@ccueil / actualité / jurisprudence / chroniques / internautes / professionnels / universitaires

Rubrique : chroniques francophones / volume 2 / France
Mots clés : responsabilité, moteurs, recherche, outils, répertoires, catalogues, portails
Citation : Valérie SÉDALLIAN, "A propos de la responsabilité des outils de recherche", Juriscom.net, 19 février 2000
Première publication : Juriscom.net 
Seconde publication : Cahiers Lamy droit de l'informatique et des réseaux, mai 2000


A propos de la responsabilité des outils de recherche

Par Maître Valérie Sédallian
Avocate à la Cour de Paris
www.internet-juridique.net

email : sedallian@argia.fr


La question toujours très controversée de la responsabilité des hébergeurs a déjà fait l’objet de nombreux commentaires et travaux [1]. La jurisprudence continue de s’enrichir de nouvelles décisions, dont celle rendue par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre dans une affaire Lacoste c/ Multimania et autres le 8 décembre 1999 [2].

Nous ne commenterons pas cette décision, qui va être réexaminée prochainement par la Cour d’appel de Versailles, du point de vue de cette responsabilité des fournisseurs d’hébergement. Cependant, alors que le contentieux semble se focaliser sur le fournisseur d’hébergement [3], la décision « Lacoste » révèle ce qui pourrait être les prémisses d’un nouveau contentieux à l’encontre d’un acteur tout aussi incontournable dans la chaîne de diffusion d'informations sur Internet que le fournisseur d’accès, l’hébergeur ou l’auteur du site : le moteur de recherche.

Dans la décision « Lacoste », le Tribunal a relevé que : « les sites présumés illicites sont aisément détectables par le moyen d’un moteur de recherche basé sur des mots clés d’un nombre réduit évoquant l’univers de la nudité, la beauté, la célébrité, la féminité. » Il constate ensuite que les photographies de Lynda Lacoste ont été trouvées depuis le moteur de recherche Nomade sur les mots clés « célébrités françaises » et depuis le moteur de recherche Yahoo! sur les mots clés « Célébrités dénudées - photos, célébrités - photos sexe ».

Comme en témoigne cette affaire, c’est le moteur de recherche qui permet la localisation de l’information recherchée. Lorsqu’un site est créé, sa promotion doit être effectuée, afin d’en assurer la visibilité sur Internet. Cette promotion passe notamment par le référencement du site dans les outils de recherche, une prestation aujourd’hui proposée couramment par les sociétés de développement de sites Internet [4]. Les moteurs sont devenus un maillon incontournables dans la recherche d’informations sur Internet.

Si le fournisseur d’hébergement permet le stockage et l’accès au site depuis le réseau Internet, c’est le moteur de recherche qui permet au public d’y accéder. En effet, s’il est aisé d’accéder à une information dont on connaît l’adresse précise, il est en revanche beaucoup plus difficile de retrouver un document précis sans connaître par avance sa localisation exacte. Il existe aujourd’hui des centaines de millions de pages de documents en ligne, qu’il est impossible de comptabiliser avec exactitude, au point que certains avancent « qu’il n’est pas totalement absurde de considérer le Web comme virtuellement infini [5]. »

Dans une des rares chroniques qui s’est penchée sur la question de la responsabilité des outils de recherche en droit français, une auteur déclare : « Pour les infractions les plus graves, il n’est pas concevable de déresponsabiliser a priori un maillon de la chaîne de navigation de l’information, et de proclamer que tel ou tel acteur bénéficie d’une « immunité ». C’est pourquoi on ne saurait ériger un principe général selon lequel les moteurs de recherche ou annuaires échapperaient à toute incrimination en raison du contenu des sites qu’ils référencent [6]. »

Nous n’examinerons pas, dans le cadre de la présente note, la question de la responsabilité en raison des liens effectués depuis un site particulier vers un autre site [7], mais la question plus générale du référencement par les moteurs de recherche ou annuaires de sites proposant du contenu illicite.

I. Le fonctionnement des outils d’aide à la navigation

Il existe deux types d’outils d’aides à la navigation : les moteurs proprement dits et les annuaires. La différence de fonctionnement entre ces deux types d’outils doit être rappelée.

> Les annuaires

Les annuaires sont des répertoires de sites classés par thèmes et sous-thèmes, en fonction d’une arborescence fondée sur une classification hiérarchique des connaissances appelée ontologie [8]. Un annuaire n’est pas une compilation ou une anthologie des documents qu’il cite, mais un ensemble de références sur un thème donné qui permet de signaler au public l’existence d’un contenu. L’indexation des sites résulte d’une démarche volontaire : le site Web est déclaré par son propriétaire, qui propose une catégorie de rattachement au sein de l’annuaire et une brève description de son site. L’équipe de l’annuaire vérifie ensuite les sites suggérés et la catégorisation du site.

Yahoo! indique ainsi : « les sites sont indexés dans les catégories par les surfeurs de Yahoo! France, qui explorent les sites suggérés et décident des catégories où ils apparaîtront [9]. » Chez Nomade, la description du site « est contrôlée par l’équipe de Nomade avant d’être mise en ligne » [10]. L’annuaire effectue donc un travail d’analyse des sites indexés, et de choix des rubriques.

> Les moteurs

A la différence des annuaires, les moteurs de recherche sont automatisés. Ils indexent les sites par l’utilisation de programmes informatiques appelés « robots ». Les robots sont des programmes de navigation qui suivent les liens hypertextes de pages Web et collectent l’ensemble des documents textuels qu’ils peuvent trouver. A partir du texte des documents, le programme extrait les mots et les met dans une base de données sous une forme qui permettra de répondre aux requêtes des utilisateurs : c’est la phase d’indexation [11].

Lorsque l’on effectue une recherche, le résultat est obtenu suite à une requête effectuée sur les pages indexées en fonction des mots contenus dans la requête et des mots contenus dans la base du moteur de recherche, eux-mêmes tirés du site. Pour chaque document sélectionné, un « score de pertinence » est établi, qui fait intervenir la fréquence d’occurrence des mots significatifs de la requête dans le document, leur proximité entre eux, leur présence dans le titre du document etc… Les facteurs qui influent le référencement dans les moteurs de recherche sont notamment : les mots employés dans le titre, la balise META « keywords » (mots clés), la fréquence des mots dans le document, la longueur du document.

Un élément déterminant dans la qualité d’un moteur de recherche et le résultat donné par une requête est l’algorithme d‘évaluation automatique de pertinence. Les nouvelles recherches en matière d’algorithme d’estimation de pertinence utilisent l’outil statistique. Par exemple, le classement des documents se ferait en fonction de leur popularité (documents qui sont la cible de nombreux liens hypertexte) [12].

II. Les critères de la faute du moteur de recherche et leur limite

La responsabilité des fournisseurs d’outils de recherche n’est traitée ni dans la proposition de Directive « relative à certains aspects juridiques du commerce électronique » [13], alors qu’elle comporte de nombreuses précisions sur la responsabilité des fournisseurs d’accès et d’hébergement, ni le projet de loi n °1187 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dont un amendement traite de la responsabilité des fournisseurs techniques [14].

La doctrine considère que l’on ne peut exclure a priori que l’outil de recherche engage sa responsabilité s’il a permis par sa négligence la connexion à site illicite [15]. Il s’agit d’appliquer aux outils de recherche le droit commun de la responsabilité civile, fondé sur la notion de faute [16]. Sa responsabilité pourrait être engagée s’il référence le site en connaissance de cause de son contenu illicite, soit parce qu’il avait connaissance de ce contenu, soit parce qu'informé de ce contenu litigieux, il n’est pas intervenu. Sa responsabilité pourrait également être engagée du fait de sa négligence, pour avoir facilité l’accès à des informations illicites.

En droit pénal, l’outil de recherche pourrait notamment voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l’article 121-7 du Code pénal, sur le terrain de la complicité, pour avoir fourni en connaissance de cause une aide à la commission d’une infraction. Il pourrait également être poursuivi comme auteur direct des infractions, si les conditions d’incrimination du texte pénal son remplies. Par exemple, l’article 227-23 du Code pénal incrimine la simple diffusion d’images pédophiles, par quelque moyen que ce soit. Cependant, en matière pénale, l’intention coupable doit être établie, conformément au principe posé par l’article 121-3 du Code pénal.

Trois comportements seraient ainsi susceptibles d’engager la responsabilité de l’outil de recherche : accepter des mots clés ou des rubriques explicites, le défaut de contrôle des sites référencés, le refus de déréférencer un site illicite.

> Accepter des mots « suspects » ou des rubriques « attractives »

Une auteur considère que le fait d’accepter des mots clés explicites, comme le mot pédophilie, pourrait être en soit un indice d’une connaissance du caractère illicite du site [17]. La décision rendue par le Tribunal de grande instance de Nanterre considère que des recherches sur des mots clés évoquant l’univers de la nudité, la beauté, la célébrité, la féminité permettent de détecter aisément les sites présumés illicites.

Or, des recherches sur le mot pédophilie peuvent tout à fait renvoyer à des sites luttant contre la pédophilie. C’est, par exemple, le cas lorsque l’on effectue une recherche sur ce mot avec l’annuaire Yahoo![18].  Quant aux mots évoquant la féminité et la beauté, ils n’ont a priori rien d’illicite.

Peut-on fonder la connaissance du caractère illicite d’un site sur les seuls mots clés qui évoqueraient le contenu du site ? Doit-on exclure certains mots des recherches, c'est-à-dire ériger en principe le caractère illicite de certains mots de la langue française que l’on trouve dans tous les dictionnaires ? Existe-t-il en soi des mots objectivement « suspects » ?

Le cas des annuaires doit être distingué de celui des moteurs de recherche fondés sur l’utilisation de programmes de recherches automatisés.

>> Le cas des moteurs de recherche

Nous avons vu que les moteurs de recherche sont basés sur des programmes automatiques d’indexation de mots trouvés dans les pages web des sites visités par les robots du moteur. Les moteurs de recherche pourraient-ils voir leur responsabilité engagée parce qu’ils permettent des requêtes sur des mots désignant des activités illicites et renvoyant ensuite à des sites contenant des données illicites en relation avec les mots de la requête ?

Pour exclure ces mots « suspects » des requêtes des utilisateurs, ces mots devront être exclus de l’indexation effectuée par le programme du robot, ce qui est techniquement envisageable. Cependant, le programme informatique qui permet l’indexation des sites visités n’est pas apte à juger du contenu d’un site. Il répond à des instructions logiques. Par exemple, il serait possible d’imaginer un algorithme qui donne instruction de ne pas indexer les sites où une liste de mots suspects apparaîtra. Mais tous les sites où ces mots apparaîtront seront écartés par le robot, indépendamment de leur contenu.

En outre, dès que les auteurs de sites connaîtront les mots suspects écartés par le système d’indexation, ils prendront des mesures de contournement pour éviter l’emploi des mots de la liste noire ainsi constituée, laquelle devra être mise à jour de manière permanente, au risque de s’allonger avec le temps avec les conséquences que l’on peut imaginer. La Charte sur les « pratiques et usages » de l’AFA indique ainsi que l’efficacité des contrôles de sites par la détection automatique de mots suspects est réduite dès lors que les responsables des sites surveillés ont connaissance des mots suspects recherchés par les programmes informatiques du fournisseur d’accès [19].

Juridiquement, considérer que certains mots devraient être censurés et bannis des bases de données des moteurs de recherche serait tout à fait contestable et certainement contraire aux principes de liberté de communication et d’expression garantis par l’article 10.1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Doit-on bannir les mots « viol », « révisionnisme », « torture » du dictionnaire pour la seule raison que ces mots renvoient à des activités ou des idées totalement inacceptables ? Toute censure basée sur la présence de seuls mots entraînerait automatiquement dans son sillage la censure de sites qui luttent contre les activités que ces mots désignent. Par exemple, une censure des mots viols, révisionnisme, torture, entraînera vraisemblablement l’absence de référencement des sites d’aides aux victimes de viol, de lutte pour les droits de l’homme et contre le révisionnisme.

Reprenons la liste des mots érigés peut être involontairement en « mots suspects » par la décision du 8 décembre 1999 du Tribunal de grande instance de Nanterre. Il s’agit des mots qui évoqueraient la nudité, la beauté, la célébrité, et la féminité.

A ces quatre mots, devra-t-on ajouter par exemple les mots :

femme, féminine, fille, belle, charmante, agréable, jolie, enchanteresse, exquise, gracieuse, harmonieuse, magnifique, mignonne, ravissante, splendide, superbe, élégante, merveilleuse, actrice, comédienne, star, présentatrice, télévision, chanteuse, cinéma, film, top model, mannequin, box-office, yeux, blonde, brune, tenue, légère, ainsi qu’une liste de noms de célébrités,

tous ces termes étant susceptibles d’évoquer la beauté, la féminité, la célébrité ?

Quelle devrait être la nature et le nombre de termes à bannir du moteur de recherche pour éviter de référencer les sites qui reproduiraient sans autorisation des photographies consacrées aux charmes féminins ? Cet exemple montre bien que vouloir exclure certains mots des moteurs de recherches au motif qu’ils peuvent être utilisés pour accéder à des sites illicites serait tout à fait déraisonnable et juridiquement contestable.

L’universalité de l’accès à l’information que permet l’utilisation des moteurs de recherche doit être préservée.

>> Le cas des annuaires

Le cas des annuaires est différent de celui des moteurs proprement dits, dans la mesure où ils reposent sur une indexation humaine et volontaire. Si un annuaire offre une rubrique explicitement consacrée à des sites renvoyant à des activités illicites, il court le risque d’engager sa responsabilité civile, voire pénale. Cependant, les choses ne sont pas forcément si simples, car a priori un annuaire responsable évitera d’offrir de telles rubriques.

Qu’en est-il par exemple du cas des annuaires internationaux qui, par le jeu des renvois vers d’autres rubriques offrent des liens vers des sites prohibés en droit français, mais licites dans d’autres pays ? Ainsi la rubrique « Judaïsme » de Yahoo! [20] contient un lien vers sa catégorie équivalente en anglais, à partir de laquelle on aboutit en suivant les rubriques « Histoire > Holocaust », à la catégorie « révisionnisme ». Il n’y a pas de lien direct vers cette rubrique qui est inexistante dans la version française mais l’ensemble des versions françaises et américaines constitue néanmoins un seul site. Ces liens doivent-ils être traités comme des liens indirects de la version française vers la version américaine qui n’engagent pas la responsabilité de l’annuaire [21], ou s’agissant du même site, l’annuaire doit-il respecter la législation la plus restrictive sur le sujet, à savoir la législation française [22] ?

Les sites incriminés dans l’affaire Lacoste étaient référencés dans Yahoo! et Nomade qui sont des annuaires, même s’il est possible de faire des recherches par mots clés sur les sites référencés.

Dans le cas de Yahoo!, on trouve dans leur arborescence une rubrique « Commerce et économie > Sociétés > Sexe > Photographies > Célébrités dénudées ». On obtient une liste de site dont la description fait référence à des noms d’actrices et de stars, et utilise des termes faisant référence à la photographie et/ou au caractère dénudé des célébrités ainsi mises en valeur. Dans le cas de Nomade, il existe une rubrique « Loisirs et tourisme > Sexe > Galeries d’images, Photos > Célébrités nues. »

Ainsi, ces deux annuaires proposent des rubriques explicitement consacrées à l’univers de la célébrité et de la nudité, grâce auxquels les internautes ont pu accéder aux images de Madame Lacoste qui se trouvaient sur les sites ainsi référencés.

Ces deux annuaires auraient-ils pu être déclarés responsables d’une faute de négligence pour avoir prévu une telle rubrique dans leur arborescence et y avoir référencé les sites litigieux  après les avoir vérifié ? Il serait hasardeux d’apporter une réponse positive à cette question, ces deux annuaires n’ayant pas été mis en cause par Madame Lacoste. Il est néanmoins permis de s’interroger sur la réponse qu’aurait apporté le tribunal à cette question compte tenu de la motivation de ce jugement sur la question des recherches.

Pourtant, les mots « célébrités », « nues », « images », « photographies » sont en soi dénués de tout caractère expressément ou implicitement illicite. Certaines célébrités affichent d’ailleurs volontairement leurs charmes dans des magazines à grand tirage. Le fait de poser en tenue légère pour des photographies destinées à une large diffusion n’est pas une activité illicite.

Dans ces conditions, on ne peut pas présumer que tous les sites auxquels renverront les sites référencés dans les rubriques précités seront nécessairement illicites. C’est en réalité l’examen du contenu des sites concernés qui permettra d’affirmer a posteriori que la rubrique facilite l’accès à des sites apparemment illicites.

Ainsi, tout est une affaire de contexte, et ce n’est peut être pas tant le titre de la rubrique qui doit être mis en cause, que celui du contenu des sites référencés, ce qui nous ramène au problème du contrôle des contenus des sites que nous allons maintenant examiner.

> Le contrôle des sites référencés

Avant d’indexer un site dans l’annuaire, ce site est visité afin de vérifier la catégorie dans laquelle il est référencé. Il ne s’agit donc pas d’une vérification centrée sur le contenu du site. Cependant, on peut penser que le fait de référencer et donc de donner une certaine publicité à un site dont le contenu serait manifestement illicite serait susceptible d’engager la responsabilité de l’annuaire.

Nomade indique ainsi qu’il « se réserve le droit de ne pas répertorier certains services, notamment en cas d’atteinte flagrante à l’ordre public ou aux bonnes moeurs » [23]. Or, si dans certains cas un examen sommaire du site révèle aisément qu’il peut contenir des données illicites, par exemple en cas de diffusion d’images pédophiles ou d’incitation à la haine raciale, il n’est pas toujours aisé de déterminer si le site est licite ou non. Dans une majorité de cas, il faudra vérifier auprès du propriétaire du site qu’il dispose bien de toutes les autorisations nécessaires pour diffuser telle ou telle donnée, se livrer à une appréciation juridique du contenu au regard de textes législatifs et réglementaires nombreux couvrant des domaines du droit variés. Outre le fait qu’une telle vérification serait probablement difficilement réalisable d’un point de vue matériel compte tenu du nombre de sites référencés dans l’annuaire, en agissant ainsi, l’annuaire sortirait incontestablement de son rôle.

Reprenons l’exemple des photographies de charme des célébrités. Les photographies que l’on trouve sur Internet sont généralement des photographies prises dans un cadre professionnel et ne concernent pas que les stars françaises. Or, le statut des photographies qui ont été prises avec l’accord des personnes photographiées reçoit une réponse radicalement différente en droit français et en droit américain.

En droit français, la jurisprudence a reconnu un droit de destination à la personne photographiée, c'est-à-dire le droit de choisir les supports de diffusion de son image : l’autorisation donnée à une publication ne vaut pas autorisation pour une diffusion de ces images dans une autre revue [24]. En droit américain, les cessions de droits sur des clichés peuvent être totales et illimitées. Des artistes qui, comme Madonna, ont accepté de poser nues doivent ensuite accepter que ces clichés soient réexploités par des magazines [25]. Dans un autre domaine, l’actrice Pamela Anderson n’a pu obtenir, devant les juridictions américaines, une mesure d’interdiction des images la représentant dans une situation intime. Les images en question ayant été largement diffusées, de telles mesures semblaient sans pertinence [26].

Ainsi, le seul fait que l’on trouve sur un site une photographie d’une célébrité ne signifie pas automatiquement que cette diffusion est interdite. Or, ce n’est pas à l’annuaire de déterminer les droits relatifs à tous les contenus susceptibles de se trouver sur un site.

Au demeurant, il faut également tenir compte de la volatilité de l’information sur Internet, les propriétaires de sites ayant généralement la possibilité de modifier aisément leur site Internet. Lors du référencement, un site pouvait très bien ne contenir aucune donnée susceptible d’éveiller la suspicion, puis avoir été modifié par la suite. A l’obligation de contrôle initial s’ajouterait alors une obligation de contrôle permanente qu’il s’avère en pratique impossible à mettre en œuvre.

Le fait que les annuaires procèdent à une indexation manuelle des sites référencés et, donc, aient l’occasion d’en vérifier le contenu, ne devrait pas en soi être considéré comme un indice suffisant pour voir engager automatiquement leur responsabilité, en l’absence d’une faute caractérisée. La preuve devrait être rapportée que le site a été référencé en connaissance de cause.

> Le refus de déréférencement

Cette faute caractérisée pourrait-elle être constituée par le fait pour l’outil de recherche de refuser de déréférencer ou de supprimer l’indexation d’un site dont le contenu est illicite après avoir reçu une mise en demeure ?

Si, techniquement, il est aisé de supprimer un lien vers un autre site, expurger la base de données du moteur de recherche de mots clés associés à un site puis constituer, au fur et à mesure des notifications, une « liste noire » de sites à ne pas indexer est peut être moins évident.

Le fait de notifier à un outil de recherche qu’il permet l’accès à un site illicite semble considéré par la doctrine comme un cas d’ouverture de la responsabilité de l’outil de recherche, qui permet ensuite sciemment l’accès au site par le public.

Cette position est confortée par une décision récente rendue le 2 novembre 1999 par un Tribunal belge [27], bien que cette affaire ait concerné en réalité un fournisseur d’hébergement et non un outil de recherche. Dans cette affaire, la société d’hébergement belge Skynet a été condamnée sous astreinte à retirer des liens qui figuraient sur un site qu’elle héberge vers des sites qui permettent des enregistrements musicaux au format MP, ainsi qu’à une mesure de publication judiciaire. La société avait préalablement été mise en demeure de supprimer ces liens.

En défense, la société Skynet avait invoqué le fait qu’elle était étrangère au contenu illicite auquel le site se référait et que ce contenu illicite n’était pas démontré. Pour le juge, le fournisseur peut être considéré comme responsable dès lors qu’il ne supprime pas les liens alors qu’il a été mis au courant d’activités suspectes, que les liens en question sont des liens vers des sites pirates connus et que le fournisseur s’est ainsi rendu complice de la mise à disposition du public belge de reproductions de fichiers de musique.

Le raisonnement suivi par le juge belge serait tout à fait transposable au cas des outils de recherche. Néanmoins, cette position doit être nuancée. En effet, le caractère illicite d’un site n’est pas nécessairement manifeste. Appartient-il à l’annuaire de déréférencer à titre préventif et, donc, de pratiquer une forme de censure sur simple dénonciation et en l’absence de toute décision de justice, des sites dont le contenu ne serait pas manifestement illicite ? La raison d’être d’un outil de recherche est de donner accès à l’information, pas de porter des jugements de valeur.

En conclusion, si les fournisseurs d’outils de recherche, comme tout acteur, sont susceptibles d’engager leur responsabilité en raison de leurs activités, les cas où cette responsabilité sera engagée devraient rester limités. Cependant, la rigueur de la jurisprudence actuelle sur les fournisseurs d’hébergement pourrait un jour être étendue aux outils de recherche. En tout état de cause, l’analyse de cette responsabilité devra tenir compte à la fois des contraintes techniques propres aux moteurs de recherche et du fait que les outils de recherche doivent pouvoir assurer l’accès le plus universel possible aux différentes informations accessibles sur Internet.

V.S.


Notes

[1] Voir par exemple : Michel Vivant, « La responsabilité des intermédiaires de l’Internet », JCP G 1999, I, 180 ; C. Bourgeos et A ; Livory, « Eléments de réflexion sur la responsabilité du fournisseur d’hébergement », Droit de l’Informatique & des télécoms, 1999/3, p. 116 ; Frédérique Olivier et Eric Barbry, « La responsabilité des prestataires d’hébergement », note sous CA Paris, 10 février 1999, JCP G 1999, II, 10 101.

[2] Gazette du Palais du 11 et 12 février p. 2 ; Juriscom.net, <http://www.juriscom.net>.

[3] Voir TGI de Nanterre - Référé - 31 janvier 2000, Les Trois Suisses et autres c/ SARL Axinet Communication, Eric G. ; Legalis.net, <http://www.legalis.net/jnet/decisions/marques/ord_tgi_nanterre_310100.htm> condamnant l’hébergeur d’un site de vente aux enchères de noms de domaines contrefaisants, et affaire Altern c/ La Poste, <http://parodie.com/humpich/home.htm>.

[4] Sur l’activité de référencement, voir Cédric Manara, « Navigation sur Internet : la pratique du référencement d’informations », Dalloz Affaires 1999, chronique, p. 1274.

[5] François Bourdoncle et Patrice Bertin, « Recherche d’aiguilles dans une botte de liens », La Recherche, février 2000, p. 66.

[6] Vanina Spacensky-Riff, « Promotion d’un site Web et risques encourus », Légipresse, avril 1998, II-34.

[7] Sur cette question voir : Christophe Curtelin, « L’utilisation des liens hypertextes, des frames ou des méta-tags sur des sites commerciaux », Droit de l’Informatique & des télécoms, 1999/3, p. 6 ; Arnaud Demiglio, « Le renvoi à la page Web d’un tiers, par un lien hypertexte, est-il ou non constitutif d’un acte de contrefaçon ? », Bulletin d’actualités Lamy Droit de l’informatique et des réseaux, mai 1999, p. 20 ; Cyril Rojinsky, « Un clic de trop, Le droit menace-t-il les hyperliens ? », Expertises , janvier 2000, p. 430 ; Sylvain Staub, « Les incidences juridiques des liens hypertextes », Expertises, novembre 1998 et février 1999, p. 20 ; TGI Paris, 17ème chambre, 15 décembre 1998, Ministère public c/ Serge July, Légipresse, janvier - février 1999, III - 15, note E. Derieux ; Eric Labbé, François-Xavier Farasse, Campagne d’information et de protection sur les liens hypertexte, <http://www.droit.umontreal.ca/cipertexte/>.

[8] Jérôme Thorel, « Ontologiquement Yahoo! », Planète Internet, juillet / août 1996 p. 30.

[9] Comment suggérer un site ?, <http://fr.docs.yahoo.com/info/ajouter.html>.

[11] François Bourdoncle et Patrice Bertin, « Un moteur de recherche, comment ça marche ? », La Recherche, février 2000, p. 69 ; Voilà l’indexation, <http://www.voila.fr/Informations/indexat.html>.

[12] François Bourdoncle et Patrice Bertin, « Recherche d’aiguilles dans une botte de liens », La Recherche, février 2000, p. 70-71.

[13] JOCE du 5 février 1999 ; la proposition de Directive a été modifiée depuis, voir : <http://europa.eu.int/comm/dg15/fr/media/eleccomm/99-952.htm>.

[14] Amendement Bloche n° 568, modifié en première lecture par le Sénat, séance du 19 janvier 2000, 45ème séance de la session ordinaire de 1999-2000, voir : <http://www.senat.fr/leg/legencours.html>.

[15] André Lucas, Droit d’auteur et numérique, Litec, 1998, p.298 ; Vanina Spacensky-Riff, « Promotion d’un site Web et risques encourus », Légipresse, avril 1998, II-37.

[16] Article 1382 du Code civil.

[17] Vanina Spacensky-Riff, préc. II-37

[21] Vanina Spacensky-Riff, préc. II - 37 ; Sylvain Staub, art. préc. p. 21.

[22] En droit américain, le révisionnisme est couvert par le premier amendement de la Consitution américaine sur la liberté d’expression, alors qu’en droit français le négationnisme est un délit prévu par l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 modifiée.

[24] CA Paris 1ère ch., 14 mai 1975, D. 1976, J 291, note R. Lindon.

[25] André Bertrand, Droit à la vie privée et droit à l’image, Litec, 1999, p. 163 et s.

[26] André Bertrand, préc., p.168.

[27] Tribunal de Commerce de Bruxelles, 2 novembre 1999, affaire ASBL, IFPI, SA Polygram c/ SA Belgacom Skynet, <http://www.droit-technologie.org>. Un appel est en cours.


Voir également sur Juriscom.net :

- Les faces cachées de l'information
(Travaux Universitaires - Doctrine), de Éric Labbé et Pierre-Emmanuel Moyse ;
- La responsabilité des outils de recherche sur Internet en droit français et en droit belge
(Espace "Professionnels"), de Thibault Verbiest ;
- La responsabilité des prestataires techniques sur Internet dans le Digital Millenium Copyright Act amécicain et le projet de directive européen sur le commerce électronique
(Espace "Professionnels), de Valérie Sédallian.

 

Juriscom.net est une revue juridique créée et éditée par Lionel Thoumyre
Copyright © 1997-2001 Juriscom.net / Copyright © 2000 LexUM