Après en avoir délibéré,
Les Faits :
La société Electre a pour objet l'édition et l'exploitation de
toutes banques de données en relation avec l'édition. Elle a mis en place une base de
données comportant la nomenclature de l'ensemble des ouvrages édités en France.
Cette base est notamment disponible sous forme de cédérom et Electre
la propose à l'abonnement selon un modèle de contrat qui en interdit la diffusion et la
communication à des tiers. M. D. est gérant de la société T.I. Communication,
éditrice d'un site Web "Le Livre en Ligne", hébergé par la société Maxotex
Hébergement, dont le nom commercial est MHNET. Le 10 février 1997, M. D. a souscrit un
abonnement au cédérom de Electre. Electre considère que "Le Livre en Ligne"
reproduit servilement sa base de données.
Après avoir fait procéder à une saisie chez Maxotex et chez T.I.
Communication des bases de données exploitées par cette dernière, Electre introduit la
présente instance.
La Procédure
Par acte du 25/01/99, Electre assigne T.I. Communication, Maxotex et M.
D. et demande au tribunal de :
- condamner solidairement les défenderesses à lui payer 1 000 000 francs à titre de
dommages intérêts ;
- les condamner à ce que les accès via Internet au site Web "Le Livre en
Ligne" soient reroutés vers une page du site Web de Electre aux frais des
défenderesses, sous astreinte de 10 000 francs par jour de retard ;
- les condamner solidairement à ce que le master original et l'ensemble des copies de
la base de données "Le Livre en Ligne" lui soient remises, sous astreinte de 10
000 francs par jour de retard ;
- l'autoriser à procéder à la destruction du master original et de l'ensemble des
copies de la base de données ;
- ordonner que le jugement à intervenir soit publié dans cinq publications de son
choix, aux frais exclusifs des défenderesses qui devront solidairement en faire l'avance,
sans que ces insertions ne puissent dépasser la somme totale de 100 000 francs ;
- ordonner que le jugement à intervenir soit publié en ligne sur le site de Electre,
sur le site de l'Agence pour la Protection des Programmes et sur le site d'accueil de
Maxotex, sans que cette dernière ne puisse déplacer ou rendre indisponible cette page
sans l'autorisation de Electre, et ce pendant une durée de 12 mois à compter de la
signification du jugement à intervenir, aux frais exclusifs des défenderesses qui
devront solidairement en faire l'avance, sans que ces insertions ne puissent dépasser la
somme totale de 60 000 francs ;
- l'autoriser à envoyer par tout moyen un message électronique aux sites pointant
vers le site "Le Livre en Ligne", les invitant à supprimer tout référencement
du site "Le Livre en Ligne" ;
- condamner solidairement les défenderesses à lui payer la somme de 200 000 francs au
titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- condamner solidairement les défenderesses aux dépens.
Par conclusions du 05/03/99, T.I. Communication et M. D. demandent au
tribunal de :
- mettre hors de cause M. D. à titre personnel et ne retenir son intervention dans
cette procédure qu'en qualité de gérant de T.I. Communication ;
- condamner Electre à verser à M. D. la somme de 10 000 francs en application de
l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- débouter Electre de ses demandes ;
- condamner Electre à verser à T.I. Communication la somme de 30 000 francs en
application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- condamner Electre aux dépens.
Par conclusions du 05/03/1999, Maxotex demande au tribunal de :
- débouter Electre de toutes ses demandes à son encontre ;
- condamner Electre à lui payer la somme de 50 000 francs de dommages-intérêts.
Subsidiairement :
- condamner T.I. Communication et M. D. à la garantir de toutes les condamnations
prononcées à son encontre au bénéfice de Electre ;
- condamner Electre et T.I. Communication à lui payer chacune la somme de 15 000
francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- condamner Electre aux dépens.
Il sera statué par un jugement contradictoire en premier ressort.
Sur la demande de mise hors de cause de M. D.
Au soutien de sa demande, Electre présente les "conditions
d'abonnement au CD-ROM Electre", signées le 10/02/97 par M. D. et portant à la
rubrique "nom et adresse" les mentions "D. M. - 14 rue de Gournay - 60490
Marqueglise" et indique qu'il n'y a donc pas lieu de mettre M. D. hors de cause. T.I.
Communication et M. D. indiquent au contraire que la licence n'a été souscrite que pour
le compte de T.I. Communication qui en a payé la redevance, comme le prouve le chèque de
5 320,26 francs signé par M. D., tiré par T.I. Communication sur le Crédit Agricole, au
bénéfice de Electre le 20/10/98 (en règlement d'un solde de facture du 30/12/97) ; et
que M. D. doit donc être mis hors de cause.
Sur quoi, le tribunal :
Attendu que l'abonnement au cédérom de Electre a été signé par M.
D. sans que soit mentionnée sa qualité de gérant de T.I. Communication ; que le doute
subsiste donc sur la nature de son intervention ; le tribunal déboutera M. D. de sa
demande de mise hors de cause.
Sur l'utilisation illicite par T.I. Communication de la base de
données Electre
Electre expose que : "Le Livre en Ligne" reproduit
servilement la base de données de Electre qui a été "décompilée" (données
copiées et réparties autrement) ; cette observation est confirmée par un procès-verbal
de Monsieur Lotte (du 26/11/98, présenté aux débats) et par un procès-verbal de
constat de Monsieur Chardenon daté du 10/12/98 et présenté aux débats ; les
Présidents des TGI de Nanterre et de Meaux ont, par ordonnances des 04/01/99 et 07/01/99,
autorisé Electre à la saisie de la base de données de "Le Livre en Ligne"
dans les locaux de MHNET et de T.I. Communication. T.I. Communication expose que le site
de "Le Livre en Ligne" et celui de Electre ont des présentations et des
vocations différentes (respectivement, catalogue d'achat amélioré et site de recherche
bibliographique) les informations utilisées par T.I. Communication lui viennent
principalement des éditeurs, à qui elle envoie un questionnaire type ; cependant pour
pallier l'insuffisance des réponses de certains éditeurs, T.I. Communication a été
amenée à utiliser des informations générales saisies par Electre à partir
d'informations qu'elle même avait reçues des éditeurs , les emprunts qu'elle a pu faire
à Electre ne sont pas relatifs au choix ou à la disposition des matières qui selon
l'article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle constituent, dans les bases de
données, les créations intellectuelles protégeables.
Sur quoi, le tribunal :
Attendu qu'il est établi, et d'ailleurs non contesté, que T.I.
Communication ait utilisé les données de Electre dans "Le Livre en Ligne"
;qu'il n'appartenait pas à T.I. Communication d'apprécier si ces données pouvaient, ou
non, être licitement utilisées par elle, alors qu'elle avait signé un contrat excluant
la diffusion de la banque de données à des tiers ; que cette clause du contrat
s'applique aux sous ensembles de la banque de données visés en l'espèce ; le tribunal
dira que T.I. Communication a utilisé le cédérom de Electre d'une façon illicite.
Sur la responsabilité de Maxotex
Electre fait valoir que : les bases de données bénéficient d'un
régime spécifique de protection (articles L. 341 et L. 342 du Code de la propriété
intellectuelle) ;Maxotex s'est rendue complice de T.I. Communication en lui fournissant
les moyens de diffuser sur Internet la base de données litigieuse Maxotex souligne que
:en tout état de cause, elle n'est pas responsable du délit de contrefaçon et ne peut
être recherchée sur aucun fondement des articles L. 342-1 et L. 342-2 du Code de la
propriété intellectuelle. En effet :elle a reçu la base de données de T.I.
Communication sous forme de disquettes et n'a ni participé à une extraction du contenu
de la base de données d'Electre, ni réutilisé le contenu de cette base de données ;.
elle n'a fait qu'assurer la connexion du site sur le réseau Internet en vertu d'un
contrat de prestation de service; dès qu'elle a eu connaissance des procès-verbaux de
saisie-contrefaçon et de l'Agence pour la Protection des Programmes, et de l'assignation
placée par Electre, elle a, le 03/02/99, écrit à T.I. Communication pour lui demander,
à titre conservatoire, de cesser l'exploitation de sa base de données ou, à tout le
moins, de l'expurger de toutes les références issues, volontairement ou non, de la base
Electre. Sans réaction de T.I. Communication, Maxotex a pris le risque, à titre
conservatoire, de fermer le site.
Sur quoi, le tribunal :
Attendu qu'il n'est pas contesté que le rôle de Maxotex se soit
limité à "l'hébergement" ; qu'aucune disposition n'impose à l'hébergeur de
vérifier le contenu des informations dont il permet la circulation ;que prévenue de la
survenance d'un litige, Maxotex a agi promptement en fermant le site"Le Livre en
Ligne" à titre conservatoire ; Le tribunal dira que Maxotex n'a commis aucune faute
et la mettra hors de cause.
Sur le préjudice de Electre
Electre évalue son préjudice à 1 000 000 francs mais ne donne pas
d'élément de justification ;
T.I. Communication considère au contraire que Electre n'a subi aucun
préjudice.
Sur quoi, le tribunal :
Attendu qu'il s'agit ici d'apprécier le préjudice subi par Electre et
d'en ordonner la réparation par T.I. Communication et par M. D. ; Attendu que Electre ne
justifie pas le montant demandé ;que T.I. Communication s'était régulièrement abonnée
au cédérom de Electre mais l'avait partiellement utilisé en dehors du domaine convenu
;que les éléments dont il dispose permettent au tribunal d'estimer à 100 000 francs le
préjudice subi par Electre ; Le tribunal condamnera solidairement T.I. Communication et
M. D. à payer cette somme à Electre.
Sur la remise (sous astreinte) à Electre et destruction par elle du
master original et copies de la base de données de "Le Livre en Ligne"
Attendu que cette demande apparaît justifiée, le tribunal y fera
droit dans les termes ci-après.
Sur les mesures de reroutage vers Electre des accès au site "Le
Livre en Ligne" et la suppression du référencement du site "Le Livre en
Ligne"
Attendu que le site de "Le Livre en Ligne" est actuellement
fermé, la demande de Electre est sans objet et le tribunal l'en déboutera.
Sur la demande de publication du jugement (sur des documents et en
ligne) aux frais de T.I. Communication et de M. D.
Le tribunal autorisera Electre à publier à ses frais le présent
jugement et déboutera Electre de sa demande contraire.
Sur l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
Attendu que, pour faire valoir ses droits, Electre a dû engager des
frais irrépétibles importants, non compris dans les dépens, qu'il serait inéquitable
de laisser entièrement à sa charge, le tribunal condamnera solidairement T.I.
Communication et M. D. à lui verser 10 000 francs à ce titre, déboutant Electre du
surplus ; Attendu que, pour faire valoir ses droits, Maxotex a dû exposer des frais
irrépétibles, non compris dans les dépens, qu'il serait inéquitable de laisser à sa
charge, le tribunal condamnera T.I. Communication à lui payer 5 000 francs à ce titre,
déboutant Maxotex du surplus ; Le tribunal déboutera T.I. Communication et M. D. de
leurs demandes de ce chef. Le tribunal condamnera solidairement T.I. Communication et M.
D., qui succombent, aux dépens.
Par ces motifs,
Le tribunal, statuant par un jugement contradictoire en premier
ressort,dit que
T.I. Communication a utilisé le cédérom de Electre d'une façon
illicite ;
Met Maxotex Hébergement hors de cause ;
Condamne solidairement T.I. Communication et M. D. à payer 100 000
francs à Electre à titre de dommages-intérêts ;
Ordonne la remise à Electre du master et des copies de la base de
données de "Le Livre en Ligne", sous astreinte de 1 000 francs par jour de
retard à partir du 15ème jour de la signification du présent jugement et ce pendant
soixante jours, passé lequel délai il sera à nouveau fait droit ;
Se réserve la liquidation de l'astreinte ;
Autorise Electre à détruire ce master et ces copies ;
Autorise Electre à publier, à ses frais, le présent jugement ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Condamne solidairement T.I. Communication et M. D., au titre de
l'article 700 du nouveau code de procédure civile, à payer :10 000 francs à Electre, 5
000 francs à Maxotex Hébergement,
Déboutant les parties de leurs autres demandes ;
Condamne solidairement la T.I. Communication et M. D. aux dépens, dont
ceux à recouvrer par le Greffe liquidés à la somme de 287,00 francs TTC.