@ccueil / actualité / jurisprudence / chroniques / internautes / professionnels / universitaires

Elaw - Attendez le chargement complet de la page... cela peut prendre quelques instants.

Bulletin d'actualités juridiques en droit des technologies de l'information dirigé par Pierre-Emmanuel Moyse,
édité sur Juriscom.net par Lionel Thoumyre

Droit du Cyberespace # 13-14

Octobre-novembre 1999

Présentation

Montréal, le 1er décembre 1999

Ce bulletin double de E-law se doit de saluer la toute récente réalisation du Centre de Recherche de l'Université de Montréal. L'équipe de Daniel Poulin vient en effet de lancer le site LEXUM disponible à l'adresse suivante (http://www.droit.umontreal.ca). Ce site est simplement tentaculaire ! Nous pouvons, sans trop nous tromper, lui prédire un accueil des plus enthousiastes. La critique sera dithyrambique et les clics fatidiques.

Rappelons également que le Fonds pour la Formation de Chercheurs et l'Aide à la Recherche (Fonds FCAR) du Québec (http://www.fcar.qc.ca) contribue en partie à la réalisation de ces bulletins.

P-E.M.

Au sommaire ce mois-ci :

Canada & États-Unis

Tarif 22, gestion des noms de domaine, conflit de juridiction, droit des marques, , aff. Microsoft, Anti-cybersquatting Act, droit des journalistes (aff. Tasini).

France

CNIL & spamming, droit des marques (aff. Océanet), responsabilité des prestataires (aff. Infonie), base de données (aff. Newsinvest).

et...

breves.gif (1460 octets)

 

Rédacteurs :

Pierre-Emmanuel Moyse
(Léger-Robic-Richard)
& Lionel Thoumyre
(CRDP)
------------------------------------------------
Centre de Recherche de Droit Public
Université de Montréal
Bureau A-8425-6
Tél. (514) 343-6111 poste 1201
Email : moysep@CRDP.UMontreal.CA
et lionel@juriscom.net

Ont collaboré à ce numéro :

David Assor
Cynthia Chassigneux
Bruno Ménard

     

Canada : Tarif des droits à percevoir pour l'exécution ou la communication par télécommunication d'œuvres musicales ou dramatico-musicales

Décision de la Commission du droit d'auteur sur la communication des œuvres au public par Internet

[27 novembre 1999] La Commission canadienne du droit d'auteur a été créée par une loi de 1935 qui venait apporter certains aménagements au système canadien de gestion collective. L'avènement du phonogramme et de la radiodiffusion sans fil avait déjà fait l'objet d'une concertation internationale lors de la convention de Rome de 1928 (art. 11 bis), ces nouvelles technologies participant d'une utilisation massive d'œuvres musicales. La Commission avait donc pour fonction principale d'approuver les tarifs relatifs aux exécutions public. Depuis lors, la Commission n'a cessé de jouer un rôle croissant dans le système canadien. Véritable tribunal administratif, la Commission examine et approuve désormais les tarifs pour la copie privée (régime introduit en avril 1997) et les communications par télécommunication des œuvres musicales qui relèvent, pour partie, des droits voisins conférés aux producteurs, artistes-interprètes et radiodiffuseurs (également introduits en avril 1997).

C'est dans ce cadre général que doit être présentée la décision que la Commission du 27 octobre 1999. La Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) avait déposé, auprès de la Commission, un projet de tarif pour la communication au public par télécommunication au Canada d'œuvres musicales. Introduite pour les années 1996, 1997 et 1998, cette demande comprenait en son article 22 un projet de redevance pour les communications d'œuvres musicales "au moyen d'ordinateurs ou d'autres appareils connectés à un réseau de télécommunications". C'est bien entendu la communication d'œuvres via Internet qui est ici visée. À la suite d'une procédure contradictoire très complète, la Commission a accueilli le projet de tarif tel que proposé à l'article 22.

Dans ses motifs, la Commission élucide plusieurs points de droit importants. En effet, un tarif ne peut être accueilli si aucun droit substantiel n'en supporte l'établissement. Il s'agissait, à cet effet, d'examiner la portée de l'article 3(1) de la Loi canadienne sur le droit d'auteur qui octroie à l'auteur le droit de "communiquer au public, par télécommunication, une œuvre […] musicale". Voici les principales conclusions auxquelles la Commission est arrivée :

"1) Une œuvre musicale n'est pas communiquée au moment où elle est rendue disponible sur un serveur.

2) Une œuvre musicale est communiquée par télécommunication au moment où un serveur contenant l'œuvre répond à une demande et qu'il y a transmission de paquets sur l'Internet.

3) Le caractère public ou privé d'une communication sur l'Internet découle de principes juridiques établis.

4) Il n'est pas nécessaire qu'une communication soit instantanée ou simultanée pour être une communication au public.

5)En rendant une œuvre accessible une personne autorise sa communication […].

9) La personne qui crée un hyperlien intégré qui renvoie à une œuvre autorise la communication de celle-ci. La personne qui ne fait que fournir un lien que l'utilisateur doit activer ne l'autorise pas (et n'est donc pas responsable d'une violation de droit d'auteur, nos parenthèses).

10) Les communication sont lieu au site du serveur à partir duquel l'œuvre est transmise, peu importe l'origine de la demande ou l'emplacement du site Web d'origine. Par conséquent, pour qu'une communication ait lieu au Canada, elle doit provenir d'un serveur situé au Canada sur lequel un contenu a été mis. À ce propos, la communication mise en branle par un hyperlien intégré a lieu au site auquel le lien conduit"

La Commission explicite chacune de ces conclusions tout au long des quelques 60 pages de sa décision. Dans son l'ensemble la décision nous semble juste. Quelques remarques préliminaires seront présentées brièvement :

- l'application du tarif aux seules communications d'œuvres faites à partir d'un serveur canadien et donc l'efficacité d'un régime de perception paraît illusoire dès lors qu'il est aisé d'expatrier des données comportant des œuvres protégées. Dès lors l'établissement de liens automatiques permet d'échapper à la perception de redevance au Canada.

- la distinction entre un hyperlien intégré et un hyperlien "passif" (activé par l'utilisateur) est intéressante mais peu satisfaisante. Nous comprenons que la personne à l'origine du premier autorise la communication de l'œuvre au public alors que la deuxième ne ferait rien qui impliquerait l'application des règles du droit d'auteur. Dans le premier des deux cas seulement, si la personne n'est pas titulaire de droit, la création de liens automatiques contrevient à la loi sur le droit d'auteur, cette prérogative étant attribuée exclusivement à l'auteur ou à ses ayants droits. Cette distinction est difficile à soutenir dès le moment où il appartient à l'utilisateur, dans les deux cas, de provoquer la transmission de l'œuvre : soit en se rendant à une adresse Internet, celle-ci créant automatiquement le lien vers une œuvre, soit en cliquant sur un lien passif. La nature de la communication dans les deux cas ne change donc pas.

P-E.M.

Références :

Texte de la décision sur Juriscom.net :
http://www.juriscom.net/jurisca/tarif22.htm.

Annonce sur Multimedium, Jean-François Codère , " La musique sur Internet officiellement protégée au Canada " :
http://www.mmedium.com/cgi-bin/nouvelles.cgi?Id=2727.

Cybernote sur Juriscom.net, Bertrand Salvas, " 22 v’là l’tarif  ! " :
http://www.juriscom.net/espace1/cb5.htm.


Canada et États-Unis : Noms de domaine, gestion

Politique de l’ICANN aux États-Unis
Transfert de gestion vers l’ACEI au Canada

[27 novembre 1999] Suite à la publication du "Livre Blanc" par le gouvernement Clinton en 1998 et aux recommandations émises par le Comité ad-hoc international sur les noms de domaine génériques (IAHC), les fonctions d'enregistrement et de gestion des noms de domaine subissent d'importantes transformations.

La distribution et la gestion des noms de domaine de type générique (".com", ".org" et ".net") s'effectuaient par le biais d'InterNIC, une entité du Département du commerce américain. Depuis 1993, cette tâche est assumée par Network Solutions Inc. (NSI) en vertu d'une entente entre cette dernière et la U.S. National Science Foundation. Enfin, la gestion et l'assignation des adresses numériques IP était dévolue à l'Internet Assigned Numbers Authority (IANA), une entité à but non-lucratif agissant pour le compte du Département du commerce américain. Aujourd'hui, ces tâches sont désormais réunies au sein d'une corporation privée sans but lucratif, l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN).

En transférant la gestion complète du système de noms de domaine (DNS) à une entité privée, le gouvernement américain donne suite aux inquiétudes et aux critiques formulées par les internautes et, également, aux recommandations mises de l'avant par le IAHC. Ainsi, on désire promouvoir une meilleure concurrence quant à l'attribution des noms de domaine, une plus grande stabilité de la gestion du DNS face à la croissance imposante d'Internet, tout en favorisant une participation internationale au processus de gestion.

Formée en novembre 1998, l'ICANN est, depuis le 10 novembre 1999, l'entité officielle pour la gestion du système des noms de domaine. Cet organisme prend le relais du Département du commerce américain pour la coordination du système de serveurs de base ("www"), l'allocation des adresses IP, la gestion du système de nom de domaine et l'assignation des paramètres de protocoles. Toutefois, cette transition ne sera complète qu'en septembre 2000, date prévue pour le transfert officiel.

En ce qui a trait à l'attribution des noms de domaine, l'ICANN servira de registre principal chargé d'administrer les domaines génériques (".com", ".net" et ".org") et de maintenir une base de donnée complète sur les enregistrements. La distribution proprement dite sera effectuée par le biais d'entités accréditées auprès de l'ICANN. En octobre 1999, il existait déjà onze registraires officiels se partageant la tâche d'enregistrer les domaines génériques. Quant aux autres domaines (".gov", ".mil", ".edu" et ".int"), leur gestion continue d'être assumée par différents organismes américains. Pour l'instant, et ce jusqu'en 2004, Network Solutions Inc. joue le double rôle de registre et registraire afin de permettre une meilleure transition.

Au Canada, la gestion du domaine ".ca" sera bientôt transférée vers une autre entité, l'Autorité canadienne sur les enregistrements Internet (ACEI). Au moment où le gouvernement américain annonçait les grandes lignes de son "Livre Blanc", des membres de la communauté Internet du Canada se réunissaient afin de discuter d'une réforme du domaine ".ca". Le Comité consultatif sur le nom de domaine canadien entreprit alors la transition de la gestion du DNS canadien.

La nouvelle structure du domaine ".ca" sera quelque peu calquée sur le modèle élaboré par l'entente ICANN-NSI-Département du commerce américain. L'Autorité Canadienne pour les enregistrements Internet coordonnera le système des noms de domaine canadien alors que l'obtention d'un domaine ".ca" s'effectuera par la biais de registraires accrédités.

Cependant, contrairement à la réforme des domaines génériques, on procède également à la révision des critères d'attribution des noms de domaines canadiens. En effet, les politiques jadis adoptées ont eu pour effet de pousser un nombre important de requérants vers les domaines génériques, compromettant ainsi la survie du domaine ".ca".

Quant à la réforme, il semble y avoir des retards sur l'échéancier prévu. En effet, le document du Comité consultatif sur le nom de domaine canadien prévoyait que l'Autorité canadienne sur les enregistrements Internet débuterait ses activités au début de l'année 1999. Or, le registre n'a toujours pas accueilli ses premiers "clients" et la gestion des noms de domaine est toujours exécutée par CDNnet, un organisme canadien qui distribue, sur une base volontaire, les noms de domaine. Selon son directeur, John Demco, l'implantation de l'Autorité canadienne sur les enregistrements Internet est en voie d'accomplissement mais on ne sait toujours pas le moment où elle pourra être pleinement active. Entre-temps, les règles du domaine ".ca" continuent de s'appliquer.

Bruno Ménard

Références :

Nouvelle politique de l’ICANN :
http://www.icann.org/udrp/udrp.htm.

Liste des entreprises accréditées :
http://www.icann.org/registrars/accredited-list.html.

Annonce sur CNet, Courtney Macavinta, " Domain policy aims to keep fights out of court " :
http://news.cnet.com/news/0-1005-200-805704.html.

Critique de la résolution adoptée par l’ICANN sur le site de l’EFF, Shari Steele, " EFF Critical of ICANN's Uniform Dispute Resolution Policy " :
http://www.eff.org/icann_letter_82499.html.


État-Unis : Conflit de juridiction, casino virtuel

Affaire People c. World Interactive Gaming Corp., 26 juillet 1999, Cour Suprême de New York, Judge Charles Edward Ramos

[5 octobre1999] Pari manqué. La Cour suprême de l’État de New York vient d’enjoindre, en juillet dernier, une société propriétaire d’un casino virtuel de cesser toute activité illégale et de réparer le tort causé à certains investisseurs du même État. La société défenderesse, filiale d’une société américaine mais régulièrement constituée selon les lois de l’État d’Antigua (société dite Off Shore), donnait accès à un casino virtuel via son site Internet. Strictement réglementées par une loi étatique, les activités de pari doivent faire l’objet d’une autorisation spéciale. À défaut elles sont prohibées par l’article 9(1) de la loi constitutionnelle de l’État de New York. Objet d’un autre chef d’accusation, la société mandatait également des agents téléphoniques afin d’inciter les résidents du même État à acquérir des parts de son capital social. Là encore un tissu de règles fédérales et provinciales plaçait la défenderesse en illégalité.

La question essentielle qu’à eu à résoudre le juge est celle de savoir si les lois de l’État de New York peuvent permettre de sanctionner une entité légalement formée dans une autre juridiction et où ces mêmes activités ne sont pas même considérées comme illégales. Fait intéressant, le candidat joueur, qui désirait s’inscrire au casino, devait respecter certaines exigences en remplissant un formulaire électronique. Si l’État d’origine sélectionné était " New York ", l’accès était instantanément refusé. Ce dispositif technique n’a pas persuadé le juge de la bonne foie de la partie incriminée. Se reconnaissant compétent il édicte plusieurs indices qui justifient sa position :

" Although at first glance, Internet transactions may appear novel, ''traditional jurisdictional standards have proved to be sufficient to resolve all civil Internet jurisdictional issues''[...] Moreover, even without physical presence in New York, WIGC's activities are sufficient to meet the minimum contact requirement of International Shoe Co. v. Washington, 326 US 310, 316 [1945]. The nature and quality of the defendant's activity must be such that ''the defendant purposefully avails itself of the privilege of conducting activities within the forum state, thus invoking the benefits and protections of its laws'' (Agrashell, Inc. v. Bernard Sirotta Co.,344 F2d 583, 591 [2nd Cir 1965]). The use of the Internet is more than the mere transmission of communications between an out-of-state defendant and a plaintiff within the jurisdiction. "

P-E.M.

Références :

Texte de la décision sur le site de l’Office of NYS Attorney General :
http://www.oag.state.ny.us/internet/litigation/wigc.html.

Annonce de la décision sur :
- New York Law Journal, Michael A. Riccardi,  " Online Gambling Enjoined in New York " :
http://www.nylj.com/stories/99/07/072699a1.htm ;
- Fedsources.com, " New York Judge Rules Internet Gambling Not Beyond State Authority " :
http://www.fedsources.com/spotlight/archive/state/s072999-5.asp ;
- Itnews.com, James Ledbetter et Steve Viuker, " Judge locks New Yorkers out of offshore Web casinos " :
http://itnews.com.au/crn/news/028_030899f.htm.

Réponse à la décision de l’Interactive Gaming Council :
http://www.rgtonline.com/newspage/artlisting.cfm/3451.


États-Unis : Marques de commerce, noms de domaine

Affaire Hasbro, Inc. c. Clue Computing Inc., 2 septembre 1999, Cour fédérale de district du Massachussetts, n° 97 10065

[5 octobre1999] Rares sont les décisions qui refusent de donner droit aux titulaires d’une marque lorsque celle-ci est utilisée comme nom de domaine par une tierce personne. Assez rare en tout cas pour que l’on signale ce litige mettant en cause la marque " CLUE " qui à donné son nom au célèbre jeu de détective (Le Cluedo en français) et où le Colonel Moutarde retrouve Melle Rose assassinée à coups de poignard... à moins que le coupable ait utilisé une clef anglaise ? Quoi qu’il en soit, la société Clue Computing, société unipersonnelle qui plus est, a réussi à convaincre le juge. L’emploi par celle-ci du nom de domaine Clue.com ne relève ni d’un acte de contrefaçon ni d’un acte de dilution et ce, quelque soit le niveau de juridiction envisagé : provincial ou fédéral. Le juge Woodlock refusera de reconnaître la confusion au motif que :

" Finally, the kind of confusion that is more likely to result from Clue Computing's use of the "clue.com" domain name namely, that consumers will realize they are at the wrong site and go to an Internet search engine to find the right one is not substantial enough to be legally significant. "[A]n initial confusion on the part of web browsers is not cognizable under trademark law." [...] I conclude that, although the need to search for Hasbro's site may rise to the level of inconvenience, it is not sufficient to raise a dispute as to actual confusion. The paucity of evidence of reasonable and actual confusion weighs heavily against Hasbro's ability to show a likelihood of confusion. "

De la même façon il conclut à l’absence de dilution et dénie le caractère célèbre de la marque " Clue ".

P-E.M.

Référence :

Texte de la décision sur le site Clue.com :
http://www.clue.com/legal/hasbro/d2.html.


États-Unis : Monopole, position anticoncurrentielle

Affaire United States of America c. Microsoft Corporation, 5 novembre 1999

[10 novembre 1999] Le juge Jackson de la cour fédérale du district de Columbia vient de rendre un jugement préliminaire qui risque d'affaiblir la position hégémonique de Microsoft dans les domaines de l'informatique et télécommunication.

Par ce "finding of facts" la cour se réserve la faculté d'apporter ses conclusions dans un mémorandum qui comportera, le cas échéant, les condamnations et réparations consécutives à la situation de monopole créée par Microsoft.

Ce jugement de 134 pages qui se lit comme une saga est intéressant pour plusieurs raisons :

1 - Il définit nombre de termes techniques et vulgarise le vocabulaire qui échoit à ce domaine spécialisé ; en particulier, on retrouve des définitions justes et concises des termes Internet et World Wide Web.

2- La part de marché détenue par Microsoft pour les PC (personnal computers) compatibles avec les systèmes Intel avoisine les 95 %. La politique de prix menée par Microsoft empêche toute concurrence effective dans ce domaine, les standards de compatibilité étant imposés par Microsoft.

3 - Le juge Jackson insiste sur le fait que les consommateurs sont mieux informés et construit son exposé sur l'impact néfaste qu'une telle situation de monopole peut avoir sur l'intérêt du consommateur. Ces digressions semblent annoncer un jugement sur le fond qui ferait état des difficultés pour arriver, dans une telle situation, à l'équilibre Intérêt du Public v. Propriété intellectuelle (voir à ce sujet, http://www.law.library.mcgill.ca/journal/abs/433moyse.htm). Les droits de propriété intellectuelle vont certainement voir naître en leur sein, dans le Code civil ou de manière sui generis, des droits de nature consumériste afin de tenir compte de l'intérêt des utilisateurs (par analogie au consommateur).

4 - Le juge fait ensuite la liste des situations réelles démontrant un l'abus de position dominante de Microsoft, soit à cause de manœuvres financières, soit encore en raison d'ententes stratégiques visant à contrôler le marché. Les plus frappantes de ces situations sont celles mettant en cause le Navigator de Netscape et l'application Java développée par la société Sun. Afin d'empêcher la distribution de ces technologies (middleware) Microsoft a retenu des informations sensibles empêchant ou retardant ainsi les développeurs de Netscape et de Sun de programmer des versions de leurs produits compatibles avec Windows 95 puis inclut son propre navigateur Explorer dans les versions de Windows. Comme ces stratégies n'ont pas suffi, Microsoft mis en place un réseau de licences exclusives afin que seuls les produits Microsoft soient utilisés. AOL, AT&T, Prodigy, les plus puissants fournisseurs d'accès à Internet, s'obligèrent ainsi à proposer Explorer et d'autres produits de la même société à leurs abonnés. Apple et Intel firent également l'objet de manœuvres dissuasives de la part de Microsoft et concédèrent certaines faveurs au géant de peur d'être évincé du marché de l'informatique :

"Apple increased its distribution and promotion of Internet Explorer not because of a conviction that the quality of Microsoft's product was superior to Navigator's, or that consumer demand for it was greater, but rather because of the in terrorem effect of the prospect of the loss of Mac Office. To be blunt, Microsoft threatened to refuse to sell a profitable product to Apple, a product in whose development Microsoft had invested substantial resources, and which was virtually ready for shipment."

IBM PC Company IBM PC Company ne fut pas épargnée. Le juge note que :

"The discriminatory treatment that the IBM PC Company received from Microsoft on account of the "software directions" of its parent company also manifested itself in the royalty price that IBM paid for Windows. In the latter half of the 1990s, IBM (along with Gateway) paid significantly more for Windows than other major OEMs (Original Equipment Manufacturers, like Compaq, Dell, and Hewlett-Packard) that were more compliant with Microsoft's wishes".

5 - Les actions menées par Microsoft pour conserver et asseoir son monopole ont, constate le juge, porté préjudice non seulement aux consommateurs en altérant les règles de la concurrence (les privant ainsi d'un choix et d'une meilleure qualité) mais aussi aux entreprises innovatrices désireuses de mettre leurs produits en marché :

"Most harmful of all is the message that Microsoft's actions have conveyed to every enterprise with the potential to innovate in the computer industry. Through its conduct toward Netscape, IBM, Compaq, Intel, and others, Microsoft has demonstrated that it will use its prodigious market power and immense profits to harm any firm that insists on pursuing initiatives that could intensify competition against one of Microsoft's core products. Microsoft's past success in hurting such companies and stifling innovation deters investment in technologies and businesses that exhibit the potential to threaten Microsoft. The ultimate result is that some innovations that would truly benefit consumers never occur for the sole reason that they do not coincide with Microsoft's self-interest".

P-E.M.

Références :

Texte de la décision sur ZDNet.com :
http://www.zdnet.com/zdnn/special/9911msdoj/findfact.html.

Annonce sur Droit-technologie.org, Thibault Verbiest, " Procès anti-trust contre Microsoft : première décision " :
http://www.droit-technologie.org/2_1.asp?actu_id=1116293102&month=11&year=1999.

La saga du procès Microsoft retracée sur Libération :
http://www.liberation.fr/microsoft.


États-Unis : Nom de domaine, droit des marques, spéculation

Anticybersquatting Act

[24 novembre 1999] La Chambre des représentants américaine a adopté, en octobre dernier, un projet de loi interdisant la spéculation sur les enregistrements de noms de domaine (cybersquatting). La Maison Blanche menaçant d’exercer son droit de veto sur toute loi interdisant le cybersquatting, le législateur américain a inséré cette nouvelle loi dans le Satellite Viewers Act, qui protège les diffuseurs de télévision par satellite.

Ce projet de loi qui est désormais en examen devant le Sénat américain octroie notamment un recours civil aux victimes de la spéculation sur les noms de domaines : politiciens, athlètes, acteurs, etc. Ces dernières pourront intenter, dans le pays où le nom de domaine a été enregistré, un recours en dommages et intérêt de 100 000$ US contre la ou les personnes responsables du cybersquattage pour fins de revente, de contrefaçon ou de confusion.

Les opposants au projet de loi estiment que ces nouvelles dispositions favoriseront les grandes sociétés, titulaires de marques de commerce déjà déposées et ce, au détriment des petites entreprises désirant acquérir un droit par l’enregistrement d’un nom de domaine. Selon eux, une telle situation contreviendrait au droit à l’expression sur Internet (Internet Free Speech). A. Michael Froomkin, professeur à l’Université de Miami, déplore que ces 100 000$ risquent de servir de moyen de pression lors des mises en demeures effectuées par les grandes compagnies. Quand bien même les petites entreprises auraient un droit d’utilisation légitime, elles préfèreront rétrocéder leur nom plutôt que de risquer le paiement de cette forte somme.

La Maison Blanche  préfère pour sa part que tout litige relatif aux noms domaines soit réglé par l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers). Chargé d’administrer le système des noms de domaine, cet organisme sans but lucratif vient d’adopter une nouvelle procédure de règlement de différends lorsqu'un nom de domaine est en litige : " Domaine Name Dispute Resolution Policy ".

David Assor

Références :

Parcours législatif du Anti-Cybersquatting Act :
- Techlaw Journal, " House Subcommittee Approves Anti-Cybersquatting Bill " :
http://www.techlawjournal.com/intelpro/19991012.htm ;
- Techlaw Journal, " House Judiciary Committee Approves Anti-Cybersquatter Bill " : http://www.techlawjournal.com/intelpro/19991015.htm.

Analyses et critiques du projet de loi :
- New York Times, Jeri Clausing, " Bill on Domain Name Speculation Passes House " :
http://www.nytimes.com/library/tech/99/11/cyber/articles/10domain.html ;
- New York Times, Jeri Clausing, " House Passes Cybersquatting Bill " :
http://www.nytimes.com/library/tech/99/10/cyber/articles/27cybersquatting.html ;
- le site de l’EFF, " Stop the "Trademark Cyberpiracy Prevention Act" " :
http://www.eff.org/pub/GII_NII/DNS_control/19991025_hr3028_alert.html.


États-Unis : Droits des journalistes pigistes, œuvre collective, banque de donnée, révision

Affaire J. Tasini, D. Whitford et autres c. The New York Times Company et autres, Cour d’appel du second circuit des États-Unis, 24 septembre 1999, Chief Judge Winter

[25 novembre 1999] Le débat portant sur le respect du droit des journalistes confrontés à la diffusion électronique de leurs œuvres a commencé aux États-Unis dès 1993.

I. Historique de l’affaire Tasini

La National Writers Union (NWU) avait alors porté plainte contre quatre groupes de presse, comprenant notamment le New York Times, ainsi que deux banques de données. Les occasionnels de la presse, pigistes et auteurs indépendants, considéraient que les droits qu’ils avaient cédés pour la version papier de leurs œuvres n’engageait pas la cession de leur " droits électroniques ". Ils exigeaient donc que leurs employeurs obtiennent une nouvelle cession pour la publication de leurs œuvres sur support électronique, en échange d’une seconde rémunération. Mais, à l’occasion de l’ouverture de son site Web, le New York Times avait déjà entrepris de faire signer un contrat à ses freelancers dont les termes stipulaient la renonciation de leurs droits sur leurs futurs articles.

La question de savoir si les freelancers pouvaient revendiquer le respect de leurs " droits électroniques " sera abordée en justice quatre an plus tard à l’occasion de la célèbre affaire Tasini [Tasini and others v. New York Times and others, (1997) 972 F.Supp. 804 (S.D.N.Y.)]. Six journalistes pigistes s’opposaient alors au chargement de leurs articles dans des bases de données et sur CD-ROMs, effectué sans leur accord par les groupes de presses évoqués ci-dessus. Nous retiendrons plus particulièrement, ici, le cas du journaliste Whitford lié par un contrat antérieur au magazine Sport Illustrated (Time Inc.) Leur convention précisait notamment que l’auteur transférait au magazine le droit de première publication sur son article. Sports Illustrated affirmait que la cession de ce droit comprenait le transfert implicite des droits électroniques de l’auteur, étant entendu que le " first publication right " désigne le droit de publier sur n’importe quel médium, y compris les médias électroniques. La cour a rejeté cet argument en précisant que le droit de première publication expirait dès lors que l’article avait été publié une première fois sur n’importe quel support. Elle affirme également que la publication électronique compte bien pour une seconde publication :

" Because Whitford’s article was " first " published in print, the electronic reprublication of that article some 45 days later simply cannot have been " first "  ".

Si l’on s’en était tenu là, la demande aurait pu être accueillie. Mais, constatant qu’aucune convention précise n’avait été passée entre les journalistes et leurs employeurs au sujet de l’exploitation numérique de leurs droits, la cour a reporté le débat sur l’œuvre collective. Les demandeurs ont alors avancé qu’ils détenaient un droit sur leur contribution individuelle que l’article 201 (c) du Copyright Act de 1976 distingue précisément du droit des exploitants sur l’œuvre collective. De leur côté, les défendeurs soutenaient que la loi confère au titulaire du droit sur l’œuvre collective le privilège de procéder à des révisions sur celle-ci. La cour déboute finalement les journalistes, considérant que la " révision ", donnant lieu aux CD-ROMs et à la banque de données, ne portait pas atteinte à leurs droits individuels (pour un commentaire de l’affaire Tasini jugée en 1997, voir David Flint, " Journalists, Copyright and the Internet ", Business Law Review, n°19, 1998, p. 134).

Cette décision s’averrait particulièrement préoccupante pour la protection des droits des journalistes pigistes. Elle aurait permis de légitimer toute rediffusion d’articles sur Internet, sans accord préalable des auteurs, sous prétexte que les processus de numérisation et de mise en page HTML constituent simplement une " révision " de l’œuvre collective.

II. Le jugement de la Cour d’appel

Le verdict sera néanmoins renversé par la décision de la Cour d’appel du 2nd circuit. Elle rappelle tout d’abord que le privilège de révision permet effectivement à l’auteur d’une œuvre collective de reproduire et de distribuer les contributions individuelles des auteurs au sein d’une édition révisée. Mais il doit s’agir d’une nouvelle édition appartenant à la même collection (" in the same series "). La cour remarque alors que les bases de données, pouvant contenir un grand nombre d’éditions différentes de plusieurs milliers de magazines, ne peuvent être considérées en elles-mêmes comme une nouvelle édition appartenant à la même collection. Elle précise plus exactement que :

" An electronic database can contain hundreds or thousands of editions of hundreds or thousands of periodicals, including newspapers, magazines, anthologies, and encyclopedias. To view the contents of databases as revisions would eliminate any need for a privilege for "a later collective work in the same series" "

Il est également rappelé que le privilège de révision constitue une exception à la règle générale selon laquelle l’auteur d’une contribution individuelle est initialement investi du copyright sur celle-ci. Or, la cour estime que le fait de considérer une base de données électroniques comme étant la révision d’une œuvre collective constitue une interprétation beaucoup trop large de l’article 201 (c) du Copyright Act américain, conduisant à faire prévaloir l’exception sur la règle générale.

" Second, the privilege set forth in Section 201(c) is an exception to the general rule that copyright vests initially in the author of the individual contribution. Reading "revision of that collective work" as broadly as appellees suggest would cause the exception to swallow the rule. See Commissioner v. Clark, 489 U.S. 726, 739 (1989) (when a statute sets forth exceptions to a general rule, we generally construe the exceptions "narrowly in order to preserve the primary operation of the [provision]"). "

Il découle de l’ensemble de ces discussions que le privilège de révision ne permettait pas Time Inc de céder les articles de Whitford à une tierce entreprise pour leur reproduction électronique. L’accord de l’auteur de la contribution individuelle était donc nécessaire.

L.T.

Références :

Texte du jugement sur Findlaw :
http://laws.findlaw.com/2nd/979181.html.

Sur les précédents de l’affaire voir Yves Eudes, " La cyberfronde des pigistes américains ", Le Monde, supplément multimédia, 9 septembre 1996 :
http://www.lemonde.fr/multimedia/sem3796/textes/act37964.html.

L’affaire Tasini est retracée sur le site de la National Writers Union : http://www.nwu.org/tvt/tvthome.htm.

Analyse de l’affaire sur le site du bureau Thelen Reid & Priest LLP, " Second Circuit Addresses Important Copyright Issue Affecting Online Publications " :
http://www.thelenreid.com/articles/report/rep24_idx.htm.


France : CNIL, spamming et protection des données personnelles

Rapport de la CNIL du 14 octobre 1999

[25 novembre 1999] Chargée de veiller au respect de la Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (Journal officiel du 7 janvier 1978 et rectificatif au JO du 25 janvier 1978), la CNIL (Commission Nationale de l’informatique et des libertés) vient d’adopter le 14 octobre dernier un rapport intitulé " Le publipostage électronique et la protection des données personnelles ". Ce rapport examine la situation des données personnelles au regard de la Loi Informatique et Libertés et de la Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (Journal Officiel des Communautés européennes du 23 Novembre 1995, n° L. 281, p. 31) relativement au publipostage électronique ou " spamming ".

Avant de s’intéresser au rapport lui-même, il convient de préciser que le publipostage électronique est caractérisé par le fait d’envoyer par courriel des messages, le plus souvent commerciaux, à une ou plusieurs personnes sans leur consentement. C’est pourquoi, nous pouvons dire que le publipostage électronique est susceptible de porter atteinte à la vie privée. La CNIL explique que la collecte des informations nominatives, dont l’adresse électronique des internautes, peut être envisagée de trois manières.

Premièrement, l’utilisation des informations nominatives enregistrées volontairement par l’internaute sur un site Web semble ne pas poser de problèmes quant à la protection des données personnelles, l’internaute pouvant s’opposer à recevoir des messages commerciaux ou autres de la part du site web auquel il a communiqué ses informations. En considérant qu’il n’y a pas de violation de la vie privée dans ce contexte ci, la CNIL réaffirme l’existence d’un droit d’opposition tout en admettant la technique du opt-out. En effet, l’internaute peut exercer son droit d’opposition soit au moment de l’enregistrement de ses informations nominatives, soit ultérieurement. Cette possibilité offerte aux internautes s’apparente à celle accordée aux abonnées téléphoniques demandant à être inscrit sur les " listes oranges " ou " listes rouges " de France Télécom ; ou au système " Stop publicité " mis en place par la Fédération française des Entreprises de Vente à Distance ou encore par l’Association Canadienne de Marketing Direct.

Deuxièmement, le publipostage électronique peut employer les informations nominatives contenues dans le fichier d’un site Web qui a été cédé à un ou plusieurs tiers. Cette collecte est licite dès l’instant où l’internaute a été informé, au moment de la collecte, de la finalité et des destinataires du traitement en question, et qu’il a été mis en mesure de s’y opposer.

Troisièmement, il est possible de recourir aux informations nominatives diffusées sur les espaces publics d’Internet. On peut donc se demander si cette collecte porte ou non atteinte à la vie privée des internautes car les informations en questions sont accessibles sur un site public. Se pose alors la sempiternelle question de la frontière entre la sphère publique et privée de la vie des individus. Les personnes publiques n’ont-elles plus de droit à la vie privée? Une information laissée dans un lieu public n’est-elle pas susceptible de protection? La Directive 95/46/CE, par exemple, semble donner une réponse en définissant ce qu’il convient d’entendre par données personnelles :

" Est considérée comme étant une donnée personnelle " toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable; est réputée identifiable une personne qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un numéro d'identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale " (art. 2 a) de la Directive 95/46/CE). "

Par conséquent, on peut considérer l’adresse électronique comme une donnée personnelle devant être protégée au même titre que l’identité, les convictions religieuse et politique, etc. de toute personne. Ainsi, le fait d’utiliser l’adresse électronique d’un internaute recueillie sur un forum de discussion, un annuaire porte atteinte à la vie privée de ce dernier. En effet, en participant à un forum de discussion, l’internaute exprime son opinion dans un lieu et sur un sujet donné, ce qui ne veut pas dire qu’il accepte que son nom, voire ses idées, soient repris dans d’autres endroits, à d’autres fins. C’est pourquoi, le Rapport estime que ce type de collecte est contraire au principe de finalité, d’information préalable et d’opposition reconnue à toute personne en ce qui concerne la protection de ses données personnelles.

Au regard de toutes ces formes de collecte d’informations nominatives, la CNIL recommande non seulement l’adoption et la diffusion de politiques, de codes de bonne conduite, de chartes en matière de collecte et d’utilisation des informations nominatives mis en place par les acteurs d’Internet. La CNIL préconise aussi la reconnaissance de la technique comme mode de régulation (protocole " no_robot ", projet P3P).

Pour certains, ces recommandations peuvent dépasser la mission de la CNIL qui est de veiller au respect de la Loi Informatique et Libertés. Or, il convient de reconnaître qu’avec le développement croissant d’Internet, la CNIL doit s’écarter de sa mission en favorisant la prise en compte de pratiques venant compléter, voire suppléer l’action législative des États. Dès lors, en adoptant cette position la CNIL remplit entièrement sa mission qui est avant toute chose de veiller à ce que l’informatique, et donc Internet, ne porte pas atteinte à la vie privée des individus, des internautes.

Cynthia Chassigneux

Références :

Le rapport " Le publipostage électronique et la protection des données personnelles " est disponible sur le site de la CNIL :
http://www.cnil.fr.

Annonce sur :
- Droit-Technologie.org, Thibault Verbiest, " France et spamming : la CNIL en faveur de l’opt-in " :
http://www.droit-technologie.org/2_1.asp?actu_id=-566134569&month=11&year=1999 ;
- ZDNet.fr, Jérôme Thorel, " La CNIL dénonce le Spam mais ne peut pas sévir " :
http://www.zdnet.fr/cgi-bin/a_actu.pl?File_ini=a_actu.zd&ID=11413.

Discussion autour du spamming en Europe sur le forum de Juriscom.net (utiliser le moteur de recherche avec le mot clé " spam ") :
http://www.juriscom.net/forum/index.htm.

Au sujet du spamming, voir Éric Labbé, " Le spamming et son contrôle " :
http://www.droit.umontreal.ca/~labbee/.


France : Marque, noms de domaine, antériorité

Affaire Microcaz c. Océanet et S.F.D.I., 29 juin 1999, Tribunal de grande instance du Mans, 1ère Chambre

[20 octobre 1999] " La propriété de la marque s'acquiert par l'enregistrement " : tel est le principe posé par l’article L. 712-1 du Code la propriété intellectuelle. L’enregistrement crée donc la protection. A défaut, aucun droit privatif sur une marque de commerce ne trouverait à s’appliquer. Cette certitude avait jusqu’alors alimenté la plupart des actions en justice visant à faire application de ce droit de propriété sur les noms de domaine incluant une dénomination protégée.

Mais voici qu’une décision du Tribunal de grande instance du Mans vient de tout remettre en question. Les faits sont relativement classiques : une société, la SARL Microcaz, dépose la marque " Océanet " auprès des services de l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle). Elle s’aperçoit qu’une seconde société, l’EURL Océanet, filiale de la société S.F.D.I., utilise le nom de domaine www.oceanet.fr. Or, cette dernière exerce une activité de " provider " située en amont de celle de Microcaz, notamment investie dans la prestation Internet et réseaux. Le risque de confusion entre les deux sociétés est donc important. C’est pourquoi Microcaz assigne les sociétés Océanet et S.F.D.I. en contrefaçon de marque. Outre des dommages et intérêts, elle leur demande naturellement de cesser l’utilisation de la dénomination " Océanet " dans leur nom de domaine. Cette action aurait eu toute les chances d’aboutir si le tribunal n’avait pas reçu favorablement le subtile détail soulevé par la défense : S.F.D.I. utilisait la dénomination " Océanet " sur Internet dès la mi-juillet 1996 alors que le dépôt de Microcaz ne remonte, lui, qu’au 2 septembre 1996. En de pareil circonstances, le tribunal a estimé que le " contrefacteur "  n’était pas la S.F.D.I., mais bien plutôt la société demanderesse !

" Il résulte de ce qui précède que la société S.F.D.I., aux droits de laquelle vient l'E.U.R.L OCEANET, utilisait la dénomination OCEANET comme nom de domaine dès la mi-juillet 1996, soit antérieurement au dépôt par la demanderesse de sa marque complexe reprenant cette dénomination. Par suite, même si son caractère frauduleux n'est pas établi par les pièces du dossier, ce dépôt a été effectué en contravention avec les dispositions de l'article L. 711-4 du C.P.I. et la marque déposée le 2 septembre 1996 sous le numéro 96640553 ainsi que son renouvellement effectué le 16 juin 1998 sous le numéro 98737606 seront déclarés nuls pour indisponibilité du signe. "

Au regard de l’abondante jurisprudence antérieure, Microcaz ne devait pas s’attendre à un tel retournement de situation. La présente décision mérite donc une attention toute particulière, tant au niveau du droit qu’au niveau des faits.

Au niveau du droit, le principe général demeure fixé par l’article L. 712-1 CPI : pas d’enregistrement, pas de droit sur la marque. Pour autant, ce principe se limite à la marque de commerce et ne s’applique pas, a priori, à une enseigne, un nom commercial ou a une dénomination sociale. Or, aux termes de l’article L. 711-4 CPI, celui qui les utilise est réputé avoir acquis des droits sur celles-ci, antérieurement à l’enregistrement d’une marque, sous certaines conditions :

Extrait de l’article L. 711-4

" Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment :

a) A une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle ;

b) A une dénomination ou raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;

c) A un nom commercial ou à une enseigne connus sur l'ensemble du territoire national, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; (…) "

Pourquoi le nom de domaine ne pourrait-il pas être qualifié de dénomination sociale ou d’enseigne  ? Cette interprétation du tribunal en vaut bien une autre. Dans une certaine mesure on se rapproche ici des solutions en vigueur dans l’Amérique du Nord où l’utilisation confère par elle-même un véritable droit sur une marque (article 3 de la Loi canadienne sur les marques de commerce). La portée de cette décision risque donc d’être considérable. Nous conclurons sur cette question : quel sort devra être réservé aux enregistrements de marques effectués postérieurement à l’utilisation d’une dénomination similaire au sein d’un nom de domaine ?

Enfin, au niveau des faits, la décision semble cette fois-ci bien plus critiquable dans la mesure où il semble y avoir eu une véritable confusion entre la notion de " nom de domaine " et celle de " mise en ligne ". Le tribunal relève essentiellement que le site de la S.F.D.I. était bien activé dès la mi-juillet 1996. Mais à aucun moment nous ne pouvons lire dans la décision que la S.F.D.I. utilisait le nom de domaine www.oceanet.fr – ou même www.oceanet.com qu’elle avait vainement essayé d’obtenir aux Etats-Unis – avant la date de constitution de l’EURL Océanet, à savoir le 11 septembre 1999. Avant cette date, le site était sans aucun doute mis en ligne sous un autre nom de domaine, ne comportant par la dénomination " Océanet ". Il nous apparaît donc erroné de conclure que " la société S.F.D.I. (…) utilisait la dénomination Océanet comme nom de domaine depuis la mi-juillet 1996 ". La décision fait d’ailleurs l’objet d’un appel qui s’élève contre cette " erreur de faits ".

L.T.

Références :

Texte du jugement disponible sur Juriscom.net :
http://www.juriscom.net/jurisfr/oceanet.htm.

Annonce sur ZDNet.fr, Yann Dietrich, " Nom de domaine ou marque déposée, c'est l'antériorité qui compte " :
http://www.zdnet.fr/actu/busi/a0011328.html.

Sur les questions relatives à l’acquisition d’un droit sur la marque par son utilisation (au Canada), voir Pierre-Emmanuel Moyse, " Noms de domaine : un pavé dans la marque ", 1997 :
http://www.droit.umontreal.ca/fqculte/cees/doc/moyse_01.html.

Travaux universitaires sur les noms de domaine et le droit des marques en France :
http://www.juriscom.net/universite/memoires.htm.


France : Diffamation, responsabilité des hébergeurs

Affaire AXA c/ Monsieur Christophe M., Monsieur Christophe Sapet (Infonie), 28 septembre 1999, Tribunal de grande instance de Puteaux

[29 novembre 1999] Il y a tout juste un an, le 20 novembre 1998, les sociétés AXA-UAP et FINAXA faisaient constater par huissier l’existence d’un document aux allures diffamatoires accessible sur le site personnel de Christophe M., hébergé chez Infonie. Les sociétés ont donc assigné à la fois le Président du Conseil d’administration d’Infonie, en tant qu’auteur principal, et Christophe M. comme complice.

Le Tribunal de grande instance de Puteaux établit facilement la mauvaise fois de Christophe M. pour qualifier de " diffamatoires " les propos contenus au sein du document litigieux. Mais l’intérêt de l’affaire réside dans l’action en responsabilité contre le Président d’Infonie en tant qu’auteur principal. Assurément, les dispositions de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 prévoient que le directeur de la publication engage sa responsabilité en tant qu’auteur principal toutes les fois que le message diffamatoire a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public. L’article 93-2 précise aussi que, " lorsque le service est fourni par une personne morale ", le directeur de publication est bien " le président que directoire ou du conseil d’administration ". Les juges rappellent néanmoins que le directeur d’un service de communication audiovisuelle est, avant tout, " celui qui peut exercer son contrôle avant la publication, celui qui a la maîtrise du contenu du service ". Le Président d’Infonie peut-il donc être investi de ce rôle ? La réponse du tribunal sera négative pour quatre raisons principales :

1.- le fournisseur de contenus informationnels n’est autre que le créateur de la page personnelle, c’est à dire l’auteur des propos diffamatoires ;

2.- l’hébergeur ne possède aucun maîtrise sur le contenu des informations avant leur mise en ligne ;

3.- le critère de la fixation préalable ne peut être rempli dès lors qu’il n’existe aucun délai entre le transfert de fichiers effectué par l’abonné sur son site Web et la mise à disposition du public du contenu de ces fichiers.

4.- la loi de 1982 édicte une responsabilité " alternative et non cumulative " entre l’auteur et producteur du service. Ce dernier ne peut donc être poursuivi comme auteur principal si l’auteur de l’écrit a également été attrait dans la cause.

Voici quelques extraits significatifs :

" Le fournisseur d’hébergement n’intervient en aucune façon sur l’émission des données, il ne peut pas même en déterminer le thème ni le sujet. Il ne peut non plus ni sélectionner, ni modifier les informations avant leur accessibilité sur l’Internet. "

" (…) le transfert de la page personnel créé par l’abonné à partir de son ordinateur vers le répertoire mis à sa disposition est effectué à une vitesse électronique extrêmement rapide, d’une durée de l’ordre de quelques centièmes de seconde ou dixièmes de seconde de sorte que le fichier transféré par l’abonné est accessible sur le réseau Internet immédiatement après la fin de son transfert par l’abonné. "

"  (…) il apparaît que le fournisseur d’hébergement de pages personnelles n’a aucune maîtrise sur le contenu des informations avant que celles-ci ne soient disponibles sur l’Internet. Il s’en déduit que le fournisseur d’hébergement des pages personnelles ne peut être considéré comme un directeur de publication  ".

" (…) Une fois le traitement informatique d’ouverture du site personnel de l’abonné effectué, il n’existe aucun délai entre l’opération consistant pour l’abonné à transférer un fichier créé par lui et son accessibilité sur Internet. Ce transfert se produit de manière automatique. (…)  Le fichier modifié ou ajouté sur le site de l’abonné n’est pas stocké ou fixé par la société Infonie avant sa mise en ligne par l’abonné sur les pages personnelles ".

Cette décision met donc fin au mythe selon lequel l’hébergeur doit assumer la responsabilité éditoriale définie par la loi de 1982. Jusqu’alors, les précédents jugements refusaient de se prononcer clairement sur ce sujet. L’affaire Valentin Lacambre n’avait d’ailleurs fait qu’embrouiller les commentateurs en raison des circonstances particulières qu’elle présentaient : l’hébergement d’un site anonyme et la mise en cause ambiguë de l’hébergeur (s’agissait-il de la mise en œuvre de la responsabilité de droit commun ou de la responsabilité éditoriale ?). Il nous faut donc saluer la précision et la rigueur de la présente décision.

L.T.

Références :

Texte de la décision disponible sur le site de l’Association des fournisseurs d’accès (AFA) :
http://www.afa-france.com/html/action/jugement.htm

Décision annoncée et commentée sur :
- Le site de l’Association des fournisseurs d’accès (AFA), " Diffamation par une page personnelle, le fournisseur d'hébergement n'est pas directeur de la publication " :
http://www.afa-france.com/html/action/diffamation.htm ;
- Le Journal du Net, Philippe Guerrier, " Affaire Axa contre Infonie: un bon point pour les hébergeurs " :
http://www.journaldunet.com/9910/991004infonie.shtml ;
- Droit-technologie.org, Philippe Vanlangendonck, " Responsabilité des hébergeurs: l'affaire AXA/INFONIE " :
http://www.droit-technologie.org/2_1.asp?actu_id=-443910340&month=10&year=1999 ;
- Droit-technologie.org, Thibault Verbiest, " Affaire Axa/Infonie (suite) : contraire à un arrêt de la Cour de cassation de France ? " :
http://www.droit-technologie.org/2_1.asp?actu_id=1668734349&month=10&year=1999.


France : Base de données, extraction et réutilisation illicite

Affaire SA PRLine c. SA Communication & Sales et SARL NewsInvest, 4 octobre 1999, Tribunal de grande instance de Nanterre

[25 novembre 1999] Soulevée au cours des affaires Electre (E-Law 10) et France Télécom (E-Law 12), la question de la protection des bases de données sur réseaux électroniques ressurgit lors d’un litige opposant deux sociétés spécialisées dans la diffusion d’informations financières.

La SA PRLine retransmet sur son site Internet des communiqués de presse provenant d’entreprises côtés en bourse. De son côté, la société Newsinvest diffuse le même type de communiqués, ainsi qu’un certain nombre d’informations en provenance de la Commission des opérations boursières (COB). Les deux entreprises coexistaient paisiblement jusqu’à ce qu’un constat des agents de l’APP (Agence pour la protection des programmes) confirme les doutes de la première société : plusieurs communiqués présentés sur le site de Newsinvest émanent directement du serveur de PRLine. Celle-ci assigne alors Newsinvest en référé sur deux moyens : l’agissement parasitaire et la protection des bases de données. Le juge ne s’intéressera qu’à la seconde question à propos de laquelle la défense – représentée par Maître Yves Sexer – lui demande de constater :

1. " que les communiqués financiers font partie de l'information financière publique diffusée par les sociétés cotées ;"

et

2. " que le coût de constitution d'une prétendue base de données constituée de ces communiqués publiques provient du coût de numérisation de ces données, qui est faible et qu'il est sérieusement contestable que le contenu du site de PRLINE ait nécessité des investissements financiers matériels ou humains substantiels. "

La première conclusion visait à nier l’existence d’un quelconque droit d’auteur sur les communiqués de presse. Ceux-ci sont d’ailleurs considérés par la COB comme des informations publiques. Cependant, PRLine ne prétendait aucunement détenir un droit de propriété incorporel sur lesdits communiqués. La demande entendait simplement protéger son travail par la mise en œuvre des droits " sui generis " conférés par la nouvelle législation du 1er juillet 1998, à savoir : le droit d’interdire l'extraction du contenu de la base de données et la réutilisation " par la mise à la disposition du public de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle " de ce contenu (article L. 342-1 CPI). Précisons toutefois que le bénéficie de la protection ne peut jouer que si l’élaboration de la base de donnée témoigne d’un investissement substantiel.

Article L. 341-1

" Le producteur d'une base de données, entendu comme la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d'une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel. "

C’est pourquoi la défense conteste, en second lieu, l’existence d’une protection au bénéfice de PRLine sur sa " prétendue base de données " en dévalorisant les investissements effectués par l’entreprise.

Mais – le juge des référés n’étant que juge de l’évidence – le tribunal se refuse à déterminer l’existence d’un investissement substantiel. Il remarque simplement le sérieux de la contestation et renvoie les parties à se pourvoir sur le fond. Maître Nicolas Courtier, l’avocat de PRLine, nous confie cependant qu’il ne sera pas utile de poursuivre la procédure, dès lors que, suite au constat des agents de l’APP, Newsinvest a cessé toute reprise des communiqués diffusés par PRLine. La question de savoir si l’élaboration de la base de données remplissaient bien les exigences de l’article L. 341-1 n’en demeure pas moins intéressante. Certes, il aurait été bien difficile d’admettre que le coût de numérisation des données suffisait à déterminer un effort substantiel. L’investissement de PRLine se limitait-il néanmoins à cette simple opération ? L’effort humain et financier aurait sans doute pu se révéler, par exemple, dans le fait d’envoyer des commerciaux en quête des communiqués de presse.

L. T.

Référence :

Texte du jugement :
http://www.juriscom.net/jurisfr/newsinvest.htm.

Sommaire de E-Law

 

Juriscom.net est une revue juridique créée et éditée par Lionel Thoumyre
Copyright © 1997-2001 Juriscom.net / Copyright © 2000 LexUM