Résumé commenté
(par Lionel Thoumyre - E-Law n° 13-14)
FAITS ET PROCEDURE
Par exploit d'huissier signifié le 22 janvier 1998, la S.A.R.L
MICROCAZ se prétendant propriétaire de la marque "OCEANET", a fait assigner la
S.A.R.L OCEANET devant le tribunal de Commerce du MANS afin qu'elle soit condamnée :
- sous astreinte de 1. 000 F par jour de retard à compter de la signification, à
mettre fin à tous agissements de contrefaçon de sa marque et, plus particulièrement, à
modifier la marque qu'elle utilise sur le réseau Internet ;
- à lui payer 50. 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du
préjudice subi et 10. 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau
Code de Procédure Civile.
Par jugement en date du 15 Juin, la Tribunal de Commerce du Mans s'est
déclaré incompétent au profit du Tribunal de Grande Instance du MANS.
Par acte du 15 décembre 1998, la S.A. SOCIETE FRANCAISE DE
DISTRIBUTION (S.F.D.I.). intervient volontairement à la procédure aux côtés de
l'E.U.R.L. OCEANET.
Toutes deux concluent au débouté et forment une demande
reconventionnelle.
Dans ses conclusions récapitulatives signifiées le 17 mai 1999, la
S.A.R.L MICROCAZ fait valoir les moyens et arguments suivants :
Exerçant une activité commerciale dans le domaine de la vente de
matériels informatiques et de la prestation Internet et réseaux, elle a fait inscrire le
31 juillet 1996 auprès de l'INSEE, la dénomination "OCEANET".
Le 2 septembre 1996 elle a déposé à titre de marque auprès de
l'I.N.P.I. le nom "OCEANET" sous le numéro 96/640353.
Elle s'est aperçue que la société OCEANET établie en Loire
Atlantique, utilisait sur le réseau Internet un code d'accès www.oceanet .fr pouvant générer une confusion dans
l'esprit des internautes avec le sien qui est www.oceanet.tm.fr.
En effet la seule différence est le sigle "tm"
(trade mark )
relatif à l'existence d'un dépôt de marque.
Ce risque est d'autant plus évident que l'E.U.R.L. OCEANET comme la
S.A. S.F.D.I. exercent une activité de "provider" de sorte qu'elles
interviennent en amont de la société MICROCAZ et peuvent ainsi détourner sa clientèle
potentielle.
Elle conteste aux défenderesses tout le droit d'antériorité sur la
marque "OCEANET" dans la mesure où :
- celles-ci ne bénéficiaient pas du nom de domaine "OCEANET" avant le 5
août 1996 ; à cette date elle avait déjà déposé cette dénomination comme nom
d'enseigne au répertoire national des entreprises et de leurs établissements ;
- elles n'ont, par la suite, sollicité que l'octroi d'un nom de domaine historique ou
générique ".COM" qui est totalement différent du domaine ".FR" où
la production d'un extrait K.bis et un numéro SIRET est indispensable ; les statuts
de E.U.R.L. OCEANET n'ayant été signés que le 11 septembre 1996, ce n'est qu'à partir
de cette date qu'elles ont pu envisager d'obtenir un serveur dans le domaine
".FR" et déposer le nom "OCEANET" comme marque ;
- même dans le domaine ".COM", elles n'ont pu utiliser le nom de domaine
"OCEANET" compte tenu de l'antériorité d'une société américaine qui
avait déjà réservé ce nom de domaine ;
- au mieux, l'E.U.R.L. OCEANET a pu bénéficier d'une simple adresse I.P. (Internet
Protocol) qui n'est pas un nom de domaine mais une simple adresse de travail sans accès
direct par le public qui doit avoir connaissance du nom de code complexe pour accéder au
site.
Elle maintient que sa marque déposée "OCEANET" est
contrefaite par les défenderesses qui utilisent "OCEANET" comme nom de domaine
dès lors que l'usage de l'arobase "@" est interdit par la Charte de Nommage
applicable sur le réseau Internet.
Elle précise en outre, qu'après avoir rencontré des difficultés
avec une autre société "OCE NEDERLAND" elle a effectué le 16 juin
1998 auprès de I'I.N.P.I., une déclaration de renouvellement modificative préservant la date
du dépôt initial.
Elle soutient encore que ".FR" ou ".TM.FR" sont
répertoriés sous la même catégorie de domaines historique ou générique, à savoir
".FR" ce qui les distinguent totalement du domaine ".COM".
Elle conteste aux défenderesses tout droit de pouvoir user du nom de
domaine OCEANET dans les classes 41 (formation et divertissement) et 42 (location de temps
d'accès à un serveur de base de données) dés lors que le risque de confusion demeure
pour les autres activités.
Invoquant les articles 1382 du code civil et L.711-4, et L-713-1 et
suivants et L-716-1 et suivants du Code de la Propriété Industrielle, elle conclut au
rejet des demandes reconventionnelles et à la condamnation avec exécution provisoire :
- de la société sous astreinte définitive de 1. 000 F par jour de
retard, à mettre fin à tous ses agissements de contrefaçon de marque et plus
particulièrement à modifier la marque qu'elle utilise de manière à éliminer tous
risques de confusion ;
- des sociétés OCEANET et S.F.D.I. solidairement à lui payer 30. 000
F à titre de dommages-intérêts et 10. 000 F en application de l'article 700 du
Nouveau de Procédure Civile.
Par conclusions responsives et récapitulatives signifiées le 2 avril
1999, les sociétés OCEANET et S.F.D.I. répliquent :
La S.F.D.I. a décidé courant 1996, d'étendre son activité à la
fourniture d'accès à Internet.
Elle s'est assurée auprès du registre national des métiers et du
R.C.S. de la disponibilité du signe "OCEANET" avant de demander à la société
INTERFACES de lui créer un serveur d'accès à Internet sous le nom de domaine
"OCEANET".
Le 3 juillet 1996, elle a déposé une demande d'ouverture de ligne
Internet auprès de TRANSPAC et a demandé à ce prestataire d'effectuer les démarches,
auprès d'Internic pour réserver le nom de domaine "OCEANET.COM" réservation
qui lui a été confirmée par TRANSPAC.
Ce nom de domaine n'a cependant pas pu être enregistré auprès
d'Internic. en raison du dépôt préalable du même nom de domaine fait le 10 juillet
1996 par une société américaine OCEAN OF AMERICA.
Bien que son site "OCEANET" était déjà en fonctionnement
depuis la mi-juillet, elle a donc décidé de muter son nom de domaine
"OCEANET.COM" en "OCEANET.FR" ce qu'elle n'a été en mesure de faire
qu'après création d'une filiale le 11 septembre 1996, l' E.U.R.L OCEANET dont elle est
l'associé unique.
Cette société a déposé, le 17 septembre 1996 à 1'I.N.P.I sous le
numéro 96642572, le nom "OCEANET" à titre de marque pour les services des
classes 42 (location de temps d'accès à un serveur de base de données) 38
(communication par terminaux d'ordinateurs), 25 (gestion des fichiers informatiques) et 41
(formation divertissements) étant précisé qu'elle visait principalement la classe 42
qui correspond à son activité principale de "provider".
Les défenderesses font valoir que :
- Il n'y a ni contrefaçon ni imitation de marque :
La marque "OCEANET" qu'elles ont déposée est une marque
simple, différente de celle déposée par MICROCAZ qui est une marque complexe, en
couleur, semi-figurative, comportant un accent sur le "e" de
"océanet" et composé de deux vocables "OCE" et "NET"
reliés entre-eux par le sigle informatique "@" qui se prononce "at"
(se traduisant en français par "chez").
Aucune confusion n'est donc possible.
Si confusion il y a aujourd'hui elle résulte du fait de MICROCAZ qui a
dénaturé sa propre marque en supprimant l'accent sur le "e" de
"océanet" et en remplaçant l'arobase (@) par un "a".
- elles bénéficient d'une antériorité pour l'utilisation du nom de domaine
"OCEANET"
Dés juillet 1996, le site "OCEANET" était accessible
sur Internet et des clients y étaient hébergés nonobstant les difficultés rencontrées
avec la société "OCEAN OF AMERICA";
Le domaine générique qui en permettait l'accès (.FR ou .COM) est
indifférent.
- MICROCAZ n'a pas déposé sa marque pour l'activité de fournisseur d'accès à Internet
.
En vertu du principe de spécialité, la marque déposée par MICROCAZ
ne peut faire obstacle à celle qu'elles ont elles-mêmes été déposée dans les classes
41 et 42.
L'E.U.R.L. OCEANET n'exerce pas d'activité concurrente car elle est un
opérateur Internet et non un simple utilisateur
du réseau Internet comme MICROCAZ qui doit faire appel à un
opérateur (en l'espèce la Lyonnaise de Câble).
En outre, elle ne s'adresse qu'aux clients de la région nantaise
situés dans le ressort téléphonique du tarif "communication locales".
- La marque déposée par MICROCAZ ne fait pas obstacle à l'utilisation du nom de domaine
"OCEANET"
Ce nom de domaine était utilisé en juillet 1996 avant tout
enregistrement de marque. Par suite, l'article L-713-6 du C.P.I. ne n'oppose pas à
l'utilisation de cette enseigne postérieurement à l'enregistrement de la marque.
En outre, MICROCAZ qui n'exerce aucune activité de
"provider" ne peut prétendre qu'une telle utilisation porterait préjudice.
Elles concluent, à titre principal au débouté des demandes formées
contre elles pour absence de contrefaçon ou d'imitation et réclament 30. 000 F en
application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Subsidiairement, si la contrefaçon ou l'imitation était retenue,
elles concluent à l'annulation de la marque déposée et renouvelée par la société
MICROCAZ et si l'antériorité du sigle "OCEANET" ne lui était pas reconnue,
elles demandent au Tribunal de dire que la marque déposée par MICROCAZ ne fait pas
obstacle à l'utilisation de celle déposée par l' E.U.R.L. OCEANET pour les activités
relevant des classes 41 et 42 ni à l'utilisation du signe "OCEANET" à titre du
nom de domaine et de site web.
Elles se portent demanderesses reconventionnelles afin qu'il soit fait
interdiction à la société MICROCAZ, sous peine d'astreinte de 1. 000 F par jour de
retard, d'opérer toute contrefaçon de la marque "OCEANET" déposée par
l'E.U.R.L. OCEANET sou le numéro 96642572.
L'ordonnance de clôture a été rendu le 19 mai 1999.
MOTIFS DE LA DECISION
Le 2 septembre 1996, MICROCAZ a déposé auprès de l'I.N.P.I. une
Marque complexe en couleur sur fond bleu marine, associant une paire d'yeux avec une
affiche bleu-ciel sur laquelle est écrit OCE@NET, les
lettres étant de couleurs bleu-nuit et l'arobase de couleur rouge.
Cette marque semi-figurative, est à première vue, différente de la
marque simple "OCEANET" écrite en lettres d'imprimerie majuscules noires sur
fond blanc déposée par la S.A.R.L. OCEANET le 17 septembre 1996.
Ces deux signes sont cependant lus par le consommateur moyen, de la
même manière. En effet :
- le "E" précédant "AN' se lit généralement
"é" dès lors qu'il n'est pas d'usage de mettre un accent sur une lettre
majuscule;
- en français courant l'arobase, souvent utilisé à la place du
"a" pour prévenir le lecteur d'une relation entre cette marque et le réseau
Internet, se lit "a" car la lettre "a" y est contenu et que seule une
petite minorité de personnes, internautes chevronnés connaissent la véritable
signification de ce symbole.
La coexistence de ces deux marques utilisées par deux personnes
morales différentes résulte donc d'une contrefaçon et 1a similitude des activités
exercées et des services proposés par celles-ci est de nature à entraîner une
confusion dans l'esprit de l'internaute moyen qui connaissant l'existence de l'une de ces
deux sociétés, peut être amené par un moteur de recherche sur le site de l'autre.
La société MICROCAZ ne justifie cependant pas avoir utilisé le signe
"OCEANET" avant le 31 juillet 1996 date à laquelle elle a fait inscrire auprès
de l'INSEE un établissement secondaire sous cette dénomination.
Elle ne prouve notamment pas avoir ouvert sur le réseau Internet avant
cette date, un site comprenant le mot "OCEANET" dans son adresse ou son mon de
site.
Or, il en résulte des pièces produites par les défenderesses :
- de l'attestation de Régis SAINT PAUL que le site "OCEANET" de la société
S.F.D.I. a été référencé sur les principaux moteurs de recherche dès le mois de
juillet 1996;
- de l'attestation de Jérôme TERRIEN que ce site "OCEANET" a été
terminé, mis en ligne et était accessible sur Internet dès là mi-juillet 1996 ,
- d'un courrier de la société "COTE OUEST" en date du 10 mars 1999, que
cette société a été hébergée sur le site "OCEANET" de la société
S.F.D.I. dès le mois de juillet 1996.
En outre la société MICROCAZ ne peut sérieusement prétendre qu'un
internaute moyen n'avait pas accès à ce site puisque, généralement, la recherche d'un
sujet particulier se fait au moyen d'un moteur de recherche qui renvoie l'internaute sur
les sites traitant de ce sujet sans que l'utilisateur ait besoin de connaître le nom
exact du site ou l'adresse I.P.
Elle ne peut davantage se prévaloir de la différence qui existerait
entre les domaines historiques ou générique les ".COM" ou".FR", les
moteur de recherche explorant indistinctement ces divers domaines pour proposer à
l'internaute tous les sites ou adresses traitant du sujet recherché.
En outres, ces extensions ".COM" ou ".FR" peuvent
être considérées comme des suffixes (tout comme le http://www. peut être considéré
comme un préfixe) ne pouvant être faite que sur la seule partie distinctive, à savoir
la dénomination "oceanet".
Il résulte de ce qui précède que la société S.F.D.I. aux droits de
laquelle vient l'E.U.R.L, OCEANET utilisait la dénomination OCEANET comme nom de domaine
dès la mi-juillet 1996, soit antérieurement au dépôt par la demanderesse de sa marque
complexe reprenant cette dénomination.
Par suite, même si son caractère frauduleux n'est pas établi par les
pièces du dossier, ce dépôt a été effectué en contravention avec les dispositions de
l'article L. 711-4 du C.P.I. et la marque déposée le 2 septembre 1996 sous le numéro
96640553 ainsi que son renouvellement effectué le 16 juin 1998 sous le numéro 98737606
seront déclarés nuls pour indisponibilité du signe.
En conséquence, la société MICROCAZ sera déboutée de ses demandes
et condamnée reconventionnellement à cesser, dans les deux mois suivant la signification
de la présente décision sous peine d'astreinte de 500 francs par jour de retard, d'user
de la marque "OCEANET" déposée à l'I.N.P.I. par l'E.U.R.L. OCEANET sous le
numéro 96642572.
L'équité commande d'allouer aux demanderesses reconventionnelles 10
000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire et en
premier ressort,
Reçoit la S.A. SOCIETE FRANCAISE DE DISTRIBUTION INFORMATIQUE
(S.F.D.I.) en son intervention volontaire.
Déclare nuls la marque déposée le 2 septembre 1996 sous le numéro
96640553 et son renouvellement effectué le 16 juin 1998 sous le numéro 98737606 par la
S.A.R.L. MICROCAZ.
Déboute la S.A.R.L. MICROCAZ de ses fins et conclusions.
La condamne à cesser, dans les deux mois suivant la présente
décision sous peine d'astreinte de 500 F par jour de retard, tout usage de la marque
"OCEANET" déposée à l'I.N.P.I. par l'E.U.R.L. OCEANET sous le numéro
96642572.
La condamne aux frais et dépens ainsi qu'à payer à la S.A. SOCIETE
FRANCAISE DE DISTRIBUTION INFORMATIQUE et à l'E.U.R.L. OCEANET un montant de DIX MILLE
FRANCS (10.000 F) en application des dispositions de l'article 700 Nouveau Code de
Procédure Civile.
Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.
Le tribunal : Mme FLISE prés. ; MM. MAZARIN et MURY; Avocats : SCP PAVET VILLENEUVE
DAVETTE BENOIST, Me ROUCOUX.