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Rubrique : internautes / revues de presse
Mots clés : commerce, électronique, statistiques
Citation : Juliette AQUILINA, "Commerce électronique : 1999, année charnière ?", Juriscom.net, 24 février 1999


Commerce électronique : 1999, année charnière ?

Juliette Aquilina


On est à l’heure du constat. Les fêtes de Noël ont généré aux États-Unis un volume d’affaires en ligne de plusieurs milliards de dollars. En France, les ventes de produits via Internet ont atteint plus de 3 milliards de francs en 1998. C’est trois fois plus qu’en 1997 ! Tout le monde se félicite donc de ces résultats et 1999 s’annonce déjà comme l’année de l’Internet marchand.

Science et Vie Micro (SVM) a consacré un dossier spécial dans son édition de février, intitulé " L’an 1 du commerce sur Internet ". Toute la rédaction entonne un joyeux " c’est parti ! (...) le commerce électronique n’est plus une idée, mais une réalité qui dégage de vrais profits ", avant de commenter, chiffres à l’appui, le développement annoncé de l’e-business.

Même son de cloche dans Le Monde qui titre " Les PME surfent sur la vague du commerce électronique ". Dans cet article (paru le 5 février dernier), le quotidien révèle que " dans ce nouveau réseau de distribution, les petites entreprises apparaissent pour l’instant plus réactives que les grosses ". Il nous informe également de la teneur des travaux réalisés par la " mission commerce électronique " qu’a dirigée Francis Lorentz. Dans un rapport remis au ministre des Finances, M. Lorentz estime qu’en 1998 environ 10 millions de foyers dans le monde ont effectué des achats en ligne. Les prévisions en matière de transactions électroniques s’élèveraient à 600 milliards de dollars pour 2002, soit 3% du commerce de détail nord-américain. Quant au nombre de sites Web marchands, il s’évaluerait à plus d’1,5 million. Le retard de la France en la matière est cependant indéniable : sur les 300 000 entreprises qu’elle comporte, seulement 1000 ont mis en ligne de véritables sites - " actifs " commercialement parlant.

Mais, comme le fait remarquer SVM dans son dossier, " si les français ne s’illustrent pas pour l’heure dans l’écran, ils sont en revanche plutôt activistes dans les couloirs de l’Union européenne et de l’OCDE. A l’origine du premier texte visant à protéger les marchés européens (...) ils se sont heurtés à l’hostilité de l’administration américaine [qui prône] une politique ultralibérale. (...) Mais les États-Unis se sont [finalement] rangés à l’idée d’un minimum de réglementation, et les Européens ont l’intention de préciser courant 1999 un cadre juridique aux signatures électroniques et aux transactions sur le Net ". Aussi, le commerce électronique est entrain de se doter petit à petit d’un cadre juridique susceptible de sécuriser les potentiels cyberconsommateurs.

Y aurait-il quelques nuages pour assombrir ce beau tableau ? The Economist, dans son article " Why Internet shares will fall " paru dans l’édition du 30 janvier au 5 février 1999, tire la sonnette d’alarme. Au risque de jouer les trouble-fête, l’hebdomadaire anglais nous rappelle que la plupart des entreprises impliquées dans le commerce sur le Net n’ont toujours pas gagné un sou. En effet, leur poids financier ne peut pas encore s’évaluer en profits réalisés, mais uniquement en capitalisation boursière... d’où le danger !

Ainsi, la valeur boursière du libraire-disquaire virtuel Amazon.com, un des pionniers dans son domaine, approcherait les 20 milliards de dollars. L’entreprise occupe déjà 90% du marché en ligne des livres et prévoit d’étendre son activité à la vente de vidéos et de jeux ordinateurs (1).

En 1998, les actions d’Amazon auraient fait un bond en valeur de 966% ! Aux dire de la revue financière, entre décembre et janvier dernier, le prix des actions aurait encore grimpé de 150%, allant jusqu’à dépasser en valeur celui des actions Texaco, géant pétrolier. Même scénario en ce qui concerne AOL. Sa valorisation boursière, qui frise les 70 milliards de dollars, vient de dépasser celle de la compagnie General Motors... on comprend donc l’agitation des milieux financiers. Comme le fait remarquer l’article, " by its own account, Amazon is still a few years away from turning any profit at all. Meanwhile, extending the Amazon brand into new product areas is both risky and expensive (...) ".

The Economist souligne la fragilité de la situation. Des entreprises encore jeunes, investies dans un commerce relativement incertain, voient leur valeur boursière atteindre des sommets. Et l’hebdomadaire de s’insurger contre la surévaluation boursière, trop courante aux États-Unis : " This newspaper has long argued that shares in general are overvalued, espacially in America (...) ".

La comparaison est faite entre l’époque où l’électricité révolutionnait le monde et l’ère nouvelle des technologies de l’information. " Bien que l’électricité soit une grande invention ", publiait The Economist en 1882, " et que son développement à venir promette d’être considérable, cela ne nous permet malheureusement pas d’anticiper sur la prospérité financière des compagnies pionnières ". C’est ce même sentiment d’incertitude qui, selon la revue, s’applique aujourd’hui à Internet. " (...) today’s pioneering Internet companies are unlikely ever to earn the vast profits needed to justify their current share prices ".

Mais concrètement, quel risque existe-il ? Les spécialistes redoutent que la bulle financière, gonflée par les multiples investissements boursiers relatifs au commerce électronique, éclate purement et simplement ! Et un krach boursier serait plutôt malvenu... " a crash this time could prove particularly hard to digest ". Le problème vient notamment du caractère virtuel du commerce en ligne et, comme le fait remarquer un investisseur américain, " the region [la Silicon Valley] has seen a lot of bubbles. This time, however, it has been possible to make a lot of money without building a real business ". Ainsi, l’Internet marchand serait encore trop jeune et trop incertain pour que l’on puisse " tirer des plans sur la comète " et faire monter les enchères boursières de la sorte ! Chris Kitze, fondateur de XOOM.com, un site de marketing-direct, conseille à toutes les entreprises reliées de près ou de loin à Internet de rester vigilantes, et " not to spend the money before they actually have it " !

1999, année charnière ? Certainement ! Encore faut-il faire la part des choses entre un optimisme béat et une vision trop alarmiste. Oui, le commerce électronique prend son envol en Europe. Oui, il est déjà bien avancé outre-Atlantique. Certes, la manne financière est considérable et les risques existent. Mais les enjeux, tant financiers que juridiques ou sociaux, s’enchevêtrent si bien que le manichéisme prévisionnel n’est pas permis. Internet deviendra-t-il la plus grande galerie commerciale au monde ? Prenons donc les paris !

J. A.


Notes

(1) Signalons qu'Amazon.com vient de prendre une participation de 40% dans le capital d'une "startup" (entreprise née il y a 7 mois) qui commercialise des produits pharmaceutiques et cosmétiques. L'édition en ligne du 3 mars 1999 du journal Le Monde parle de "stratégie de diversification agressive" de la part d'Amazon. The Wall Street Journal évalue le marché à 150 milliards de dollards annuels...


Voir également sur Juriscom.net :

- Le cybercommerce à la française, d'Alexandre Menais ;
- Mise en scène des nouveaux moyens de paiement sur Internet, de Lionel Thoumyre.

 

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