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Résumé
Une idéologie naissante
Nombres de discours politiques, aux
États-Unis comme en Europe, tentent de promouvoir le développement d'un réseau de
communication informatique au niveau national et international. Or, ceux-ci véhiculent
une idéologie particulière : celle du village planétaire. Les "autoroutes de
l'information" permettraient aux individus de toutes les nations de se rencontrer
dans un lieu particulier, immatériel, aussi facilement que s'ils se trouvaient au sein du
même village. Selon les termes de Negroponte, nous entrons dans une nouvelle ère, plus
respectueuse des individus, de leurs aspirations comme de leur identité. En effet,
l'Internet, souvent présenté comme le précurseur des autoroutes électroniques, n'est
pas un outil de communication ordinaire. Ce nouveau médium permet à chacun d'entre nous
de participer directement à la diffusion de l'information publique. En outre, les
systèmes de commande par courrier électronique assurent une meilleure évaluation des
goûts de l'individu, et permettent de satisfaire sa demande dans de moindres délais.
L'envers du décor
Un succès ne vient jamais seul. Alors que
l'ère digitale est censée améliorer le bien-être des individus, l'Internet devient la
proie des pédophiles, des terroristes, des mouvements racistes ou révisionnistes.
Ceux-ci utilisent le réseau pour la diffusion de messages à caractère pornographique,
violent ou diffamatoire. La totale liberté d'expression régnant sur l'Internet semble
être remise en cause par ce genre d'abus. Une telle situation pourrait nécessiter la
régulation des messages publics diffusés sur le réseau, voire une nouvelle
réglementation.
L'Internet "hors la loi" ?
Cependant, selon les Libertaires, tout ce
qui transite sur le réseau appartiendrait au monde virtuel, un monde d'information, un
espace immatériel qui se joue de nos frontières nationales. En conséquence, le
cyberespace, ou espace de communication, ne doit pas être appréhendé par les lois
réglementant le monde physique. En outre, même si notre culture juridique devait
s'appliquer au cyberespace, les particularité techniques de l'Internet feraient obstacle
à l'efficacité de nos systèmes réglementaires nationaux. En bref, l'Internet semble
dépasser nos cadres de pensée traditionnels.
Quand réglementer devient nécessaire - esquisse d'un
nouveau paradigme de réglementation
Malgré tout, le monde virtuel de
l'Internet empiète sur notre monde réel, dès lors que certains messages sont
susceptibles de choquer la sensibilité des individus, personnes physiques. Plus grave
encore, l'ordre public ou la sécurité nationale de toute une nation, identifiée par ses
frontières physiques et ses ressortissants, pourraient être remise en cause par certains
messages terroristes ou violents. En conséquence, il est devenu primordial de contrôler
ce genre de messages et de définir un nouveau paradigme de régulation susceptible de
dépasser les difficultés soulevées par les particularités techniques de l'Internet. Il
devra tenir compte, entre autre, de l'aspect polycentrique (décentralisé) et acentrique
(global) de ce nouveau médium et, par conséquent, de l'environnement international. En
esquissant ce nouveau paradigme, l'on découvre que l'Internet est un média interactif
permettant aux individus de mieux se prendre en charge que dans un environnement
médiatique traditionnel (télévision, radio).
Comment légitimer la réglementation face au principe de
Liberté d'expression ?
Les Libertaires avancent cette fois-ci un
argument de nature réellement juridique : la diffusion de la pensée, de l'opinion et, de
manière générale, l'exercice de la parole, sont protégés par nombre de déclarations
des Droits de l'Homme ou de constitutions. En effet, la réglementation d'un nouveau
médium d'information pourrait être illégitime au regard de l'article 19 de la
Déclaration Universelle de 1948, de l'article 10 de la Convention Européenne des Droit
de l'Homme ou du premier amendement des États-Unis, consacrant un droit à la liberté
d'expression. Cependant, un tel principe comprend certaines exceptions, au regard
desquelles les media traditionnels ont déjà été réglementés, en fonction de leurs
caractéristiques propres. Pourquoi les restrictions à la liberté d'expression ne
s'appliqueraient-elles pas à l'Internet ? Le débat fut récemment relancé aux
États-Unis lorsqu'un projet de loi, le Communication Decency Act (Loi sur la
Communication Indécente), a été adoptée par le Congrès Américain. Il n'est pas
certain que la loi reçoive l'assentiment des juges de la Court Suprême, notamment en
raison de son imprécision. Quoiqu'il en soit, la régulation judiciaire ou la
réglementation législative de l'Internet nous apparaissent légitimes, à condition
toutefois que les autorités tiennent compte des particularités du médium en cause.
Définition d'un cadre réglementaire
Maintenant que la régulation juridique
de l'Internet apparaît possible et légitime, sous réserve de tenir compte de ses
particularités techniques, il s'agit d'analyser de quelle manière le droit positif est
susceptible d'appréhender les messages abusifs diffusés au travers du réseau. Il s'agit
avant tout de délimiter le cadre légal applicable à la diffusion des messages publics
sur le réseau. En effet, l'Internet permet à la fois de recevoir et d'envoyer des
messages à caractère public et privé. Or, à ces deux catégories de messages
correspondent deux systèmes juridiques distincts. Les messages publics relèvent plus
spécialement de la réglementation concernant la liberté d'expression, alors que les
messages privés se heurtent au principe du secret de la vie privée. Nous considérons
qu'est public un message diffusé à partir de certains services (BBS, Newsgroups, sites
web), dès lors qu'il s'adresse et atteint un nombre indéfini de personnes.
Adaptation des règles de droit existantes aux problèmes
du réseau
Or, de tels messages peuvent être
facilement appréhendés par certaines de nos lois, dont le but est de réglementer la
diffusion de certains messages, sans tenir compte du media utilisé. Incontestablement,
par leur caractère général, ces lois s'appliquent au phénomène Internet. Elles
interdisent, entre autre, de nuire aux droits d'autrui (droit d'auteurs, droit à la
réputation), de menacer l'ordre public ou la sécurité nationale, et de porter atteinte
aux bonnes moeurs ou à la santé publique. Notons que dans certains cas, la législation
américaine s'apparente à peu de chose près à celle de la France. Ainsi, les abus
existant sur l'Internet, sont susceptibles de rencontrer des incriminations déjà
existantes.
Pour rendre effectives nos règles de droit -
approfondissement du nouveau paradigme de réglementation
De ce point de vue, aucune innovation
législative n'est requise. Cependant, comme nous l'avons déjà remarqué en contestant
l'argumentation des Libertaires, le problème se situe essentiellement au niveau de
l'application du droit et de son effectivité. Ceci nous avait conduit à envisager
l'élaboration d'un nouveau paradigme de régulation. L'efficacité de la réglementation
juridique se mesurera notamment devant les tribunaux. De quelle manière les juges
peuvent-ils mettre en oeuvre le droit positif ?
Identification des acteurs responsables
Derrière le cyberespace, plusieurs
acteurs sont susceptibles d'être juridiquement responsables de la diffusion de messages
à caractère illicite : les utilisateurs courants, les directeurs de services Internet
(BBS, Newsgroups, sites web...), les fournisseurs d'accès et les transporteurs
d'information (ex. France Télécom, Bell Atlantic, Belgacom...). Certains des acteurs ne
pourront manifestement pas être appréhendés pour des raisons techniques, pratiques ou
juridiques. Par élimination, les fournisseurs d'accès semblent être les plus exposés
à la menace pénale. Or, il nous faut encore déterminer à quel degré de
responsabilité pénale ils devront être soumis. A ce stade nous raisonnerons par
analogies juridiques afin de déterminer un système de responsabilité adapté à chacune
des quatre catégories de fournisseurs d'accès que nous auront défini. En effet,
certains fournisseurs ne devront assumer qu'un degré limité de responsabilité, alors
que d'autres devront parfois être assimilés aux services éditoriaux des journaux et
assumer, en tant que tels, un degré de responsabilité supérieur. Mais la jurisprudence
n'est pas encore bien fixée. Entre temps, les législateurs américains et français sont
intervenus pour fixer un système de responsabilité particulier, adapté aux acteurs de
l'Internet. Ces lois, le CDA et l'amendement Fillon, ont été prises dans la
précipitation et n'ont pas entièrement tenu compte de la nécessité d'adopter un
nouveau paradigme de régulation. En effet, le législateur, dont la mission est de créer
de nouvelles réglementations, comme le juge, qui les applique, devront tenir compte des
points suivants : l'Internet est un système décentralisé et global, il est situé
dans un environnement international et il est un outil de communication interactif
permettant une autorégulation. Ce nouveau paradigme aura été défini tout au long
de ce mémoire.
La solution contractuelle
Nous pensons qu'en l'absence d'une
réglementation internationale, le meilleur moyen de répondre aux exigences d'un tel
paradigme serait de promouvoir un système de régulation contractuel et d'inciter à
l'adoption des moyens d'autorégulation (logiciels filtre, médiateurs, éthique interne).
A notre avis, la promotion d'un système contractuel nous semble d'autant plus justifié
que l'environnement technique de l'Internet permet une meilleure responsabilisation des
individus, dont l'attitude diffère suivant l'outil de communication qu'ils utilisent .
Pour paraphraser Alain Bourdin* , nous dirons qu'au lieu de formuler des jugement de
valeur sur les messages diffusés sur l'Internet, nous ferions mieux d'étudier la façon
dont nous nous comportons devant le médium. Or, l'information diffusée sur l'Internet
est moins envahissante que celle diffusée par l'intermédiaire de la radio ou de la
télévision. L'individu est plus enclin à choisir réellement l'information qu'il
désire recevoir : aucun texte, aucune image ne lui est spontanément imposée,
contrairement à l'effet de zapping caractérisant le poste de télévision.
La participation des autorités
Mais la solution contractuelle ne résout
pas le problème des messages terroristes ou pédophiles. Par des moyens détournés, et
par l'utilisation des services de communication privée proposés par l'Internet
(e-mail...), ceux-ci se constituent en véritables réseaux menaçant l'ordre public et la
sécurité nationale. C'est à ce niveau que les autorités et le législateur devront
essentiellement agir, en collaboration avec les fournisseurs d'accès. Mais une telle
réglementation atteint plus précisément le cadre de la vie privée et sort de notre
problématique.
* Alain Bourdin, Mac Luhan, Paris, Psychothèque, éditions
universitaires, 1970, p. 29 : "Au lieu de formuler des jugement de valeur sur les
programmes de télévision nous ferions mieux d'étudier la façon dont nous nous
comportons devant le récepteur, cela nous instruirait bien plus".