Protection d'une base de données et site
Web
Gérard HAAS |
Olivier de TISSOT |
DJCE - Docteur en droit |
HEC - Docteur en droit |
Avocat à la Cour |
Professeur à l' ESSEC |
Avec le développement des nouvelles technologies
informatiques, lélaboration, le développement et lusage des bases de
données a considérablement évolué. Instrument précieux dans le développement du
marché de linformation, la base de données a fait récemment lobjet
dune protection appropriée. En effet, dune part sa fabrication exige la mise
en uvre de ressources humaines, techniques et financières considérables,
dautre part la reproduire, la compiler ou encore y accéder est aujourdhui
très facile et très peu onéreux. De ce fait, lextraction et/ou la réutilisation
non autorisée du contenu dune base de données peut avoir des conséquences
économiques et techniques graves non seulement pour le créateur intellectuel (auteur
dune uvre personnelle au sens de la propriété littéraire et artistique)
mais aussi pour le producteur (financier ou auteur dune uvre collective au
sens de la propriété littéraire et artistique) de ladite base.
La loi du 1er juillet
1998 transpose dans le droit français la Directive Européenne du 11 mars 1996 qui
détermine les règles communautaires de protection juridique des bases de données. Or,
presque un an après cette transposition, un jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 7 mai 1999 a
été rendu concernant lextraction non autorisée dune base de données sur un
site Web. Ce jugement présente un grand intérêt pour tous les utilisateurs
dInternet (entreprise ou particulier) car il pose le problème du piratage
dune base de données sur un site Web.
Les faits soumis au Tribunal
étaient relativement simples : léditeur dun site de recherche
bibliographique dénommé " le livre en ligne " avait développé un
site Web dont le contenu comportait des informations qui soit étaient le résultat de sa
propre collecte au travers dun questionnaire type quil avait envoyé aux
éditeurs, soit provenaient de la base de données Electre dont il disposait sur support
cédérom acheté par lui-même à la société éditrice dElectre. Pour ces
dernières informations, il tentait vainement de soutenir que les emprunts quil
avait pu faire à la base de données Electre nétaient pas relatifs au choix ou à
la disposition des matières qui, selon larticle L. 112.3 du Code de la propriété
intellectuelle, constitue dans les bases de données les créations intellectuelles
protégeables.
Il ne contestait pas
lutilisation de cette base de données pour en extraire des informations ensuite
diffusées sur son site Web alors quil avait signé avec son éditeur un contrat
dabonnement excluant expressément la diffusion de la banque de données à des
tiers. Par conséquent, le tribunal a décidé tout a fait logiquement que cette
utilisation était illicite, et la condamné en conséquence.
Cette affaire est intéressante
à plusieurs titres : elle nous permettra tout dabord de faire le point sur la
protection renforcée des bases de données introduite par la loi n° 98-536 du 1er
juillet 1998, ensuite de nous intéresser à lune de ses innovations conservatoire
la saisie contrefaçon, puis de nous pencher sur la sanction prise par le tribunal
concernant le pillage de la base de données Electre sur un site Web; et enfin
dexaminer comment le Tribunal a écarté la responsabilité de lhébergeur
complice.
1. La protection renforcée
des bases de données
Une base de données au sens
de la loi du 1er juillet 1998 est un " recueil d'uvres, de
données ou dautres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou
méthodique et individuellement accessible par des moyens électroniques ou par tout autre
moyen ". Cette définition est suffisamment large pour inclure non seulement
les bases de données au sens usuel du terme mais également dautres créations tel
que les produits multimédias, le site Web ou encore les liens hypertextes, dès lors
quils contiennent des informations, ou données, qui peuvent être extraites par
lutilisateur.
En revanche, en sont exclues les
créations intellectuelles protégeable par le droit dauteur telles que les
uvres littéraires, audiovisuelles et musicales, mais également les logiciels
utilisés pour la fabrication ou encore le fonctionnement de la base, cest-à-dire
portant lempreinte de la personnalité de lauteur selon le critère de
loriginalité consacré par la jurisprudence.
Autre particularité, ce nouveau
régime institue une protection hybride et cumulable pour, dune part, la forme de la
base originale telle que le choix, la disposition des matières, le moyen daccès
aux données qui relève du régime du droit dauteur dont la protection est
dune durée de 70 ans et, dautre part, les éléments composant le contenu de
la base qui ne présentent individuellement aucune originalité et bénéficient alors
dune protection spécifique et indépendante pour une durée de 15 ans dès lors que
sa constitution, sa vérification ou sa présentation exige un investissement
qualitativement ou quantitativement substantielle.
Le producteur de la base de
données, qui est défini comme celui qui " prend linitiative et
le risque des investissements correspondants ", peut interdire
lextraction et/ou la réutilisation de la totalité ou dune partie
" substantielle " sur le plan qualitatif ou quantitatif du contenu de
la base. En un mot, le contenu de la base des données est désormais protégé sans que
son producteur nait à recourir aux règles de la concurrence déloyale.
En revanche, le producteur ne
peut interdire lextraction ou la réutilisation dune partie
" non-substantielle " dune base de données mise à la
disposition du public par une personne qui y a licitement accès. Le client peut aussi
user de la base à son gré pour son usage privé ou dans les limites du contrat.
Cette protection est acquise sans
formalité particulière. En dautres termes, les producteurs des bases de données
de l'Union européenne bénéficient désormais d'une protection du contenu de la base,
prenant en compte leurs investissements. Sans préjudice de celle résultant du droit
d'auteur, cette protection sui generis fait l'objet du nouveau Titre IV du
Livre III du Code (Code de la propriété intellectuelle, art. L. 341-1 à
L. 342-5). D'une durée de 15 ans (Code de la propriété intellectuelle,
art. L. 342-5), cette protection est accordée aussi bien aux producteurs de
bases de données nouvelles que des bases créées entre 1983 et 1998. Elle est applicable
à compter du 1er janvier 1998, date butoir retenue par la directive pour sa
transposition dans les législations internes
2. Saisie contrefaçon
Une autre particularité de
la loi du 1er juillet 1998 est davoir étendu aux bases de données la
procédure de saisie contrefaçon des logiciels.
En effet, la procédure de saisie
contrefaçon est, à notre avis, lun des éléments clés permettant dassurer
la protection effective des logiciels comme de tout droit de propriété intellectuelle,
et notamment les bases de données.
Logiquement, la loi consacre
lapplication du droit dauteur aux bases de données et sa violation constitue
donc une contrefaçon. Par ailleurs, le nouveau droit dit " sui generis "
protège linvestissement effectué par le producteur de la base (art. L. 431-1 et
suivants du Code de la propriété intellectuelle) et plus particulièrement les
extractions massives de son contenu, sanctionnées pénalement (art. L. 346-1 du Code de
la propriété intellectuelle) bien que cette extraction ne soit pas, à proprement
parler, une contrefaçon.
Cependant, remarquons que la
rédaction de lart. L. 332-4 dernier alinéa du Code de la propriété
intellectuelle ouvre la saisie description des logiciels ou des bases de données à
" tout titulaire des droits ". Ainsi, la saisie contrefaçon doit,
nous semble-t-il, être également ouverte aux producteurs qui ne peuvent faire valoir que
le droit " sui generis ".
Mais, en pratique, le producteur
est également le plus souvent titulaire du droit dauteur sur la base de données
considérée comme une uvre collective.
3. Sur lutilisation
partielle du contenu dune base de données
Normalement
lutilisation du contenu dune base de données est strictement encadrée par
les contrats. En lespèce, le contrat dabonnement à la base Electre excluait
expressément la diffusion de données à des tiers.
Dans ce cas, la diffusion de
certaines des données sur un site Web constitue bien une utilisation illicite, et il est
à remarquer que le tribunal condamne le choix fait par léditeur du site, à qui il
incombe dapprécier si ces données peuvent être utilisées par lui dans sur son
site.
De plus, léditeur du site
ne contestait pas avoir décompilé, cest-à-dire copié et réparti autrement les
données de la banque Electre.
Léditeur se contredisait
même puisquil ne démontrait pas labsence doriginalité de la base, et
après avoir soutenu quil avait pioché dans la base des informations soit disant
générales, il arguait que ses emprunts nétaient pas relatifs aux choix ou à la
disposition des matières ce qui, selon lui, excluait que le producteur de la base de
données bénéficie de larticle L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle
qui envisage la protection par le droit dauteur.
Il faut également signaler
quElectre ne justifiait pas, selon le tribunal, le préjudice dun million de
francs dont elle réclamait réparation, et cest la raison pour laquelle le Tribunal
a estimé à cent mille francs seulement ce préjudice.
Enfin, il ordonne la remise sous
astreinte à Electre, et destruction par elle, du master original et de la copie de la
base de données de " lire en ligne ".
4. Responsabilité de
lhébergeur
En ce qui concerne la
responsabilité de lhébergeur, ce dernier, selon le producteur de la base de
données Electre, devait être condamné comme complice de léditeur car il avait
fourni à ce dernier les moyens de diffuser sur Internet les contenus litigieux.
Pour faire succomber dans sa
demande Electre, le tribunal constate que cest léditeur qui avait envoyé la
base de données sous forme de disquette, que lhébergeur navait ni participé
à une extraction du contenu de la base de données, ni réutilisé le contenu de cette
base de données. Son rôle avait été simplement celui dun prestataire technique,
en assurant une connexion du site sur le réseau Internet en vertu dun contrat de
prestation de service.
Et le tribunal relève que, dès
quil a eu connaissance du procès verbal de saisie-contrefaçon et de
lassignation, il a immédiatement écrit à léditeur du site pour lui
demander, à titre conservatoire, de cesser lexploitation de sa propre base de
données ou den expurger toutes les références issues, volontairement ou non, de
la base de données dElectre et que, devant le défaut des réaction de
léditeur du site, il a pris le risque de fermer de lui-même ledit site.
Le tribunal souligne alors
quaucune disposition légale nimpose à un intermédiaire de vérifier le
contenu des informations dont il permet la circulation, que de plus il promptement réagi,
et que, la preuve de sa faute nétant pas rapportée, il doit être mis hors de
cause
On remarquera que cette décision
va dans le sens du projet de loi présenté par un député de la majorité qui vise à
clarifier la responsabilité des fournisseurs d'accès ou d'hébergement de services
Internet, hormis les cas de correspondance privée, en posant les trois principes
suivants :
- obligation pour le fournisseur
d'accès de proposer des moyens techniques de sélection ou de restriction d'accès,
- limitation de la
responsabilité de ces fournisseurs au seul cas où celui-ci a contribué à la création
ou à la production de contenu ou en cas de refus de mettre en place une restriction
d'accès sur demande d'une autorité judiciaire,
- obligation des fournisseurs
d'hébergement de transmettre à l'autorité judiciaire sur demande les informations
nominatives relatives au responsable du contenu ainsi que les éléments techniques
permettant de retrouver ces dernières.
Cet amendement est ainsi rédigé
de la manière suivante:
" Il est inséré au titre II de la loi n° 86-1067 du 30 septembre
1986 relative à la liberté de communication un chapitre V, intitulé :
"Dispositions relatives aux services en ligne autres que de correspondance
privée", et rédigé comme suit :
Art. 43-1. - Les personnes physiques ou morales dont l'activité est d'offrir un
accès à des services en ligne autres que de correspondance privée, sont tenues de
proposer un moyen technique permettant de restreindre l'accès à certains services ou de
les sélectionner.
Art. 43-2. - Les personnes physiques ou morales qui assurent, directement ou
indirectement, à titre gratuit ou onéreux, l'accès à des services en ligne autres que
de correspondance privée ou le stockage pour mise à disposition du public de signaux,
d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par ces services,
ne sont responsables des atteintes aux droits des tiers résultant du contenu de ces
services que, si elles ont elles-mêmes contribué à la création ou à la production de
ce contenu ou si ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n'ont pas agi
promptement pour empêcher l'accès à ce contenu, sous réserve qu'elles en assurent
directement le stockage.
Art. 43-3 Les personnes mentionnées à l'article 43-2 sont tenues, sous
réserve qu'elles en assurent directement le stockage et lorsqu'elles sont saisies par une
autorité judiciaire, de lui transmettre les éléments d'identification fournis par la
personne ayant procédé à la création ou à la production du message ainsi que les
éléments techniques en leur possession de nature à permettre de localiser leur
émission.
Un décret en Conseil d'État détermine les éléments d'identification et les
éléments techniques mentionnés à l'alinéa précédent, ainsi que leur durée et les
modalités de leur conservation ".
Soulignons que cet amendement a
été préféré à 4 autres propositions, dont celle du député de Chazeaux qui tentait
d'arriver à un objectif similaire en confiant un rôle actif au Conseil Supérieur de
l'Audiovisuel (CSA) en appuyant sur le projet de directive européenne relative à
certains aspects du commerce électronique.
Mais, pour autant, les débats ne sont pas
terminés. En effet, les textes d'exécution devront déterminer les périmètres de mises
à disposition d'outils de filtrage et surtout ce que recouvre lexpression
"autorité judiciaire". A notre connaissance, cette notion n'a pas été
suffisamment explicité et de plus, elle est sujette à trop interprétations qui ont des
répercussions non négligeables : l'avis du parquet suffit-il ? faut-il une ordonnance
d'un juge d'instruction ? s'agit-il uniquement de décision judiciaire ?
G.H. et O.D.T.
A consulter sur Juriscom.net : le bulletin E-Law n°10 traitant de l'actualité
internationale en matière de protection des bases de données (juin 1999). |