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Rubrique : professionnels / volume 2
Mots clés : presse, infraction, continuité, continu
Citation : Alexandre BRAUN, "Les infractions de presse commises sur Internet prennent un caractère continu", Juriscom.net, 10 janvier 2000
Première publication : Juriscom.net


Les infractions de presse commises sur Internet prennent un caractère continu

A propos de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 15 décembre 1999, affaire Jean-Louis C.

Par Alexandre Braun

email : abraun@pacific.net.sg


Arrêt disponible sur le site de Sébastien Canevet

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La Cour d'appel de Paris a rendu une décision très importante à plusieurs points de vue, le 15 décembre 1999, dans l'affaire Jean-Louis C.

Rappelons que ce dernier, artiste autoproclamé, avait mis en ligne sur son site web quelques textes de chansons violemment racistes. Le TGI de Paris avait fondé une décision de relaxe sur la prescription de l’action publique. En effet, les textes litigieux avaient été mis en ligne plus de trois mois avant le déclenchement des poursuites, ce qui constitue le délai de prescription en matière de presse.

La Cour d’appel réforme cette décision. Son raisonnement (assez proche de celui que nous développions dans notre commentaire critique de la décision de première instance) est le suivant : si la date de première mise à disposition du public, point de départ de la prescription des infractions de presse, correspond à un acte précis en matière audiovisuelle et résulte du support en matière d’écrits, il n’en va pas de même lorsque " le message a été publié sur Internet qui constitue un mode de communication dont les caractéristiques techniques obligent à adapter les principes posés par la loi sur la presse ". Sur le réseau, le trouble causé à l’ordre public ou le préjudice causé à des tiers ne s’éteint pas du fait de l’écoulement du temps. Surtout, " la publication résulte de la volonté renouvelée de l’émetteur qui place le message sur son site, choisit de l’y maintenir ou de l’en retirer comme bon lui semble. L’acte de publication devient ainsi continu ".

En d’autres termes, tant que l’émetteur maintient le message, sa volonté délictueuse est constamment réitérée. L’infraction n’est donc pas instantanée, puisqu’elle ne s’exécute pas en un trait de temps, mais bien continue. En conséquence, le délai de prescription est gelé tant que le texte litigieux est maintenu sur le site.

L’arrêt, enthousiasmant tant, sur le fond, par sa compréhension du réseau, que sur la forme, par sa limpidité, suscite trois nouvelles réflexions.

En premier lieu, on peut se demander quelle est son incidence sur l’auteur d’un texte mis en ligne sur un site dirigé par un tiers. Dans une première analyse, on pourrait être tenté de penser que l’auteur, n’ayant pas la maîtrise du site, épuise sa volonté délictueuse lors de la mise en ligne et, donc, qu’à son égard la computation du délai de prescription prend en compte cette date. En sens inverse, il semble peu soutenable de distinguer le régime de poursuite d’une même infraction entre l’auteur principal de l’infraction (le webmaster, directeur de la publication) et son complice (l’auteur du texte). Ainsi, en matière de port illicite de décoration (art 433-14 du NCP), la situation du complice qui, par exemple, fournirait une décoration à l’auteur principal, serait certainement régie par le système de prescription des infractions, continues quand bien même sa volonté délictueuse s’épuiserait par la remise de la décoration. Au surplus, on peut considérer que l’auteur, titulaire d’un droit de retrait sur ses textes au titre de son droit d’auteur, conserve sur eux une certaine maîtrise.

En second lieu, cette décision est un élément à prendre en compte dans le débat toujours très animé relatif à la responsabilité des prestataires techniques. En effet s’agissant d’une éventuelle complicité par aide et assistance d’un hébergeur avec un webmaster qui mettrait en ligne des données illicites, un point d’achoppement important est l’élément intentionnel de la complicité, qui se définit comme " l’intention de contribuer à l’acte délictueux consommé ou tenté par autrui ". Appliqué au cas de l’hébergeur, qui fournit de l’espace disque à son client, cette intention est la connaissance du caractère illicite des informations. Elle doit s’apprécier au moment ou les faits ont été commis. Concrètement, si l’infraction est instantanée, un hébergeur qui prend connaissance de la teneur d’une information illicite, mise préalablement en ligne par un de ses clients, ne peut pas être inquiété pénalement puisque, au moment ou les faits ont été commis, il en était ignorant. La situation est différente si l’infraction est continue : au moment ou l’hébergeur en prend connaissance, les faits sont en effet encore en train d’être commis ! Il doit donc cesser d’apporter ses moyens techniques à l’auteur principal pour ne pas être inquiété (sur point voir Sébastien Canevet, "Fourniture d’accès à l’Internet et responsabilité pénale", Canevet.com, http://www.canevet.com/doctrine/resp-fai.htm).

Enfin, l’arrêt dépasse le cadre du droit de l’Internet pour opérer une petite révolution en droit pénal général. Jusqu’ici, la qualification d’infraction instantanée ou continue ne dépendait pas des modalités de commission de l’infraction mais était recherchée uniquement dans le texte de l’incrimination. La Cour d’appel y fait allusion en soulignant que la " situation d’infraction inscrite dans la durée est d’ailleurs une notion de droit positif en droit pénal ou elle s’applique dans l’incrimination de plusieurs délits " (Rappelons que le terme d’incrimination désigne la description légale d’un comportement répréhensible, ce que certains auteurs visent sous le vocable " d’élément légal de l’infraction ", alors que le terme d’infraction désigne plutôt le comportement concret de celui qui enfreint l’interdit pénal). Pourtant, aucun texte ne fait obstacle à la recherche du régime de prescription dans la teneur des faits poursuivis et, bien que triomphant d’une tradition bien établie en la matière, les juges ne font qu’exercer leur souveraine appréciation.

C’est certainement sur ce point que se cristallisera le débat devant la Cour de cassation (Jean-Louis C. annonce sur son site l’intention de former un pourvoi). La haute Juridiction appréciera la légalité de l’extension du contrôle des juges du fond. Espérons qu’elle entérinera cette innovation car, en superposant à la conformité des poursuites pénales avec une norme abstraite leur adéquation à des agissements concrets, la Cour d’appel de Paris fait plus que satisfaire le juriste avide de logique : elle comble le citoyen soucieux des libertés publiques.

A. B.

 

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