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Rubrique : professionnels / volume 1

Spamming

Mars 1999


 

Spamming et législation américaine :
vers un projet fédéral décisif

Par Eric Labbé
Agent de recherche au Centre de Recherche en Droit Public
Université de Montréal

email : labbee@crdp.umontreal.ca

 


En quête d’une solution à l’épineux problème du courrier électronique commercial non sollicité, les institutions américaines ont proposé, en 1997 et 1998, une pléiade de mesures législatives. Seize États américains ont considéré plus de dix-sept propositions (1) dont quatre sont actuellement en vigueur (2). Au niveau fédéral, sept projets de loi ont été étudiés lors du 105e Congrès sans qu’aucun n’ait encore pu satisfaire les parlementaires (3).

Bien qu’il soit un peu tôt pour apprécier l’avancement des nouveaux projets de loi pour l’année 1999, nous pouvons entrevoir l’adoption d’une série intéressante de mesures étatiques (4). Toutefois, les activités du 106e Congrès américain susciteront davantage l’attention des principaux intéressés. Malgré l’absence de propositions fédérales depuis le début de cette année, le représentant Tom Bliley, président du House Commerce Committee, annonce que son comité soumettra une solution législative qu’il tentera de faire adopter par le nouveau Congrès. De concert avec le secteur privé, ces efforts pourraient bien cette fois se concrétiser par une prohibition stricte du courrier électronique commercial non sollicité.

L’importance d’une telle décision implique toutefois un bref retour aux diverses propositions antécédentes et aux mesures législatives récemment adoptées par les différents États américains. Ces initiatives reflètent les options qui se présentent aujourd’hui au Congrès américain. Jusqu’à maintenant, deux systèmes de réglementation ont fait l’objet de ces propositions et mesures.

Généralement, les fournisseurs d’accès Internet (FAI) et les regroupements d’usagers ont souhaité faire adopter un système de réglementation opt-in. Cette solution consiste à interdire l’envoi de messages publicitaires à moins d’une acceptation préalable des destinataires. Lorsque cette condition est satisfaite, l'expéditeur doit toutefois fournir une adresse de retour exacte et s'identifier correctement auprès du destinataire. Selon les principaux tenants de ce système, cette solution est susceptible de rompre le transfert des coûts publicitaires aux destinataires de pourriels.

Parmi les propositions législatives fédérales, seul un projet de loi était muni d’un système opt-in de réglementation (5). Ce projet permettait notamment la prise d'actions privées de l'ordre de 500 $ (US) par courrier électronique commercial non sollicité ou selon le préjudice établi. Notons que les propositions étatiques ont été beaucoup plus friandes de ce type de réglementation. En effet, six projets lui étaient favorables bien qu’aucun d’eux n’a été adopté.

À l’opposé, les systèmes de réglementation opt-out favorisent les partisans du marketing direct. Autorisant l’envoi de courrier électronique non sollicité en l’absence de refus des destinataires, cette solution exige une rôle actif de la part des usagers. Deux options ont été envisagées pour permettre aux destinataires de signifier ce refus. La première alternative consiste en une liste universelle d’exclusion où chaque usager a la possibilité de refuser l’une ou l’autre des catégories de courrier électronique non sollicité - commercial, politique, religieux, etc. La deuxième alternative donne plutôt aux destinataires la possibilité de retirer leurs adresses de courrier électronique de la liste de distribution des expéditeurs; une option qui peut s’avérer extrêmement lourde pour le destinataire.

Des mesures proposées, cinq projets de loi fédéraux et sept projets étatiques ont considéré la réglementation du courrier électronique non sollicité selon un système opt-out. À l’instar du système de réglementation opt-in, ces propositions étaient généralement accompagnées d’une obligation pour l’expéditeur d’identifier correctement ses coordonnées et d’une sanction contre les falsifications d’en-têtes de messages. La loi de l’État de Washington adoptée en mars 1998 (6) est à cet effet. Nous pouvons donc envisager qu’une réglementation fédérale conserverait ces mesures complémentaires, peu importe le système de réglementation choisi.

Accessoirement, certains aménagements législatifs désiraient imposer aux expéditeurs une classification de leurs messages publicitaires. Cette obligation permettait aux FAI et à leurs usagers de filtrer le courrier électronique non sollicité. L’une des deux nouvelles lois californiennes sur le courrier électronique non sollicité impose aux expéditeurs la classification suivante :

(g) In the case of e-mail that consists of unsolicited advertising material for the lease, sale, rental, gift offer, or other disposition of any realty, goods, services, or extension of credit, the subject line of each and every message shall include "ADV:" as the first four characters. If these messages contain information that consists of unsolicited advertising material for the lease, sale, rental, gift offer, or other disposition of any realty, goods, services, or extension of credit, that may only be viewed, purchased, rented, leased, or held in possession by an individual 18 years of age and older, the subject line of each and every message shall include "ADV:ADLT" as the first eight characters.(g) In the case of e-mail that consists of unsolicited advertising material for the lease, sale, rental, gift offer, or other disposition of any realty, goods, services, or extension of credit, the subject line of each and every message shall include "ADV:" as the first four characters. If these messages contain information that consists of unsolicited advertising material for the lease, sale, rental, gift offer, or other disposition of any realty, goods, services, or extension of credit, that may only be viewed, purchased, rented, leased, or held in possession by an individual 18 years of age and older, the subject line of each and every message shall include "ADV:ADLT" as the first eight characters.(7)

Jumelée à un système de réglementation opt-out, cette obligation doit être comprise comme une mesure supplétive à la seconde loi californienne (8). Cette dernière reconnaît aux fournisseurs d’accès Internet le droit d’interdire l’utilisation de leurs systèmes par la diffusion de leurs politiques via le Web. Un FAI californien est donc en droit d’interdire l’envoi de pourriels vers son serveur de courrier électronique et l’emploi de ses ressources par des polluposteurs (9). Les expéditeurs de messages allant à l’encontre de la politique du serveur du destinataire risquent une amende de 50 dollars américains par message pour un maximum de 25 000 dollars (US) par jour. Il s’agit de la première loi américaine ayant considéré l’approche du droit de propriété.

Enfin, signalons l’originalité du projet de loi fédéral H.R. 2368 qui optait plutôt pour la rédaction d’un code de conduite volontaire par un groupe de travail. Une fois adopté, le code de conduite ne devait s’appliquer qu’aux fournisseurs d’accès Internet et aux personnes ayant accepté le code de conduite par leur enregistrement dans un registre déterminé par le groupe de travail. Les FAI et personnes enregistrées pouvaient ainsi bénéficier d’un logo représentant leur adhésion au code de conduite. Le projet de loi prévoyait également la création d’une procédure d’arbitrage pour les conflits survenant entre les FAI et les personnes régis par le code. Notons toutefois que les règles érigées par le groupe de travail devaient contenir l’obligation, pour les expéditeurs, d’identifier leurs noms et coordonnées et de permettre, par l’inscription d’une notification, la possibilité de refuser tout courrier électronique commercial selon un système conçu par le groupe de travail.

La nature volontaire de l’autoréglementation mine cependant la consistance du projet H.R. 2368. En effet, il apparaît difficile d’envisager un code de conduite volontaire pour régler définitivement la question du spamming. La difficulté réside justement dans l’existence de tiers détracteurs. La voie de l’autorèglementation n’est en fait réalisable que lorsque les forces du marché convergent vers un objectif commun, voire lorsque chacun y trouve son profit ou y évite une perte. En l’absence de solutions techniques complémentaires à l’autoréglementation et d’un large consensus, les intérêts opposés sur la question du spamming nécessitent au moins une réglementation nationale fixant les droits et obligations de chacun. Nous ajoutons que le problème relié au caractère transnational d’Internet demeure mais ne justifie certainement pas l’inaction lorsqu’il est possible de résoudre une part du problème.

Les choix offerts au législateur américain sont donc nombreux. Si la tendance se maintien, le 106e Congrès devrait toutefois orienter sa décision vers une approche du droit de propriété. Le succès de la loi californienne et les récentes recommandations émanant du Commercial Electronic Messages Select Task Force (État de Washington) reflètent de plus en plus les aspirations des principaux acteurs d’Internet, les FAI…

E. L.


Notes

 

1. Alaska House Bill 491 (1997), California Assembly Bill 1629 (1998); California Assembly Bill 1676 (1998), Connecticut House Bill 6558 (1997), Kentucky Bill Resolution 337/House Bill 41 (1998); Maryland House Bill 1114 (1998); Massachusetts House Bill 4581 (1997), Nevada Senate Bill 13 (1997); New Hampshire House Bill 1633 (1997), New Jersey Assembly Bill 295 (1998); New Jersey Assembly Bill 513 (1998), New York Senate Bill 3524/Assembly Bill 6805 (1997); North Carolina House Bill 1744 (1997), Rhode Island Senate Bill 1073 (1997); Virginia House Bill 1325 (1998), Washington House Bill 2752 (1998); Wisconsin Senate Bill 283 (1997).

2. Prohibited Unsolicited Electronic Mail, chapter 149, Laws of 1998 (55th Legislature) (Washington); An Act relating to actions concerning persons; providing that a person who transmits certain items of electronic mail is liable to the recipient for civil damages under certain circumstances; providing that the district court may enjoin a person from transmitting certain items of electronic mail under certain circumstances; and providing other matters properly relating theret, chapter 341, Laws of 1997 (69th Legislature) (Nevada); An act to amend Section 17538.4 of the Business and Professions Code, relating to advertising, chapter 865, Statutes of 1998, (54th Legislature) (California); An act to amend Section 17511.1 of, and to add Section 17538.45 to, the Business and Professions Code, and to amend Section 502 of the Penal Code, relating to advertising, chapter 863, Statutes of 1998 (54th Legislature) (California).

3. Netizens Protection Act of 1997 (H.R. 1748), Data Privacy Act of 1997 (H.R. 2368), E-Mail User Protection Act of 1998 (H.R. 4124), Digital Jamming Act of 1998 (H.R. 4176), Unsolicited Commercial Electronic Mail Choice Act of 1997 (S. 771), Electronic Mailbox Protection Act of 1997 (S. 875), Anti-Slamming Amendments Act (S. 1618/H.R. 3888).

4. À titre d’exemple, l’État de Virginie est sur le point de promulguer deux législations (H.B. 1714 et 1668) visant à interdire la falsification d’adresse de courrier électronique non sollicité (e-mail message transmission information) et la possession, vente et distribution de logiciels facilitant la falsification de cette information.

5. Netizens Protection Act of 1997 (H.R. 1748).

6. Prohibited Unsolicited Electronic Mail, chapter 149, Laws of 1998 (55th Legislature). À l’origine, cette loi devait interdire le courrier électronique commercial non sollicité. La loi telle qu’adoptée crée cependant un groupe de travail destiné à évaluer la suffisance des lois existantes à résoudre les problèmes techniques, légaux et financiers reliés à l’accroissement du nombre de courriers électroniques commerciaux.

7. An Act to amend Section 17538.4 of the Business and Professions Code, relating to advertising, chapter 865, Statutes of 1998, (54th Legislature).

8. An Act to amend Section 17511.1 of, and to add Section 17538.45 to, the Business and Professions Code, and to amend Section 502 of the Penal Code, relating to advertising, chapter 863, Statutes of 1998 (54th Legislature).

9. De la même façon, le nouveau projet de loi H.B. 1037 (1999) de l’État de Washington voudrait interdire le courrier électronique non sollicité pour les fournisseurs d’accès Internet ayant publié leur politique. Cette nouvelle initiative suit les recommandations du groupe de travail créé par la loi de l’État de Washington de mars 1998.


Voir également sur Juriscom.net :

- Email publicitaires : tarir à la source (Espace "Internautes"), de Lionel Thoumyre ;
- Pourriel, pollupostage et référencement abusif : le spamming dans tous ses états (Espace "Professionnels"), de Eric Labbé.

 

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