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Rubrique : internautes / le droit pour tous
Mots clés : commerce, électronique, cybercommerce
Citation : Alexandre MENAIS, "Le cybercommerce à la française", Juriscom.net, janvier 1999
Première publication : Juriscom.net


Le cybercommerce à la française...

Au-delà des considérations juridiques, Alexandre Menais nous présente les enjeux auquels sont confrontés les principaux acteurs du cybercommerce français. Ces derniers ne devront plus attendre pour relever le défi des nouveaux médias.

Alexandre Menais


En France, le commerce électronique sur l'Internet connaît un début des plus laborieux et ceci alors que personne ne doute a priori des avantages qu'il pourra apporter aux consommateurs et aux commerçants. Pourtant, les solutions permettant la mise en place du commerce électronique (le télécommerce de France Télecom par exemple) ou encore les moyens de paiements (SSL et SET) proposent un contexte tout à fait favorable à son développement. Mais ce dernier se fait attendre.

Les Nord-Américains ont la mainmise sur le commerce électronique mondial. Ils s'accordent pour constater que l'Europe et, bien entendu, la France ne présentent pas les perspectives d'évolution espérées (nous nous referons à deux expériences malheureuses de Surf&Buy d'IBM et de e-Christmas de Microsoft.) Ici ou là, on ébauche des problématiques diverses notamment relatives au régime juridique de la vente sur Internet. Pour autant, personne ne semble vouloir admettre les évidences qui tendraient à expliquer pourquoi le commerce sur Internet en est encore à se chercher en France.

Les premières expériences ont pu dévoiler des difficultés avant tout structurelles : problème dû à la bande passante, gestion des boutiques virtuelles, contraintes liées à la logistique (les sociétés spécialisées dans le transport et la logistique n’ont pas encore pris véritablement la mesure de ce nouveau marché et ne dispose pas encore d’offres adaptées) , etc... Des éléments plus ou moins résolus, mais qui ont certainement dû détourner les premiers consommateurs et décourager de futurs prospects. Or, les professionnels du marketing ou de la publicité savent qu'il est très difficile de rattraper des clients insatisfaits.

Mais la différence de chiffre d'affaires qui existe entre le leader mondial amazone.com (http://www.amazon.com/) et le leader français SIPSAtos (http://www.atos-group.com) ne s'explique pas simplement par une bande passante... Est-ce à dire que la France ne serait pas encore " sociologiquement " adaptée aux nouveaux modes de commerce ? Cette affirmation peut sembler simpliste et réductrice. N'oublions pas que le Minitel et la vente par correspondance sont des modes de commerce bien développés en France. En outre, le sous-équipement des foyers français en "kit multimédia" a bien été résorbé ces derniers temps.

Le problème doit être ailleurs. Premier élément de réponse : la répartition des rôles entre distributeurs, producteurs et autres intermédiaires, à savoir trois entités différentes (particularité franco-française) qui ne facilite en rien l’émergence de la vente en ligne. Certains d’entre eux ont pu y voir la disparition de marges importantes et parfois même l’intégralité de leur activité ! C’est pourquoi des fabricants étrangers (par exemple SONY) ont préféré développer des vitrines plutôt que des sites marchands, qui renvoient vers leurs distributeurs agréés.

A cela s’ajoute, l’absence de notoriété des premiers produits (les grandes marques tardent à se lancer dans le commerce électronique), la sous qualité de certain, des offres inadaptées qui constituent sans doute des raisons encore plus évidentes. En effet, à quoi bon reproduire simplement dans le nouvel environnement de l'Internet les galeries marchandes du monde physique ? Quelle plus value un internaute peut-il bien rechercher dans une boutique virtuelle qui lui propose la même offre qu'il trouvera dans un magasin lambda ?

Certains seraient tenté de nous répondre que l’internaute pourrait chercher les produits qu’il ne trouve pas à côté de chez lui ! ou encore que la plus-value consiste simplement à pouvoir passer des commandes plus facilement que par courrier…Ces arguments partent d’un constat objectif. Cependant, que remarque t-on sur les premières offres ?

Les premiers magasins virtuels ont maintenu les principes liés aux marchés de masse fondés sur la standardisation, les volumes et qui " poussent " les produits vers les clients. Sans réels avantages sur les prix, avec des délais de livraison trop longs et des vitrines contenant trop de références… les premiers sites marchands n’ont manifestement pas su s’adapter au nouvel environnement de l’Internet.

L'acte d’achat sur le réseau se justifie avant tout par rapport au système traditionnel de consommation. Les sites ne peuvent se résigner à leur rôle de devantures. Dans cette hypothèse, ils correspondent à une simple activité de marketing et non de commerce électronique à proprement parler.

C'est pourquoi, il convient d'imaginer un nouveau modèle apportant une valeur ajoutée suffisamment importante pour que le consommateur se détourne des canaux traditionnels. Quel que soit le profil du cybermarchand, le système doit reposer sur la fédération d’une communauté d’intérêts virtuels (thématiques, sociologiques, professionnelles…) plus importante que la seule vente. L’objectif va bien plus loin que la simple transaction commerciale. Pour les " cyberboutiques ", il s’agira notamment de favoriser la fourniture d’informations précieuses sur le client et plus précisément sur son comportement de merchandising.

Les réponses à notre problème se situent donc dans les portails, les fédérateurs de services ou encore les communautés virtuelles. Ils semblent apporter la plus value recherchée dans la mesure où ils conjuguent les spécificités de l’Internet avec les besoins économiques des protagonistes du commerce. L'intégration du monde bancaire présente également une importance majeure. Les établissements financiers français l’ont bien compris. Ils ne peuvent rester inactifs et absents du débat.

Tout d'abord, les fédérateurs de services représentent pour les banques françaises des points d'entrée et de références fortement spécialisés autour de thèmes précis. L'interactivité qu'ils proposent aux internautes est sans commune mesure. On peut y retrouver le concept de forum, essence de l'Internet, qui s’intègre dans le cadre des échanges commerciaux où se rencontrent l’offre et la demande. Bref, un moyen idéal pour les banques de pénétrer le monde de l'Internet, car le réseau des réseaux va avoir un impact décisif sur la distribution des produits financiers. D'autant plus que les établissements financiers français ne viennent pas les mains vides !

Mais comment tirer profit de la maîtrise des moyens de paiements ? (Pour une étude complète, voir : Lionel Thoumyre, Mise en scène des nouveaux moyens de paiements sur Internet, Juriscom.net, décembre 1998). Force est de constater que les solutions SSL (protocole de cryptage devenu une norme mondiale, intégré aux navigateurs), SET et C-SET sont dorénavant maîtrisées par les banques. Ces dernières ont d’ailleurs démontré qu'elles savaient s'unir pour parvenir à une solution unique (Europay, e-Comm et le GIE cartes Bancaires ont signé un protocole pour chercher une solution commune qui reposerait sur l'utilisation de la carte à puce et du protocole SET). Elle serait ainsi le fruit d'une convergence entre les solutions Cybercard/C-Set.

La démarche des banques françaises nous semble cependant relever d'un autre temps. Parader sur la maîtrise des moyens de paiements constitue un débat déjà dépassé. Si la confiance des consommateurs est une chose, l'unicité des solutions ne permet pas de construire une offre différentielle. Le nouvel espace de concurrence représenté par l’Internet a su montrer à quel point la culture de la différence et de la nouveauté pouvait attirer l’internaute. Pour autant, peut-on condamner le monde bancaire français de s’intéresser et d’intervenir dans un espace qui lui était inconnu et dans lequel coexiste des interlocuteurs nouveaux ? Pour ces dernières, l’Internet banalisera certainement les produits financiers. Le réseau attirera aussi les clients vers de nouveaux interlocuteurs qui ne seront pas forcément des institutions financières classiques (ceci affectera sans aucun doute les marges à la baisse). Certains de ces nouveaux intermédiaires sont déjà apparus : des courtiers (brokers), tels que le Lending Tree ou Get smart, dont le rôle est de mettre en relation des clients avec des fournisseurs proposant notamment les meilleurs crédits sur le marché.

En réaction, il n’est pas étonnant de voir certains interlocuteurs classiques explorer d'autres formes d'activités souvent bien loin du domaine bancaire. Outre le consortium e-Comm (http://www.e-comm.fr), certaines banques (le Crédit Mutuel, http://www.creditmutuel.fr) ont décidé de mettre en place une infrastructure de fournisseurs d'accès et d'hébergement tout en proposant un service de paiement électronique basé, pour la banque précitée, sur le protocole SSL. Certaines banques développent aussi des galeries commerciales (le Crédit Mutuel ou la Compagnie Bancaire avec Kleline, http://www.kleline.fr) à l'instar de leurs concurrents britanniques. Cette débauche d'énergie créatrice n'est pas sans poser de sérieuses difficultés pour les intéressés eux-mêmes, à savoir les banques. Ces dernières savent bien que l’on paye cher le prix de la diversification…

Parallèlement, la communauté bancaire française connaît un bouleversement profond (privatisation, fusion, restructuration, développement de nouveaux métiers…) qui la rend sans aucun doute frileuse. Comment envisager des développements à long terme alors que les états majors raisonnent pour l'instant à très court terme et que les préoccupations du moment sont d'un autre ordre (Euro et an 2000) ?

Les portails français et les fournisseurs de services ont connu un démarrage difficile (à titre d'exemple Kleline affiche 20 millions de pertes pour 1998), certes ! Mais, c’est sans doute par leur intermédiaire que les banques joueront leur rôle d’acteur incontournable du commerce électronique. Tout d'abord, un rôle actif dans la fourniture de moyens de paiements qui leur permettra de se rémunérer à chaque transaction, tout en laissant la responsabilité des transactions aux gestionnaires de l'environnement créé. Puis, les banques représentent la plus value dont les galeries commerciales ont besoin à ce jour (par exemple pour le chef français SIPSAtos, http://www.atos-group.com ou encore Wanadoo, http://www.wanadoo.fr/ ).

L’Internet permettra également de réduire les coûts des institutions financières au moins de trois manières : la simplification de certains processus pour des clients " pré-qualifiés ", la gestion totalement on line du circuit depuis la demande des clients jusqu’à l’offre et la finalisation de la vente, la facilitation des recherches ou demandes d’information des clients résultant en une offre plus rapide des banques consultées à un coût très inférieur à celui des agences. Or, comme nous le précisions, l’Internet mettra en évidence l’importance accrue de la marque, élément essentielle pour obtenir la confiance du client.

L’annonce le 11 janvier 1999 de la création d’un institut international du commerce électronique tend à démontrer que tous les acteurs ont décidé de marcher ensemble vers un même but : le développement du commerce électronique. De plus, Les récentes alliances entre grands fournisseurs et annuaires (AOL, Cegetel et Canal+ entre autres) laisse entrevoir un contexte qui paraît à nouveau favorable pour les banques françaises si elles parviennent à trouver la place qui pourrait être la leur. En ont-elles le choix ? Pour exister dans le grand marché du commerce électronique, il en va de leur survie ! Car les établissements financiers américains y trônent déjà sans partage.

A. M.


Voir également sur Juriscom.net :

Commerce électronique : 1999, année charnière ? (Revue de presse), de Juliette Aquilina.

 

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