Les règles de nommage de lInternet
en question ?
Gérard HAAS |
Olivier de TISSOT |
DJCE - Docteur en droit |
HEC - Docteur en droit |
Avocat à la Cour |
Professeur à l' ESSEC |
Avec le développement de l'utilisation d'Internet par les
entreprises, les collectivités locales et les particuliers, on voit se multiplier les
litiges sur l'attribution et l'utilisation des noms de domaine.
1. Définitions
Un nom de domaine, c'est
l'adresse d'un site Web sur le réseau Internet. Cette adresse, on peut la connaître soit
par communication directe de son titulaire, soit par l'utilisation d'annuaires ou de
moteurs de recherche.
1.1. Dun point de vue
technique
Un nom de domaine a une triple
fonction, il permet :
- lidentification dun
site Web ;
- lindividualisation de
ladresse IP ;
- la localisation sur le réseau
de lentité qui crée un site.
Par exemple :
http://www.juriscom.net
www : sert à désigner
lenvironnement Internet, en loccurrence World Wide Web ;
juriscom : est le nom de ce
domaine ;
net : est lextension
de ce domaine.
Chaque nom de domaine est
associé à une adresse IP, cest-à-dire une suite de chiffre qui permet au nom de
domaine dêtre identifié sur le réseau Internet.
Pour réserver un nom de domaine,
il faut et il suffit de choisir une extension pour le domaine. Cette extension se fait
selon le choix de chacun évoquant une structure commerciale (.com) ou encore une
appartenance géographique (.fr ; .be, .it, ca
).
Cest le choix de
lextension qui détermine lautorité compétente pour recevoir la demande de
réservation.
1.2. Dun point de vue
juridique
Un nom de domaine est la
dénomination de ladresse dune entité sur le réseau Internet.
Lenregistrement dun nom de domaine ne saurait être considéré par son
titulaire, comme constitutif dun quelconque droit privatif sur le signe distinct
préexistant. Au contraire, il sanalyse en un simple acte dusage dun
élément didentification de lentité. Ainsi, en cas de changement de
fournisseur daccès, lentreprise peut exiger la destruction du nom de domaine
Dune façon générale, le nom de domaine est attribué selon la règle du
"premier arrivé, premier servi ", la disponibilité du nom de domaine sur
le réseau Internet nétant pas examinée par les organismes compétents INTERNIC
aux Etats Unis et les NIC habilités dans les autres pays.
LInternic, en sa qualité
dentité chargée de procéder à lenregistrement des noms de domaine
nimpose aucune justification pour lattribution dun nom de domaine.
LAFNIC (Association
Française pour le Nommage de lInternet) a, en France, lexclusivité sur les
enregistrement des dépôts de nom de domaines en .fr. Elle ne traite pas avec le client
final, il faut donc passer par une société prestataire de services Internet, dûment
conventionnée par elle.
Cette attribution est
essentiellement basée sur des règles administratives, techniques et sur une charte de
nommage qui doivent organiser logiquement la zone ".fr". La charte est
évolutive et l'application des nouvelles règles n'est pas rétroactive. En pratique, le
nom d'un domaine dans la zone .fr se compose de la dénomination choisie suivie du suffixe
.fr.
L'AFNIC attribue également les
noms de domaine demandés selon la règle "premier arrivé, premier servi" (à
Kbis identique), sans tenir compte des termes génériques tels que : "
établissements", " SA ", " père & fils ".
Elle n'effectue aucune recherche
d'antériorité de nom. Ainsi donc, cest au demandeur quil incombe de
vérifier que le nom de domaine demandé ne porte pas atteinte aux droits antérieurs
(code de la propriété intellectuelle et droit des marques). Par voie de conséquence, ce
dernier doit vérifier et respecter les obligations légales.
Les contestations sur
l'utilisation d'un nom de domaine sont résolues entre les parties concernées, l'AFNIC
n'ayant qu'un rôle d'enregistrement (1).
2. Les conflits
On peut penser que l'application
sans nuances de la règle du " premier déclarant, premier occupant "
n'est pas étrangère au développement actuel du contentieux sur les noms de domaine.
Lorsque le site est celui d'une
entreprise commerciale, le nom de domaine attribué au site joue le même rôle qu'une
enseigne, puisque c'est au vu de ce nom de domaine que les internautes jugent intéressant
ou non de venir se brancher sur le site, de prendre connaissance des produits ou services
offerts par l'entreprise, et, éventuellement, d'y faire des achats. On sait depuis
longtemps que la protection de son enseigne contre toute usurpation par un concurrent
revêt une grande importance pour une entreprise, et une abondante jurisprudence fondée
sur la répression de cette forme de concurrence déloyale s'est constituée en la
matière. Aussi n'est-il pas étonnant de voir aujourd'hui se multiplier les actions en
justice, notamment en référé, d'entreprises voulant interdire qu'un nom de domaine
utilisé par un tiers inclut leur propre raison sociale, leur nom commercial, leur
enseigne ou leur marque.
Une collectivité locale, et
notamment une commune, peut aussi ouvrir un site Web destiné à donner des informations
sur ses activités culturelles, ses ressources touristiques, ses curiosités naturelles
etc.; elle voudra donc éviter que des tiers utilisent indûment son nom pour nommer leurs
propres sites, et détourner ainsi à leur profit les visites des internautes cherchant à
se renseigner sur la dite collectivité locale, sans parler de l'usage abusif de sa
notoriété éventuelle. Certaines communes ont aussi déposé leur nom en tant que marque
et veulent donc s'opposer à un usage illicite de ces dernières.
A ces deux sources de conflits on
peut en ajouter une troisième, qui reste seulement potentielle actuellement, mais qui ne
manquera pas un jour de se concrétiser : l'usage de noms patronymiques dans un nom de
domaine. Si une personne physique veut créer un site Web à son nom - notamment par souci
de faire mieux connaître ses talents d'amateur ou compétences professionnelles de
photographe, peintre, écrivain, conseil, astronome, philosophe...-, elle estimera
évidemment injuste de ne pouvoir le faire du fait qu'un tiers aura déjà utilisé ce nom
pour son propre nom de domaine.
On observera, pour en terminer
avec ce recensement rapide des différents types de litiges en la matière, que tous ces
conflits entre noms de domaine d'une part, et noms commerciaux, marques, noms de communes
et patronymes d'autre part, peuvent aussi apparaître lors de l'attribution de
"mots-clés" (appelés aussi "meta-names") utilisés par les moteurs
de recherche (2).
A lire la jurisprudence qui s'est
constituée depuis deux ans, on ne peut qu'être frappé par la variété des arguments
avancés devant les tribunaux, et par le caractère contestable de certains d'entre eux.
Aussi allons nous essayer de définir aussi précisément que possible quels devraient
être les droits invoqués à juste raison par les demandeurs avant d'examiner les
importants problèmes de procédure qui se posent, ou devraient se poser, lors des actions
en justice fondées sur l'appropriation d'un nom de domaine
Lorsqu'une personne physique, une
entreprise commerciale, une association, un établissement public, une collectivité
territoriale, une administration... ou tout autre créateur d'un site Web demande que lui
soit attribué un nom de domaine pour son futur site, il peut légitimement vouloir que ce
nom de domaine inclut la marque sous laquelle il est connu, sa raison sociale (son nom
commercial, ou son enseigne), ou son nom, car il sait que c'est sur la base de l'une ou
l'autre de ces appellations que les internautes désireux de se connecter à son site le
rechercheront dans les annuaires Internet ou dans les référencements des moteurs de
recherche. Si l'AFNIC ou L'INTERNIC lui refusent cette possibilité au motif qu'un autre
nom de domaine déjà attribué, ou même seulement réservé, comprend cette appellation,
il peut alors saisir les tribunaux en invoquant une violation de ses droits sur sa marque,
sur sa raison sociale ou sur son nom.
2.1 - Nom de domaine et droit
de la marque
Les conflits entre
titulaire d'une marque et titulaire (ou réservataire) d'un nom de domaine ont donné
lieu, lors de ces dernières années, à une jurisprudence abondante.
On observera tout d'abord que la
seule réservation d'un nom de domaine est assimilée à l'usage effectif d'un nom de
domaine. Cette réservation aboutit en effet à interdire au titulaire de la marque de
faire figurer cette dernière dans son propre nom de domaine. La réservation constitue
donc bien "l'usage... d'une marque" visé par l'article L 713-3 du Code de la
Propriété Intellectuelle (3).
On devra distinguer ensuite
entre marque "notoire" ou non.
Lorsque la marque est notoire,
c'est à dire jouit d'une "renommée pour des produits ou services non similaires à
ceux désignés dans l'enregistrement" (Cartier, IBM, Renault, Microsoft, Chanel etc.
sont des marques notoires), on appliquera l'article L 713-5 du Code de la Propriété
Intellectuelle, qui sanctionne l'emploi de cette marque dès lors qu'il "est de
nature à porter préjudice au propriétaire de la marque" ou "constitue une
exploitation injustifiée" de la marque (4).
Tel fut le cas dans l'affaire
opposant la Société FRAMATOME, qui voulait enregistrer le nom de domaine
"framatome.com", à l'association INTERNAUTE qui avait déposé antérieurement
le nom de domaine "framatome" auprès de l'INTERNIC. L'affaire fut soumise au
juge des référés de Paris, qui, par ordonnance du 25 avril 1997, homologua le protocole
d'accord transactionnel finalement signé par les deux parties, protocole qui
reconnaissait les droits de la Société FRAMATOME sur sa marque. En empêchant la
Société FRAMATOME d'enregistrer d'utiliser sa marque notoire dans son nom de domaine,
l'association INTERNAUTE lui portait un indiscutable préjudice.
Lorsque la marque n'est pas
notoire, c'est l'article L 713-3 du Code la Propriété Intellectuelle qui s'applique. Il
faut donc qu'il y ait similitude entre les produits et services désignés dans
l'enregistrement de la marque et ceux commercialisés ou offerts par le titulaire du nom
de domaine litigieux.
Dans une affaire opposant la SNC
ALICE à la SA ALICE, celle-ci était accusée par celle-là d'avoir réservé le nom de
domaine "alice.fr" en fraude des droits qu'elle possédait sur sa marque
"Alice", déposée en 1975 dans la classe 35. La défenderesse arguait du fait
que son activité consistait à éditer des logiciels, alors que l'activité de la
demanderesse était celle d'une agence de publicité ; elle en concluait que le principe
de spécialité de la marque interdisait à la demanderesse de revendiquer le nom
"Alice" pour d'autres produits et services que ceux rentrant dans l'activité
normale d'une agence de publicité, et qu'elle devait donc être déboutée de toutes ses
demandes.
Le juge des référés de Paris
donna pourtant raison à la demanderesse, en estimant que "l'enregistrement d'un nom
n'est cependant pas limité par le principe de spécialité, ce qui provoque
l'indisponibilité de ce nom dans tout autre domaine d'activité pour toute autre
entreprise dans la zone déterminée" (5). Mais la Cour d'appel de
Paris réforma cette décision, en précisant qu "alors qu'il s'agit d'un
prénom commun et qu'en raison des activités totalement différentes des deux sociétés
il ne peut y avoir de confusion dans l'esprit du public"(6).
Il n'existe en effet aucune
raison valable pour faire échapper les noms de domaine à l'application du principe de
spécialité posé par l'article L 713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle.
Le principe fut d'ailleurs,
appliqué à nouveau cette fois pour entrer en voie de condamnation, par le juge
des référés de Nanterre, le 13 octobre 1997, dans l'affaire PAYLINE/BROKAT, le juge
faisant observer que "la reproduction à l'identique de la marque "Payline"
par la Société BROKAT concerne des services semblables..." (7).
2.2. Nom de domaine et raison
sociale
Le droit de la concurrence
déloyale diffère notablement de celui des marques. Exigeant la preuve d'une faute et
d'un préjudice en résultant, il est moins facile à mettre en uvre qu'une action
civile en contrefaçon de marque (ou ni la faute ni le préjudice ne sont expressément
nécessaires). Et il ne donne aucune possibilité d'action pénale.
Il n'en reste pas moins assez
efficace pour lutter contre l'appropriation injustifiée d'une raison sociale (ou d'un nom
commercial, ou d'une enseigne) dans un nom de domaine.
Lorsque la raison sociale ainsi
détournée jouit d'une notoriété nationale ou internationale, on appliquera les
principes dégagés par la jurisprudence de ces dernières années en matière de
parasitisme. Ces principes sont clairs : la société parasitée n'a même pas à prouver
l'existence d'un dommage déjà réalisé, il suffit qu'elle prouve un préjudice
éventuel (atteinte à son "image") ou même seulement une utilisation abusive
de ses propres investissements ; dès lors que le parasitisme est prouvé, la condamnation
est quasiment inévitable.
Le problème est apparemment plus
compliqué lorsque l'entreprise victime d'une appropriation de son nom ne jouit d'aucune
notoriété particulière.
On en a eu un exemple
significatif dans l'affaire SCA CHAMPAGNE CÉRÉALES jugée par le TGI de Versailles le 14
avril 1998 (8).
Dès lors que l'entreprise dont
le nom a été ainsi utilisé par un tiers dans un nom de domaine voit s'établir dans
l'esprit du public un risque de confusion entre elle-même et le titulaire du nom de
domaine, le juge est fondé à ordonner la restitution du nom de domaine litigieux. Sans
risque de confusion, l'action ne pourrait normalement aboutir.
Le raisonnement serait donc du
même type que celui utilisé dans le cadre de la protection d'une marque non notoire.
Mais on peut observer que le
tribunal relevait par ailleurs un autre argument en faveur de la restitution : le fait
que, en vertu de l'application de la règle "premier arrivé, premier servi", la
demanderesse ne puisse plus utiliser son propre nom pour son nom de domaine, ce qui était
évidemment source d'un préjudice.
Car il est bien exact que, dans
une telle situation, on peut définir deux types de préjudices, bien distincts l'un de
l'autre, susceptibles d'être engendrés par l'appropriation injustifiée d'une raison
sociale (ou nom commercial, ou enseigne) dans un nom de domaine : le risque de confusion
dans l'esprit du public entre les deux entreprises, d'une part, et l'impossibilité pour
l'entreprise plaignante de faire connaître son propre site Web sous son propre nom (et
donc d'y attirer la clientèle potentielle).
Dès lors que le deuxième de ces
préjudices existe, il serait logique que le nom de domaine soit restitué au légitime
propriétaire du nom, et cela qu'il y ait confusion ou non dans l'esprit du public entre
les deux protagonistes.
2.3. Nom de domaine et nom
2 .3.1. Nom de domaine et nom
de commune
La commune de Saint Tropez, dont
la notoriété quasi mondiale est indiscutable, a depuis quelques années pour politique
de poursuivre systématiquement devant les tribunaux toute personne ou entreprise qui, non
domiciliée dans la commune, inclurait "Saint Tropez" dans un nom commercial ou
une marque.
Elle a ainsi fait annuler la
marque "La pizza de Saint Tropez" d'un fabriquant de surgelés du Vaucluse, et
fait condamner à 70.000 frs de dommages-intérêts une société viticole qui utilisait
le nom de Saint Tropez sur les étiquettes de ses bouteilles alors que son vin était
embouteillé en dehors de la commune (9).
En 1997, elle a étendu cette
politique aux noms de domaines, en poursuivant pour contrefaçon de marque la société
Eurovirtuel du chef du nom de domaine "www.saint-tropez.com" enregistré par
Eurovirtuel auprès d'Internic. Le tribunal de grande instance lui donna raison, par
jugement du 21 août 1997 (10).
Plus récemment, la Commune
d'Elancourt assigna l'un de ses administrés devant le juge des référés de Versailles
pour le voir condamner à cesser d'utiliser la marque "Elancourt" dans son nom
de domaine "Elancourt, bienvenue à Elancourt" et à fermer son site Web. Le
juge des référés ne statua pas sur le problème de la contrefaçon de la marque
"Elancourt" mais reprocha au défendeur d'avoir établi une confusion entre son
site Web et celui de la Commune d'Elancourt "par une présentation malicieuse et
tendancieuse" constituant "un trouble manifestement illicite" (11).
On peut s'interroger sur le
fondement juridique des actions en justice de ces deux communes. Toutes deux invoquaient
une contrefaçon par atteinte à leurs droits de propriétaires de la marque constituée
par leur nom (Saint Tropez a déposé son nom dans toutes les catégories...).
C'est se comporter comme si le
nom d'une commune était un nom patronymique donnant à la municipalité les mêmes droits
qu'à une personne physique ou morale sur son propre nom ; mais c'est aussi oublier que le
nom d'une commune a d'abord vocation à identifier un lieu géographique où vivent,
travaillent, passent etc. des personnes, et qu'à ce titre il remplit une fonction qui le
fait échapper à une appropriation exclusive par la municipalité.
Si l'on suit le raisonnement tenu
par Saint Tropez ou Elancourt, on en arrivera bientôt à leur permettre d'interdire
l'utilisation de leurs noms par des moteurs de recherche ou des annuaires.
En droit, une commune ne devrait
pouvoir interdire l'utilisation de son nom dans un nom de domaine qu'en cas de confusion
inévitable et dommageable avec son propre nom de domaine (ce qui, à examiner les faits
retenus par le juge des référés, n'était le cas ni de Saint Tropez dans l'affaire
Eurovirtuel, ni d'Elancourt dans l'affaire Lofficial), ou, à l'extrême rigueur et en
raisonnant par analogie, en application de l'article L 711-4, & h, du Code de la
Propriété Intellectuelle, qui interdit l'utilisation comme marque d'un signe portant
atteinte "au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité
territoriale".
C'est sur l'article L711-4, &
h, que se fonda l'action en annulation de marques intentée par la commune de LAGUIOLE
(Aveyron), connue pour son couteau en forme de navaja espagnole (forme objet d'une marque
collective LAGUIOLE), contre une société parisienne ayant déposé une série de marques
comportant le nom de LAGUIOLE. Le tribunal fit droit à sa demande, en retenant
"qu'en application des dispositions de l'article L711-4 & h, la commune de
LAGUIOLE - et sans que puisse lui être reproché de n'avoir pas assuré cette protection
par un dépôt de marque - apparaît pleinement fondée à agir à l'instance aux fins de
protection de son nom, et à s'opposer à l'usage commercial de celui-ci, en ce qu'il est
de nature à tromper le public quant à l'origine des objets désignés, ou encore quant
à la garantie éventuelle qu'il penserait être en droit d'attendre de la collectivité
en cause ; qu'un tel nom est en conséquence indisponible comme marque au sens du texte
susvisé" (12).
2.3.2. Nom de domaine et nom
patronymique
Pour l'instant, nous n'avons pas
eu connaissance de conflit entre le titulaire d'un nom patronymique et celui d'un nom de
domaine, mais on ne saurait douter que de tels conflits ne soient un jour prochain portés
devant les tribunaux.
Ces derniers raisonneront alors
sans doute par analogie tant avec les règles en matière de marques qu'avec celles qui
gouvernent les droits d'une personne sur son nom.
En matière de marques, l'article
L 711-4, &g, du Code de la Propriété Intellectuelle interdit à une marque de
"porter atteinte à des droits antérieurs, et notamment... aux droits de la
personnalité d'un tiers, et notamment à son nom patronymique...". Quant aux droits
d'un individu sur son nom, on sait qu'ils s'opposent à toute usurpation de ce dernier, et
notamment son utilisation illicite à des fins commerciales (13).
Cette protection du nom
patronymique sera d'autant plus facile à assurer que le nom sera illustre ou qu'une
confusion pourra s'établir entre le titulaire du nom de domaine et le titulaire du nom (14).
3. La mise en uvre
procédurale des droits invoqués
L'examen de la jurisprudence
permet de dégager un certain nombre de constantes dans les choix des demandeurs, tant au
niveau de la juridiction saisie que des personnes mises en cause.
On peut d'abord observer que les
juges des référés sont plus souvent sollicités que les juges du fond, avant de se
demander si toutes les parties intéressées sont toujours présentes dans le débat
judiciaire.
3.1. L'utilisation
privilégiée de la juridiction des référés
Le juge des référés est
d'abord celui de l'urgence, et il est donc logique que les conflits en matière
d'attribution de noms de domaine lui soient souvent déférés par les demandeurs
désireux de pouvoir empêcher une utilisation dommageable d'un nom de domaine sur le
réseau Internet.
Le fonctionnement du réseau
implique presque nécessairement l'urgence.
Le fait que les actions soumises
au juge des référés conduisent le plus souvent à l'examen de problèmes touchant au
fond du droit, n'entraîne pas son incompétence puisqu'il suffit qu'il constate
l'existence d'un trouble illicite ou d'un dommage imminent pour pouvoir statuer même en
présence d'une contestation sérieuse (15).
Cette situation parait cependant
regrettable à bien des égards, et notamment lorsque les problèmes de fond sont
complexes. En effet, la procédure de référé ne favorise pas la réflexion juridique :
la communication et l'examen des pièces se font dans la précipitation, les échanges de
conclusions sont réduits à leur plus simple expression, les plaidoiries sont souvent
abrégées à l'extrême. Aussi a-t-on bien souvent l'impression que les décisions du
juge sont dictées autant par l'équité que par le droit.
Si l'on ajoute que les
ordonnances de référés sont exécutoires immédiatement, ce qui entraîne souvent des
conséquences irrémédiables même en cas de succès d'un appel, et que, malgré les
incertitudes quasi structurelles affectant les fondements juridiques de leurs décisions,
les juges des référés n'hésitent pas à utiliser parfois lourdement l'article 700 du
Nouveau Code de Procédure Civile, on peut se demander s'il nétait pas souvent
préférable, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et dans celui du
respect des droits de la défense, que le juge des référés renvoie les parties devant
le juge du fond dès lors que ce trouble na pas de conséquence grave sur la
situation du demandeur, cest-à-dire sur ses activités professionnelles,
commerciales ou encore sur le respect de ses droits fondamentaux. Il conviendrait alors de
renvoyer laffaire au fond.
A ce titre, il nest pas
déraisonnable de considérer que notion de "trouble manifestement
illicite " telle quelle est entendue par la jurisprudence est parfois trop
extensive, il conviendrait de la substituer par la notion de "trouble
gravissime " (diffusion sur un site de propos injurieux sur une personne,
critique injurieuse sur un fonctionnaire dune commune, diffusion de photographies
dune personne nues
.) ou encore de sinspirer de la jurisprudence
administrative sur la notion de " voie de fait "
3.2. Les parties au procès
Opposant le titulaire d'un
nom de domaine à celui d'un nom, d'une marque ou d'un autre nom de domaine, le procès
suppose toujours l'examen de la façon dont le nom de domaine est attribué.
La règle "premier arrivé,
premier servi" est au centre, et même à l'origine, des débats, mais, cependant,
par un curieux paradoxe, la personne juridique qui a défini cette règle, et qui
l'applique, reste en général absente du débat.
On ne voit en effet pratiquement
jamais la NIC ou l'AFNIC mises en cause dans ces procès. Pour la NIC, de nationalité
américaine, cela se comprend ; mais l'AFNIC est une association française, et il ne
serait donc pas difficile de la faire intervenir à l'instance.
NIC et AFNIC jouissent d'un
véritable monopole de fait sur l'attribution des noms de domaine, monopole qui devrait
donc impliquer un certain nombre d'obligations, même si lAFNIC, dans la convention
quelle passe avec les fournisseurs daccès au réseau Internet pour
lattribution et la gestion des noms de domaine dans la zone
" fr. ", ne sengage que dans le cadre dune obligation de
moyen, comme elle le précise expressément dans larticle 5 de la dite convention (16). Leur intervention dans les litiges judiciaires permettrait sans doute
de lancer une réflexion sur la pertinence de l'application sans nuances de la règle
"premier arrivé, premier servi".
Pour ne prendre que deux exemples
: on pourrait ainsi réfléchir sur le fait qu'en exigeant d'une société réservataire
d'un nom de domaine la seule production d'un extrait K bis et d'un numéro Siret (outre
une modique somme d'argent), et en s'interdisant toute demande d'explication ou de
justification, lorsque le nom de domaine réservé ne correspond en rien au nom du
réservataire, l'AFNIC laisse la porte ouverte à toutes les appropriations frauduleuses ;
on pourrait aussi se demander pourquoi l'AFNIC ne se pose aucune question lorsqu'une
entreprise inclura dans son nom de domaine le nom d'une localité célèbre (Saint Tropez,
par exemple) où elle n'a ni son siège social, ni ses bureaux, ni son usine etc.
4. Conclusion
Les problèmes soulevés par
l'attribution des noms de domaine sont multiples et complexes. Ils le resteront sans doute
encore longtemps, puisqu'on ne prévoit aucune législation prochaine en la matière, tant
en France qu'aux Etats-Unis (le gouvernement fédéral américain prévoit un rapport sur
la question dans deux ans seulement).
Seule la jurisprudence est donc
actuellement à même de pouvoir définir quelques règles claires et logiques pour guider
le praticien. Elle s'y emploie, et souvent de façon très efficace. On peut néanmoins
regretter qu'elle ne distingue pas toujours clairement entre l'application du droit des
marques et celle du droit de la concurrence déloyale ou de la responsabilité
délictuelle.
Et, surtout, on peut se demander
s'il ne serait pas temps qu'elle réexamine sérieusement les conditions dans lesquelles
est appliquée aujourd'hui la règle d'attribution des noms de domaine qui veut que
"le premier arrivé soit le premier servi".
Texte publié dans la revue de droit de Mc Gill - Volume 44(4) - 2 février 1999
Notes
1. Charte de nommage de la zone
"fr." : http://www.nic.fr/Procedures/nommage.html.
2. TGI Draguignan. 15 octobre
1998. Affaire PACANET, voir sur le site : http://www.legalis.net.
3. Article L 713-3 CPI : "
Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter une confusion
dans l'esprit du public:
a) La reproduction, l'usage ou l'apposition d'une
marque, ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits et services
similaires à ceux désignés dans l'enregistrement;
b) L'imitation d'une marque et l'usage d'une
marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés
dans l'enregistrement."
4. Article L 713-5 CPI :
"L'emploi d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non
similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de
son auteur s'il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet
emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière ..."
5. TGI Paris ref 12 mars 1998,
décision disponible sur le site http://www.legalis.net.
6. Paris 4 décembre 1998.
decision disponible sur le site http://www.legalis.net.
7. TGI Nanterre référé 13
octobre 1997, voir sur le site http://www.juriscom.net.
8. TGI Versailles 14 avril 1998.
Voir le site Legalis http://www.legalis.net
9. TGI Paris 5 septembre 1997 et
22 mars 1996, rapportés par Le Parisien 18-19 octobre 1997.
10. Le Monde 19-20
octobre 1997. Nous avons déjà commenté de façon très détaillée ce jugement dans la
présente revue, n°51, 20/07/1998 .4 et s.
11. TGI Versailles réf, 22
octobre 1998, Elancourt/Lofficial, site http://www.juriscom.net.
12. TGI Paris 23 avril 1997,
PIBD 1997, n°635, III, p. 375
13. Com. 9 avril 1991. B IV
n°135.
14. Ainsi, on
pouvait remarquer, un an avant les élections présidentielles américaines que des
pilleurs de noms de domaines s'affairaient d'arrache pied. Leur but : deposer un maximum
de noms indispensables aux futurs candidats pour ensuite les revendre à prix d'or. Les
cibles favorites étaient : George Bush avec 39 adresses enregistrées (sous différentes
formes) dont seulement 2 par l'entourage du candidat et le milliardaire Steve Forbes avec
21 adresses.
15. Article 809 al 1 Nouveau
Code de Procédure Civile.
16. Article 5: Obligations de
lAFNIC: LAFNIC sengage, au, titre de la présente convention, à
réaliser les services généraux définis ci-après.LAFNIC soblige à une
obligation de moyen
."
A consulter sur Juriscom.net :
- L'affaire Saint-Tropez, de Lionel Thoumyre ;
- Propos sur les conflits entre
nom de ville et nom de domaine, de Gérard Haas et Olivier de Tissot. |