Commentaire
(par Alexandre Menais)
 
  EXPOSES DES FAITS
  Le
    10 janvier 1990, BRICARD, société spécialisée dans la fabrication de serrures et
    d'accessoires de quincaillerie pour portes, a acquis de CDFI la concession de licence
    d'utilisation du progiciel dénommé Clipper, destiné à la gestion de la paie et des
    ressources humaines des entreprises. Aux termes de ce contrat, le fournisseur s'engageait
    également à la maintenance du progiciel.
    Le 25 octobre 1990, SOPRA, spécialisée
    dans l'édition de progiciels et les services en ingénierie informatique, a acquis une
    partie du fonds de commerce de CDFI, comprenant notamment le progiciel Clipper. Courant
    1992, BRICARD a commandé auprès de SOPRA la nouvelle version 5.1 du progiciel Clipper,
    qui lui a été facturée le 30 juin 1992.
    Par acte d'huissier en date du 16 juin
    1998, BRICARD a fait assigner SOPRA devant le tribunal de grande instance d'Annecy
    statuant en matière commerciale. Elle expose en effet, dans son exploit introductif
    d'instance, que, par courrier du 5 décembre 1995, elle a averti SOPRA de son intention de
    conserver le progiciel Clipper au-delà de l'an 2000 et l'a interrogée sur la capacité
    de ce produit à passer ce cap. Ce courrier étant resté sans réponse, elle a relancé
    SOPRA jusqu'à ce que celle-ci finisse, par courrier du 17 avril 1997, par lui indiquer
    qu'elle ne disposait pas encore de tous les éléments pour lui répondre mais qu'elle le
    ferait "d'ici quelques semaines". Par la suite, SOPRA lui a formulé diverses
    propositions commerciales concernant un de ses nouveaux produits, dénommé PLEIADES.
    Suite à de nouvelles mises en demeure de BRICARD, SOPRA lui a finalement fait savoir, par
    courrier du 12 mai 1998, qu'elle avait décidé d'abandonner le développement de son
    progiciel Clipper, dont elle n'assurerait pas la maintenance au-delà de l'année 1999.
    C'est dans ces conditions que BRICARD fait
    grief à SOPRA d'avoir manqué à son obligation de mise en garde en tardant à l'informer
    de l'inaptitude de son progiciel Clipper à passer le cap de l'an 2000 et en la maintenant
    dans l'illusion qu'elle procéderait à l'adaptation de ce produit afin, d'après elle, de
    maintenir son client dans une situation de dépendance technique la contraignant à
    acquérir son nouveau produit dénommé PLEIADES. Elle soutient par ailleurs que SOPRA a
    manqué à son obligation de maintenance, alors que l'adaptation de son progiciel Clipper
    à l'an 2000 relevait, d'après elle, de cette prestation contractuelle.
    En conséquence, BRICARD sollicite la
    condamnation de SOPRA à lui verser, avec exécution provisoire, la somme de 500 000 F à
    valoir sur son préjudice lié à la remise en cause de son plan informatique et, avant
    dire droit sur l'évaluation de ce préjudice, demande la désignation d'un expert
    judiciaire. Elle réclame également la condamnation de SOPRA aux dépens et à lui
    restituer les sommes perçues par celle-ci depuis 1991 au titre de la maintenance, ainsi
    qu'à lui verser la somme de 50 000 F au titre de l'article 700.
    Dans ses conclusions en défense, SOPRA
    sollicite le débouté de BRICARD et sa condamnation aux dépens, à lui verser la
    redevance de maintenance pour l'année 1998, soit 53 973,28 F TTC, outre intérêts
    légaux à compter du 15 novembre 1998, ainsi qu'à lui régler les sommes de 100 000 F à
    titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 50 000 F au titre de l'article
    700.
    Au soutien de ces demandes, elle fait
    valoir, s'agissant de son obligation de mise en garde, qu'elle a avisé BRICARD par
    courrier du 17 avril 1997 de ce que son progiciel Clipper nécessitait des adaptations
    pour pouvoir franchir le cap de l'an 2000 et que, par ailleurs, elle l'a invité à
    participer au club des utilisateurs de ce produit qui s'est réuni le 27 avril 1997, et au
    cours duquel elle a informé ceux-ci de sa décision d'abandonner le logiciel Clipper
    au-delà de l'an 2000 au profit de son nouveau produit dénommé PLEIADES à propos duquel
    elle lui a adressé, par la suite, diverses propositions commerciales. S'agissant de son
    obligation de maintenance, elle soutient que l'adaptation du produit à l'an 2000 ne
    relève pas du champ de ses prestations contractuelles et que, au surplus, le contrat a
    été résilié au 18 avril 1998 par suite du non-paiement par BRICARD de sa redevance.
    DISCUSSION
    Sur la question de l'obligation de mise en garde :
    Attendu qu'au titre de son
    obligation générale d'information, le fournisseur de produits informatiques est tenu,
    vis-à-vis de son client, à une obligation plus spécifique de mise en garde, aux termes
    de laquelle il doit l'informer des risques inhérents à l'utilisation de son produit ;
    que, dès lors, le fournisseur manque à cette obligation s'il s'abstient de signaler ces
    risques, ou s'il ne le fait que dans un délai ne permettant pas à 1'ublisateur de
    prendre, suffisamment à temps au regard des contraintes de son activité, les mesures
    adaptées à leur prévention :
    Attendu qu'en l'espèce, BRICARD fait grief
    à SOPRA d'avoir manqué à cette obligation en tardant, délibérément, à l'informer de
    l'inaptitude de son progiciel Clipper à passer le cap de l'an 2000 ;
    Attendu qu'il est constant que SOPRA est
    restée plus d'un an, soit jusqu'au mois d'avril 1997, sans répondre à BRICARD qui, par
    courrier du 5 décembre 1995, l'a informée de son intention de conserver l'usage de son
    logiciel Clipper jusqu'en l'an 2000, et l'a interrogée, dans cette perspective, pour
    connaître sa position "quant à la mise à niveau de Clipper pour le passage de l'an
    2000 ; attendu que si ce silence prolongé peut être regardé comme regrettable, il ne
    mettait pas pour autant BRICARD en situation compromettante au regard du risque "An
    2000", eu égard au délai séparant le mois d'avril 1997, époque à laquelle SOPRA
    a répondu, et le 31 décembre 1999 ;
    Attendu en effet que, par courrier du 17
    avril 1997 que BRICARD ne conteste pas avoir reçu, SOPRA lui a fait savoir que la version
    du progiciel actuellement en exploitation sur votre site nécessite des adaptations pour
    gérer les dates au-delà du 31 décembre 1999' ; que si, par ce courrier, SOPRA
    n'indiquait pas la nature des adaptations requises, elle avisait en revanche clairement
    BRICARD de l'inaptitude de la version Clipper 5.1 à passer, en l'état, le cap de l'an
    2000 ;
    Attendu, par ailleurs, que SOPRA justifie
    avoir invité BRICARD, par courrier du 7 avril 1997 renouvelé par télécopie du 23 avril
    1997, à participer à l'assemblée générale annuelle du "Club Utilisateurs
    Clipper" du 24 avril 1997, destinée à la faire "bénéficier d'une information
    commune sur la stratégie Progiciel de SOPRA" ; qu'elle justifie également avoir
    exposé et motivé, au cours de cette réunion, sa stratégie consistant à substituer à
    ses différents produits, dont Clipper, un logiciel de convergence dénommé PLEIADES,
    compatible avec le passage à l'an 2000 ; qu'il est en particulier établi qu'elle a, au
    cours de cette réunion, exposé les raisons de l'abandon programmé du produit Clipper,
    en cohérence avec le choix exprimé par la majorité des utilisateurs de ce logiciel, et
    de sa migration vers le nouveau produit PLEIADES ; attendu que si BRICARD n'était pas
    contractuellement tenue d'assister à la réunion annuelle de ce club, il est en tout cas
    amplement démontré par ce qui précède que SOPRA a accompli les diligences nécessaires
    pour mettre son client en mesure d'être précisément informé quant aux perspectives du
    produit considéré, notamment au regard du passage à l'an 2000 ;
    Attendu au surplus, que quelques semaines
    après la réunion de ce club utilisateurs, au cours de laquelle elle a officialisé sa
    stratégie précitée, SOPRA a démarché BRICARD en vue de lui proposer sa solution
    alternative à l'abandon de, à l'horizon an 2000, du progiciel Clipper, par le biais de
    son nouveau produit dénommé PLEIADES, qu'en ces occasions, BRICARD ne saurait
    sérieusement prétendre que la question de l'abandon de Clipper et de son inaptitude à
    passer le cap de l'an 2000 n'aurait pas été abordée dès lors que, dans la première
    proposition du 8 juillet 1997, il était liminairement rappelé l'utilisation actuelle par
    BRICARD de Clipper et la proposition qui lui était faite d'acquérir en lieu et place le
    produit PLEIADES et que, dans le cadre de la seconde proposition du 5 novembre 1997, il
    était expressément indiqué, dans la lettre d'accompagnement adressée à son directeur
    financier et ressources humaines : "Comme convenu lors de notre entretien
    téléphonique, nous avons le plaisir de vous communiquer notre première évaluation
    concernant la migration de Clipper vers Pléiades progiciel" ;
    Attendu qu'il résulte ainsi clairement des
    énonciations qui précèdent qu'en adressant à BRICARD son courrier du 7 avril 1997, en
    l'invitant à la réunion annuelle du club des utilisateurs du 27 avril 1997, et en lui
    communiquant au cours du deuxième semestre de l'année 1997 des propositions
    substitutives compatibles avec l'an 2000, SOPRA a informé BRICARD suffisamment à temps,
    au regard de la prévention du risque "An 2000", sur l'inaptitude de son
    logiciel Clipper à franchir le cap et le fait qu'elle ne poursuivrait pas son
    exploitation à cette date, tout en la mettant en mesure d'adapter utilement son système
    informatique à cette contrainte par le biais du progiciel PLEIADES ; Que, ce faisant,
    elle a amplement et suffisamment respecté son obligation de mise en garde ; que, dès
    lors, BRAICARD doit être déboutée de ses demandes formées de ce chef;
    Sur la question de l'obligation de maintenance :
    Attendu que BRICARD fait encore grief à
    SOPRA d'avoir manqué à son obligation contractuelle de maintenance alors que
    l'adaptation à l'an 2000 du progiciel Clipper relèverait du champ d'application de cette
    obligation du fournisseur;
    Attendu qu'il convient de rappeler que, aux
    termes du contrat liant les parties, SOPRA était tenue en premier lieu d'une obligation
    de maintenance corrective définie à l'article 4.1 du contrat ; que la mise en jeu de
    cette obligation suppose que l'on se trouve en présence d'un problème dont la cause est
    "un défaut de programme";
    Attendu, cependant, que force est de
    constater que pendant toute la période d'exécution du contrat emportant obligation de
    maintenance corrective, soit de 1992 à 1998, le progiciel Clipper version 5.1 n'a
    présenté aucun problème ni défaut de fonctionnement : Que si BRICARD soutient, en page
    19 de ses conclusions récapitulatives, que le non-passage du logiciel à l'an 2000 peut
    être qualifié de "défaut de programme" dans la mesure où il s'agit d'une
    "erreur de programmation", il y a lieu de constater que, dans le même jeu
    d'écritures, mais en page 16 cette fois, elle indique, en totale contradiction avec ce
    qui précède: "en tout état de cause, BRICARD ne reproche pas à SOPRA d'avoir
    continué à programmer le format année sur deux digits jusqu'à aujourd'hui"; Qu'au
    demeurant, on ne saurait sérieusement soutenir que cette programmation en deux digits
    constituerait une erreur de programmation dès lors que, non seulement ce mode de
    programmation n'a en rien affecté le bon fonctionnement du produit depuis sa conception
    mais que, loin d'être le fruit d'une erreur, il s'agissait d'un délibéré, conforme aux
    standards alors en vigueur dans la communauté informatique, et motivé par des
    contraintes techniques (souci d'économiser de l'espace mémoire);
    Attendu, par ailleurs, que la position de
    BRICARD est sous-tendue par l'idée que SOPRA, en sa qualité d'éditeur de progiciel,
    serait tenue à une obligation d'évolution permanente de son produit, dont la seule
    limite serait la cessation de son utilisation par ses clients ; Attendu, cependant, qu'une
    telle analyse omet de prendre en compte les dispositions de l'article de l'article 8 du
    contrat, desquelles il ressort que le contrat dit "de progiciel", par lequel le
    fournisseur concède au client le droit d'usage du produit et lui assure la maintenance d
    celui-ci, est un contrat à durée indéterminée qui, à l'issue de la période initiale
    de douze mois, peut être résilié unilatéralement par l'une ou l'autre des parties
    chaque année, et sous réserve pour elle de respecter un préavis de six mois ; Qu'en
    vertu de ces stipulations contractuelles, SOPRA pouvait légitimement mettre fin à la
    convention, dans les conditions prévues par celle-ci et, partant, à l'évolution et la
    commercialisation de son progiciel ;
    Qu'ainsi, c'est à tort que BRICARD
    prétend pouvoir bénéficier, au titre de la maintenance corrective, d'une adaptation du
    logiciel Clipper au passage à l'an 2000, et ce d'autant qu'il importe de rappeler qu'il
    s'agissait d'un produit ancien, largement obsolète, fiscalement amorti, et pour lequel
    elle bénéficiait d'une licence d'utilisation depuis déjà 1992 s'agissant de sa
    dernière version;
    Attendu, par ailleurs, que BRICARD invoque
    l'obligation de maintenance évolutive prévue par les dispositions de l'article 4.3 du
    contrat; Attendu, cependant que cette obligation ne vise que les modifications de la
    législation, ce qui est sans rapport avec la survenance de l'an 2000 ;
    Attendu, dans ces conditions, que c'est de
    manière mal fondée que BRICARD met en cause la responsabilité de SOPRA au titre d'un
    prétendu manquement à son obligation de maintenance ; qu'elle doit donc être également
    déboutée de ses demandes formées sur ce fondement.
    Sur les demandes annexes
    Attendu qu'il est dûment
    justifié, et d'ailleurs non contesté, que BRICARD n'a pas réglé à SOPRA la redevance
    de maintenance due au titre de l'année 1998 malgré la mise en demeure qui lui a été
    adressée à cet effet ; que ce refus de paiement ne pouvait valablement se justifier par
    la problématique de l'inadaptation du logiciel Clipper à l'an 2000, prestation à
    laquelle SOPRA n'était pas tenue au titre de ses obligations contractuelles comme il a
    été exposé ci - avant ; Que, dès lors il y a lieu de faire droit à la demande
    de condamnation formée par SOPRA à ce titre à hauteur de la somme conventionnellement
    prévue de 53 973,28 F TTC, outre intérêts légaux à compter de la mise en demeure du
    16 novembre 1998 ;
    Attendu que le droit d'agir en justice ne
    dégénère en abus que s'il procède d'une erreur grossière équivalente au dol ou s'il
    révèle d'une intention de nuire, ce qui n'est pas démontré en l'espèce ; Qu'il y a
    donc lieu de rejeter la demande de dommages-intérêts formée par SOPRA pour procédure
    abusive ;
    Attendu que le bénéfice de l'exécution
    provisoire sollicité n'est justifié par aucun élément de fait ou de droit qui
    permettrait au tribune de l'accorder ; Que cette demande sera donc rejetée ;
    Attendu qu'il apparaît inéquitable de
    laisser à la charge de SOPRA tout ou partie des frais qu'elle a dû engager dans la
    présente instance et qui ne sont pas compris dans les dépens ; Qu'il y a donc lieu de lu
    allouer une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 étant précisé que cette
    indemnité, destinée aux parties et non à leur, conseils, n'est pas assujettie à la TVA
    ;
    Attendu qu'aucune considération d'équité
    ne conduit à faire application de l'article 700
    DECISION
    Par ces motifs  : Le tribunal,
    statuant publiquement, par jugement contradictoire, en matière commerciale et en premier
    ressort :
    Déboute BRICARD de l'intégralité de ses demandes;
    La condamne à verser à SOPRA la somme de 53 973,28 F TTC,
    outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 16 novembre 1998;
    Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du
    présent jugement;
    Condamne BRICARD à verser à SOPRA la somme de 20 000 Frs
    au titre de l'article 700 du NCPC
    Condamne BRICARD aux entier dépens
    Le tribunal : Mme ZERBIB prés. ; M. LE
    LOAN, rapp. ; Avocats : Mes LEMARCHAND, BOUVIER-PATE, SCP DERRIENNIC & Associés et Me
    BUFFET.