Infirmant un jugement de première instance, pour la
première fois en France une juridiction du deuxième degré sest prononcée sur la
problématique de lan 2000. Mais plus encore, elle a rendu un arrêt favorable à un
utilisateur.
Le tribunal de Mâcon, le 28
septembre 1998, avait été amené à traiter un litige relatif à la mise à niveau d'un
logiciel pour lui permettre de passer l'an 2000.
En lespèce, un utilisateur
avait acquis, en 1986 un logiciel de gestion qui lui donnait entière satisfaction. En
1988, le fournisseur du logiciel avait adressé une lettre à ses clients stipulant
expressément : " notre logiciel est garanti gratuitement et sans limite de durée
: la maintenance du logiciel est gratuite et sans limite de durée ; la disponibilité des
nouvelles versions est gratuite pour tous ".
Se fondant sur ce document,
l'utilisateur avait donc demandé à son fournisseur une mise à niveau gratuite du
logiciel pour lui permettre de franchir le cap de l'an 2000. C'est cette prétention que
les juges de Mâcon avaient refusé.
Pour le tribunal de Mâcon d'une
part, aucun engagement ne pouvait être perpétuel mais à l'inverse, tout engagement
devait avoir un terme ; d'autre part, la fourniture gratuite de nouvelles versions
promises par la lettre du fournisseur ne concernait que des versions caractérisées par
l'amélioration du fonctionnement du logiciel " sans que les modifications
opérées incluent des fonctionnalités nouvelles non offertes par le logiciel de base
".
Puis, " la pratique en
France des opérations de modifications consécutives au passage à l'an 2000 effectuées
dans le cadre de logiciels professionnels existants (...) sont considérées comme la
création de modules nouveaux non inclus dans la maintenance contractuelle et justifiant
une facturation spécifique des prestations fournies ".
Le jugement faisait aussi
référence aux prix dacquisition du logiciel en concluant quil ne serait pas
concevable que lengagement pris par le fournisseur " soit à
perpétuité et nait pas un terme en rapport avec les usages professionnels et les
réalités économiques ".
En dautres termes, les
juges de première instance estimèrent que la mise en conformité des logiciels qui
s'apparentait à une livraison de nouveaux modules n'était pas couverte par la
maintenance. La version an 2000 du produit devait être payée par l'utilisateur.
Lutilisateur interjeta appel de ce jugement devant la cour dappel de Dijon.
La Cour d'appel contredit ce
jugement en se tenant à une lecture très stricte et ferme de la lettre dengagement
du fournisseur.
Dans un premier temps, la cour
constate que cette engagement est souscrit " pour une durée illimitée ".
Dans un deuxième temps, elle
considère que lengagement du fournisseur sinscrit dans des termes clairs et
précis nouvrant ni à interprétation et ni à équivoque.
C'est pourquoi, la cour condamne
le fournisseur a proposer à lutilisateur sous trois mois une solution permettant au
produit incriminé de passer lan 2000, tout en relevant la simplicité de la
technique de ladaptation.
Quelle portée donner à cet
arrêt ?
Les jugements de Créteil
(Alexandre Menais, Commentaire du
jugement du 16 juin 1998 - Tribunal de commerce de Créteil, Juriscom.net,
décembre 1998) et de Mâcon navaient guère ému les professionnels de
linformatique et les juristes en raison de la singularité de ces affaires. Mais
surtout parce que les magistrats sétaient bien gardés de répondre à la question
de savoir si l'an 2000 relevait ou non de la maintenance !
Si lon peut parler de
tendance jurisprudentielle, elle serait plutôt du coté des juges qui se refusent pour le
moment à aborder cette question pourtant fondamentale. Larrêt de la Cour
dappel de Dijon sinscrit dans cette constance.
Plus grave encore, peut-on se
demander si l'évolution d'un progiciel de 12 ans relève encore de la maintenance ?
Cest pourtant la conclusion que semble tirer les juges dijonnais.
Autre regret : la cour ne
prend pas position sur la notion de " version compatible an 2000 ",
doit-on forcément la considérer comme un nouveau produit ?
Si on devait faire de cet arrêt
la première pierre dun édifice, les conséquences pourraient être désastreuses
pour les fournisseurs : faire peser sur le fournisseur une obligation de maintenance
constante est réellement inconcevable !
De même on ne sait quelle valeur
donner à la réserve " de la simplicité technique de ladaptation ",
dans la mesure où la motivation de la cour ne repose que sur la lettre du fournisseur et
ne fait appel à aucune considération technique.
Enfin, à titre subsidiaire,
notre expérience des contrats informatiques ne nous a jamais encore confrontée à des
contrats où un fournisseur prenait un tel engagement par écrit !
Cest la raison pour
laquelle nous considérons que cette arrêt nest quun cas despèce.
Cette décision a néanmoins pour
mérite de monter à quel point la rédaction des engagements contractuels (contrat,
lettre dintention
) sera déterminant dans le traitement du bug (voir Alexandre
Menais, Réflexions sur les aspects
juridiques du passage à l'an 2000, Juriscom.net, mai 1998).
Les utilisateurs avertis auront su interroger
leurs fournisseurs. A contrario les fournisseurs malins auront limité la portée de leurs
engagements... Le serpent se mort la queue.
A. M.
A consulter sur Juriscom.net :
- Réflexions sur les aspects juridiques du passage à l'an
2000,
(Espace "Professionnels") d'Alexandre Menais ;
- Commentaire du jugement du 16 juin 1998 - Tribunal de
commerce de Créteil,
(Espace "Professionnels") d'Alexandre Menais
;
- Que faire à l'aube de
l'an 2000 ? (Revue de presse), de Juliette Aquilina ;
- Texte du jugement
du Tribunal de commerce de Créteil du 16 juin 1998 (affaire Novatel) ;
- Texte de l'arrêt
de la Cour d'appel de Dijon du 4 février 1999 (affaire Bel Air Informatique). |