Ordonnance de
référé (15 avril 1999)
EXPOSE DES FAITS
Monsieur B., membre du
Conseil de lordre des pharmaciens, est distributeur agréé, depuis 1988 et 1989 des
produits de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE dans son officine de pharmacie de Bezons.
Il a créé au début de
lannée 1998 le site internet " paraformplus.com " pour
procéder à la distribution des produits de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE.
Par acte dhuissier de
justice en date du 10 mars 1999, la SA P. F. DERMO COSMETIQUE a fait citer en
référé devant Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Pontoise Monsieur
B. en lui demandant notamment dordonner la cessation, sous astreinte, de la
commercialisation de ses produits sur le site internet
" paraformplus.com ".
Par ordonnance en date du 15
avril 1999, Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Pontoise a débouté la
SA P. F. DERMO COSMETIQUE, la renvoyé à mieux se pourvoir, et la
condamnée à payer à Monsieur B. la somme de 4.000 francs sur le fondement de
larticle 700 du NCPC.
La SA P. F. DERMO COSMETIQUE a interjeté appel de cette ordonnance.
La SA P. F. DERMO COSMETIQUE, et les sociétés intervenantes volontaires, SAS LABORATOIRES AVENE, SAS
LABORATOIRES KLORANE, et SAS LABORATOIRES DERMATOLOGIQUES DUCRAY, demandent à la
Cour :
- de réformer lordonnance et de statuer à
nouveau,
- de constater que la commercialisation de leurs
produits sur le site internet " paraformplus.com " contrevient à
lexistence du réseau de distribution sélective, et constitue un trouble
manifestement illicite quil importe de faire cesser,
- dordonner la cessation de toute
commercialisation de leurs produits sur le site internet
" paraformplus.com ", sous astreinte de 2.000 francs par jour de
retard et par infraction constatée,
- dordonner à Monsieur B., sous
astreinte de 2.000 francs par jour de retard, de publier sur la première page du serveur
accessible à ladresse URL " http://www.paraformplus.com " la
décision à intervenir, durant une durée de six mois,
- faire interdiction à Monsieur B., sous
astreinte de 2.000 francs par infraction constatée, dimplanter leurs produits sur
un site ou un serveur tiers, en France ou dans nimporte quel pays que ce soit,
- de faire injonction à Monsieur B., sous la
même astreinte, de supprimer tous référencements et tous liens avec tous autres sites
renvoyant vers son serveur et faisant référence aux gammes de leurs produits,
- de nommer un huissier de justice pour constater et
contrôler les mesures ordonnées,
- de condamner Monsieur B. à payer à la SA P. F. DERMO COSMETIQUE
la somme de 100.000 francs sur le fondement de
larticle 700 du NCPC.
Monsieur B. demande à la
Cour :
- de déclarer irrecevables, et subsidiairement, mal
fondées, les interventions volontaires des SAS LABORATOIRES AVENE, SAS LABORATOIRES
KLORANE, et SAS LABORATOIRES DERMATOLOGIQUES DUCRAY,
- de les condamner chacune à lui payer la somme de
50.000 francs sur le fondement de larticle 700 du NCPC,
- de constater que la SA P. F. DERMO COSMETIQUES nétablit pas au regard des règles applicables en référé,
létendue des obligations contractuelles quelle allègue être à sa charge,
- de dire que la création du site internet
" paraformplus.com " ne constitue pas un trouble manifestement
illicite à légard de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE,
- de confirmer lordonnance et de condamner la
SA P. F. DERMO COSMETIQUE à lui payer la somme de 200.000 francs sur le fondement
de larticle 700 du NCPC,
Pour demander à la Cour de
constater que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE nétablit pas au regard des
règles applicables en référé, létendue des obligations contractuelles
quelle allègue être à sa charge, Monsieur B. fait notamment valoir
quil na signé que des contrats de coopération commerciale avec la
SA P. F. DERMO COSMETIQUE, le 14 octobre 1988 pour les produits KLORANE " bébés
et soins corporels ", le 2 juin 1989 pour les produits KLORANE
" capillaires et soins hommes ", et le 3 juillet 1989 pour les
produits cosmétologiques et dhygiène corporelle AVENE. Il soutient que ces
contrats précisent et donc limitent ses obligations et que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE
ne peut lui imposer dautres obligations qui ne sont pas entrées dans le
champ contractuel. Il affirme que les conditions générales régissant le réseau ne lui
ont pas été communiquées, quil les ignore, et quen conséquence elles lui
sont inopposables.
Monsieur B. soutient par
ailleurs que la licéité revendiquée par la SA P. F. DERMO COSMETIQUE pour son
réseau de distribution sélective, nest établie, ni dans son existence ni dans son
étendue. Il estime que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE entretient avec ses
distributeurs un flou juridique qui permet destimer que rien ninterdit à ces
derniers de créer un site internet. Il remarque que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE
se dispense de communiquer lensemble des conventions la liant à ses distributeurs
agréés, comme elle la fait dans une précédente instance, lopposant à une
autre partie, devant la Cour dappel de Paris.
Monsieur B. critique le
caractère " trompe lil " du réseau mis en place par la
SA P. F. DERMO COSMETIQUE et son but en réalité de " pure
marketing ". Il souligne ainsi la contradiction quil y a à autoriser la
vente en dehors des pharmacies, et à exiger en même temps la présence dun
diplômé en pharmacie.
Monsieur B. fait observer
que la commercialisation des produits sur un site internet concorde parfaitement avec son
obligation de distributeur agréé de tout mettre en uvre pour développer les
ventes.
Monsieur B. rappelle que
les utilisateurs du site internet peuvent poser les questions quils désirent, et
obtenir une réponse écrite et détaillée. Il précise que ces réponses peuvent
intervenir sans délai, même si des attestations, dailleurs non conformes à
larticle 202 du NCPC, font apparaître, parce quil était nécessaire
dentreprendre des recherches, des délais de réponse plus longs. Il note que ces
retards ne seraient préjudiciables quau seul site internet, et nullement aux autres
distributeurs agréés. Il sinterroge en outre, si comme le prétend la société
appelante, les autres distributeurs, non pharmaciens, respectent effectivement leur
obligation de laisser sur le lieu de vente un diplômé en pharmacie.
DISCUSSION
SUR LE FONDEMENT DE LACTION
Considérant que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE
fonde son action sur les dispositions de larticle 873 du NCPC
qui permettent, même en présence dune contestation sérieuse, de prescrire en
référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui simposent pour faire
cesser un trouble manifestement illicite ;
Considérant que la SA P. F. DERMO COSMETIQUE
agit en sa qualité de promoteur du réseau de distribution
sélective, et comme telle, chargée de veiller à létanchéité de ce réseau, et
à légalité de traitement, sans discrimination entre tous les distributeurs
agréés ;
Considérant que cette mission du
promoteur du réseau, sexerce à légard des membres du réseau, comme à
légard des tiers ;
Considérant quen
lespèce, la SA P. F. DERMO COSMETIQUE, demande la cessation de la
commercialisation de ses produits par moyen du site internet
" paraformplus.com " ; quil importe peu que ce site soit
exploité par un membre du réseau ou par un tiers ;
Considérant en dautres
termes, que les relations contractuelles qui peuvent exister entre la SA P. F. DERMO COSMETIQUE
et Monsieur B. nont pas dinfluence sur la solution du
litige ;
Considérant quil
nest pas reproché à Monsieur B. de ne pas respecter ses obligations de
distributeur agréé, mais seulement de procéder à la vente des produits sur un site
internet ; quil ny a donc pas lieu dexaminer létendue exacte
des obligations contractuelles de Monsieur B., puisque ces obligations ne sont pas
en jeu dans le présent litige ; quen effet quelles quelles soient, et
même si elles nexistent pas, les droits de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE
de
faire arrêter la commercialisation de ses produits sur un site internet sont les
mêmes ;
SUR LA LICEITE DU RESEAU DE
DISTRIBUTION SELECTIVE
Considérant que la licéité du
réseau de distribution sélective a été soumise à lappréciation du Conseil de
la concurrence et en appel à celle de la Cour dAppel de Paris ; quainsi
cette dernière a statué le 28 janvier 1988, tandis que le Conseil de la concurrence a
statué le 9 juin 1987, le 21 septembre 1993 et le 1er octobre 1996 ; que
ces décisions ont fait des injonctions à la SA P. F. DERMO COSMETIQUE, mais
nont jamais remis en cause la licétié du réseau de distribution sélective
quelle a mis en place ;
Quil est ainsi établi que
le réseau de distribution sélective de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE est
licite ;
Quil sen déduit que
la SA P. F. DERMO COSMETIQUE est en droit de demander en référé les mesures
propres à assurer létanchéité du réseau et le respect dun traitement non
discriminatoire entre les distributeurs agréés ;
SUR LA COMPATIBILITE DE LA
COMMERCIALISATION PAR INTERNET AVEC LES OBLIGATIONS DES DISTRIBUTEURS AGREES
Considérant que les obligations
des distributeurs agréés par la SA P. F. DERMO COSMETIQUE sont définies par les
conditions générales de distribution et de vente ;
Considérant que parmi ces
obligations, il nest pas contesté que le distributeur sengage à ne délivrer
les produits que dans un point de vente répondant à des conditions correspondant à la
technicité et à limage de santé et de sécurité des produits et que le lieu de
vente doit matériellement être constitué dune surface nettement individualisée
et isolée dont la superficie doit permettre au distributeur agréé doffrir, outre
un agencement spécifique susceptible de recevoir la totalité des référencements de la
marque, un emplacement suffisant pour que le consommateur puisse y visualiser les produits
dans les meilleures conditions sur les plans esthétiques et informatifs ;
Considérant quil est en
outre exigé, pour assurer la qualité des réponses aux questions que pourraient poser
les clients, quun diplomé en pharmacie soit attaché au point de vente ;
Considérant que ces obligations
sont imposées pour entourer loffre de vente et lacte dachat dun
environnement inspirant la confiance, valorisant les produits distribués, permettant un
contact direct avec la clientèle pour linformer, la conseiller, lui demander les
détails nécessaires pour la renseigner utilement ; que sont ainsi visés des
objectifs de qualité des services et des conseils, mais aussi de marketing et de
promotion des produits, qui contrairement à lopinion de Monsieur B.,
justifient eux aussi la distribution sélective ;
Considérant que la
commercialisation sur Internet ne permet pas dobtenir les mêmes résultats ;
que les conseils ne peuvent être donnés immédiatement, mais nécessitent un délai de
réponse ; quils ne peuvent être donnés que sur les indications du client,
sans quil soit praticable de demander à ce dernier les précisions nécessaires
pour apprécier ses besoins réels ; que le contact avec le vendeur nest pas
personnel, mais passe par le truchement des images fixes dun écran
dordinateur ; quen lespèce, le site présente les produits par
leurs marques et leurs descriptions, sans quapparaisse la moindre recherche
esthétique ; quaucune vitrine " virtuelle " nest
mise en place ; que laspect visuel du produit et de son emballage
napparaît pas ;
Considérant que, si lon
peut imaginer que dans lavenir ce nouveau mode de distribution puisse
sintégrer dans un réseau de distribution sélective, avec des critères de
qualité à définir, il est patent quen lespèce, le site Internet
" paraformplus.com ", tel quil a été conçu et mis en
uvre, ne remplit pas les objectifs de sécurité, de santé, de mise en valeur des
produits, exigés du réseau de distribution sélective mis en place par la SA P. F. DERMO COSMETIQUE ;
Considérant que la
commercialisation par lintermédiaire de ce site nuit à lensemble du réseau
et déprécie limage de marque des produits de dermo cosmétiques en général, et
des produits distribués sous les marques de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE en
particulier ; quen outre cette dernière ne saurait accepter, sans commettre un
acte discriminatoire, que lun de ses distributeurs agréés, procède, sans
agrément, et même sans len avertir, à la commercialisation des produits sur un
site Internet ;
Considérant quil convient
en conséquence, infirmant lordonnance, de mettre fin à ce trouble manifestement
illicite, en faisant droit à la demande de cessation de la commercialisation des produits
sur le site Internet " paraformplus.com ", sous astreinte ;
Considérant que la juridiction
des référés peut mettre fin au trouble, mais nest pas autorisée à statuer pour
lavenir ; que la demande de publication de la décision sur le site doit être
rejetée ;
Que pour la même raison, seront
rejetées la demande dinterdiction douverture de tout autre site en France ou
à létranger, ainsi que la demande de désignation dun huissier de justice
pour contrôler linterdiction prononcée ;
SUR LES AUTRES DEMANDES
Considérant quil convient
en équité de condamner Monsieur B. à payer à la SA P. F. DERMO COSMETIQUE
la somme de 10.000 francs sur le fondement de larticle 700 du NCPC ;
Considérant que des tiers, y
ayant intérêt, sont recevables à intervenir volontairement en cause dappel pour
soutenir les demandes de lune des parties ; quen conséquence les
interventions volontaires des SAS LABORATOIRES AVENE, SAS LABORATOIRES KLORANE, et SAS
LABORATOIRES DERMATOLOGIQUES DUCRAY sont recevables ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et
contradictoirement,
Déclare recevables les
interventions volontaires des SAS LABORATOIRES AVENE, SAS LABORATOIRES KLORANE, et SAS
LABORATOIRES DERMATOLOGIQUES DUCRAY,
Infirme lordonnance de
référé rendue le 15 avril 1999 par Monsieur le Président du Tribunal de commerce de
Pontoise ;
Statuant à nouveau,
Ordonne à Monsieur
B. de
cesser sans délai toute commercialisation des gammes de produits de la SA P. F. DERMO COSMETIQUE
sur le site Internet " paraformplus.com ", et de
supprimer toute référence à ces produits sur ce site, sous astreinte de 1.000 francs
par jour de retard et par infraction constatée, à compter du huitième jour de la
signification de la présente ordonnance, et ce pour une durée de deux mois, après quoi
il sera à nouveau fait droit,
Condamne Monsieur B.
à
payer à la SA P. F. DERMO COSMETIQUE la somme de 10.000 francs sur le fondement de
larticle 700 du NCPC,
Condamne Monsieur B.
aux
dépens dappel et accorde à la SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL, titulaire dun
office dAvoué, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de larticle
699 du NCPC,
Et ont signé le présent
arrêt :
Monsieur BESSE, Président
Madame DUCLOS, Greffier