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COUR D'APPEL DE VERSAILLES

13ème chambre

2 décembre 1999

Société P. F. Dermo Cosmétique et autres c/ Alain B.

 

Ordonnance de référé (15 avril 1999)

 

EXPOSE DES FAITS

Monsieur B., membre du Conseil de l’ordre des pharmaciens, est distributeur agréé, depuis 1988 et 1989 des produits de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE dans son officine de pharmacie de Bezons.

Il a créé au début de l’année 1998 le site internet "  paraformplus.com " pour procéder à la distribution des produits de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE.

Par acte d’huissier de justice en date du 10 mars 1999, la SA P. F. DERMO COSMETIQUE a fait citer en référé devant Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Pontoise Monsieur B. en lui demandant notamment d’ordonner la cessation, sous astreinte, de la commercialisation de ses produits sur le site internet " paraformplus.com ".

Par ordonnance en date du 15 avril 1999, Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Pontoise a débouté la SA P. F. DERMO COSMETIQUE, l’a renvoyé à mieux se pourvoir, et l’a condamnée à payer à Monsieur B. la somme de 4.000 francs sur le fondement de l’article 700 du NCPC.

La SA P. F. DERMO COSMETIQUE a interjeté appel de cette ordonnance.

La SA P. F. DERMO COSMETIQUE, et les sociétés intervenantes volontaires, SAS LABORATOIRES AVENE, SAS LABORATOIRES KLORANE, et SAS LABORATOIRES DERMATOLOGIQUES DUCRAY, demandent à la Cour :

  • de réformer l’ordonnance et de statuer à nouveau,
  • de constater que la commercialisation de leurs produits sur le site internet " paraformplus.com " contrevient à l’existence du réseau de distribution sélective, et constitue un trouble manifestement illicite qu’il importe de faire cesser,
  • d’ordonner la cessation de toute commercialisation de leurs produits sur le site internet " paraformplus.com ", sous astreinte de 2.000 francs par jour de retard et par infraction constatée,
  • d’ordonner à Monsieur B., sous astreinte de 2.000 francs par jour de retard, de publier sur la première page du serveur accessible à l’adresse URL " http://www.paraformplus.com " la décision à intervenir, durant une durée de six mois,
  • faire interdiction à Monsieur B., sous astreinte de 2.000 francs par infraction constatée, d’implanter leurs produits sur un site ou un serveur tiers, en France ou dans n’importe quel pays que ce soit,
  • de faire injonction à Monsieur B., sous la même astreinte, de supprimer tous référencements et tous liens avec tous autres sites renvoyant vers son serveur et faisant référence aux gammes de leurs produits,
  • de nommer un huissier de justice pour constater et contrôler les mesures ordonnées,
  • de condamner Monsieur B. à payer à la SA P. F. DERMO COSMETIQUE la somme de 100.000 francs sur le fondement de l’article 700 du NCPC.

Monsieur B. demande à la Cour :

  • de déclarer irrecevables, et subsidiairement, mal fondées, les interventions volontaires des SAS LABORATOIRES AVENE, SAS LABORATOIRES KLORANE, et SAS LABORATOIRES DERMATOLOGIQUES DUCRAY,
  • de les condamner chacune à lui payer la somme de 50.000 francs sur le fondement de l’article 700 du NCPC,
  • de constater que la SA P. F. DERMO COSMETIQUES n’établit pas au regard des règles applicables en référé, l’étendue des obligations contractuelles qu’elle allègue être à sa charge,
  • de dire que la création du site internet " paraformplus.com " ne constitue pas un trouble manifestement illicite à l’égard de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE,
  • de confirmer l’ordonnance et de condamner la SA P. F. DERMO COSMETIQUE à lui payer la somme de 200.000 francs sur le fondement de l’article 700 du NCPC,

Pour demander à la Cour de constater que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE n’établit pas au regard des règles applicables en référé, l’étendue des obligations contractuelles qu’elle allègue être à sa charge, Monsieur B. fait notamment valoir qu’il n’a signé que des contrats de coopération commerciale avec la SA P. F. DERMO COSMETIQUE, le 14 octobre 1988 pour les produits KLORANE " bébés et soins corporels ", le 2 juin 1989 pour les produits KLORANE " capillaires et soins hommes ", et le 3 juillet 1989 pour les produits cosmétologiques et d’hygiène corporelle AVENE. Il soutient que ces contrats précisent et donc limitent ses obligations et que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE ne peut lui imposer d’autres obligations qui ne sont pas entrées dans le champ contractuel. Il affirme que les conditions générales régissant le réseau ne lui ont pas été communiquées, qu’il les ignore, et qu’en conséquence elles lui sont inopposables.

Monsieur B. soutient par ailleurs que la licéité revendiquée par la SA P. F. DERMO COSMETIQUE pour son réseau de distribution sélective, n’est établie, ni dans son existence ni dans son étendue. Il estime que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE entretient avec ses distributeurs un flou juridique qui permet d’estimer que rien n’interdit à ces derniers de créer un site internet. Il remarque que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE se dispense de communiquer l’ensemble des conventions la liant à ses distributeurs agréés, comme elle l’a fait dans une précédente instance, l’opposant à une autre partie, devant la Cour d’appel de Paris.

Monsieur B. critique le caractère " trompe l’œil " du réseau mis en place par la SA P. F. DERMO COSMETIQUE et son but en réalité de " pure marketing ". Il souligne ainsi la contradiction qu’il y a à autoriser la vente en dehors des pharmacies, et à exiger en même temps la présence d’un diplômé en pharmacie.

Monsieur B. fait observer que la commercialisation des produits sur un site internet concorde parfaitement avec son obligation de distributeur agréé de tout mettre en œuvre pour développer les ventes.

Monsieur B. rappelle que les utilisateurs du site internet peuvent poser les questions qu’ils désirent, et obtenir une réponse écrite et détaillée. Il précise que ces réponses peuvent intervenir sans délai, même si des attestations, d’ailleurs non conformes à l’article 202 du NCPC, font apparaître, parce qu’il était nécessaire d’entreprendre des recherches, des délais de réponse plus longs. Il note que ces retards ne seraient préjudiciables qu’au seul site internet, et nullement aux autres distributeurs agréés. Il s’interroge en outre, si comme le prétend la société appelante, les autres distributeurs, non pharmaciens, respectent effectivement leur obligation de laisser sur le lieu de vente un diplômé en pharmacie.

DISCUSSION

SUR LE FONDEMENT DE L’ACTION

Considérant que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE fonde son action sur les dispositions de l’article 873 du NCPC qui permettent, même en présence d’une contestation sérieuse, de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Considérant que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE agit en sa qualité de promoteur du réseau de distribution sélective, et comme telle, chargée de veiller à l’étanchéité de ce réseau, et à l’égalité de traitement, sans discrimination entre tous les distributeurs agréés ;

Considérant que cette mission du promoteur du réseau, s’exerce à l’égard des membres du réseau, comme à l’égard des tiers ;

Considérant qu’en l’espèce, la SA P. F. DERMO COSMETIQUE, demande la cessation de la commercialisation de ses produits par moyen du site internet " paraformplus.com " ; qu’il importe peu que ce site soit exploité par un membre du réseau ou par un tiers ;

Considérant en d’autres termes, que les relations contractuelles qui peuvent exister entre la SA P. F. DERMO COSMETIQUE et Monsieur B. n’ont pas d’influence sur la solution du litige ;

Considérant qu’il n’est pas reproché à Monsieur B. de ne pas respecter ses obligations de distributeur agréé, mais seulement de procéder à la vente des produits sur un site internet ; qu’il n’y a donc pas lieu d’examiner l’étendue exacte des obligations contractuelles de Monsieur B., puisque ces obligations ne sont pas en jeu dans le présent litige ; qu’en effet quelles qu’elles soient, et même si elles n’existent pas, les droits de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE de faire arrêter la commercialisation de ses produits sur un site internet sont les mêmes ;

SUR LA LICEITE DU RESEAU DE DISTRIBUTION SELECTIVE

Considérant que la licéité du réseau de distribution sélective a été soumise à l’appréciation du Conseil de la concurrence et en appel à celle de la Cour d’Appel de Paris ; qu’ainsi cette dernière a statué le 28 janvier 1988, tandis que le Conseil de la concurrence a statué le 9 juin 1987, le 21 septembre 1993 et le 1er octobre 1996 ; que ces décisions ont fait des injonctions à la SA P. F. DERMO COSMETIQUE, mais n’ont jamais remis en cause la licétié du réseau de distribution sélective qu’elle a mis en place ;

Qu’il est ainsi établi que le réseau de distribution sélective de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE est licite ;

Qu’il s’en déduit que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE est en droit de demander en référé les mesures propres à assurer l’étanchéité du réseau et le respect d’un traitement non discriminatoire entre les distributeurs agréés ;

SUR LA COMPATIBILITE DE LA COMMERCIALISATION PAR INTERNET AVEC LES OBLIGATIONS DES DISTRIBUTEURS AGREES

Considérant que les obligations des distributeurs agréés par la SA P. F. DERMO COSMETIQUE sont définies par les conditions générales de distribution et de vente ;

Considérant que parmi ces obligations, il n’est pas contesté que le distributeur s’engage à ne délivrer les produits que dans un point de vente répondant à des conditions correspondant à la technicité et à l’image de santé et de sécurité des produits et que le lieu de vente doit matériellement être constitué d’une surface nettement individualisée et isolée dont la superficie doit permettre au distributeur agréé d’offrir, outre un agencement spécifique susceptible de recevoir la totalité des référencements de la marque, un emplacement suffisant pour que le consommateur puisse y visualiser les produits dans les meilleures conditions sur les plans esthétiques et informatifs ;

Considérant qu’il est en outre exigé, pour assurer la qualité des réponses aux questions que pourraient poser les clients, qu’un diplomé en pharmacie soit attaché au point de vente ;

Considérant que ces obligations sont imposées pour entourer l’offre de vente et l’acte d’achat d’un environnement inspirant la confiance, valorisant les produits distribués, permettant un contact direct avec la clientèle pour l’informer, la conseiller, lui demander les détails nécessaires pour la renseigner utilement ; que sont ainsi visés des objectifs de qualité des services et des conseils, mais aussi de marketing et de promotion des produits, qui contrairement à l’opinion de Monsieur B., justifient eux aussi la distribution sélective ;

Considérant que la commercialisation sur Internet ne permet pas d’obtenir les mêmes résultats ; que les conseils ne peuvent être donnés immédiatement, mais nécessitent un délai de réponse ; qu’ils ne peuvent être donnés que sur les indications du client, sans qu’il soit praticable de demander à ce dernier les précisions nécessaires pour apprécier ses besoins réels ; que le contact avec le vendeur n’est pas personnel, mais passe par le truchement des images fixes d’un écran d’ordinateur ; qu’en l’espèce, le site présente les produits par leurs marques et leurs descriptions, sans qu’apparaisse la moindre recherche esthétique ; qu’aucune vitrine " virtuelle " n’est mise en place ; que l’aspect visuel du produit et de son emballage n’apparaît pas ;

Considérant que, si l’on peut imaginer que dans l’avenir ce nouveau mode de distribution puisse s’intégrer dans un réseau de distribution sélective, avec des critères de qualité à définir, il est patent qu’en l’espèce, le site Internet " paraformplus.com ", tel qu’il a été conçu et mis en œuvre, ne remplit pas les objectifs de sécurité, de santé, de mise en valeur des produits, exigés du réseau de distribution sélective mis en place par la SA P. F. DERMO COSMETIQUE ;

Considérant que la commercialisation par l’intermédiaire de ce site nuit à l’ensemble du réseau et déprécie l’image de marque des produits de dermo cosmétiques en général, et des produits distribués sous les marques de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE en particulier ; qu’en outre cette dernière ne saurait accepter, sans commettre un acte discriminatoire, que l’un de ses distributeurs agréés, procède, sans agrément, et même sans l’en avertir, à la commercialisation des produits sur un site Internet ;

Considérant qu’il convient en conséquence, infirmant l’ordonnance, de mettre fin à ce trouble manifestement illicite, en faisant droit à la demande de cessation de la commercialisation des produits sur le site Internet " paraformplus.com ", sous astreinte ;

Considérant que la juridiction des référés peut mettre fin au trouble, mais n’est pas autorisée à statuer pour l’avenir ; que la demande de publication de la décision sur le site doit être rejetée ;

Que pour la même raison, seront rejetées la demande d’interdiction d’ouverture de tout autre site en France ou à l’étranger, ainsi que la demande de désignation d’un huissier de justice pour contrôler l’interdiction prononcée ;

SUR LES AUTRES DEMANDES

Considérant qu’il convient en équité de condamner Monsieur B. à payer à la SA P. F. DERMO COSMETIQUE la somme de 10.000 francs sur le fondement de l’article 700 du NCPC ;

Considérant que des tiers, y ayant intérêt, sont recevables à intervenir volontairement en cause d’appel pour soutenir les demandes de l’une des parties ; qu’en conséquence les interventions volontaires des SAS LABORATOIRES AVENE, SAS LABORATOIRES KLORANE, et SAS LABORATOIRES DERMATOLOGIQUES DUCRAY sont recevables ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare recevables les interventions volontaires des SAS LABORATOIRES AVENE, SAS LABORATOIRES KLORANE, et SAS LABORATOIRES DERMATOLOGIQUES DUCRAY,

Infirme l’ordonnance de référé rendue le 15 avril 1999 par Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Pontoise ;

Statuant à nouveau,

Ordonne à Monsieur B. de cesser sans délai toute commercialisation des gammes de produits de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE sur le site Internet " paraformplus.com ", et de supprimer toute référence à ces produits sur ce site, sous astreinte de 1.000 francs par jour de retard et par infraction constatée, à compter du huitième jour de la signification de la présente ordonnance, et ce pour une durée de deux mois, après quoi il sera à nouveau fait droit,

Condamne Monsieur B. à payer à la SA P. F. DERMO COSMETIQUE la somme de 10.000 francs sur le fondement de l’article 700 du NCPC,

Condamne Monsieur B. aux dépens d’appel et accorde à la SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL, titulaire d’un office d’Avoué, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l’article 699 du NCPC,

Et ont signé le présent arrêt :

Monsieur BESSE, Président

Madame DUCLOS, Greffier

 

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