Le cybercommerce à la française...
Au-delà des considérations juridiques,
Alexandre Menais nous présente les enjeux auquels sont confrontés les principaux acteurs
du cybercommerce français. Ces derniers ne devront plus attendre pour relever le défi
des nouveaux médias.
Alexandre Menais
En France, le commerce électronique sur
l'Internet connaît un début des plus laborieux et ceci alors que personne ne doute a
priori des avantages qu'il pourra apporter aux consommateurs et aux commerçants.
Pourtant, les solutions permettant la mise en place du commerce
électronique (le télécommerce de France Télecom par exemple) ou encore les moyens de
paiements (SSL et SET) proposent un contexte tout à fait favorable à son développement.
Mais ce dernier se fait attendre.
Les Nord-Américains ont la mainmise sur le commerce
électronique mondial. Ils s'accordent pour constater que l'Europe et, bien entendu, la
France ne présentent pas les perspectives d'évolution espérées (nous nous referons à
deux expériences malheureuses de Surf&Buy d'IBM et de e-Christmas de Microsoft.)
Ici ou là, on ébauche des problématiques diverses notamment
relatives au régime juridique de la vente sur Internet. Pour autant, personne ne semble
vouloir admettre les évidences qui tendraient à expliquer pourquoi le commerce sur
Internet en est encore à se chercher en France.
Les premières expériences ont pu dévoiler des difficultés
avant tout structurelles : problème dû à la bande passante, gestion des boutiques
virtuelles, contraintes liées à la logistique (les sociétés spécialisées dans le
transport et la logistique nont pas encore pris véritablement la mesure de ce
nouveau marché et ne dispose pas encore doffres adaptées) , etc... Des éléments
plus ou moins résolus, mais qui ont certainement dû détourner les premiers
consommateurs et décourager de futurs prospects. Or, les professionnels du marketing ou
de la publicité savent qu'il est très difficile de rattraper des clients insatisfaits.
Mais la différence de chiffre d'affaires qui existe entre le
leader mondial amazone.com (http://www.amazon.com/)
et le leader français SIPSAtos (http://www.atos-group.com)
ne s'explique pas simplement par une bande passante... Est-ce à dire que la France ne
serait pas encore " sociologiquement " adaptée aux nouveaux modes de
commerce ? Cette affirmation peut sembler simpliste et réductrice. N'oublions pas
que le Minitel et la vente par correspondance sont des modes de commerce bien développés
en France. En outre, le sous-équipement des foyers français en "kit
multimédia" a bien été résorbé ces derniers temps.
Le problème doit être ailleurs. Premier élément de
réponse : la répartition des rôles entre distributeurs, producteurs et autres
intermédiaires, à savoir trois entités différentes (particularité franco-française)
qui ne facilite en rien lémergence de la vente en ligne. Certains dentre eux
ont pu y voir la disparition de marges importantes et parfois même lintégralité
de leur activité ! Cest pourquoi des fabricants étrangers (par exemple SONY)
ont préféré développer des vitrines plutôt que des sites marchands, qui renvoient
vers leurs distributeurs agréés.
A cela sajoute, labsence de notoriété des premiers
produits (les grandes marques tardent à se lancer dans le commerce électronique), la
sous qualité de certain, des offres inadaptées qui constituent sans doute des raisons
encore plus évidentes. En effet, à quoi bon reproduire simplement dans le nouvel
environnement de l'Internet les galeries marchandes du monde physique ? Quelle plus
value un internaute peut-il bien rechercher dans une boutique virtuelle qui lui propose la
même offre qu'il trouvera dans un magasin lambda ?
Certains seraient tenté de nous répondre que
linternaute pourrait chercher les produits quil ne trouve pas à côté de
chez lui ! ou encore que la plus-value consiste simplement à pouvoir passer des
commandes plus facilement que par courrier
Ces arguments partent dun constat
objectif. Cependant, que remarque t-on sur les premières offres ?
Les premiers magasins virtuels ont maintenu les principes liés
aux marchés de masse fondés sur la standardisation, les volumes et qui
" poussent " les produits vers les clients. Sans réels avantages sur
les prix, avec des délais de livraison trop longs et des vitrines contenant trop de
références
les premiers sites marchands nont manifestement pas su
sadapter au nouvel environnement de lInternet.
L'acte dachat sur le réseau se justifie avant tout par
rapport au système traditionnel de consommation. Les sites ne peuvent se résigner à
leur rôle de devantures. Dans cette hypothèse, ils correspondent à une simple activité
de marketing et non de commerce électronique à proprement parler.
C'est pourquoi, il convient d'imaginer un nouveau modèle
apportant une valeur ajoutée suffisamment importante pour que le consommateur se
détourne des canaux traditionnels. Quel que soit le profil du cybermarchand, le système
doit reposer sur la fédération dune communauté dintérêts virtuels
(thématiques, sociologiques, professionnelles
) plus importante que la seule vente.
Lobjectif va bien plus loin que la simple transaction commerciale. Pour les
" cyberboutiques ", il sagira notamment de favoriser la fourniture
dinformations précieuses sur le client et plus précisément sur son comportement
de merchandising.
Les réponses à notre problème se situent donc dans les
portails, les fédérateurs de services ou encore les communautés virtuelles. Ils
semblent apporter la plus value recherchée dans la mesure où ils conjuguent les
spécificités de lInternet avec les besoins économiques des protagonistes du
commerce. L'intégration du monde bancaire présente également une
importance majeure. Les établissements financiers français lont bien compris. Ils
ne peuvent rester inactifs et absents du débat.
Tout d'abord, les fédérateurs de services représentent pour
les banques françaises des points d'entrée et de références fortement spécialisés
autour de thèmes précis. L'interactivité qu'ils proposent aux internautes est sans
commune mesure. On peut y retrouver le concept de forum, essence de l'Internet, qui
sintègre dans le cadre des échanges commerciaux où se rencontrent loffre et
la demande. Bref, un moyen idéal pour les banques de pénétrer le monde de l'Internet,
car le réseau des réseaux va avoir un impact décisif sur la distribution des produits
financiers. D'autant plus que les établissements financiers français ne viennent pas les
mains vides !
Mais comment tirer profit de la maîtrise des moyens de
paiements ? (Pour une étude complète, voir : Lionel Thoumyre, Mise en scène des
nouveaux moyens de paiements sur Internet, Juriscom.net,
décembre 1998). Force est de constater que les solutions SSL (protocole de cryptage
devenu une norme mondiale, intégré aux navigateurs), SET et C-SET sont dorénavant
maîtrisées par les banques. Ces dernières ont dailleurs démontré qu'elles
savaient s'unir pour parvenir à une solution unique (Europay, e-Comm et le GIE cartes
Bancaires ont signé un protocole pour chercher une solution commune qui reposerait sur
l'utilisation de la carte à puce et du protocole SET). Elle serait ainsi le fruit d'une
convergence entre les solutions Cybercard/C-Set.
La démarche des banques françaises nous semble cependant
relever d'un autre temps. Parader sur la maîtrise des moyens de paiements constitue un
débat déjà dépassé. Si la confiance des consommateurs est une chose, l'unicité des
solutions ne permet pas de construire une offre différentielle. Le nouvel espace de
concurrence représenté par lInternet a su montrer à quel point la culture de la
différence et de la nouveauté pouvait attirer linternaute. Pour autant, peut-on condamner le monde bancaire français de
sintéresser et dintervenir dans un espace qui lui était inconnu et dans
lequel coexiste des interlocuteurs nouveaux ? Pour ces dernières, lInternet banalisera certainement les
produits financiers. Le réseau attirera aussi les clients vers de nouveaux interlocuteurs
qui ne seront pas forcément des institutions financières classiques (ceci affectera sans
aucun doute les marges à la baisse). Certains de ces nouveaux intermédiaires sont déjà
apparus : des courtiers (brokers), tels que le Lending Tree ou Get smart, dont
le rôle est de mettre en relation des clients avec des fournisseurs proposant notamment
les meilleurs crédits sur le marché.
En réaction, il nest pas étonnant de voir certains
interlocuteurs classiques explorer d'autres formes d'activités souvent bien loin du
domaine bancaire. Outre le consortium e-Comm (http://www.e-comm.fr), certaines banques (le
Crédit Mutuel, http://www.creditmutuel.fr)
ont décidé de mettre en place une infrastructure de fournisseurs d'accès et
d'hébergement tout en proposant un service de paiement électronique basé, pour la
banque précitée, sur le protocole SSL. Certaines banques développent aussi des galeries commerciales
(le Crédit Mutuel ou la Compagnie Bancaire avec Kleline, http://www.kleline.fr) à l'instar de leurs
concurrents britanniques. Cette débauche d'énergie créatrice n'est pas sans poser de
sérieuses difficultés pour les intéressés eux-mêmes, à savoir les banques. Ces
dernières savent bien que lon paye cher le prix de la diversification
Parallèlement, la communauté bancaire française connaît un
bouleversement profond (privatisation, fusion, restructuration, développement de nouveaux
métiers
) qui la rend sans aucun doute frileuse. Comment envisager des
développements à long terme alors que les états majors raisonnent pour l'instant à
très court terme et que les préoccupations du moment sont d'un autre ordre (Euro et an
2000) ?
Les portails français et les fournisseurs de services ont connu
un démarrage difficile (à titre d'exemple Kleline affiche 20 millions de pertes pour
1998), certes ! Mais, cest sans doute par leur intermédiaire que les banques
joueront leur rôle dacteur incontournable du commerce électronique.
Tout d'abord, un rôle actif dans la fourniture de moyens de
paiements qui leur permettra de se rémunérer à chaque transaction, tout en laissant la
responsabilité des transactions aux gestionnaires de l'environnement créé.
Puis, les banques représentent la plus value dont les galeries
commerciales ont besoin à ce jour (par exemple pour le chef français SIPSAtos, http://www.atos-group.com
ou encore Wanadoo, http://www.wanadoo.fr/
).
LInternet permettra également de réduire les coûts des
institutions financières au moins de trois manières : la simplification de certains
processus pour des clients " pré-qualifiés ", la gestion totalement on
line du circuit depuis la demande des clients jusquà loffre et la
finalisation de la vente, la facilitation des recherches ou demandes dinformation
des clients résultant en une offre plus rapide des banques consultées à un coût très
inférieur à celui des agences. Or, comme nous le précisions, lInternet mettra en
évidence limportance accrue de la marque, élément essentielle pour obtenir la
confiance du client.
Lannonce le 11 janvier 1999 de la création dun
institut international du commerce électronique tend à démontrer que tous les acteurs
ont décidé de marcher ensemble vers un même but : le développement du commerce
électronique. De plus, Les récentes alliances entre grands fournisseurs et
annuaires (AOL, Cegetel et Canal+ entre autres) laisse entrevoir un contexte qui paraît
à nouveau favorable pour les banques françaises si elles parviennent à trouver la place
qui pourrait être la leur. En ont-elles le choix ? Pour exister dans le grand marché du commerce électronique, il
en va de leur survie ! Car les établissements financiers américains y trônent
déjà sans partage.
A. M.
Voir également sur Juriscom.net :
Commerce électronique
: 1999, année charnière ? (Revue de presse), de Juliette Aquilina.