On est à lheure du constat. Les fêtes de Noël ont
généré aux États-Unis un volume daffaires en ligne de plusieurs milliards de
dollars. En France, les ventes de produits via Internet ont atteint plus de 3
milliards de francs en 1998. Cest trois fois plus quen 1997 ! Tout le monde se
félicite donc de ces résultats et 1999 sannonce déjà comme lannée de
lInternet marchand.
Science et Vie Micro (SVM)
a consacré un dossier spécial dans son édition de février, intitulé " Lan 1
du commerce sur Internet ". Toute la rédaction entonne un joyeux " cest
parti ! (...) le commerce électronique nest plus une idée, mais une réalité qui
dégage de vrais profits ", avant de commenter, chiffres à lappui, le
développement annoncé de le-business.
Même son de cloche dans Le
Monde qui titre " Les PME surfent sur la vague du commerce électronique ".
Dans cet article (paru le 5 février dernier), le quotidien révèle que " dans
ce nouveau réseau de distribution, les petites entreprises apparaissent pour
linstant plus réactives que les grosses ". Il nous informe également
de la teneur des travaux réalisés par la " mission commerce
électronique " qua dirigée Francis Lorentz. Dans un rapport remis au
ministre des Finances, M. Lorentz estime quen 1998 environ 10 millions de foyers
dans le monde ont effectué des achats en ligne. Les prévisions en matière de
transactions électroniques sélèveraient à 600 milliards de dollars pour 2002,
soit 3% du commerce de détail nord-américain. Quant au nombre de sites Web marchands, il
sévaluerait à plus d1,5 million. Le retard de la France en la matière est
cependant indéniable : sur les 300 000 entreprises quelle comporte, seulement 1000
ont mis en ligne de véritables sites - " actifs " commercialement
parlant.
Mais, comme le fait remarquer SVM
dans son dossier, " si les français ne sillustrent pas pour
lheure dans lécran, ils sont en revanche plutôt activistes dans les couloirs
de lUnion européenne et de lOCDE. A lorigine du premier texte visant à
protéger les marchés européens (...) ils se sont heurtés à lhostilité de
ladministration américaine [qui prône] une politique ultralibérale. (...)
Mais les États-Unis se sont [finalement] rangés à lidée dun minimum
de réglementation, et les Européens ont lintention de préciser courant 1999 un
cadre juridique aux signatures électroniques et aux transactions sur le Net ".
Aussi, le commerce électronique est entrain de se doter petit à petit dun cadre
juridique susceptible de sécuriser les potentiels cyberconsommateurs.
Y aurait-il quelques nuages pour
assombrir ce beau tableau ? The Economist, dans son article " Why
Internet shares will fall " paru dans lédition du 30 janvier au 5
février 1999, tire la sonnette dalarme. Au risque de jouer les trouble-fête,
lhebdomadaire anglais nous rappelle que la plupart des entreprises impliquées dans
le commerce sur le Net nont toujours pas gagné un sou. En effet, leur poids
financier ne peut pas encore sévaluer en profits réalisés, mais uniquement en
capitalisation boursière... doù le danger !
Ainsi, la valeur boursière du
libraire-disquaire virtuel Amazon.com, un des pionniers dans son domaine,
approcherait les 20 milliards de dollars. Lentreprise occupe déjà 90% du marché
en ligne des livres et prévoit détendre son activité à la vente de vidéos et de
jeux ordinateurs (1).
En 1998, les actions dAmazon
auraient fait un bond en valeur de 966% ! Aux dire de la revue financière, entre
décembre et janvier dernier, le prix des actions aurait encore grimpé de 150%, allant
jusquà dépasser en valeur celui des actions Texaco, géant pétrolier.
Même scénario en ce qui concerne AOL. Sa valorisation boursière, qui frise les
70 milliards de dollars, vient de dépasser celle de la compagnie General Motors...
on comprend donc lagitation des milieux financiers. Comme le fait remarquer
larticle, " by its own account, Amazon is still a few years away from
turning any profit at all. Meanwhile, extending the Amazon brand into new product
areas is both risky and expensive (...) ".
The Economist souligne la
fragilité de la situation. Des entreprises encore jeunes, investies dans un commerce
relativement incertain, voient leur valeur boursière atteindre des sommets. Et
lhebdomadaire de sinsurger contre la surévaluation boursière, trop courante
aux États-Unis : " This newspaper has long argued that shares in general are
overvalued, espacially in America (...) ".
La comparaison est faite entre
lépoque où lélectricité révolutionnait le monde et lère nouvelle
des technologies de linformation. " Bien que lélectricité soit une
grande invention ", publiait The Economist en 1882, " et
que son développement à venir promette dêtre considérable, cela ne nous permet
malheureusement pas danticiper sur la prospérité financière des compagnies
pionnières ". Cest ce même sentiment dincertitude qui, selon la
revue, sapplique aujourdhui à Internet. " (...) todays
pioneering Internet companies are unlikely ever to earn the vast profits needed to justify
their current share prices ".
Mais concrètement, quel risque
existe-il ? Les spécialistes redoutent que la bulle financière, gonflée par les
multiples investissements boursiers relatifs au commerce électronique, éclate purement
et simplement ! Et un krach boursier serait plutôt malvenu... " a crash this
time could prove particularly hard to digest ". Le problème vient notamment
du caractère virtuel du commerce en ligne et, comme le fait remarquer un investisseur
américain, " the region [la Silicon Valley] has seen a lot of
bubbles. This time, however, it has been possible to make a lot of money without building
a real business ". Ainsi, lInternet marchand serait encore trop jeune
et trop incertain pour que lon puisse " tirer des plans sur la
comète " et faire monter les enchères boursières de la sorte ! Chris Kitze,
fondateur de XOOM.com, un site de marketing-direct, conseille à toutes les
entreprises reliées de près ou de loin à Internet de rester vigilantes, et " not
to spend the money before they actually have it " !
1999, année charnière ?
Certainement ! Encore faut-il faire la part des choses entre un optimisme béat et une
vision trop alarmiste. Oui, le commerce électronique prend son envol en Europe. Oui, il
est déjà bien avancé outre-Atlantique. Certes, la manne financière est considérable
et les risques existent. Mais les enjeux, tant financiers que juridiques ou sociaux,
senchevêtrent si bien que le manichéisme prévisionnel nest pas permis.
Internet deviendra-t-il la plus grande galerie commerciale au monde ? Prenons donc les
paris !
J. A.
Notes
(1) Signalons qu'Amazon.com
vient de prendre une participation de 40% dans le capital d'une "startup"
(entreprise née il y a 7 mois) qui commercialise des produits pharmaceutiques et
cosmétiques. L'édition
en ligne du 3 mars 1999 du journal Le Monde parle de "stratégie de
diversification agressive" de la part d'Amazon. The Wall Street Journal
évalue le marché à 150 milliards de dollards annuels...
Voir également sur Juriscom.net :
- Le cybercommerce à la française, d'Alexandre Menais ;
- Mise en scène des
nouveaux moyens de paiement sur Internet, de Lionel Thoumyre.