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Rubrique : professionnels / volume 1

An 2000

Mars 1999


 

Bug de l'an 2000 : première décision en faveur des utilisateurs - Tendance ou cas d’espèce ?

Arrêt de la Cour d’appel de Dijon du 4 février 1999

Alexandre Menais, Juriste spécialisé en droit de l'informatique

 


Texte de l'arrêt


Infirmant un jugement de première instance, pour la première fois en France une juridiction du deuxième degré s’est prononcée sur la problématique de l’an 2000. Mais plus encore, elle a rendu un arrêt favorable à un utilisateur.

Le tribunal de Mâcon, le 28 septembre 1998, avait été amené à traiter un litige relatif à la mise à niveau d'un logiciel pour lui permettre de passer l'an 2000.

En l’espèce, un utilisateur avait acquis, en 1986 un logiciel de gestion qui lui donnait entière satisfaction. En 1988, le fournisseur du logiciel avait adressé une lettre à ses clients stipulant expressément : " notre logiciel est garanti gratuitement et sans limite de durée : la maintenance du logiciel est gratuite et sans limite de durée ; la disponibilité des nouvelles versions est gratuite pour tous ".

Se fondant sur ce document, l'utilisateur avait donc demandé à son fournisseur une mise à niveau gratuite du logiciel pour lui permettre de franchir le cap de l'an 2000. C'est cette prétention que les juges de Mâcon avaient refusé.

Pour le tribunal de Mâcon d'une part, aucun engagement ne pouvait être perpétuel mais à l'inverse, tout engagement devait avoir un terme ; d'autre part, la fourniture gratuite de nouvelles versions promises par la lettre du fournisseur ne concernait que des versions caractérisées par l'amélioration du fonctionnement du logiciel " sans que les modifications opérées incluent des fonctionnalités nouvelles non offertes par le logiciel de base ".

Puis, " la pratique en France des opérations de modifications consécutives au passage à l'an 2000 effectuées dans le cadre de logiciels professionnels existants (...) sont considérées comme la création de modules nouveaux non inclus dans la maintenance contractuelle et justifiant une facturation spécifique des prestations fournies ".

Le jugement faisait aussi référence aux prix d’acquisition du logiciel en concluant qu’il ne serait pas concevable que l’engagement pris par le fournisseur " soit à perpétuité et n’ait pas un terme en rapport avec les usages professionnels et les réalités économiques ".

En d’autres termes, les juges de première instance estimèrent que la mise en conformité des logiciels qui s'apparentait à une livraison de nouveaux modules n'était pas couverte par la maintenance. La version an 2000 du produit devait être payée par l'utilisateur. L’utilisateur interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Dijon.

La Cour d'appel contredit ce jugement en se tenant à une lecture très stricte et ferme de la lettre d’engagement du fournisseur.

Dans un premier temps, la cour constate que cette engagement est souscrit " pour une durée illimitée ".

Dans un deuxième temps, elle considère que l’engagement du fournisseur s’inscrit dans des termes clairs et précis n’ouvrant ni à interprétation et ni à équivoque.

C'est pourquoi, la cour condamne le fournisseur a proposer à l’utilisateur sous trois mois une solution permettant au produit incriminé de passer l’an 2000, tout en relevant la simplicité de la technique de l’adaptation.

Quelle portée donner à cet arrêt ?

Les jugements de Créteil (Alexandre Menais, Commentaire du jugement du 16 juin 1998 - Tribunal de commerce de Créteil, Juriscom.net, décembre 1998) et de Mâcon n’avaient guère ému les professionnels de l’informatique et les juristes en raison de la singularité de ces affaires. Mais surtout parce que les magistrats s’étaient bien gardés de répondre à la question de savoir si l'an 2000 relevait ou non de la maintenance !

Si l’on peut parler de tendance jurisprudentielle, elle serait plutôt du coté des juges qui se refusent pour le moment à aborder cette question pourtant fondamentale. L’arrêt de la Cour d’appel de Dijon s’inscrit dans cette constance.

Plus grave encore, peut-on se demander si l'évolution d'un progiciel de 12 ans relève encore de la maintenance ? C’est pourtant la conclusion que semble tirer les juges dijonnais.

Autre regret : la cour ne prend pas position sur la notion de " version compatible an 2000 ", doit-on forcément la considérer comme un nouveau produit ?

Si on devait faire de cet arrêt la première pierre d’un édifice, les conséquences pourraient être désastreuses pour les fournisseurs : faire peser sur le fournisseur une obligation de maintenance constante est réellement inconcevable !

De même on ne sait quelle valeur donner à la réserve " de la simplicité technique de l’adaptation ", dans la mesure où la motivation de la cour ne repose que sur la lettre du fournisseur et ne fait appel à aucune considération technique.

Enfin, à titre subsidiaire, notre expérience des contrats informatiques ne nous a jamais encore confrontée à des contrats où un fournisseur prenait un tel engagement par écrit !

C’est la raison pour laquelle nous considérons que cette arrêt n’est qu’un cas d’espèce.

Cette décision a néanmoins pour mérite de monter à quel point la rédaction des engagements contractuels (contrat, lettre d’intention…) sera déterminant dans le traitement du bug (voir Alexandre Menais, Réflexions sur les aspects juridiques du passage à l'an 2000, Juriscom.net, mai 1998).

Les utilisateurs avertis auront su interroger leurs fournisseurs. A contrario les fournisseurs malins auront limité la portée de leurs engagements... Le serpent se mort la queue.

A. M.


A consulter sur Juriscom.net :

- Réflexions sur les aspects juridiques du passage à l'an 2000,
(Espace "Professionnels") d'Alexandre Menais ;
- Commentaire du jugement du 16 juin 1998 - Tribunal de commerce de Créteil,
(Espace "Professionnels") d'Alexandre Menais ;
- Que faire à l'aube de l'an 2000 ? (Revue de presse), de Juliette Aquilina ;
- Texte du jugement du Tribunal de commerce de Créteil du 16 juin 1998 (affaire Novatel) ;
- Texte de l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 4 février 1999 (affaire Bel Air Informatique).

 

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