Spamming
et législation américaine :
vers un projet fédéral décisif
Par Eric Labbé
Agent de recherche au Centre de Recherche en Droit Public
Université de Montréal
email : labbee@crdp.umontreal.ca
En quête dune solution à lépineux problème
du courrier électronique commercial non sollicité, les institutions américaines ont
proposé, en 1997 et 1998, une pléiade de mesures législatives. Seize États américains
ont considéré plus de dix-sept propositions (1) dont quatre sont
actuellement en vigueur (2). Au niveau fédéral, sept projets de loi ont
été étudiés lors du 105e Congrès sans quaucun nait encore pu
satisfaire les parlementaires (3).
Bien quil soit un peu tôt
pour apprécier lavancement des nouveaux projets de loi pour lannée 1999,
nous pouvons entrevoir ladoption dune série intéressante de mesures
étatiques (4). Toutefois, les activités du 106e Congrès
américain susciteront davantage lattention des principaux intéressés. Malgré
labsence de propositions fédérales depuis le début de cette année, le
représentant Tom Bliley, président du House Commerce Committee, annonce que son
comité soumettra une solution législative quil tentera de faire adopter par le
nouveau Congrès. De concert avec le secteur privé, ces efforts pourraient bien cette
fois se concrétiser par une prohibition stricte du courrier électronique commercial non
sollicité.
Limportance dune
telle décision implique toutefois un bref retour aux diverses propositions antécédentes
et aux mesures législatives récemment adoptées par les différents États américains.
Ces initiatives reflètent les options qui se présentent aujourdhui au Congrès
américain. Jusquà maintenant, deux systèmes de réglementation ont fait
lobjet de ces propositions et mesures.
Généralement, les fournisseurs
daccès Internet (FAI) et les regroupements dusagers ont souhaité faire
adopter un système de réglementation opt-in. Cette solution consiste à interdire
lenvoi de messages publicitaires à moins dune acceptation préalable des
destinataires. Lorsque cette condition est satisfaite, l'expéditeur doit toutefois
fournir une adresse de retour exacte et s'identifier correctement auprès du destinataire.
Selon les principaux tenants de ce système, cette solution est susceptible de rompre le
transfert des coûts publicitaires aux destinataires de pourriels.
Parmi les propositions
législatives fédérales, seul un projet de loi était muni dun système opt-in
de réglementation (5). Ce projet permettait notamment la prise d'actions
privées de l'ordre de 500 $ (US) par courrier électronique commercial non sollicité ou
selon le préjudice établi. Notons que les propositions étatiques ont été beaucoup
plus friandes de ce type de réglementation. En effet, six projets lui étaient favorables
bien quaucun deux na été adopté.
À lopposé, les systèmes
de réglementation opt-out favorisent les partisans du marketing direct. Autorisant
lenvoi de courrier électronique non sollicité en labsence de refus des
destinataires, cette solution exige une rôle actif de la part des usagers. Deux options
ont été envisagées pour permettre aux destinataires de signifier ce refus. La première
alternative consiste en une liste universelle dexclusion où chaque usager a la
possibilité de refuser lune ou lautre des catégories de courrier
électronique non sollicité - commercial, politique, religieux, etc. La deuxième
alternative donne plutôt aux destinataires la possibilité de retirer leurs adresses de
courrier électronique de la liste de distribution des expéditeurs; une option qui peut
savérer extrêmement lourde pour le destinataire.
Des mesures proposées, cinq
projets de loi fédéraux et sept projets étatiques ont considéré la réglementation du
courrier électronique non sollicité selon un système opt-out. À linstar
du système de réglementation opt-in, ces propositions étaient généralement
accompagnées dune obligation pour lexpéditeur didentifier correctement
ses coordonnées et dune sanction contre les falsifications den-têtes de
messages. La loi de lÉtat de Washington adoptée en mars 1998 (6)
est à cet effet. Nous pouvons donc envisager quune réglementation fédérale
conserverait ces mesures complémentaires, peu importe le système de réglementation
choisi.
Accessoirement, certains
aménagements législatifs désiraient imposer aux expéditeurs une classification de
leurs messages publicitaires. Cette obligation permettait aux FAI et à leurs usagers de
filtrer le courrier électronique non sollicité. Lune des deux nouvelles lois
californiennes sur le courrier électronique non sollicité impose aux expéditeurs la
classification suivante :
(g) In the case of e-mail that
consists of unsolicited advertising material for the lease, sale, rental, gift offer, or
other disposition of any realty, goods, services, or extension of credit, the subject line
of each and every message shall include "ADV:" as the first four characters. If
these messages contain information that consists of unsolicited advertising material for
the lease, sale, rental, gift offer, or other disposition of any realty, goods, services,
or extension of credit, that may only be viewed, purchased, rented, leased, or held in
possession by an individual 18 years of age and older, the subject line of each and every
message shall include "ADV:ADLT" as the first eight characters.(g) In the case of e-mail that
consists of unsolicited advertising material for the lease, sale, rental, gift offer, or
other disposition of any realty, goods, services, or extension of credit, the subject line
of each and every message shall include "ADV:" as the first four characters. If
these messages contain information that consists of unsolicited advertising material for
the lease, sale, rental, gift offer, or other disposition of any realty, goods, services,
or extension of credit, that may only be viewed, purchased, rented, leased, or held in
possession by an individual 18 years of age and older, the subject line of each and every
message shall include "ADV:ADLT" as the first eight characters.(7)
Jumelée à un système de
réglementation opt-out, cette obligation doit être comprise comme une mesure
supplétive à la seconde loi californienne (8). Cette dernière
reconnaît aux fournisseurs daccès Internet le droit dinterdire
lutilisation de leurs systèmes par la diffusion de leurs politiques via le Web. Un
FAI californien est donc en droit dinterdire lenvoi de pourriels vers son
serveur de courrier électronique et lemploi de ses ressources par des polluposteurs
(9). Les expéditeurs de messages allant à lencontre de la
politique du serveur du destinataire risquent une amende de 50 dollars américains par
message pour un maximum de 25 000 dollars (US) par jour. Il sagit de la première
loi américaine ayant considéré lapproche du droit de propriété.
Enfin, signalons
loriginalité du projet de loi fédéral H.R. 2368 qui optait plutôt pour la
rédaction dun code de conduite volontaire par un groupe de travail. Une fois
adopté, le code de conduite ne devait sappliquer quaux fournisseurs
daccès Internet et aux personnes ayant accepté le code de conduite par leur
enregistrement dans un registre déterminé par le groupe de travail. Les FAI et personnes
enregistrées pouvaient ainsi bénéficier dun logo représentant leur adhésion au
code de conduite. Le projet de loi prévoyait également la création dune
procédure darbitrage pour les conflits survenant entre les FAI et les personnes
régis par le code. Notons toutefois que les règles érigées par le groupe de travail
devaient contenir lobligation, pour les expéditeurs, didentifier leurs noms
et coordonnées et de permettre, par linscription dune notification, la
possibilité de refuser tout courrier électronique commercial selon un système conçu
par le groupe de travail.
La nature volontaire de
lautoréglementation mine cependant la consistance du projet H.R. 2368. En effet, il
apparaît difficile denvisager un code de conduite volontaire pour régler
définitivement la question du spamming. La difficulté réside justement dans
lexistence de tiers détracteurs. La voie de lautorèglementation nest
en fait réalisable que lorsque les forces du marché convergent vers un objectif commun,
voire lorsque chacun y trouve son profit ou y évite une perte. En labsence de
solutions techniques complémentaires à lautoréglementation et dun large
consensus, les intérêts opposés sur la question du spamming nécessitent au
moins une réglementation nationale fixant les droits et obligations de chacun. Nous
ajoutons que le problème relié au caractère transnational dInternet demeure mais
ne justifie certainement pas linaction lorsquil est possible de résoudre une
part du problème.
Les choix offerts au législateur
américain sont donc nombreux. Si la tendance se maintien, le 106e Congrès
devrait toutefois orienter sa décision vers une approche du droit de propriété. Le
succès de la loi californienne et les récentes recommandations émanant du Commercial
Electronic Messages Select Task Force (État de Washington) reflètent de plus en plus
les aspirations des principaux acteurs dInternet, les FAI
E. L.
Notes
1. Alaska House Bill 491
(1997), California Assembly Bill 1629 (1998); California Assembly Bill 1676 (1998),
Connecticut House Bill 6558 (1997), Kentucky Bill Resolution 337/House Bill 41 (1998);
Maryland House Bill 1114 (1998); Massachusetts House Bill 4581 (1997), Nevada Senate Bill
13 (1997); New Hampshire House Bill 1633 (1997), New Jersey Assembly Bill 295 (1998); New
Jersey Assembly Bill 513 (1998), New York Senate Bill 3524/Assembly Bill 6805 (1997);
North Carolina House Bill 1744 (1997), Rhode Island Senate Bill 1073 (1997); Virginia
House Bill 1325 (1998), Washington House Bill 2752 (1998); Wisconsin Senate Bill 283
(1997).
2. Prohibited Unsolicited
Electronic Mail, chapter 149, Laws of 1998 (55th Legislature) (Washington);
An Act relating to actions concerning persons; providing that a person who transmits
certain items of electronic mail is liable to the recipient for civil damages under
certain circumstances; providing that the district court may enjoin a person from
transmitting certain items of electronic mail under certain circumstances; and providing
other matters properly relating theret, chapter 341, Laws of 1997 (69th
Legislature) (Nevada); An act to amend Section 17538.4 of the Business and Professions
Code, relating to advertising, chapter 865, Statutes of 1998, (54th
Legislature) (California); An act to amend Section 17511.1 of, and to add Section
17538.45 to, the Business and Professions Code, and to amend Section 502 of the Penal
Code, relating to advertising, chapter 863, Statutes of 1998 (54th
Legislature) (California).
3. Netizens Protection Act of 1997
(H.R. 1748), Data Privacy Act of 1997 (H.R. 2368), E-Mail User Protection Act of
1998 (H.R. 4124), Digital Jamming Act of 1998 (H.R. 4176), Unsolicited
Commercial Electronic Mail Choice Act of 1997 (S. 771), Electronic Mailbox
Protection Act of 1997 (S. 875), Anti-Slamming Amendments Act (S. 1618/H.R.
3888).
4. À titre dexemple, lÉtat de
Virginie est sur le point de promulguer deux législations (H.B. 1714 et 1668) visant à
interdire la falsification dadresse de courrier électronique non sollicité (e-mail
message transmission information) et la possession, vente et distribution de logiciels
facilitant la falsification de cette information.
5. Netizens Protection Act of 1997 (H.R.
1748).
6. Prohibited Unsolicited Electronic Mail,
chapter 149, Laws of 1998 (55th Legislature). À lorigine, cette loi
devait interdire le courrier électronique commercial non sollicité. La loi telle
quadoptée crée cependant un groupe de travail destiné à évaluer la suffisance
des lois existantes à résoudre les problèmes techniques, légaux et financiers reliés
à laccroissement du nombre de courriers électroniques commerciaux.
7. An Act to amend Section 17538.4 of the
Business and Professions Code, relating to advertising, chapter 865, Statutes of 1998,
(54th Legislature).
8. An Act to amend Section 17511.1 of,
and to add Section 17538.45 to, the Business and Professions Code, and to amend Section
502 of the Penal Code, relating to advertising, chapter 863, Statutes of 1998 (54th
Legislature).
9. De la même façon, le nouveau projet de loi H.B. 1037
(1999) de lÉtat de Washington voudrait interdire le courrier électronique non
sollicité pour les fournisseurs daccès Internet ayant publié leur politique.
Cette nouvelle initiative suit les recommandations du groupe de travail créé par la loi
de lÉtat de Washington de mars 1998.
Voir également sur Juriscom.net :
- Email
publicitaires : tarir à la source (Espace "Internautes"), de Lionel
Thoumyre ;
- Pourriel, pollupostage et
référencement abusif : le spamming dans tous ses états (Espace
"Professionnels"), de Eric Labbé.
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