Propos sur les conflits entre nom de ville et nom de
domaine
Gérard HAAS |
Olivier de TISSOT |
DJCE - Docteur en droit |
HEC - Docteur en droit |
Avocat à la Cour |
Professeur à l' ESSEC |
1 -. Quel
citoyen de la société de consommation, en Europe ou ailleurs, ne connaît pas le nom de
Saint-Tropez ? Qui n'a pas entendu un jour parler de ses fêtes, de ses stars, de son quai
des milliardaires ? Petit village provençal mis à la mode, d'abord par quelques peintres
et écrivains, ensuite par les vedettes du show-biz et les happy-few de la Jet Society sa
notoriété fut consacrée dans les années 60 par le film-culte "Et Dieu créa la
femme" entièrement tourné sur place, et elle est aujourd'hui mondiale.
2 -. En notre époque d'hypermédiativité, qui
dit notoriété dit valeur commerciale. Aussi la municipalité de Saint-Tropez
décida-t-elle au début des années 90 de ne pas laisser cette valeur commerciale à la
disposition du premier venu, puisque le nom de Saint-Tropez était mondialement connu, il
convenait alors d'en réserver l'usage à ses justes propriétaires : les habitants de la
commune, représentés par leur municipalité, et c'est ainsi que la commune de
Saint-Tropez, personne morale de droit public, déposa le nom de " Saint-Tropez
" comme marque à l'INPI, dans les 42 classes de produits et services, en
octobre 1992, et décida, deux ans plus tard, de poursuivre tous les éventuels
contrefacteurs de sa marque. L'objectif était, si l'on en croit l'avocat de la commune
cité par un quotidien national (1), de faire condamner tous ceux
"qui utilisent le nom de Saint-Tropez non pas comme la désignation normale du lieu
mais en raison de sa notoriété et de sa force d'attraction pour développer leurs ventes
alors qu'ils ne sont pas eux-mêmes tropéziens."
3 - En mai 1996, la commune de Saint-Tropez
confie à la société française Eurovirtuel la tâche de créer et de gérer un site
Internet destiné à fournir aux internautes les services de son Office du Tourisme. Le
site avait pour nom de domaine (2) "www.nova.fr/Saint-Tropez"
mais les relations entre Eurovirtuel et la commune étant rompues, Eurovirtuel créa
alors, en décembre 1996, un nouveau site Internet, localisé matériellement aux U.S.A.,
avec le nom de domaine www.Saint-Tropez.com
(3) ce site fournissait apparemment (voir les pages d'accueil des deux
sites) les mêmes services que le premier, en plus complet. La commune de Saint-Tropez
saisit alors le Tribunal de grande instance de Draguignan, en mars 1997, d'une action en
contrefaçon visant d'une part à faire interdire à Eurovirtuel "d'utiliser sa
marque dans la dénomination de son adresse Internet", d'autre part à la
faire condamner à lui verser 500.000 francs de dommages-intérêts.
5 - Le 21 août 1997, le Tribunal de grande instance de Draguignan
condamnait Eurovirtuel pour contrefaçon de la marque "Saint-Tropez" par la
création sur un site Internet d'une adresse comportant la dénomination Saint-Tropez, et,
en conséquence, faisait interdiction à Eurovirtuel de continuer à utiliser la marque
Saint-Tropez dans la dénomination de son adresse Internet, et allouait 100.000 francs de
dommages-intérêts à la commune de Saint-Tropez (outre 15.000 francs de
dommages-intérêts au titre de l'article 700 NCPC). Ce jugement eut droit aux honneurs de
la presse généraliste (4) autant qu'à ceux des revues juridiques (5), et des commentaires qu'il suscita se dégage l'impression que la
condamnation d'Eurovirtuel marquait un juste triomphe du droit de la marque sur celui,
beaucoup plus flou, du nom de domaine.
6 -. Cependant, à l'heure où l'on est seulement
au début de l'essor du "commerce électronique sur Internet", essor que
tous les spécialistes s'accordent à prédire formidable (6), une
lecture attentive du jugement du Tribunal de Grande instance de Draguignan incite à se
poser un certain nombre de questions sur l'utilisation du droit de la marque pour
protéger le nom d'une commune (ou de toute autre collectivité territoriale), questions
dont les solutions risquent d'avoir une incidence très importante sur la création et la
gestion des sites Internet, des noms de domaine, des annuaires électroniques et des
moteurs de recherche sur Internet. On remarquera tout d'abord que la commune de
Saint-Tropez n'a pas agi en concurrence déloyale ou parasitisme contre Eurovirtuel, ce
qui paraissait pourtant assez logique vu les faits incriminés.
7 - En utilisant un nom de domaine assez
semblable à celui du site de la commune, et en reprenant la même photo de Saint-Tropez
sur la page d'accueil de son site, Eurovirtuel pouvait être assez facilement convaincue
d'avoir volontairement établi une confusion entre les deux sites, car le fait d'avoir
indiqué en petits caractères sur son propre site "Non official site. 100%
independant from the french village" n'aurait vraisemblablement pas suffi à établir
sa bonne foi. Mais c'est la voie de la contrefaçon (civile, et non pénale) que la
commune a choisie, et c'est ce choix qui, selon nous, pose problème.
8 - Sur l'utilisation d'un nom géographique
comme marque ou élément d'une marque, le Code de la Propriété intellectuelle
l'autorise dés lors que le nom géographique ne constitue ni une appellation d'origine ni
une indication de provenance (7). Un nom de lieu par exemple, ne
constitue une indication de provenance "que si ce lieu est connu du public comme
étant spécialisé dans le produit couvert par la marque" (8). Si
le nom de lieu désigne la nature et l'origine géographique des produits désignés dans
l'acte de dépôt de la marque, il est bien descriptif, et doit être interdit. En effet,
"ce nom de lieu doit rester à la disposition de tous les commerçants exerçant ou
pouvant exercer leur activité dans la branche et dans la région considérée",
comme il a été jugé à l'occasion du dépôt de la marque "Coutellerie de
Savoie", dépôt refusé (9).
9 - La ville de Saint-Tropez n'étant connue pour
être spécialisée dans aucun produit spécifique, la dénomination Saint-Tropez peut
donc être utilisée dans une marque (sous réserve de l'application de l'article L 714-4,
h, du Code de propriété intellectuelle dont nous parlerons plus loin). C'est seulement
si cette dénomination devient déceptive, en trompant le public sur la provenance
géographique du produit ou du service commercialisé sous cette dénomination qu'elle ne
pourra plus être utilisée comme marque ou élément de marque (10).
C'est donc à bon droit que la commune de Saint-Tropez a fait annuler la marque "La
Pizza de Saint-Tropez" d'un fabriquant de produits surgelés du Vaucluse, et a fait
condamner à 70.000 francs de dommages-intérêts une société viticole qui utilisait le
nom de Saint-Tropez sur les étiquettes de ses bouteilles, alors que son vin était
embouteillé en dehors de la commune (11). Faut-il alors en conclure
que, dés lors qu'une personne dépose une marque contenant les termes Saint-Tropez, sans
tromper le public, la commune de Saint-Tropez peut lui opposer son propre dépôt de
marque ? Ne pourrait-on pas répliquer à la commune que le nom de Saint-Tropez est dans
le domaine public, qu'il appartient à tout le monde ?
10 - Si l'on examine la jurisprudence sur
l'utilisation de noms à la fois patronymiques et géographiques (très répandus en
France), on peut mettre en évidence le fait qu'un nom géographique appartient
normalement à tout le monde, qu'il est "dans le domaine public", comme les
termes usuels de la langue française. Ainsi a-t-il été jugé à l'occasion de
l'utilisation du nom de "Luynes" pour désigner des produits de beauté que ce
nom ne "tombait pas dans le domaine public" du fait de son attribution à une
rue car il s'agissait de celui d'une famille célèbre (12), ce qui
signifie, a contrario, que, lorsqu'il ne s'agit pas d'un nom célèbre, le nom
géographique est bien dans le domaine public. Et si l'on prend l'hypothèse d'un
romancier n'habitant pas Saint-Tropez qui publierait des romans sous le pseudonyme de
Saint-Tropez, et ouvrirait ensuite un site Internet destiné à ses lecteurs en insérant
dans son nom de domaine l'expression Saint-Tropez, comment imaginer que la commune de
Saint-Tropez puisse le lui interdire au prétexte de son dépôt de la marque Saint-Tropez
dans les classes 16 (papier, carton et produits en ces matières non compris dans les
autres classes) et 38 (télécommunications) ?
11 - Le législateur est d'ailleurs bien
conscient de ce fait puisqu'il a prévu une règle spécifique permettant aux
collectivités territoriales de se protéger contre un emploi abusif de leur nom : depuis
1991, l'article L 711-4, h, du Code de propriété intellectuelle interdit d'adopter comme
marque un signe portant "atteinte au nom, à l'image ou à la renommée d'une
collectivité territoriale". On notera qu'il ne s'agit pas d'une interdiction
générale et discrétionnaire : il faut que la marque soit susceptible de porter
"atteinte", c'est à dire de causer un préjudice à la collectivité
territoriale concernée (13). Mais dans l'espèce soumise au Tribunal de
grande instance de Draguignan, la commune de Saint-Tropez ne pouvait pas fonder son action
sur l'article L 711-4 Code de propriété intellectuelle, car Eurovirtuel n'avait pas
déposé de marque contenant les termes "Saint-Tropez", un nom de domaine n'est
pas une marque (14).
12 - Sur le dépôt de la marque Saint-Tropez dans
toutes les classes, on peut aussi se demander s'il n'y a pas là un véritable
détournement de la législation sur les marques. Il faut rappeler qu'une marque est faite
pour être exploitée, et non pour empêcher un concurrent éventuel d'utiliser un signe
distinctif séduisant pour la clientèle. C'est d'ailleurs pour cette raison que la loi a
prévu la déchéance du titulaire de la marque en cas d'inexploitation pendant 5 ans (15). On peut difficilement croire qu'en 1992 la commune de Saint-Tropez
envisageait d'utiliser dans les cinq années suivantes la marque Saint-Tropez dans toutes
les classes de produits et services. La commune de Saint-Tropez n'est pas une de ces
entreprises géantes visant à se diversifier dans tous les secteurs économiques, dont on
peut admettre, à la rigueur, qu'elles déposent une marque dans toutes les classes. En
fait, par ce dépôt, la commune de Saint-Tropez visait seulement à se donner des armes
juridiques commodes pour interdire toute utilisation de son nom sans son aval, aval
discrétionnaire et non soumis aux limitations de l'article L 711-4, Code de propriété
intellectuelle., on peut aussi se demander s'il n'y a pas là un véritable
détournement de la législation sur les marques. Il faut rappeler qu'une marque est faite
pour être exploitée, et non pour empêcher un concurrent éventuel d'utiliser un signe
distinctif séduisant pour la clientèle. C'est d'ailleurs pour cette raison que la loi a
prévu la déchéance du titulaire de la marque en cas d'inexploitation pendant 5 ans (15). On peut difficilement croire qu'en 1992 la commune de Saint-Tropez
envisageait d'utiliser dans les cinq années suivantes la marque Saint-Tropez dans toutes
les classes de produits et services. La commune de Saint-Tropez n'est pas une de ces
entreprises géantes visant à se diversifier dans tous les secteurs économiques, dont on
peut admettre, à la rigueur, qu'elles déposent une marque dans toutes les classes. En
fait, par ce dépôt, la commune de Saint-Tropez visait seulement à se donner des armes
juridiques commodes pour interdire toute utilisation de son nom sans son aval, aval
discrétionnaire et non soumis aux limitations de l'article L 711-4, Code de propriété
intellectuelle., on peut aussi se demander s'il n'y a pas là un véritable
détournement de la législation sur les marques. Il faut rappeler qu'une marque est faite
pour être exploitée, et non pour empêcher un concurrent éventuel d'utiliser un signe
distinctif séduisant pour la clientèle. C'est d'ailleurs pour cette raison que la loi a
prévu la déchéance du titulaire de la marque en cas d'inexploitation pendant 5 ans (15). On peut difficilement croire qu'en 1992 la commune de Saint-Tropez
envisageait d'utiliser dans les cinq années suivantes la marque Saint-Tropez dans toutes
les classes de produits et services. La commune de Saint-Tropez n'est pas une de ces
entreprises géantes visant à se diversifier dans tous les secteurs économiques, dont on
peut admettre, à la rigueur, qu'elles déposent une marque dans toutes les classes. En
fait, par ce dépôt, la commune de Saint-Tropez visait seulement à se donner des armes
juridiques commodes pour interdire toute utilisation de son nom sans son aval, aval
discrétionnaire et non soumis aux limitations de l'article L 711-4, Code de propriété
intellectuelle.
13 - La commune de Saint-Tropez attaqua
Eurovirtuel sur la base de la protection de sa marque déposée dans la classe 38
-"Télécommunications" - où elle semblait avoir effectivement une activité de
service, puisqu'elle avait créé en 1996, par l'intermédiaire d'Eurovirtuel, un site
Internet diffusant les mêmes renseignements et proposant les mêmes services que son
Office du tourisme.
14 - Mais il faut alors se demander si un site
Internet est bien un produit ou un service, au sens du droit des marques. Un site Internet
n'est-il pas plutôt un local virtuel, comme un bureau ou un magasin, où l'on peut
acquérir des produits ou des services ? Dés lors, le nom de domaine du site ne concerne
pas un produit ou un service, il n'est que l'adresse de ce local virtuel, au sens d'une
adresse postale. La Cour de Cassation a déjà affirmé que "l'utilisation d'un nom
géographique déposé comme marque, uniquement comme adresse postale d'une société qui
y est effectivement localisée, ne constitue pas une contrefaçon" (16).
On pourra objecter que le site d'Eurovirtuel n'était pas localisé à Saint-Tropez, mais
aux U.S.A. Mais l'objection tombe si l'on se rappelle que le Tribunal de Grande instance
de Draguignan reconnaît lui-même que "il ne saurait être disconvenu que
l'exécution des prestations développées sur le site Internet (d'Eurovirtuel) ne
puissent être exécutées notamment dans le ressort de la juridiction du Tribunal de
grande instance de Draguignan, nonobstant leur lieu d'émission." Sur le réseau
Internet la localisation matérielle du site est sans importance, seule compte sa
localisation électronique, son adresse Internet, où tous les internautes peuvent venir
le consulter. Un site Internet ne devrait donc pas pouvoir être considéré comme un
produit ou un service commercialisable au sens du droit des marques, et l'on ne devrait
pas pouvoir protéger son nom de domaine par une action en contrefaçon.
15 - Le site Eurovirtuel offrait des services
rentrant dans le cadre de ceux offerts par le site de la commune de Saint-Tropez et par
son Office du Tourisme : liste des hôtels, restaurants, cabarets, adresses utiles : sites
historiques et culturels à visiter etc. Ces services étant destinés aux futurs
visiteurs de Saint-Tropez, Eurovirtuel était obligée d'indiquer aux internautes que son
site concernait la ville de Saint-Tropez, et il fallait donc bien qu'il utilise la
dénomination Saint-Tropez dans son nom de domaine ; il fallait aussi que les internautes
à la recherche d'informations puissent utiliser le mot-clé Saint-Tropez dans les moteurs
de recherche utilisés (17). Le site Eurovirtuel offrait des services
rentrant dans le cadre de ceux offerts par le site de la commune de Saint-Tropez et par
son Office du Tourisme : liste des hôtels, restaurants, cabarets, adresses utiles : sites
historiques et culturels à visiter etc. Ces services étant destinés aux futurs
visiteurs de Saint-Tropez, Eurovirtuel était obligée d'indiquer aux internautes que son
site concernait la ville de Saint-Tropez, et il fallait donc bien qu'il utilise la
dénomination Saint-Tropez dans son nom de domaine ; il fallait aussi que les internautes
à la recherche d'informations puissent utiliser le mot-clé Saint-Tropez dans les moteurs
de recherche utilisés (17). Le site Eurovirtuel offrait des services
rentrant dans le cadre de ceux offerts par le site de la commune de Saint-Tropez et par
son Office du Tourisme : liste des hôtels, restaurants, cabarets, adresses utiles : sites
historiques et culturels à visiter etc. Ces services étant destinés aux futurs
visiteurs de Saint-Tropez, Eurovirtuel était obligée d'indiquer aux internautes que son
site concernait la ville de Saint-Tropez, et il fallait donc bien qu'il utilise la
dénomination Saint-Tropez dans son nom de domaine ; il fallait aussi que les internautes
à la recherche d'informations puissent utiliser le mot-clé Saint-Tropez dans les moteurs
de recherche utilisés (17).
16 - En interdisant à Eurovirtuel, et à
toute autre entreprise ou personne disposant d'un site Internet, d'utiliser les termes
Saint-Tropez dans son nom de domaine, ou dans les mots-clés pour les moteurs de
recherche, le Tribunal de grande instance de Draguignan confère un véritable monopole à
la commune de Saint-Tropez sur la fourniture de renseignements sur sa ville par
l'intermédiaire d'Internet. Pourquoi alors ne pas appliquer le même raisonnement à des
guides ou des annuaires, imprimés ? Pourquoi la commune de Saint-Tropez, ne pourrait-elle
pas interdire au Guide Michelin, ou à France Télécom, d'avoir une rubrique intitulée
"Saint-Tropez" pour y regrouper les hôtels, les restaurants, ou les abonnés au
téléphone, localisés à Saint-Tropez ? C'est tout le problème de l'utilisation des
noms des collectivités territoriales par les éditeurs d'annuaires, de guides, de moteurs
de recherche, électroniques ou non, qui est alors posé.
17 - En effet, le développement de l'Internet
induit le développement de sites dédiés aux collectivités locales ou territoriales car
elles y trouvent un intérêt médiatique et parfois économique à être indexées dans
des moteurs de recherche afin dexister dans un environnement virtuel. En raison de
ce phénomène, la notion de site a évolué, on parle alors de site officiel utilisant,
quand ils émanent dune collectivité territoriale, le nom d'un département ou
d'une région, soit le nom d'une agglomération, lorsque linitiative revient à une
commune. Puisque le nom d'une ville est un élément du domaine public, il n'est pas
nécessaire de demander une autorisation pour l'indexer dans un moteur de recherche ou un
annuaire électronique (18). Mais, à cela, ajoutons quil existe
également un droit du nom des villes, droit transversal et multiforme se situant aux
confins du droit public et du droit privé de telle sorte qu'une ville en cas d'usage
injustifié où péjoratif de son nom peut le défendre. A cet égard, la jurisprudence,
est constante à la matière et elle considère qu'il n'est pas "discutable"
qu'une commune agisse en justice pour protéger son nom (19) dès lors
que l'utilisation s'avère injustifiée ou péjorative.
18 - Bien entendu, la ville pourra soit porter
l'affaire devant une juridiction administrative, soit devant les instances judiciaires.
Encore convient-il de préciser qu'une ville a un avantage certain à être référencée
dans un moteur de recherche puisque cela lui permet d'exister dans l'environnement
virtuel. Par ailleurs, au nom de l'information, une ville ne peut s'opposer à ce que son
nom figure dans un moteur de recherche dès lors que son référencement ne s'avère ni
injustifié ni péjoratif. C'est la rançon de la gloire. A linstar de ce qui ce
passe pour les entreprises, les villes peuvent organiser une veille juridique de leur nom
et de leur notoriété sur le Net.
19. Le nom d'une ville peut être également utilisé
comme nom de domaine. Sous son aspect technique, un nom de domaine s'apparente à une
adresse électronique et ne peut donc pas être assimilé à une marque ou à un nom
commercial, mais il ne doit pas non plus porter atteinte à ceux-ci. En droit,
l'attribution d'un nom de domaine est une procédure conventionnelle qui n'a aucune valeur
réglementaire ou légale. Ainsi, la règle de nommage selon laquelle "le premier
arrivé est le premier servi" ne concerne qu'un droit d'usage d'occupation portant
sur une dénomination dont la fonction est également d'être une adresse électronique.
Cest pourquoi, par prudence, chaque réservataire doit, à priori, rechercher si
l'attribution envisagée ne porte pas atteinte à un droit privatif tel qu'une marque ou
un nom commercial. On parle alors de primauté des signes distinctifs sur les règles de
nommage qui leur sont inopposables.
20 - De plus le caractère international du
réseau Internet ne fait pas obstacle à une défense territoriale conférée par ces
protections privatives. Le droit des signes distinctifs s'apparentent, en effet, à un
droit d'occupation territorial. De telle sorte quen la matière cette défense
juridique territoriale apparaît être supérieure à la suprématie technique d'un
réseau de télécommunication ouvert et international. Par ailleurs, de nombreux bureaux
d'enregistrement se présentent comme des "créateurs de nom de domaine". Pour
autant, ils ne sauraient s'exonérer de leurs responsabilités envers le demandeur en ne
vérifiant pas si la demande ne porte pas atteinte à des droits antérieurs. A tout le
moins, ils devraient, au titre de leurs obligations de conseils et d'informations, refuser
une telle demande ou encore indiquer que l'enregistrement se fait aux risques et périls
du demandeur.
21 - A cet égard, dans la zone.fr, l'AFNIC
essaie de contenir la perversité du système en déclarant, dans sa Charte de Nommage,
qu'il appartient "au demandeur de vérifier que la dénomination ne porte pas
atteinte aux droits antérieurs". Ainsi, préalablement à tout enregistrement d'un
nom de domaine, le demandeur doit s'assurer que le nom qu'il entend se faire attribuer
n'entre pas en conflit avec dautres signes distinctifs, parmi lesquels on ne saurait
faire abstraction du nom des villes. Signalons que l'AFNIC considère pour sa part
quune contestation sur l'utilisation d'un nom de domaine doit être uniquement
résolue entre les protagonistes concernés. L'AFNIC n'ayant essentiellement quun
rôle d'enregistrement. En un mot, l'AFNIC cherche à sexonérer de tous les autres
conflits. Est-ce bien légitime ?
22 -. Enfin, cette affaire aurait pu également être
portée sur un terrain pénal. Même si en l'espèce il nest ni question de
chapardage ou braconnage de nom, ni question dextorsion de fonds souvent invoquée
en matière de revente ou doffre de location de nom de domaine. En effet, certains
charlatans pensent quajouter un suffixe à un signe distinctif suffit à les
exonérer de leur responsabilité en arguant la règle conventionnelle du premier
arrivant, premier occupant. Mais, cest surtout, sur le plan pénal du droit de la
consommation que de telles conduites pourraient être incriminées notamment sur les
fondements des articles L.121-1 à L.121-7 du Code de consommation qui visent le délit de
publicité fausse où de nature à induire en erreur. Ce délit pouvant être constitué
alors même que le site Saint-Tropez.com indiquait qu'il ne s'agissait pas dun site
officiel. Par ailleurs, puisque des cyberconsommateurs sont susceptibles de subir
directement ou indirectement un préjudice, par le jeu de l'article L 421-1 du Code de
consommation, une association de consommateurs pourrait se constituer partie civile.
Conclusion
22 - La notoriété dune ville présente
également une force dattraction dans le monde virtuel. Les sites portant le nom
dune collectivité territoriale ou locale sont appelés à un grand avenir. Ils sont
à la fois fédérateurs et créateurs d'un tourisme virtuel. Ainsi, le nom d'une ville a
également une valeur sur le Net. Cette valeur doit être la protégée et donc défendue.
Cette protection connaît trois limites liées à la fonction du nom dune ville.
Tout dabord, ce nom sert à identifier une localité et cette indication appartient
à tout le monde ; ensuite il permet de localiser et dinformer. Ils convient alors
de distinguer les valeurs commerciales et les valeurs hors commerce, les unes sont souvent
privatives et les autres appartiennent à tout le monde. La liberté est partout.
contact : ghaas@club-internet.fr
Notes
1. Le Parisien
18/19 octobre 1997.
2. Le nom de
domaine est l'adresse qu'un internaute doit taper sur son clavier pour accéder au site
correspondant. Les noms de domaine sont gérés, pour le domaine Français, par l'AFNIC.
"Nom de domaine" et "adresse Internet" sont des expressions synonymes
3. Les noms de
domaine se terminant par le suffixe ".com" ne sont pas gérés par l'AFNIC, mais
par l'association américaine NSI. Eurovirtuel ne "contournait donc pas la procédure
d'attribution d'adresses sur le système comme le lui reproche le TGI de Draguignan, en
s'adressant à la NSI pour obtenir le nom de domaine de son propre site.
4. Le Parisien
18-19 octobre 1997; Le Monde 19-20 octobre 1997.
5. Par exemple,
lexcellent article E.BARBRY " Le droit des marques à lépreuve de
linternet " LEGICOM n°15 1997/ 3- p.91 et s., signalons que lauteur
de cet article est lun des trois fondateurs de lassociation CYBERLEX dont le
site est : http://www.grolier.fr/cyberlexnet ;.
6. Voir par
exemple l'accord du 5 juin 1998 entre toutes les banques françaises sur un protocole
unique de paiement par carte de crédit - protocole C-SET - sur le réseau Internet. Micro
Hebdo N°11. Juillet 1998. p. 8
7. Article L
711-2 CPI.
8. TGI Paris
2/2/95, PIBD 95, III, p. 225.
9. Paris 28/6/79, Ann. prop. ind.
1979. 196
10. Article L
711-3 CPI.
11. TGI Paris 5/9/97 et 22/3/96,
rapportés par Le Parisien 18-19 octobre 1997.
12. Paris
24/1/62, D 62, J. 639. Même jurisprudence pour le nom de Cézanne, une galerie située
dans la rue Cézanne prétendant s'appeler Galerie Cézanne.
13. A notre
connaissance, il n'existe pas encore de jurisprudence sur la question. Voir
"Marques" Dossiers pratiques Francis Lefebvre. Ed. 1994 n°670.
14. Et il aurait encore fallu
que la Commune prouve "l'atteinte" à son nom, son image ou sa renommée ce qui
paraissait fort difficile en l'espèce...
15. Article L 714-5 CPI.
16. Com. 17/5/82, IV, N° 180.
17. Lycos, Yahoo, Alta Vista
etc
, on signalera également qu'il y apparaît sur les moteurs de recherche plus de
60 sites référencés lorsque l'on inscrit le nom Saint-Tropez
18. Les moteurs
de recherche à proprement parler, entièrement automatisés, font appel à des
"robots" qui explorent continuellement les liens "hypertextes"
d'Internet pour aller de pages en pages et indexer le contenu des documents qu'ils
visitent. Les annuaires indexent et classent par thèmes tous les sites qui se sont
préalablement "enregistrés" chez eux. Les métamoteurs répercutent la
requête d'un utilisateur sur de nombreux moteurs de recherche et annuaires, puis
synthétisent les informations retenues.
19. Pour une approche
détaillée de la question, nous renvoyons au remarquable ouvrage de Caroline BUHL
"Le droit des noms géographiques " ; LITEC 1997, voir également TGI Caen,
25 janvier 1989, GP 1982, 2, som.p.516
A consulter sur Juriscom.net : L'affaire Saint-Tropez,
de Lionel Thoumyre. |