La
révolution du MP3
Par Maître Thibault Verbiest
Avocat au Barreau de Bruxelles
email : thibaut.verbiest@skynet.be
Les pistes sonores
numériques dun CD traditionnel ne peuvent pas circuler facilement sur Internet. La
taille des fichiers impliquerait des temps de téléchargement interminables, ce qui a
longtemps réussi à décourager le piratage duvres musicales sur le Web. La
situation a radicalement changé avec lapparition des fichiers MP3.
MP3 est labréviation de " Motion
Picture Experts Group, Audio Layer 3 ", un format de fichier électronique
permettant de compresser des enregistrements sonores tout en conservant une qualité audio
proche de celle du CD, grâce à une technique qui réduit de 12 fois la taille du fichier
dorigine. Un CD au format MP3 comprendra donc léquivalent de 12 CD
" traditionnels ".
En quête du dernier tube des Spice
Girls ? Rien nest plus facile : une simple requête par les mots
clefs " Spice Girls " dans un moteur de recherche spécialisé MP3 et
le titre de la chanson tant convoitée apparaîtra sur lécran en hyperlien. Il
suffit alors dactiver celui-ci et de télécharger le morceau, grâce à un logiciel
gratuit disponible en ligne, sur son disque dur, ou de le graver sur un CD
Avec un modem classique, le
téléchargement dure environ 40 minutes, mais si lon dispose dune ligne à
fort débit, telle que lISDN ou lADSL, ce ne sera quune affaire de
quelques minutes, voire de quelques secondes.
Le succès suscité par les
fichiers MP3 dans le monde des internautes est impressionnant.
A titre dexemple, lun
des principaux sites de téléchargement au monde (www.mp3.com) se vante de recevoir plus de 75.000 visites par jour.
Toutefois, le format facilite le
piratage. Selon la puissante " Recording Industry Association of America "
(RIAA), 200.000 uvres musicales seraient déjà distribuées sur Internet, en
parfaite illégalité.
Lindustrie du disque
na pas tardé à réagir
La RIAA a porté plainte, en
janvier 1999, contre un site suisse qui diffusait gratuitement des chansons en format MP3,
sans aucune autorisation. La police suisse a saisi lensemble du matériel
informatique et a ordonné la fermeture du site.
Dans la mesure où il était
impossible pour lindustrie américaine du disque didentifier, et a fortiori de
poursuivre, tous les responsables des milliers de pages Web contenant des fichiers MP3
piratés à travers le monde, la RIAA a cherché dautres coupables. Cest ainsi
quen octobre 1998, elle a demandé à un tribunal de Washington linterdiction
de commercialiser un nouveau type de " balladeur " développé
par la société américaine Diamond Multimedia Systems. Cet appareil, appelé Rio,
de petite taille et relativement bon marché, permet de stocker et découter des
fichiers MP3. La RIAA estimait quil sagissait dun " outil de
contrefaçon ", dans la mesure où il favorisait le piratage de musique à
léchelle mondiale. La RIAA na pas obtenu gain de cause, et le Rio a
été vendu à plus de 250.000 exemplaires
Cette affaire peut être
rapprochée de la plainte déposée en février par lInternational Federation of
the Phonographic Industry (IFPI) contre la société norvégienne Fast. En effet,
cette société a développé un logiciel de recherche permettant lindexation
automatique des fichiers MP3 sur le réseau, et ce pour le compte du célèbre moteur de
recherche Lycos. LIFPI considère quil sagit là aussi
dun outil favorisant le piratage duvres musicales sur le Net et prétend
que Fast se serait rendu complice de contrefaçon en développant un tel logiciel, dans la
mesure où il faciliterait grandement la recherche et lutilisation de fichiers MP3
illégaux. Certains font pourtant remarquer que les moteurs de recherche facilitent
également la répression, dans la mesure où cest principalement grâce à eux que
les auteurs, artistes, producteurs et leurs associations peuvent identifier la présence
de fichiers illégaux sur le réseau.
Léquivalent américain de
la SABAM (American Society of Composers, Authors & Publishers, ASCAP) utilise
dailleurs un logiciel de recherche, le Ez-seeker, qui parcourt sans cesse le Net à
la recherche de fichiers musicaux afin de vérifier si leur distribution sur Internet a
bien été autorisée.
Les fournisseurs de services
nont pas été épargnés par cette croisade. Ainsi, le 8 avril dernier, les
producteurs du groupe français Louise Attaque ont déposé plainte contre un
étudiant pour avoir " installé sur divers sites Internet des pages
personnelles à partir desquelles tout amateur du groupe " Louise
attaque " pouvait télécharger des fichiers MP3, réalisés sans autorisation
préalable à partir dun enregistrement dun concert pirate ".
La plainte est également
dirigée contre quatre fournisseurs dhébergement, dont Le Village, géré
par une société basée à Rennes.
En Belgique, une action en
cessation a été introduite devant le Président du Tribunal de commerce de Bruxelles par
lIFPI, en raison de la présence sur les sites de clients de Belgacom Skynet de
liens renvoyant à des fichiers MP3 illicites. La décision devrait être rendue fin de ce
mois.
La législation sur le droit
dauteur est applicable
Les auteurs,
artistes-interprètes (comme les chanteurs) et les producteurs de disques jouissent du
droit exclusif dautoriser la reproduction et la représentation (communication au
public) respectivement de leurs uvres originales, de leurs prestations ou de leurs
phonogrammes (compact discs etc...). Ce droit sexerce indépendamment du
genre de support ou du média. Les exploitations sur Internet sont donc clairement visées
et les tribunaux, notamment français, ont déjà eu loccasion de préciser
quune diffusion non autorisée dune uvre sur Internet tombait sous le
coup du délit de contrefaçon. Par conséquent, toute personne qui pirate une uvre
musicale non tombée dans le domaine public, la compresse en format MP3, pour ensuite la
diffuser sur le réseau, via un site Web ou par e-mails, gratuitement ou non, sera
passible de poursuites du chef de contrefaçon.
Il convient dajouter
quen plus de ses droits économiques de reproduction et de représentation,
lauteur jouit dun droit moral inaliénable, qui implique notamment le droit
souverain de " revendiquer la paternité de luvre ".
Lartiste-interprète bénéficie dun droit similaire "à la mention de
son nom conformément aux usages honnêtes ". Or, il est facile de renommer un
fichier MP3 pour sen approprier la " paternité ". Une telle
falsification électronique serait constitutive dune violation du droit moral. De
plus, les auteurs ont le droit exclusif de " divulguer "
luvre, et à ce titre, ils seraient fondés à sopposer à des
enregistrements pirates de concert live, courants sur Internet, et dont ils
nauraient pas préalablement autorisé la diffusion.
Lindustrie du disque se
lance finalement dans laventure de la distribution musicale en ligne
Selon une étude récente, sur un
marché mondial des CD estimé à près de 40 milliards de dollars, les ventes en ligne de
musique devraient passer de 88 millions de dollars en 1998 à 1,4 milliard de dollars en
2002.
Une aubaine pour les artistes
ignorés des circuits de distribution classique et pour les petits labels indépendants.
En effet, grâce au MP3 et à Internet, ceux-ci ont désormais un accès direct au marché
mondial de la musique et peuvent ainsi contourner les réseaux traditionnels de
production, de promotion et de distribution.
A titre illustratif, le site
" www.eworldmusic.com
" recrute des artistes talentueux qui nont pas réussi à commercialiser leurs
uvres via les compagnies de disque traditionnelles, et leur offrent de les vendre
sur Internet à 1,5 dollar/pièce.
En échange, le site verse 50% du
prix de vente à lartiste, soit 4 fois plus que les 6 à 12% versés dans
lindustrie traditionnelle.
En outre, la distribution en
ligne est beaucoup moins onéreuse : là où les maisons de disque doivent vendre
environ entre 5 et 10.000 albums dun artiste pour couvrir leurs frais, avec
Internet, il suffit den vendre une dizaine.
Face à cette nouvelle
concurrence, les cinq plus grandes compagnies de disque au monde, BMG, EMI,
Sony Music, Universal Music et Warner Music, se sont
finalement résolues à se lancer dans laventure de la distribution musicale en
réseau.
Ainsi, le 12 mai 1999, Sony
a annoncé une alliance avec Microsoft pour mettre au point un nouveau format
musical (Ms Audio), censé devenir lalternative au MP3, et permettant le
téléchargement et lécoute de fichiers musicaux, protégés par chiffrement afin
de lutter contre le piratage.
Universal a également décidé
de distribuer de la musique via Internet, en sassociant avec la compagnie Intertrust,
développeur de la technologie Digibox. Celle-ci permettra à lacheteur
dun morceau musical numérisé den faire autant de copies quil le
désire, mais un code inséré dans le fichier empêchera dautres de la faire jouer
avant davoir acquitté les droits.
Du côté des multinationales
informatiques, la société française Thomson Multimedia, numéro quatre mondial
de lélectronique grand public, a annoncé en mai quelle commercialiserait à
lautomne prochain un balladeur numérique qui permettra de télécharger des
uvres musicales directement de lInternet, en autorisant une à deux heures
découte.
Ce
" walkman ", baptisé Lyra, pourra décoder le format MP3, et
sera également compatible avec dautres standards de compression, tel que
" G2 " développé par Realnetworks.
Et après la musique ?
Avec le développement et la
généralisation des lignes à haut débit, il faut sattendre à ce que le
phénomène MP3 fasse des émules dans dautres domaines de la création.
De grands groupes envisagent
déjà la commercialisation, par téléchargement, de livres ou de vidéocassettes sur
Internet.
Ainsi, la société américaine
Sightsound a proposé, lors du dernier festival de Cannes, une méthode brevetée de
distribution et de téléchargement de films sur Internet.
A condition de disposer
dune connexion à haut débit, la société garantit quun long métrage
pourrait être téléchargé en moins de 20 minutes, avec une qualité visuelle proche de
celle de la télévision.
Il est inutile de préciser que
de telles techniques risquent de créer un véritable séisme dans le monde du cinéma et
de la télévision, tant les possibilités de fraude quelles offrent sont infinies.
Ainsi, le film Titanic
pourrait-il être téléchargé, gratuitement ou à moindre coût, à partir de centaines
de sites à travers le monde, ou les émissions de chaînes à péage retransmises
simultanément sur le réseau des réseaux, permettant à la planète entière den
profiter sans payer aucun abonnement.
T.V.
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Pour plus dinformations sur
les litiges liés aux fichiers MP3 : www.droit-technologie.org, consulter le moteur de recherche avec le
mot clé MP3. Pour une étude juridique complète sur la question : J. FOLON et R.
BAILLY, " La musique on line : une nouvelle gestion du droit dauteur
et des droits voisins ? ", revue Ubiquité, juin 1999.
Article paru dans L'Echo le 17
juin 1999
Voir également sur Juriscom.net :
- Bras de fer
sur les MP3,
(Espace "Internautes" - Cybernotes) de Bertrand Salvas ;
- La protection des oeuvres numériques sur Internet,
(Espace "Professionnels"), de Lionel Thoumyre. |