USJF, SNJ et a. c/ SDV
Plurimedia
Résumé de
l'ordonnance
Appel
(15 septembre 1998) sur le site Legalis.net
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Lors des débats à laudience publique du
13/01/1998 Président : M. RIVET Greffier : A. MEYER
ORDONNANCE
Prononcée par : M. RIVET, Président, CONTRADICTOIRE En premier
ressort Signée par le Président et le Greffier
LA SNJ (SYNDICAT
NATIONAL DES JOURNALISTES), Monsieur CHAVANEL Gilles, journaliste, Monsieur TURLIN,
reporter, ont fait citer la SA SDV PLURIMEDIA devant le juge des référés commerciaux du
Tribunal de céans ;
Ils exposent que cette société est un
opérateur sur INTERNET qui fait commerce de laccession au réseau ; A ce titre elle
diffuse deux émissions de la station régionale de FR3 : lédition locale du
journal alsacien RUND-UM et le résumé du journal télévisé du soir.
Par assignation sépare, lUSJF (UNION
SYNDICALE DES JOURNALISTES FRANÇAIS), la SNJ (SYNDICAT NATIONAL DES JOURNALISTES), Madame
COHU WEILL Véronique, journaliste, Monsieur Claude FREY, journaliste, Monsieur René
KUHN, journaliste ont fait citer la Société PLURIMEDIA en ce quelle diffuse le
journal les DNA sur le réseau internet.
Les deux procédures ont été jointes.
Les parties demanderesses ne sont pas
rémunérées pour la diffusion de leurs articles.
Elles contestent ces diffusions quotidiennes
car estiment quelles seffectuent de façon illicite faute pour FR 3 et les DNA
davoir obtenu le consentement des journalistes auteurs.
Elles soutiennent que laction des
Syndicats est recevable dès lors quelle est accompagnée de la participation des
journalistes agissant à titre individuel.
Sagissant dun trouble
manifestement illicite le Juge des référés est compétent.
Au fond elles font valoir que la diffusion
sur Internet suppose la détention par le diffuseur des droits sur luvre ; or
en lespèce cette condition ne serait pas remplie.
Le journal est investi ab initio des droits
dauteur dune uvre collective mais dans les conditions reconnues par le
contrat de travail et la convention collective. Cette titularité du journal ne prive pas
lauteur de son droit moral et de ses droits pécuniaires.
Or dune part seule la première
publication est cèdée au journal, dautre part la cession sous une forme non
prévisible doit faire lobjet dune disposition pécuniaire.
Les journalistes et Syndicat soutiennent que
la presse audiovisuelle donne lieu à une uvre collective ;
Quà supposer que FR 3 soit
producteur, sagissant dune simple présomption cest le contrat de
travail et la convention collective qui déterminent létendue de la cession.
Or ni les dispositions du droit du travail
ni celles de la convention collective nont été resectées.
Les demanderesses estiment quil y a eu
violation manifeste des droits patrimoniaux et du droit moral. Afin de contraindre les DNA
et FR 3 à négocier une contre partie financière pour les journalistes, elles demandent
à ce quil soit ordonné sous astreinte linterdiction de diffusion.
Elles concluent :
1. Pour les DNA
donner acte aux demandeurs quils
sengagent à assigner PLURIMEDIA au fond dans les quinze jours de lordonnance,
ordonnner, sous astreinte de 5.000 francs
par jour, linterdiction de diffusion par PLURIMEDIA du journal les DNA sur
lInternet tant quun accord naura pas été trouvé entre les Syndicats
et la Société éditrice du journal DNA,
condamner la défenderesse aux entiers
frais et dépens de la procédure,
condamner la défenderesse à payer 1.206
francs TTC de dommages-intérêts pour les peines et soins du procès à chacun des
demandeurs sur le fondement de larticle 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
ordonner la publication de
lordonnance de condamnation de PLURIMEDIA sur internet ainsi que dans les DNA dans
la limite de 20.000 francs.
2. Pour FR 3
donner acte aux demandeurs quils
sengagent à assigner PLURIMEDIA au fond dans les quinze jours de lordonnance,
ordonner, sous astreinte de 5.000 francs
par jour, linterdiction de diffusion par PLURIMEDIA des émissions de France 3 sur
lInternet tant quun accord naura pas été trouvé entre les Syndicats
et France 3,
subsidiairement ordonner, sous astreinte
de 1.000 francs par jour, la communication du compte dexploitation, du grand livre
comptable et du journal en 1996 et au 1er trimestre 1997 afin de déterminer
les flux financiers de France 3 avec PLURIMEDIA, ainsi que le contrat de cession des
droits liant France 3 et PLURIMEDIA,
condamner la défenderesse aux entiers
frais et dépens de la procédure,
condamner la défenderesse à payer 5.603
francs TTC de dommages-intérêts pour les peines et soins du procès à chacun des
demandeurs sur le fondement de larticle 700 du NCP,
ordonner la publication de
lordonnance de condamnation de PLURIMEDIA sur Internet ainsi que dans les DNA dans
la limite de 20.000 francs.
La société SDV
PLURIMEDIA expose que par contrat du 24 octobre 1995 les DNA lui ont passé commande
dune mise à disposition de moyens matériels pour louverture et le
fonctionnement du site INTERNET sur lequel le quotidien pouvait être lu et que par
contrat du 7 novembre 1997 elle a conclu avec FR 3 pour une durée de 6 mois la diffusion
de deux émissions RUND UM et Journal Tut Images. Elle se cantonne à un rôle technique,
le contenu du site étant déterminé par léditeur du Journal et FR 3.
La consultation du site est gratuite.
Elle soutient quaucune contrefaçon ne
peut être alléguée, car il ny a pas reproduction illicite effectuée sans
autorisation des titulaires des droits de propriété littéraire et artistique.
Elle estime quelle a
lautorisation des seuls titulaires des droits de la propriété littéraire et
artistique à savoir respectivement les DNA et FR 3.
Sagissant des DNA, cette Société est
investie du droit dauteur par application de larticle L 113-7 du Code de la
Propriété Intellectuelle sagissant duvres collectives. Elle peut
décider den autoriser laccès par INTERNET.
Même à supposer quun journaliste ne
participe pas à luvre collective il serait lié par les dispositions de son
contrat de travail aux termes duquel le versement de son salaire forfaitaire est la
contrepartie du droit quil cède de publier luvre dans le journal qui
lemploie et aux termes de larticle L 761 cf du Code du Travail nexigeant
de convention expresse que pour le droit de faire paraître les uvres dans plus
dun journal périodique. Or en lespèce les DNA vues sur INTERNET sont les
mêmes que celles lues sur le papier journal.
Sagissant de FR 3 en application de
larticle L 113-7 de CPI luvre audiovisuelle est une uvre
collective qui est la propriété de la personne morale sur linitiative et sous la
direction de laquelle elle est créée et divulguée.
France 3 peut décider den donner
accès par INTERNET.
A titre subsidiaire aux termes de
larticle L 132-24 du CPI le contrat qui lie le producteur aux auteurs dune
uvre audiovisuelle emporte saut clause contraire cession au profit du producteur des
droits exclusifs dexploitation de luvre.
PLURIMEDIA conclut :
Vu les articles 872 et 873 du NCP,
Constatant que la Société SDV
PLURIMEDIA, lorsquelle accomplit les prestations de service destinées à permettre
la consultation des émissions RUND UM, et Journal Tout Images sur INTERNET, le fait sur
commande de la Société France 3, seule titulaire ou en tout cas cessionnaire des droits
dexploitation,
Déclarer que les demandeurs
nétablissent lexistence daucun trouble manifestement illicite,
daucun risque de dommage imminent et que rien ne justifierait les graves mesures par
eux sollicitées,
Dire quil ny a lieu à
référé,
Débouter le SNJ, Mmes et MM CHAVANEL et
TURLIN de toutes leurs prétentions,
Vu les articles 872
et 873 du NCP,
constatant que la Société SDV
PLURIMEDIA, lorsquelle accomplit les prestations de service destinées à permettre
la lecture du Journal DERNIERES NOUVELLES DALSACE sur INTERNET, le fait sur commande
de la Société éditrice de celui-ci, seule " investie des droits de lauteur
" en vertu de larticle L 113-5 du Code de la Propriété Intelectuelle et au
surplus, en toute hypothèse, valablement autorisée à le faire par " conventions
expresses " prévues par larticle L 761-9 du Code du Travail,
déclarer que les demandeurs
nétablissent lexistence daucun trouble manifestement illicite,
daucun risque de dommage imminent et que rien ne justifierait les graves mesures par
eux sollicitées,
dire quil ny a lieu à
rééré,
débouter lUSFJ CFDT, le SNJ, Mme et
MM COHU-WEILL, KNIERIEMEN, FREY et KUHN de toutes leurs prétentions.
SUR CE
LES FAITS
La Société PLURIMEDIA propose des
abonnements permettant un accès au réseau INTERNET.
Par contrat du 24 octobre 1995 intitulé
" contrat de Prestations INTERNET " les DNA et PLURIMEDIA ont conclu une
convention dont lobjet est pour les DNA de confier à PLURIMEDIA le support
technique de la diffusion du quotidien sur INTERNET.
Il sagit pour PLURIMEDIA de mettre à
la disposition des DNA des moyens matériels (raccordement télécom, monteurs, réseaux,
ordinateurs, logiciels, etc
) et dassurer principalement le suivi et la
maintenance dexploitation.
Les DNA ont stipulé disposer de la pleine
propriété des textes (art. 1) La Société PLURIMEDIA sest engagée comme
prestataire technique à ne pas altérer, modifier, supprimer ou ajouter des éléments au
contenu transmis par les DNA (art. 1).
Par acte sous seing privé du 7 novembre
1997 la SDV PLURIMEDIA et France 3 ont conclu un contrat à titre expérimental prévoyant
pour une durée de 6 mois la diffusion sur INTERNET de deux émissions RUND UM et le
" Journal Tout Images ".
PLURIMEDIA met à la disposition de FR 3 un
serveur. Son rôle est technique. FR 3 reste propriétaire des droits de la propriété
industrielle et intellectuelle. (art. 3-14).
1. SUR LA FORME
Laction des Syndicats dès lors
quelle est exercée en vue de protéger les intérêts collectifs et/ou individuels,
dans le cadre dun litige né et actuel est recevable. En lespèce elle est de
surcroît exercée en présence des journalistes.
Le Juge des référés est compétent aux
termes de larticle 809 du Nouveau Code de Procédure Civile, même en présence de
contestations sérieuses, pour prescrire des mesures conservatoires qui simposent
afin de faire cesser un trouble manifestement illicite ; Le trouble allégué en
lespèce est une atteinte au droit dauteur.
La demande est en conséquence recevable et
le Juge des référés est compétent pour connaître du litige.
2. SUR LE FOND
Il convient de déterminer si
lautorisation de diffuser donnée à la Société PLURIMEDIA la été par les
titulaires du droit dauteur ; il semble en effet acquis en létat de
Jurisprudence quune diffusion sur le réseau INTERNET est un mode de reproduction
soumis à autorisation dans les respects des droits patrimoniaux des auteurs.
Il est également incontestable que le
journaliste détient le droit de propriété littéraire et artistique au sens de la loi
du 11 mars 1957 modifié par la loi du 3 juillet 1985. Le droit dauteur est rappelé
par les articles 9 de la convention collective des journalistes du 27 octobre 1987 et par
la convention collective de laudiovisuel.
a. Concernant les DNA
:
Le journal est une uvre collective
dans laquelle se fondent les contributions individuelles de divers journalistes ; le
journaliste en contrepartie de son salaire forfaitaire cède dans le cadre dun
contrat de travail son droit dauteur à lentreprise de Presse.
Au regard des dispositions de larticle
L 113-5 du CPI, luvre collective est la propriété de la personne physique ou
morale au nom de laquelle elle est divulguée.
En conséquence les DNA seraient
propriétaires du droit dauteur.
Cependant le journaliste limite la
cession de son droit dauteur à une première publication et la doctrine estime que
la reproduction de luvre dun journaliste professionnel dans un autre
périodique est soumise à autorisation (cf art. L 761-9 alinéa 2 du Code du Travail, L
131-3 CPI).
La convention collective
des journalistes reprend en son article 7 cette disposition en ce que " le
droit de faire paraître dans plus dun journal ou périodique des articles ou
uvres littéraires ou artistiques (dont les personnes mentionnées à
larticle L 761-2 sont les auteurs), sera obligatoirement subordonné à une
convention expresse qui devra indiquer les conditions dans lesquelles sera autorisée la
reproduction ".
Ces dispositions sappliquent
à la reproduction des articles sur INTERNET : La communication par réseau présente une
spécificité technologique ; Le produit nest pas le même que celui du journal ; Il
sagit dun nouveau moyen de communication.
De surcroît les journalistes ne pouvaient
céder ce droit dexploiter sous une forme non prévisible aux termes de
larticle L 131-6 du CPI à la date des contrats à moins quil naient
stipulé de façon expresse une participation corrélative aux profits
dexploitations ; tel nest pas le cas despèce puisque la modalité de
cette clause est précisément lobjet de négociations entre les journalistes et les
DNA.
La cession globale duvre future
est nulle.
Les droits dauteurs doivent être
protégés sur les réseaux numériques.
En conséquence au regard des dispositions
combinées des articles L 761-9 du droit du travail et 7 de la convention collective des
journalistes la reproduction sur le réseau INTERNET des articels déjà publiés dans les
DNA est soumise à lautorisation des auteurs, cest à dire des journalistes.
b. Concernant FR 3
:
Luvre audiovisuelle est une
uvre de collaboration protégée par la loi du 27 mars (cf L 113-7 CPI).
Luvre de collaboration est la
propriété commune des co-auteurs.
Le journaliste de laudiovisuel est
lié par son contrat de travail et il a cédé ses droits (art. 7-4-2 convention
collective).
Cependant la convention collective
de laudiovisuelle en son article 7, et larticle L 761-9 du Code du Travail
disposent quune convention expresse est nécessaire à une nouvelle diffusion.
Or appliquant le raisonnement développé
supra il apparaît que lors de la conclusion des contrats de travail les journalistes,
parties à la procédure, ne pouvaient céder leurs droits à diffuser sur un serveur
INTERNET, qui a commencé la diffusion des émissions au plus tôt à la date du contrat,
soit le 7 novembre 1997.
Ils ne pouvaient céder le droit
dexploiter luvre sous une forme non prévisible et non prévue à la
date du contrat.
En conséquence, en labsence de
convention expresse la cession des émissions déjà diffusée est illicite.
La Société PLURIMEDIA aurait dû
vérifier que ses co-contractants, les DNA et FR 3 étaient titulaires des droits
dauteur pour une nouvelle reproduction. Il est porté atteinte aux droits
partimoniaux des journalistes. Il y a un trouble manifestement illicite.
Il est en conséquence fait
interdiction à la Société PLURIMEDIA de diffuser la journal des DNA et les émissions
de FR 3 sur INTERNET tant quune convention expresse naura pas été conclue
entre les auteurs et les DNA et/ou FR 3.
Les demandes concernant la communication du
livre dexploitation relèvent dune demande fondée sur laction en
contrefaçon qui est de la compétence du Juge du fond.
La demande de publication de la décision
napparaît pas opportune.
PAR CES MOTIFS
Statuant par ordonnance contradictoire, en
premier ressort,
DONNONS acte aux demandeurs quils
sengagent à assigner PLURIMEDIA au fond dans les quinze jours de lordonnance
;
ORDONNONS sous astreinte de 5.000
francs (cinq mille francs) par jour, linterdiction de diffusion par PLURIMEDIA du
journal les DNA et des émissions de FR 3 sur lINTERNET tant quun accord
naura pas été trouvé entre les journalistes et la Société éditrice du journal
DNA et France 3 ;
DEBOUONS les demandeurs de toute autre
demande ;
CONDAMNONS les défenderesses aux entiers
frais et dépens de la procédure ;
CONDAMNONS les défenderesses à payer à
chaque demandeur 1.200 francs (mille deux cents francs) au titre de larticle 700 du
Nouveau Code de Procédure Civile ;
CONSTATONS que la présente ordonnance est
exécutoire par provision de plein droit.