epuis le premier trimestre
1996, la société SG2, spécialisée dans les flux bancaires et téléservices offre un
service de paiement sécurisé par carte sur le réseau Internet dénommé
" Payline ". Cette société a déposé la marque
" Payline " le 29 avril 1996 pour les classes 35,36,37,38,39,40 et 42
en France. Le 2 juillet 1997, la même marque a été déposée par la voie communautaire.
Pour son exploitation, elle a fait enregistrer le nom de domaine " Payline
Com " par son partenaire, la société Intrinsec, auprès du NSI.
En juin 1997, elle a appris que la société Brokat offre un service de
paiement sécurisé sur le réseau Internet quelle dénomme
" Payline ". Le 15 octobre 1997, devant avoir lieu un colloque au CNIT
auquel vont participer les deux sociétés, la société SG2 a mis en demeure la société
BROKAT pour qu'elle cesse de faire usage de la marque protégée. Cette dernière
sest contentée de demander des renseignements sur les produits de la société SG2.
La société SG2 a donc assigné la société Brokat devant les
tribunaux français pour contrefaçon de sa marque en France, le site de la société
allemande étant accessible en France.
La société Brokat soulève lincompétence ce tribunal. En
effet, lapplication de larticle 5-3° de la Convention de Bruxelles implique
que le juge ne peut connaître du seul préjudice de son ressort, à la différence du
tribunal du fait générateur qui a une compétence globale. Ainsi, laction de la
société SG2 tend à obtenir linterdiction sur le site Internet, conduisant à une
interdiction mondiale, que seul un tribunal allemand serait à même de juger.
Les autres moyens des deux parties ne concernent que le droit des
marques et sont tout à fait classiques.
"Attendu que, selon larticle 5-3°
de la Convention de Bruxelles, en matière délictuelle le demandeur doit saisir le
tribunal du lieu où le fait dommageable sest produit ; que cette expression doit
sentendre en ce sens quelle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu
et le lieu de l'événement causal, quil en résulte que le défendeur peut être
attrait devant le tribunal du lieu où le dommage est survenu ou du lieu de l'événement
à lorigine du dommage.
Quainsi, la société Brokat pouvait être attrait devant cette
juridiction, que la diffusion dInternet étant par nature mondiale et accessible en
France, le dommage a lieu sur le territoire français ; que par ailleurs le colloque
auquel doit assister la société Brokat se trouve en France.
Que compétent territorialement, le juge français doit sanctionner les
faits argués de contrefaçon et appliquer les sanctions prévues par le code de la
propriété intellectuelle et quil importe peu que la diffusion sur Internet soit
mondiale, que linverse aurait pour conséquence de nier la protection dune
marque sur le territoire où elle est protégée.
Quil convient de rejeter lexception dincompétence."
Le tribunal a donc ordonné notamment à la société BROKAT de
supprimer toute référence à la dénomination " Payline " sur
quelque support que ce soit et ainsi sur le réseau Internet.
Si la jurisprudence est désormais nombreuse en
matière de conflits entre des noms de domaine et des marques, il sagit là
dun des premiers jugements où les deux parties ne sont pas françaises. En effet,
que ce soit dans laffaire Commune de Saint-Tropez contre Société Eurovirtuel (TGI
Draguignan 21/08/97) ou dautres, le conflit restait sur un plan national. Dans
lespèce, une des parties est allemande et les juges se trouvent par là même
confrontés à linadéquation entre des droits de propriété industrielle, tels que
les marques, et le média Internet qui offre une diffusion par nature internationale.
I - La compétence des juges français en matière de
contrefaçon sur le réseau
La solution est désormais classique et sappuie notamment sur la
jurisprudence liée au droit dauteur. Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de
Paris, dans une ordonnance de référé du 10 juin 1997, a jugé quil était
compétent pour connaître du litige puisque la contrefaçon a été constatée à Paris.
Ainsi, dans la mesure où le contenu dun site Internet peut être reçu en France,
le lieu du dommage situé en France permet aux juges français de se déclarer compétent
sur le fondement de la Convention de Bruxelles. Cependant, lensemble des litiges
soumis aux tribunaux français ne concernaient que des parties françaises.
II - Le cas spécifique des marques
Cette solution jurisprudentielle ne différencie pas le droit
dauteur et les marques. Cependant, dans beaucoup de pays le droit dauteur
naît de la simple création. Ceci confère un caractère extra-national à ce droit qui
naît simultanément dans de nombreux pays. De leur côté, les marques ne sont que des
droits purement territoriaux accordés par un Etat selon différentes modalités. Ainsi,
peuvent coexister deux marques identiques dans différents pays au nom de différents
titulaires, sans que cela pose le moindre problème. Lutilisation dun média
comme Internet heurte directement de principe de territorialité des marques.
En lespèce, pour éclairer les faits, il faut noter que la
société allemande utilisait cette dénomination sur un site dont le nom de domaine est
"brokat.de" et que le 27 mai 1997, c'est à dire avant le dépôt communautaire
de Sg2, elle a déposé en Allemagne la marque "Brokat Payline" auprès du Deutsches
Patentamt. Chacune des parties disposait alors dune marque dans son pays
dorigine. Ainsi, comment juger la reproduction dun terme qui fait l'objet de
droit privatif en France et en Allemagne sur un site Internet ?
Notamment dans le cadre de la convention de Bruxelles où lexequatur
est quasi-automatique, cette décision peut devenir extrêmement dangereuse. Ainsi, le
titulaire dune marque française pourrait agir en contrefaçon à lencontre de
toute société exploitant un site reproduisant la marque et obtenir sa condamnation. Si
lensemble des pays adoptent une telle solution, une société française
reproduisant une marque, par exemple allemande, dans un site pourrait être condamnée en
contrefaçon, alors même quelle disposerait dune marque en France. En effet,
le site serait visualisable en Allemagne, et donc, il y aurait contrefaçon par
reproduction.
Une telle solution ne peut être envisageable sauf à empêcher tout
titulaire de marque dutiliser sa marque sur le réseau sauf sil dispose de
droits dans lensemble des pays de la convention de Bruxelles.
Les juges semblent ignorer une particularité du réseau et du nommage.
Les codes nationaux ISO 31 66 ont été crée dans le but de permettre une localisation de
l'émetteur. En lespèce, la société Brokat, en exploitant un site en
".de", informe de manière évidente tout internaute de sa nationalité. Ce
caractère territorial peut tout à fait coïncider avec le droit des marques. Ainsi,
cette société serait protégée sur son territoire internet par sa marque nationale,
linternaute étant informé de lorigine du site.
Par contre, les noms de domaine génériques, comme les
".com", sont par nature internationaux. Son titulaire, pour pouvoir utiliser en
toute quiétude une marque devrait, donc, se ménager des droits au moins, dans
lensemble des pays de la convention de Bruxelles. Certes, en lespèce les
juges ont pu se faire influencer par lexistence dune marque communautaire.
Cependant, il ne sagit que dun dépôt qui, de plus, a peu de chance de
prospérer à cause de lexistence de la marque allemande de la Société Brokat qui
peut sopposer à cet enregistrement.
En conclusion, une telle jurisprudence paraît critiquable en ce sens
quelle ignore les règles de nommage. En effet, le nommage en code national répond
à des conditions élaborées par une organisation du pays en question. Ce code permet
lindication de manière non équivoque de lorigine du titulaire du nom de
domaine.
Ainsi, en indiquant sa nationalité, un exploitant de site ne devrait
avoir quà se ménager des droits sur son seul territoire. En effet, dans le cas où
la société allemande aurait agit en premier devant les tribunaux allemands, en
appliquant cette jurisprudence, la société française aurait été condamnée, même si
elle avait exploitée un site ".fr".