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 Rubrique : mémoires

Abuses in the Cyberspace

de Lionel Thoumyre

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Résumé 

Une idéologie naissante

Nombres de discours politiques, aux États-Unis comme en Europe, tentent de promouvoir le développement d'un réseau de communication informatique au niveau national et international. Or, ceux-ci véhiculent une idéologie particulière : celle du village planétaire. Les "autoroutes de l'information" permettraient aux individus de toutes les nations de se rencontrer dans un lieu particulier, immatériel, aussi facilement que s'ils se trouvaient au sein du même village. Selon les termes de Negroponte, nous entrons dans une nouvelle ère, plus respectueuse des individus, de leurs aspirations comme de leur identité. En effet, l'Internet, souvent présenté comme le précurseur des autoroutes électroniques, n'est pas un outil de communication ordinaire. Ce nouveau médium permet à chacun d'entre nous de participer directement à la diffusion de l'information publique. En outre, les systèmes de commande par courrier électronique assurent une meilleure évaluation des goûts de l'individu, et permettent de satisfaire sa demande dans de moindres délais.
 

L'envers du décor

Un succès ne vient jamais seul. Alors que l'ère digitale est censée améliorer le bien-être des individus, l'Internet devient la proie des pédophiles, des terroristes, des mouvements racistes ou révisionnistes. Ceux-ci utilisent le réseau pour la diffusion de messages à caractère pornographique, violent ou diffamatoire. La totale liberté d'expression régnant sur l'Internet semble être remise en cause par ce genre d'abus. Une telle situation pourrait nécessiter la régulation des messages publics diffusés sur le réseau, voire une nouvelle réglementation.
 

L'Internet "hors la loi" ?

Cependant, selon les Libertaires, tout ce qui transite sur le réseau appartiendrait au monde virtuel, un monde d'information, un espace immatériel qui se joue de nos frontières nationales. En conséquence, le cyberespace, ou espace de communication, ne doit pas être appréhendé par les lois réglementant le monde physique. En outre, même si notre culture juridique devait s'appliquer au cyberespace, les particularité techniques de l'Internet feraient obstacle à l'efficacité de nos systèmes réglementaires nationaux. En bref, l'Internet semble dépasser nos cadres de pensée traditionnels.
 

Quand réglementer devient nécessaire - esquisse d'un nouveau paradigme de réglementation

Malgré tout, le monde virtuel de l'Internet empiète sur notre monde réel, dès lors que certains messages sont susceptibles de choquer la sensibilité des individus, personnes physiques. Plus grave encore, l'ordre public ou la sécurité nationale de toute une nation, identifiée par ses frontières physiques et ses ressortissants, pourraient être remise en cause par certains messages terroristes ou violents. En conséquence, il est devenu primordial de contrôler ce genre de messages et de définir un nouveau paradigme de régulation susceptible de dépasser les difficultés soulevées par les particularités techniques de l'Internet. Il devra tenir compte, entre autre, de l'aspect polycentrique (décentralisé) et acentrique (global) de ce nouveau médium et, par conséquent, de l'environnement international. En esquissant ce nouveau paradigme, l'on découvre que l'Internet est un média interactif permettant aux individus de mieux se prendre en charge que dans un environnement médiatique traditionnel (télévision, radio).
 

Comment légitimer la réglementation face au principe de Liberté d'expression ?

Les Libertaires avancent cette fois-ci un argument de nature réellement juridique : la diffusion de la pensée, de l'opinion et, de manière générale, l'exercice de la parole, sont protégés par nombre de déclarations des Droits de l'Homme ou de constitutions. En effet, la réglementation d'un nouveau médium d'information pourrait être illégitime au regard de l'article 19 de la Déclaration Universelle de 1948, de l'article 10 de la Convention Européenne des Droit de l'Homme ou du premier amendement des États-Unis, consacrant un droit à la liberté d'expression. Cependant, un tel principe comprend certaines exceptions, au regard desquelles les media traditionnels ont déjà été réglementés, en fonction de leurs caractéristiques propres. Pourquoi les restrictions à la liberté d'expression ne s'appliqueraient-elles pas à l'Internet ? Le débat fut récemment relancé aux États-Unis lorsqu'un projet de loi, le Communication Decency Act (Loi sur la Communication Indécente), a été adoptée par le Congrès Américain. Il n'est pas certain que la loi reçoive l'assentiment des juges de la Court Suprême, notamment en raison de son imprécision. Quoiqu'il en soit, la régulation judiciaire ou la réglementation législative de l'Internet nous apparaissent légitimes, à condition toutefois que les autorités tiennent compte des particularités du médium en cause.
 

Définition d'un cadre réglementaire

Maintenant que la régulation juridique de l'Internet apparaît possible et légitime, sous réserve de tenir compte de ses particularités techniques, il s'agit d'analyser de quelle manière le droit positif est susceptible d'appréhender les messages abusifs diffusés au travers du réseau. Il s'agit avant tout de délimiter le cadre légal applicable à la diffusion des messages publics sur le réseau. En effet, l'Internet permet à la fois de recevoir et d'envoyer des messages à caractère public et privé. Or, à ces deux catégories de messages correspondent deux systèmes juridiques distincts. Les messages publics relèvent plus spécialement de la réglementation concernant la liberté d'expression, alors que les messages privés se heurtent au principe du secret de la vie privée. Nous considérons qu'est public un message diffusé à partir de certains services (BBS, Newsgroups, sites web), dès lors qu'il s'adresse et atteint un nombre indéfini de personnes.
 

Adaptation des règles de droit existantes aux problèmes du réseau

Or, de tels messages peuvent être facilement appréhendés par certaines de nos lois, dont le but est de réglementer la diffusion de certains messages, sans tenir compte du media utilisé. Incontestablement, par leur caractère général, ces lois s'appliquent au phénomène Internet. Elles interdisent, entre autre, de nuire aux droits d'autrui (droit d'auteurs, droit à la réputation), de menacer l'ordre public ou la sécurité nationale, et de porter atteinte aux bonnes moeurs ou à la santé publique. Notons que dans certains cas, la législation américaine s'apparente à peu de chose près à celle de la France. Ainsi, les abus existant sur l'Internet, sont susceptibles de rencontrer des incriminations déjà existantes.
 

Pour rendre effectives nos règles de droit - approfondissement du nouveau paradigme de réglementation

De ce point de vue, aucune innovation législative n'est requise. Cependant, comme nous l'avons déjà remarqué en contestant l'argumentation des Libertaires, le problème se situe essentiellement au niveau de l'application du droit et de son effectivité. Ceci nous avait conduit à envisager l'élaboration d'un nouveau paradigme de régulation. L'efficacité de la réglementation juridique se mesurera notamment devant les tribunaux. De quelle manière les juges peuvent-ils mettre en oeuvre le droit positif ?
 

Identification des acteurs responsables

Derrière le cyberespace, plusieurs acteurs sont susceptibles d'être juridiquement responsables de la diffusion de messages à caractère illicite : les utilisateurs courants, les directeurs de services Internet (BBS, Newsgroups, sites web...), les fournisseurs d'accès et les transporteurs d'information (ex. France Télécom, Bell Atlantic, Belgacom...). Certains des acteurs ne pourront manifestement pas être appréhendés pour des raisons techniques, pratiques ou juridiques. Par élimination, les fournisseurs d'accès semblent être les plus exposés à la menace pénale. Or, il nous faut encore déterminer à quel degré de responsabilité pénale ils devront être soumis. A ce stade nous raisonnerons par analogies juridiques afin de déterminer un système de responsabilité adapté à chacune des quatre catégories de fournisseurs d'accès que nous auront défini. En effet, certains fournisseurs ne devront assumer qu'un degré limité de responsabilité, alors que d'autres devront parfois être assimilés aux services éditoriaux des journaux et assumer, en tant que tels, un degré de responsabilité supérieur. Mais la jurisprudence n'est pas encore bien fixée. Entre temps, les législateurs américains et français sont intervenus pour fixer un système de responsabilité particulier, adapté aux acteurs de l'Internet. Ces lois, le CDA et l'amendement Fillon, ont été prises dans la précipitation et n'ont pas entièrement tenu compte de la nécessité d'adopter un nouveau paradigme de régulation. En effet, le législateur, dont la mission est de créer de nouvelles réglementations, comme le juge, qui les applique, devront tenir compte des points suivants : l'Internet est un système décentralisé et global, il est situé dans un environnement international et il est un outil de communication interactif permettant une autorégulation. Ce nouveau paradigme aura été défini tout au long de ce mémoire.
 

La solution contractuelle

Nous pensons qu'en l'absence d'une réglementation internationale, le meilleur moyen de répondre aux exigences d'un tel paradigme serait de promouvoir un système de régulation contractuel et d'inciter à l'adoption des moyens d'autorégulation (logiciels filtre, médiateurs, éthique interne). A notre avis, la promotion d'un système contractuel nous semble d'autant plus justifié que l'environnement technique de l'Internet permet une meilleure responsabilisation des individus, dont l'attitude diffère suivant l'outil de communication qu'ils utilisent . Pour paraphraser Alain Bourdin* , nous dirons qu'au lieu de formuler des jugement de valeur sur les messages diffusés sur l'Internet, nous ferions mieux d'étudier la façon dont nous nous comportons devant le médium. Or, l'information diffusée sur l'Internet est moins envahissante que celle diffusée par l'intermédiaire de la radio ou de la télévision. L'individu est plus enclin à choisir réellement l'information qu'il désire recevoir : aucun texte, aucune image ne lui est spontanément imposée, contrairement à l'effet de zapping caractérisant le poste de télévision.
 

La participation des autorités

Mais la solution contractuelle ne résout pas le problème des messages terroristes ou pédophiles. Par des moyens détournés, et par l'utilisation des services de communication privée proposés par l'Internet (e-mail...), ceux-ci se constituent en véritables réseaux menaçant l'ordre public et la sécurité nationale. C'est à ce niveau que les autorités et le législateur devront essentiellement agir, en collaboration avec les fournisseurs d'accès. Mais une telle réglementation atteint plus précisément le cadre de la vie privée et sort de notre problématique.

 

* Alain Bourdin, Mac Luhan, Paris, Psychothèque, éditions universitaires, 1970, p. 29 : "Au lieu de formuler des jugement de valeur sur les programmes de télévision nous ferions mieux d'étudier la façon dont nous nous comportons devant le récepteur, cela nous instruirait bien plus".

 


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