COUR
D'APPEL DE DIJON
1ère chambre
4 février 1999
Jean M. et Georges R. c/ Bel Air
Informatique
Commentaire
(par Alexandre Menais)
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDUREBel Air Informatique a installé un système informatique (Lima) dans le
cabinet d'assurances de Georges R. et Jean M., qu'elle leur a facturé 136 668,62 F le 27
novembre 1986.
Dans une lettre du 17 mars 1988, elle a précisé que la maintenance du
logiciel était gratuite et sans limitation de durée.
Le 20 décembre 1996, elle a informe Georges R. et Jean M. que son
logiciel Lima n'était plus actualisé depuis juin 1994 et que seul son successeur Lima 2
était " destiné à gérer les dates de l'an 2000 ", en ajoutant
qu'elle consentait une réduction de 50 % sur les transferts de Lima à Lima 2 des
licences d'utilisation, commandées et facturées avant le 31 décembre 1996.
Georges R. et Jean M. se sont étonnés de cette lettre qui les
contraignait à acheter le nouveau logiciel s'ils voulaient continuer à utiliser Lima en
l'an 2000 et ont rappelé l'engagement de maintenance gratuite et sans limitation de
durée pris le 17 mars 1988 pour solliciter, le 26 décembre 1996, que des dispositions
soient prises en ce sens.
Le 28 janvier 1998, Bel Air Informatique a répondu que cet engagement
ne concernait pas l'acquisition de Lima, qui lui était antérieure, mais un marché UAP.
C'est dans ces conditions que, suivant acte du 18 mars 1998, Jean M. et
Georges R. ont assigné Bel Air Informatique pour la voir condamner sous astreinte à
réaliser les opérations nécessaires sur leur logiciel Lima à l'effet de lui permettre
de gérer les fonctionnalités de l'an 2000 comme le fait le système Lima 2.
Bel Air Informatique a alors proposé d'intervenir sur ce matériel par
lettre du 18 mars 1998, proposition précisée par lettre du 6 avril 1998 mais qui a été
refusée le 30 avril 1998.
Par jugement du 28 septembre 1998, le tribunal de grande instance de
Mâcon, considérant que Jean M. et Georges R. connaissaient dès l'acquisition de leur
logiciel son inadaptation au passage de l'an 2000 et que la mise à disposition gratuite
en 1996 d'un nouveau logiciel Lima 2 incluant le passage à l'an 2000 ne pouvait être
considérée comme une conséquence directe des engagements contractuels du 17 mars 1988.
les a déboutés de leur demande et les a condamnés à payer à Bel Air Informatique 3
000 F en remboursement de ses frais irrépétibles.
Régulièrement autorisés par ordonnance du 11 décembre 1998, Jean M.
et Georges R. ont interjeté appel à date fixe de cette décision.
Ils indiquent que différentes fonctions du logiciel gérant l'an 2000,
notamment les modules "quittances" et "contrats", et que l'objet du
litige est la fonction "comptabilité".
Ils contestent avoir connu l'inadaptation au passage à l'an 2000 de
cette fonction et estiment que ce passage n'est pas une amélioration du fonctionnement
mais seulement sa continuité au-delà du 31 décembre 1999. Ils considérent que
l'engagement pris le 17 mars 1988 par Bel Air Informatique d'assurer une maintenance sans
limitation de durée est clair et que, s'il existe un doute, il doit leur bénéficier.
Ils ajoutent qu'ils ont régulièrement souscrit depuis 1987 un contrat
d'assistance et suivi toutes les recommandations pour la mise à niveau du logiciel. Ils
précisant qu'en mars 1992, ils ont acheté notamment un release vers Prologue 3 pour une
évolution du logiciel Lima en Abal et qu'ils fonctionnent depuis 1994 avec une nouvelle
version de Lima 1.8 Abal.
Ils font observer qu'à cette époque, il n'a pas été fait état du
problème de l'an 2000 et qu'il serait invraisemblable de retenir la thèse de Bel Air
Informatique qui. après les avoir amenés à financer cette évolution. leur annonce que
rien ne peut être utilise
Estimant non satisfactoire l'offre de Bel Air Informatique contenue
dans ses lettres des 18 mars et 6 avril 1998, ils demandent sa condamnation à réaliser,
dans les trois mois de l'arrêt, à peine d'une astreinte de 1 000 F par jour de retard,
les modifications et transformations nécessaires à leur système informatique pour qu'il
bénéficie des systèmes permettant d'assurer les fonctionnalités de l'an 2000
identiques au système Lima 2.
Ils sollicitent 8 000 F en remboursement de leurs frais irrépétibles.
Bel Air Informatique indique que la lettre du 17 mars 1988 se rattache
à un contrat signé le 9 janvier 1989 avec les adhérents utilisateurs du logiciel
Lima/UAP et non au contrat du 27 novembre 1986 passe avec le cabinet de Jean M. et Georges
R.
Elle précise qu'en 1986 et 1989, les dates étaient représentées sur
les écrans sous la forme "JJ MM AA" sans indication de siècle et approuve le
tribunal d'avoir estimé que la fourniture de nouvelles versions devait s'entendre de
versions améliorant le fonctionnement sans que les modifications opérées incluent des
fonctionnalités nouvelles non offertes par le logiciel de base.
Elle soutient qu'il a considéré également à bon droit que la
question de l'obsolescence du matériel est incontournable et que la clause
" sans limitation de durée " doit s'entendre dans le cadre de la
continuité de son bon fonctionnement au regard des applications mentionnées dans le bon
de commande : ce que Georges R, particulièrement averti en la matière, ne pouvait
ignorer.
Considérant que Georges R. tente d'obtenir une décision faisant fi de
l'effet relatif des contrats, de l'interprétation de bonne foi des conventions, du
principe de la commune intention des parties par référence aux prévisions des
conventions qu'elles ont passées, elle forme appel incident pour solliciter sa
condamnation à lui payer 80 000 F à titre de dommages-intérêts.
Elle réclame 25 000 F en remboursement de ses frais irrépétibles.
Jean M. et Georges R. répliquant qu'il est sans intérêt de rattacher
la lettre du 17 mars 1988 au contrat du 9 janvier 1989 plutôt qu'à celui du 27 novembre
1986, des lors qu'ils sont parties aux deux contrats.
Ils font valoir que l'arrivée du XXie siècle n'était pas
imprévisible et que tout un chacun savait, en 1986 ou 1989, que le passage à l'an 2000
serait inéluctable et qu'un acquéreur de logiciel était fondé à penser, en l'absence
de stipulation contraire, que le matériel franchirait ce cap.
Ils indiquent qu'ils ne se seraient pas opposés à acquérir une
amélioration de Lima permettant de passer l'an 2000 si elle leur avait été proposée
mais qu'ils refusent de devoir changer l'intégralité de celui-ci.
Georges R. conteste enfin être un professionnel de l'informatique.
DISCUSSION
Attendu que Jean M. et Georges R. justifient avoir adhéré à la
convention du 9 janvier 1989 en produisant une facture qui leur attribue la qualité d
adhèrent n° 50' ; que, par ailleurs, les conditions générales de vente, que Bel Air
Informatique classe dans son dossier avec le bon de commande du 10 septembre 1986,
stipulent que " le logiciel est garanti gratuitement par Bel Air Informatique
pour une période illimitée dans le cadre de la continuité de son bon fonctionnement au
regard des applications mentionnées sur le bon de commande " ; que les
appelants sont donc fondés à se prévaloir tant de cet engagement que de la lettre du 17
mars 1988 qui prévoit que " le logiciel est garanti gratuitement et sans limite
de durée, que sa maintenance est gratuite et sans limitation de durée et que la
disponibilité de nouvelles versions est gratuite pour tous " ;
Attendu qu'en 1996, Bel Air Informatique a fait savoir au cabinet de
Georges R. et Jean M. qu'elle n'actualisait plus Lima depuis 1994 et que seul son
successeur, Lima 2, était destiné à gérer les dates de l'an 2000 ;
Attendu que Bel Air Informatique ne démontre pas que Georges R. et
Jean M. savaient lorsqu'ils ont acquis le logiciel Lima que la fonction
"comptabilité" ne serait plus utilisable le 1er janvier 2000; qu'au contraire,
l'engagement de le garantir sans limitation de durée pris par Bel Air Informatique ne
pouvait que les inciter à considérer que le passage à l'an 2000 ne poserait pas de
problème particulier et pourrait être résolu, au besoin, par une simple modification ;
Attendu que, sauf à dénaturer le sens clair et précis de la formule
"durée illimitée" et à vider cette clause de tous sens, le tribunal ne
pouvait considérer qu'elle devait s'entendre de la durée de vie du logiciel, telle que
décidée unilatéralement par Bel Air Informatique ;
Attendu que, dans sa lettre du 6 avril 1998, Bel Air Informatique a
expliqué qu'en amputant certaines instructions spécifiques à des fonctionnalités non
acquises, il sera possible de " gérer l'an 2000 " avec la place ainsi
libérée; que si elle indique dans ses écritures que cette solution ne sera pas
" fiable à 100 % ", elle n'a émis aucune réserve ni dans cette
lettre, ni dans celle du 18 mars 1998 qui l'a précédée; que, de leur côté, Georges R.
et Jean M. ne se prévalent d'aucun avis technique qui conduirait à l'écarter; que, dès
lors, il convient de condamner Bel Air Informatique à mettre en oeuvre la solution
quelle préconise pour permettre au logiciel de fonctionner normalement le 1er
janvier 2000 ;
Attendu que Bel Air Informatique, qui succombe, ne peut prétendre à
dommages-intérêts ;
Attendu que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de
l'article 700 au profit de l'une ou l'autre des parties.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, réformant :
- condamne Bel Air Informatique à réaliser les travaux qu'elle
préconise dans sa lettre du 18 mars 1998 afin de permettre que le logiciel acquis par r
Jean M. et Georges R. fonctionne le 1er janvier 2000,
- lui impartit pour ce faire un délai de trois mois à compter de la
signification du présent arrêt, et ce à peine d'une astreinte de 1 000 F (soit 152,45
euros) par jour de retard,
- déboute Bel Air Informatique de sa demande de dommages-intérêt
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700,
- condamne Bel Air Informatique aux entiers dépens.
La cour : M. UITTNER (président), M. JACQUIN et Mme AMAUD
(Conseillers).
Avocats : Mes Roussot et Soulié.