispositions vont même dans le sens d'une aggravation : peines prévues par la
    loi aggravées , création de nouvelles incriminations par exemple.
   L.T. : De
    quelle manière cette libéralisation permettrait d'équilibrer les inconvénients avec
    les avantages ?
 V.S. : Il ne s'agit pas d'un équilibre, dans ce cas on
    parlerait de compromis, mais de considérer que les avantages de la libéralisation
    l'emportent sur ses inconvénients.
   L.T. : Pourquoi
    le système des tiers de confiance est-il susceptible de rebuter, ou de gêner les
    entreprises françaises investies dans le commerce électronique (problèmes de
    fiabilité, de sécurité, et de coût...) ?
 V.S. : Il existe un consensus pour reconnaître que le commerce
    électronique nécessite le recours à du chiffrement fort, en tout cas supérieur aux 40
    bits autorisés aujourd'hui. Or, le dispositif français vise à ce que pour du
    chiffrement fort, les entreprises et les utilisateurs soient plus ou moins obligés de
    passer par le système de tiers de confiance. Le système a été critiqué par l'ART qui
    a rendu un avis réservé sur les projets de décrets et le rapport du Conseil d'Etat
    souligne les difficultés soulevées par le système.
 
 Le système du tiers de confiance suppose le recours à une technologie spécifique (dites
    "propriétaire") qui risque de ne pas être toujours compatible avec les
    standards internationaux. Les produits commercialisés par les tiers de confiance sont
    forcément destinés au seul marché français (voir réponse à la question suivante). Le
    marché étant plus restreint et les contraintes de développement et d'exploitation très
    lourdes, ces produits sont plus coûteux.
   L.T. : De quelle
    manière la France se marginalise-t-elle au niveau international ? Dans votre article,
    vous parlez notamment d'un système "franco-français"...  pourquoi ?
 V.S. : Parce que la France est le seul pays au monde à avoir mis en
    place ce système. Cette singularité de la position française (terme employé par le
    Conseil d'Etat dans son rapport) a été soulignée par le Conseil d'Etat dans son récent
    rapport sur Internet. Il faut comprendre que ce type de produit est inadapté aux
    échanges internationaux, chaque état voulant se réserver l'accès aux clés privées de
    chiffrement dans un domaine (la sécurité nationale notamment) où il est peu réaliste
    d'envisager des accords internationaux.
 
 Le Conseil d'Etat lui -même souligne que "il ne sera possible de conserver
    durablement un dispositif de tiers de séquestre, relativement contraignant pour les
    entreprises, que si la réglementation française parvient à
 inspirer celle mise en uvre par les autres pays développés".
 
 Au niveau communautaire, les produits de cryptographie sont une exception (avec des
    produits comme le nucléaire) au principe de libre circulation des produits et services.
    Mais cette situation pourrait changer avec le nouveau projet de règlement européen sur
    les biens à double usage (proposition de règlement du 15 mai 1998). Si ce règlement est
    adopté, la législation française devra être modifiée, au moins pour tenir compte de
    la législation communautaire en ce qui concerne les exportations intra-communautaires.
   L.T. : La réglementation
    française nous désavantage-t-elle face aux pays nord-américains ?
 V.S. : En Amérique du Nord et dans les autres pays européens, il
    n'existe pas de législation restreignant le libre usage et la fourniture de produits et
    logiciels. Seuls existent des contrôles à l'export, qui varient selon les pays. Les
    entreprises françaises, elles, se trouvent face à une législation qui réglemente non
    seulement l'exportation, mais également l'importation , la fourniture et l'utilisation de
    produits de cryptographie. Le décret
    98-101 du 24 février 1998 réglemente même l'utilisation par un fournisseur de
    procédés de cryptographie à des fins de développement. Les entreprises ne peuvent donc
    pas librement commercialiser leurs produits.
 
 Voir également sur Juriscom.net : - Les apports des décrets du 25 février et 23 mars 1998 en matière
    de cryptographie(Espace "Professionnels"), d'Alexandre Menais ;
 - La crypto encore au fond
    du trou (Espace "Internautes"), de Lionel Thoumyre ;
 - Analyse comparée des politiques
    nord-américaines en matière de cryptographie
 (Espace "Professionnels"), de Lionel Thoumyre.
 
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