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Rubrique : professionnels / volume 1

Marques - liberté d'expression - art 809 NCPC

Novembre 1998


 

Affaire Elancourt, censure ou non ?

Tribunal de Grande Instance de Versailles
Ordonnance de référé du 22 octobre 1998
Commune d'Elancourt C/ Loïc Lofficial

 

Maître Valérie Sédallian

Avocat à la Cour
Directrice de la
Lettre de l'Internet Juridique

Yann Dietrich

Juriste en Propriété industrielle, Cabinet Gefib
Collaborateur pour Juriscom.net
Membre de Cyberlex

 



Une décision mettant en cause la liberté d’expression sur Internet dans un contexte politique a provoqué les plus vifs remous. Une analyse juridique des principes en cause s’impose pour y voir, finalement une solution pondérée.

 

De nombreux articles ont déjà traité de cette décision de justice. Cette affaire aborde d’ailleurs un point sensible de l’Internet : la liberté d’expression. Certes, un droit quelque peu banalisé dans la réalité, mais qui demeure une des pierres angulaires du réseau. L’Internet est une formidable fenêtre d’expression, une tribune libre qui permet avec peu de moyens de bénéficier d’une audience qu’aucun média ne permet à l’heure actuelle pour le simple particulier. L’affaire Elancourt illustre bien ce phénomène, notamment par son contexte politique.

Pour rappeler les faits, Monsieur LOFFICIAL a ouvert depuis deux ans un site " Elancourt, Bienvenue à Elancourt " où il exposait à la fois des informations sur la vie municipale et ses opinions politiques sous l’adresse http://www.chez.com/elancourt. En 1998, la municipalité, ayant ouvert son site à l’adresse http://www.elancourt.com, a estimé que ce site prêtait à confusion. Dès lors, elle a assigné Monsieur LOFFICIAL en référé afin d’obtenir la fermeture de son site. La municipalité se fondait à la fois sur le droit des marques en invoquant le dépôt d’une marque reprenant le logo type de la " Ville d’Elancourt " et le trouble manifestement illicite que constituait ce site.

Par une ordonnance de référé du 22 octobre 1998, sur le fondement de l’article 809 du NCPC, ce dernier a été condamné à cesser d’utiliser l’appellation " Elancourt, bienvenue à Elancourt " pour son site Internet et à lui donner une appellation sans confusion possible avec le site officiel de la Ville d’Elancourt. Selon le juge, " les consultants ne doivent pas être induits en erreur et trompés par une présentation tendancieuse et savoir clairement et sans ambiguïté s’ils sont connectés sur le site de la mairie sur celui d’une association para-municipale ou non, et laquelle, sur celui d’un parti politique ou d’une simple liste locale avec précision du nom du parti ou de cette liste ou s’ils sont simplement connectés avec un site d’un particulier ".

Quant aux droits des marques, la demande n’était pas recevable pour des motifs de procédure. Cependant, il est primordial de se poser la question de savoir dans quelle mesure le droit des marques aurait pu être invoqué utilement à l’encontre d’une activité d’information publique. Pour citer Maître Mathély, "  la contrefaçon n’est pas commise dans le cas seulement où il est démontré que le modèle de la marque, reproduit ou imité, n’est nullement destiné à un usage commercial, ou est sûrement destiné à la désignation d’objets qui échappent à la portée de l’enregistrement de la marque ". Le Code de la Propriété Intellectuelle est d’ailleurs clair à ce sujet en définissant la marque dans l’article L 711-1 comme un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale. S’agissant de produits ou de services, ils ne peuvent être envisagés que dans un contexte commercial. Pour raisonner par analogie, il suffit de se reporter à l’analyse des tribunaux en matière de citation de marque dans la presse. Le Tribunal de Grande Instance du 22 février 1995 a jugé que " pour être répréhensible, l’usage d’une marque doit être fait à des fins commerciales ou publicitaires ; qu’en revanche, l’usage dans un but d’information ne constitue pas une contrefaçon " (1). En l’espèce, peut-on considérer qu’en faisant œuvre citoyenne et politique, on se place dans le cadre commercial nécessaire à l’application du droit des marques ? Par ailleurs, le dépôt à titre de marque d’un nom géographique ne peut empêcher les tiers de l’utiliser dans sa fonction de localisation ou d’indication. Par conséquent, la demande d’interdiction d’utilisation du nom d’Elancourt ne pouvait paraître qu’excessive.

Mais le juge se fonde ici sur l’article 809 du Nouveau Code de Procédure Civile pour prononcer sa décision. Cette disposition lui permet dans le cadre du référé de prescrire des mesures conservatoires pour faire cesser un trouble manifestement illicite, même en cas de contestation sérieuse. Dans le cadre de l’article 809 du NCPC, le juge doit toutefois se limiter à ce qui est évident.

D’un côté, la mairie invoquait une confusion de nature à induire les internautes en erreur sur le caractère officiel du site de Monsieur LOFFICIAL. De l’autre, était avancé le principe de la liberté d’expression. L’application de l’article 809 doit être en effet limitée en matière de communication, où le principe reste celui de la liberté d’expression.

Le juge ne fait pas droit à la demande de fermeture du site, qui était exorbitante, mais condamne simplement Monsieur LOFFICIAL à rebaptiser son site de telle sorte qu’il ne puisse y avoir de confusion sur son origine. Ainsi, rien n’empêche Monsieur LOFFICIAL de maintenir son site sous une appellation plus évocatrice, par exemple, " un citoyen vous parle d’Elancourt ".

Cependant, la motivation et le raisonnement suivis par le juge sont ambigus. Ainsi, le magistrat note qu’en consultant le site de Monsieur LOFFICIAL, l’internaute voit apparaître des informations sur la vie municipale et une présentation de la commune. Or, aucun texte n’institue au profit de la commune un quelconque monopole sur la diffusion d’informations municipales.

Par ailleurs, si les armoiries de la ville figuraient bien sur le site, il s’agissait en fait d’un lien hypertexte vers le site officiel ! De même, sur les moteurs de recherche comme YahooÒ , le site de Monsieur LOFFICIAL était bien référencé comme un site indépendant de la Mairie. Enfin, la structure de l’adresse fait apparaître de manière évidente l’hébergement sur le serveur gratuit " chez.com ". L’ensemble de ces faits laisse à penser que l’internaute moyen n’y aura pas vu de confusion. Dans ces conditions, y avait-il vraiment un trouble manifestement illicite ?

Le juge aurait-il simplement voulu sanctionner la mise en ligne d’informations municipales sous une appellation pouvant prêter à confusion avec une origine officielle ? Mais dans ce cas, le seul changement de dénomination suffit-il à supprimer le risque de confusion relevé alors même qu’on ne peut empêcher Monsieur LOFFICIAL d’utiliser le nom Elancourt pour publier des informations sur sa ville ?

Il aurait été excessif dans le cadre d’un référé d’ordonner la fermeture du site, mettant en cause de manière directe la liberté d’expression. Cependant, nous attendons avec intérêt une décision au fond qui saura, nous l’espérons, lever le doute créé par cette ordonnance quant à l’étendue de cette même liberté d’expression.

Y. D. et V. S.


Notes 

(1) TGI PARIS 22 février 1995 PIBD n°587-III-257. Voir aussi l’affaire Karl Zéro CA Paris 26 oct 1994 PIBD n° 579-III-8.

 

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