e nombreux articles ont
déjà traité de cette décision de justice. Cette affaire aborde dailleurs un
point sensible de lInternet : la liberté dexpression. Certes, un droit
quelque peu banalisé dans la réalité, mais qui demeure une des pierres angulaires du
réseau. LInternet est une formidable fenêtre dexpression, une tribune libre
qui permet avec peu de moyens de bénéficier dune audience quaucun média ne
permet à lheure actuelle pour le simple particulier. Laffaire Elancourt
illustre bien ce phénomène, notamment par son contexte politique.
Pour rappeler les faits, Monsieur LOFFICIAL a ouvert depuis deux ans un
site " Elancourt, Bienvenue à Elancourt " où il exposait à la fois
des informations sur la vie municipale et ses opinions politiques sous ladresse http://www.chez.com/elancourt. En
1998, la municipalité, ayant ouvert son site à ladresse http://www.elancourt.com, a estimé
que ce site prêtait à confusion. Dès lors, elle a assigné Monsieur LOFFICIAL en
référé afin dobtenir la fermeture de son site. La municipalité se fondait à la
fois sur le droit des marques en invoquant le dépôt dune marque reprenant le logo
type de la " Ville dElancourt " et le trouble manifestement
illicite que constituait ce site.
Par une ordonnance de référé du 22 octobre 1998, sur le fondement de
larticle 809 du NCPC, ce dernier a été condamné à cesser dutiliser
lappellation " Elancourt, bienvenue à Elancourt " pour son site
Internet et à lui donner une appellation sans confusion possible avec le site officiel de
la Ville dElancourt. Selon le juge, " les consultants ne doivent pas
être induits en erreur et trompés par une présentation tendancieuse et savoir
clairement et sans ambiguïté sils sont connectés sur le site de la mairie sur
celui dune association para-municipale ou non, et laquelle, sur celui dun
parti politique ou dune simple liste locale avec précision du nom du parti ou de
cette liste ou sils sont simplement connectés avec un site dun particulier ".
Quant aux droits des marques, la demande nétait pas recevable
pour des motifs de procédure. Cependant, il est primordial de se poser la question de
savoir dans quelle mesure le droit des marques aurait pu être invoqué utilement à
lencontre dune activité dinformation publique. Pour citer Maître
Mathély, " la contrefaçon nest pas commise dans le cas seulement où
il est démontré que le modèle de la marque, reproduit ou imité, nest nullement
destiné à un usage commercial, ou est sûrement destiné à la désignation
dobjets qui échappent à la portée de lenregistrement de la marque ".
Le Code de la Propriété Intellectuelle est dailleurs clair à ce sujet en
définissant la marque dans larticle L 711-1 comme un signe servant à distinguer
les produits ou services dune personne physique ou morale. Sagissant de
produits ou de services, ils ne peuvent être envisagés que dans un contexte commercial.
Pour raisonner par analogie, il suffit de se reporter à lanalyse des tribunaux en
matière de citation de marque dans la presse. Le Tribunal de Grande Instance du 22
février 1995 a jugé que " pour être répréhensible, lusage
dune marque doit être fait à des fins commerciales ou publicitaires ; quen
revanche, lusage dans un but dinformation ne constitue pas une contrefaçon "
(1). En lespèce, peut-on considérer quen faisant uvre citoyenne et
politique, on se place dans le cadre commercial nécessaire à lapplication du droit
des marques ? Par ailleurs, le dépôt à titre de marque dun nom géographique
ne peut empêcher les tiers de lutiliser dans sa fonction de localisation ou
dindication. Par conséquent, la demande dinterdiction dutilisation du
nom dElancourt ne pouvait paraître quexcessive.
Mais le juge se fonde ici sur larticle 809 du Nouveau Code de
Procédure Civile pour prononcer sa décision. Cette disposition lui permet dans le cadre
du référé de prescrire des mesures conservatoires pour faire cesser un trouble
manifestement illicite, même en cas de contestation sérieuse. Dans le cadre de
larticle 809 du NCPC, le juge doit toutefois se limiter à ce qui est évident.
Dun côté, la mairie invoquait une confusion de nature à
induire les internautes en erreur sur le caractère officiel du site de Monsieur
LOFFICIAL. De lautre, était avancé le principe de la liberté dexpression.
Lapplication de larticle 809 doit être en effet limitée en matière de
communication, où le principe reste celui de la liberté dexpression.
Le juge ne fait pas droit à la demande de fermeture du site, qui
était exorbitante, mais condamne simplement Monsieur LOFFICIAL à rebaptiser son site de
telle sorte quil ne puisse y avoir de confusion sur son origine. Ainsi, rien
nempêche Monsieur LOFFICIAL de maintenir son site sous une appellation plus
évocatrice, par exemple, " un citoyen vous parle dElancourt ".
Cependant, la motivation et le raisonnement suivis par le juge sont
ambigus. Ainsi, le magistrat note quen consultant le site de Monsieur LOFFICIAL,
linternaute voit apparaître des informations sur la vie municipale et une
présentation de la commune. Or, aucun texte ninstitue au profit de la commune un
quelconque monopole sur la diffusion dinformations municipales.
Par ailleurs, si les armoiries de la ville figuraient bien sur le site,
il sagissait en fait dun lien hypertexte vers le site officiel ! De
même, sur les moteurs de recherche comme YahooÒ , le site de
Monsieur LOFFICIAL était bien référencé comme un site indépendant de la Mairie.
Enfin, la structure de ladresse fait apparaître de manière évidente
lhébergement sur le serveur gratuit " chez.com ".
Lensemble de ces faits laisse à penser que linternaute moyen ny aura
pas vu de confusion. Dans ces conditions, y avait-il vraiment un trouble manifestement
illicite ?
Le juge aurait-il simplement voulu sanctionner la mise en ligne
dinformations municipales sous une appellation pouvant prêter à confusion avec une
origine officielle ? Mais dans ce cas, le seul changement de dénomination suffit-il
à supprimer le risque de confusion relevé alors même quon ne peut empêcher
Monsieur LOFFICIAL dutiliser le nom Elancourt pour publier des informations sur sa
ville ?
Il aurait été excessif dans le cadre dun référé
dordonner la fermeture du site, mettant en cause de manière directe la liberté
dexpression. Cependant, nous attendons avec intérêt une décision au fond qui
saura, nous lespérons, lever le doute créé par cette ordonnance quant à
létendue de cette même liberté dexpression.
Y. D. et V. S.