@ccueil / actualité / jurisprudence / chroniques / internautes / professionnels / universitaires

Rubrique : professionnels / volume 1

Droits d'auteur

17 juin 1999


 

La révolution du MP3

Par Maître Thibault Verbiest
Avocat au Barreau de Bruxelles

email : thibaut.verbiest@skynet.be

 


Les pistes sonores numériques d’un CD traditionnel ne peuvent pas circuler facilement sur Internet. La taille des fichiers impliquerait des temps de téléchargement interminables, ce qui a longtemps réussi à décourager le piratage d’œuvres musicales sur le Web. La situation a radicalement changé avec l’apparition des fichiers MP3.

MP3 est l’abréviation de " Motion Picture Experts Group, Audio Layer 3 ", un format de fichier électronique permettant de compresser des enregistrements sonores tout en conservant une qualité audio proche de celle du CD, grâce à une technique qui réduit de 12 fois la taille du fichier d’origine. Un CD au format MP3 comprendra donc l’équivalent de 12 CD " traditionnels ".

En quête du dernier tube des Spice Girls ? Rien n’est plus facile : une simple requête par les mots clefs " Spice Girls " dans un moteur de recherche spécialisé MP3 et le titre de la chanson tant convoitée apparaîtra sur l’écran en hyperlien. Il suffit alors d’activer celui-ci et de télécharger le morceau, grâce à un logiciel gratuit disponible en ligne, sur son disque dur, ou de le graver sur un CD…

Avec un modem classique, le téléchargement dure environ 40 minutes, mais si l’on dispose d’une ligne à fort débit, telle que l’ISDN ou l’ADSL, ce ne sera qu’une affaire de quelques minutes, voire de quelques secondes.

Le succès suscité par les fichiers MP3 dans le monde des internautes est impressionnant.

A titre d’exemple, l’un des principaux sites de téléchargement au monde (www.mp3.com) se vante de recevoir plus de 75.000 visites par jour.

Toutefois, le format facilite le piratage. Selon la puissante " Recording Industry Association of America " (RIAA), 200.000 œuvres musicales seraient déjà distribuées sur Internet, en parfaite illégalité.

L’industrie du disque n’a pas tardé à réagir

La RIAA a porté plainte, en janvier 1999, contre un site suisse qui diffusait gratuitement des chansons en format MP3, sans aucune autorisation. La police suisse a saisi l’ensemble du matériel informatique et a ordonné la fermeture du site.

Dans la mesure où il était impossible pour l’industrie américaine du disque d’identifier, et a fortiori de poursuivre, tous les responsables des milliers de pages Web contenant des fichiers MP3 piratés à travers le monde, la RIAA a cherché d’autres coupables. C’est ainsi qu’en octobre 1998, elle a demandé à un tribunal de Washington l’interdiction de commercialiser un nouveau type de " balladeur " développé par la société américaine Diamond Multimedia Systems. Cet appareil, appelé Rio, de petite taille et relativement bon marché, permet de stocker et d’écouter des fichiers MP3. La RIAA estimait qu’il s’agissait d’un " outil de contrefaçon ", dans la mesure où il favorisait le piratage de musique à l’échelle mondiale. La RIAA n’a pas obtenu gain de cause, et le Rio a été vendu à plus de 250.000 exemplaires…

Cette affaire peut être rapprochée de la plainte déposée en février par l’International Federation of the Phonographic Industry (IFPI) contre la société norvégienne Fast. En effet, cette société a développé un logiciel de recherche permettant l’indexation automatique des fichiers MP3 sur le réseau, et ce pour le compte du célèbre moteur de recherche Lycos. L’IFPI considère qu’il s’agit là aussi d’un outil favorisant le piratage d’œuvres musicales sur le Net et prétend que Fast se serait rendu complice de contrefaçon en développant un tel logiciel, dans la mesure où il faciliterait grandement la recherche et l’utilisation de fichiers MP3 illégaux. Certains font pourtant remarquer que les moteurs de recherche facilitent également la répression, dans la mesure où c’est principalement grâce à eux que les auteurs, artistes, producteurs et leurs associations peuvent identifier la présence de fichiers illégaux sur le réseau.

L’équivalent américain de la SABAM (American Society of Composers, Authors & Publishers, ASCAP) utilise d’ailleurs un logiciel de recherche, le Ez-seeker, qui parcourt sans cesse le Net à la recherche de fichiers musicaux afin de vérifier si leur distribution sur Internet a bien été autorisée.

Les fournisseurs de services n’ont pas été épargnés par cette croisade. Ainsi, le 8 avril dernier, les producteurs du groupe français Louise Attaque ont déposé plainte contre un étudiant pour avoir " installé sur divers sites Internet des pages personnelles à partir desquelles tout amateur du groupe " Louise attaque " pouvait télécharger des fichiers MP3, réalisés sans autorisation préalable à partir d’un enregistrement d’un concert pirate ".

La plainte est également dirigée contre quatre fournisseurs d’hébergement, dont Le Village, géré par une société basée à Rennes.

En Belgique, une action en cessation a été introduite devant le Président du Tribunal de commerce de Bruxelles par l’IFPI, en raison de la présence sur les sites de clients de Belgacom Skynet de liens renvoyant à des fichiers MP3 illicites. La décision devrait être rendue fin de ce mois.

La législation sur le droit d’auteur est applicable

Les auteurs, artistes-interprètes (comme les chanteurs) et les producteurs de disques jouissent du droit exclusif d’autoriser la reproduction et la représentation (communication au public) respectivement de leurs œuvres originales, de leurs prestations ou de leurs phonogrammes (compact discs etc...). Ce droit s’exerce indépendamment du genre de support ou du média. Les exploitations sur Internet sont donc clairement visées et les tribunaux, notamment français, ont déjà eu l’occasion de préciser qu’une diffusion non autorisée d’une œuvre sur Internet tombait sous le coup du délit de contrefaçon. Par conséquent, toute personne qui pirate une œuvre musicale non tombée dans le domaine public, la compresse en format MP3, pour ensuite la diffuser sur le réseau, via un site Web ou par e-mails, gratuitement ou non, sera passible de poursuites du chef de contrefaçon.

Il convient d’ajouter qu’en plus de ses droits économiques de reproduction et de représentation, l’auteur jouit d’un droit moral inaliénable, qui implique notamment le droit souverain de " revendiquer la paternité de l’œuvre ". L’artiste-interprète bénéficie d’un droit similaire "à la mention de son nom conformément aux usages honnêtes ". Or, il est facile de renommer un fichier MP3 pour s’en approprier la " paternité ". Une telle falsification électronique serait constitutive d’une violation du droit moral. De plus, les auteurs ont le droit exclusif de " divulguer " l’œuvre, et à ce titre, ils seraient fondés à s’opposer à des enregistrements pirates de concert live, courants sur Internet, et dont ils n’auraient pas préalablement autorisé la diffusion.

L’industrie du disque se lance finalement dans l’aventure de la distribution musicale en ligne

Selon une étude récente, sur un marché mondial des CD estimé à près de 40 milliards de dollars, les ventes en ligne de musique devraient passer de 88 millions de dollars en 1998 à 1,4 milliard de dollars en 2002.

Une aubaine pour les artistes ignorés des circuits de distribution classique et pour les petits labels indépendants. En effet, grâce au MP3 et à Internet, ceux-ci ont désormais un accès direct au marché mondial de la musique et peuvent ainsi contourner les réseaux traditionnels de production, de promotion et de distribution.

A titre illustratif, le site " www.eworldmusic.com " recrute des artistes talentueux qui n’ont pas réussi à commercialiser leurs œuvres via les compagnies de disque traditionnelles, et leur offrent de les vendre sur Internet à 1,5 dollar/pièce.

En échange, le site verse 50% du prix de vente à l’artiste, soit 4 fois plus que les 6 à 12% versés dans l’industrie traditionnelle.

En outre, la distribution en ligne est beaucoup moins onéreuse : là où les maisons de disque doivent vendre environ entre 5 et 10.000 albums d’un artiste pour couvrir leurs frais, avec Internet, il suffit d’en vendre une dizaine.

Face à cette nouvelle concurrence, les cinq plus grandes compagnies de disque au monde, BMG, EMI, Sony Music, Universal Music et Warner Music, se sont finalement résolues à se lancer dans l’aventure de la distribution musicale en réseau.

Ainsi, le 12 mai 1999, Sony a annoncé une alliance avec Microsoft pour mettre au point un nouveau format musical (Ms Audio), censé devenir l’alternative au MP3, et permettant le téléchargement et l’écoute de fichiers musicaux, protégés par chiffrement afin de lutter contre le piratage.

Universal a également décidé de distribuer de la musique via Internet, en s’associant avec la compagnie Intertrust, développeur de la technologie Digibox. Celle-ci permettra à l’acheteur d’un morceau musical numérisé d’en faire autant de copies qu’il le désire, mais un code inséré dans le fichier empêchera d’autres de la faire jouer avant d’avoir acquitté les droits.

Du côté des multinationales informatiques, la société française Thomson Multimedia, numéro quatre mondial de l’électronique grand public, a annoncé en mai qu’elle commercialiserait à l’automne prochain un balladeur numérique qui permettra de télécharger des œuvres musicales directement de l’Internet, en autorisant une à deux heures d’écoute.

Ce " walkman ", baptisé Lyra, pourra décoder le format MP3, et sera également compatible avec d’autres standards de compression, tel que " G2 " développé par Realnetworks.

Et après la musique ?

Avec le développement et la généralisation des lignes à haut débit, il faut s’attendre à ce que le phénomène MP3 fasse des émules dans d’autres domaines de la création.

De grands groupes envisagent déjà la commercialisation, par téléchargement, de livres ou de vidéocassettes sur Internet.

Ainsi, la société américaine Sightsound a proposé, lors du dernier festival de Cannes, une méthode brevetée de distribution et de téléchargement de films sur Internet.

A condition de disposer d’une connexion à haut débit, la société garantit qu’un long métrage pourrait être téléchargé en moins de 20 minutes, avec une qualité visuelle proche de celle de la télévision.

Il est inutile de préciser que de telles techniques risquent de créer un véritable séisme dans le monde du cinéma et de la télévision, tant les possibilités de fraude qu’elles offrent sont infinies.

Ainsi, le film Titanic pourrait-il être téléchargé, gratuitement ou à moindre coût, à partir de centaines de sites à travers le monde, ou les émissions de chaînes à péage retransmises simultanément sur le réseau des réseaux, permettant à la planète entière d’en profiter sans payer aucun abonnement.

T.V.

--------------

Pour plus d’informations sur les litiges liés aux fichiers MP3 : www.droit-technologie.org, consulter le moteur de recherche avec le mot clé MP3. Pour une étude juridique complète sur la question : J. FOLON et R. BAILLY, " La musique on line : une nouvelle gestion du droit d’auteur et des droits voisins ? ", revue Ubiquité, juin 1999.

Article paru dans L'Echo le 17 juin 1999


Voir également sur Juriscom.net :

- Bras de fer sur les MP3,
(Espace "Internautes" - Cybernotes) de Bertrand Salvas ;
- La protection des oeuvres numériques sur Internet,
(Espace "Professionnels"), de Lionel Thoumyre.

 

Juriscom.net est une revue juridique créée et éditée par Lionel Thoumyre
Copyright © 1997-2001 Juriscom.net / Copyright © 2000 LexUM