TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANTERRE
Ordonnance de référé
13 octobre 1997
Sté SG2 c. BROKAT.INFORMATIONS SYSTEME GmbH (Allemagne)
Commentaire
(par Yann Dietrich)
Marque PAYLINE
Classes de produits ou de services : 35, 36, 37, 38, 41, 42
La société SG2, spécialisée dans les flux bancaires et
téléservices expose offrir un service de paiement sécurisé par carte sur le réseau
Internet dénommé " Payline " depuis le premier trimestre 1996, avoir
déposé la marque " Payline " le 29 avril 1996 pour les classes 35,
36, 37, 38, 41, 42, avoir déposé cette marque par la voie communautaire le 2 juillet
1997, que le nom de domaine " Payline Com " a été enregistré
par son partenaire, la société Intrinsec, auprès de Network Solutions Inc, avoir appris
en juin 1997 que la société Brokat offrait un service de paiement sécurisé sur le
réseau Internet quelle dénomme " Payline ", que le site
serveur de Brokat, accessible en France, permet davoir accès au site Brokat, que
les copies décran du site de Brokat démontrent que celle-ci dénomme son service
" Payline ", quil sagit de deux services identiques, que
le 15 octobre 1997 doit avoir lieu un colloque au CNIT auquel vont participer les deux
sociétés, que mise en demeure le 11 juin 1997 la société Brokat sest contentée
de demander des renseignements sur les produits de la société SG2, que dénommant son
service sur Internet " Payline ", la société Brokat se rend coupable
de contrefaçon de sa marque, que celle-ci a voulu créer une confusion dans lesprit
de sa clientèle, que laction au fond est introduite et est sérieuse.
La société Brokat soulève lincompétence de ce tribunal
soutenant que selon larticle 5-3° de la Convention de Bruxelles, le choix du
tribunal du lieu de réalisation de léventuel préjudice implique que le juge ne
peut connaître que du seul préjudice de son ressort, à la différence du tribunal du
fait générateur qui a une compétence globale, que le fait générateur se situe en
Allemagne, que la requête de SG2 tend à obtenir linterdiction sur le site
Internet, conduisant à une interdiction mondiale, que seul le tribunal allemand aurait
cette compétence.
Elle soulève la nullité de lassignation qui
naurait pas été remise par huissier au parquet.
Elle soutient que laction na pas été introduite à
bref délai comme lexige larticle L 716-6 du code de la propriété
intellectuelle, que la marque " Payline " est générique et constitue
un terme descriptif du produit proposé, quelle nest pas distinctive et
présente un lien de nécessité avec le service de paiement sur Internet, quen ce
qui la concerne le nom de son domaine est " Brokat.de ", quelle
ne commercialise pas Brokat-Payline en France, et ne peut faire concurrence à SG2, que le
fait quun nom de domaine identique à une marque étrangère, soit présent sur le
territoire français, nest pas une raison suffisante pour en déduire
lexistence dune contrefaçon de marque lorsque les prestations proposées par
le titulaire du site ne sont pas disponibles sur le marché français, que la coexistence
de deux noms de domaines dans deux zones géographiques différentes, reprenant des
marques identiques est licite du fait du principe de territorialité des droits de
propriété industrielle, que vouloir lui interdire de présenter son produit au colloque
du CNIT du 15 octobre reviendrait à violer la liberté dentreprise.
DISCUSSION
Sur la compétence:
Attendu que selon larticle 5-3° de la Convention
de Bruxelles, en matière délictuelle le demandeur doit saisir le tribunal du lieu où le
fait dommageable sest produit ; que cette expression doit sentendre en ce sens
quelle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de
lévénement causal, quil en résulte que le défendeur peut être attrait
devant le tribunal du lieu où le dommage est survenu ou du lieu de lévénement à
lorigine du dommage.
Quainsi la société Brokat pouvait être attrait devant
cette juridiction, que la diffusion dInternet étant par nature mondiale et
accessible en France, le dommage a lieu sur le territoire français ; que par ailleurs le
colloque auquel doit assister Brokat se trouve en France.
Que compétent territorialement, le juge français doit
sanctionner les faits argués de contrefaçon et appliquer les sanctions prévues par le
code de la propriété intellectuelle et quil importe peu que la diffusion sur
Internet soit mondiale, que linverse aurait pour conséquence de nier la protection
dune marque sur le territoire où elle est protégée.
Quil convient de rejeter lexception
dincompétence.
Sur lassignation :
Attendu que la société SG2 justifie avoir délivré une
assignation au Parquet, quelle na fait que délivrer par huissier en Allemagne
une assignation complémentaire afin de sassurer du caractère contradictoire de la
procédure, quainsi le moyen est inopérant.
Sur le fond :
Attendu quaux termes des dispositions de
larticle L716-6 du code de la propriété intellectuelle, lorsque le tribunal est
saisi dune action en contrefaçon, son président, statuant en la forme des
référés peut interdire, à titre provisoire, sous astreinte, la poursuite des actes
argués de contrefaçon si laction au fond apparaît sérieuse et a été engagée
à bref délai à compter du jour où le propriétaire de la marque a eu connaissance des
faits sur lesquels elle est fondée.
Quen lespèce, la société SG2 a eu connaissance
des faits reprochés à la société Brokat en juin 1997, quun échange de courrier
est intervenu ensuite, que lassignation au fond a été livrée à la fin du mois de
septembre, lorsque la société SG2 a appris que la société Brokat participait au
colloque du CNIT le 15 octobre 1997.
Quil convient destimer que laction a été
engagée à bref délai.
Attendu quil ne peut être contesté que la société SG2
est titulaire de la marque " Payline " déposée en avril 1996 à
lINPI, que cette marque, contrairement aux dires de la société Brokat ,
napparaît pas nécessaire, générique et dépourvue de caractère distinctif.
Quen effet, même en langue anglaise, cette dénomination
nest nullement nécessaire pour désigner un service de paiement sécurisé par
carte bancaire.
Que si celle-ci est évocatrice, elle conserve néanmoins son
caractère distinctif.
Attendu que si la société Brokat soutient ne pas
commercialiser en France son service, il nen demeure pas moins que constitue une
contrefaçon la seule reproduction dune marque à lidentique ou
quasi-identique, sans quune commercialisation soit obligée, étant observé que la
reproduction à lidentique de la marque "Payline", par la société Brokat
concerne des services semblables à ceux fournis par la société SG2.
Quil en résulte que laction au fond présente un
caractère sérieux et quil convient de faire droit aux mesures dinterdiction,
ainsi quil est précisé au dispositif de la présente ordonnance.
Attendu que les conditions dapplication des dispositions
de larticle 700 du nouveau code de procédure civile sont réunies et quil
convient dallouer à la société SG2 la somme de 8 000 F.
Attendu quil convient de rappeler que la présente
ordonnance est exécutoire de plein droit.
POUR CES MOTIFS
Statuant, en la forme des référés, en premier ressort,
contradictoirement et publiquement.
Nous déclarons compétent.
Rejetons lexception de nullité.
Interdisons à titre provisoire à la société Brokat
dutiliser à quelque titre que ce soit et sous quelque support la dénomination
"Payline", notamment lors du colloque du 15 octobre 1997 et ce , sous astreinte
de 10 000 F par infraction constatée, passée la signification de la présente
ordonnance.
Lui enjoignons de supprimer toute référence à la
dénomination "Payline" sur quelque support que ce soit, notamment sur le
réseau Internet, dans les 72 heures de la signification de la présente ordonnance, sous
astreinte de 5 000 F par jour de retard.
Condamnons la société Brokat à payer à la société
SG2 la somme de 8 000 F au titre des dispositions de larticle 700 du nouveau code de
procédure civile.
La condamnons aux dépens.